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CCSI-Info novembre 2010

Publié le 11 novembre, 2010 dans

bulletin d’infos

novembre 2010

 

Édito

Une fois n’est pas coutume, nous commençons cet édito avec de bonnes nouvelles. Quelques jours après la parution du dernier bulletin, nous avons appris avec un immense soulagement et une très grande joie la régularisation de la famille Selimi, dont le parcours avait fait la une des journaux ces derniers mois. Moins d’une semaine plus tard, nous avions à nouveau l’occasion de nous réjouir, puisqu’après de longs mois d’attente, le Conseil des États avait finalement accepté d’ouvrir l’accès aux apprentissages pour les jeunes Sans-papiers. Ces deux événements sont des victoires d’étape importantes, d’autant plus bienvenues que les moments positifs se font rares dans les milieux de défense des migrant-e-s en général, et des sans-papiers en particulier. Cependant, ces succès ne doivent pas nous faire oublier qu’il reste encore énormément à faire. Tant pour les nombreuses familles de sans-papiers en Suisse, qui sont dans des circonstances tout à fait similaires à celles de la famille Selimi, que pour les jeunes sans statut légal qui pourront enfin accéder à la formation professionnelle, le problème est très loin d’être réglé. Dès lors, il nous reste l’espoir. L’espoir que ces victoires soient un premier pas vers une solution, collective et politique, pour ces nombreuses personnes qui vivent et travaillent en Suisse depuis de longues années, et qui sont maintenues dans l’illégalité par une politique migratoire qui ignore les réalités de la Suisse contemporaine.

Ces bonnes nouvelles s’inscrivent pourtant dans un contexte général sombre. En Suisse, la campagne autour du renvoi des ‘étrangers criminels’ bat son plein, charriant son lot habituel d’images choquantes, de déclarations à l’emporte-pièce, d’amalgames faciles, et de chiffres manipulés. Difficile dans ce climat de faire entendre une autre voix. C’est ce que tente néanmoins de faire ce numéro, entièrement consacré aux enjeux de la votation du 28 novembre prochain. On y trouvera la voix que le CCSI tente d’exprimer depuis toujours: une voix viscéralement attachée à l’égalité et à la justice pour toutes et tous, qui se retrouve particulièrement à contre-courant du climat anti-étrangers ambiant. Cela étant, ce climat pesant ne s’arrête pas à nos frontières. En Europe, nos voisins semblent en effet s’être lancés dans une course dont le vainqueur serait celui qui a le discours le plus dur envers l’immigration. Vous pensez que j’exagère? Voyez plutôt: un parti qui fait de la xénophobie son principal fonds de commerce fait une percée électorale et entre au parlement dans un pays réputé tolérant comme la Suède; un parti ouvertement raciste et islamophobe se retrouve en position de faiseurs de rois dans la nouvelle coalition gouvernementale aux Pays-Bas; une loi élaborée par un transfuge du Parti socialiste, visant à déchoir les Français ‘d’origine étrangère’ de leur nationalité en cas d’atteinte aux forces de l’ordre, passe la rampe à l’Assemblée nationale; la Chancelière Angela Merkel, non crait nous inquiéter plus profondément qu’elle ne le fait actuellement. Elle devrait surtout nous inciter toutes et tous à réagir. Car cette spirale négative n’est pas inexorable, n’en déplaise à certains. Cependant, le redressement de la barre ne se fera pas tout seul. Il nécessite avant toute chose une prise de conscience collective quant à la gravité de la situatontente de décréter la mort du projet multi-culturel, ajoute que ceux qui ne se reconnaissent pas dans les ‘valeurs chrétiennes’ n’ont pas leur place en Allemagne. Tous ces éléments laissent apparaître un glissement collectif qui s’opère depuis plusieurs années déjà. Cette tendance générale au recul devion. Il s’agit là d’un premier pas, mais d’un pas nécessaire afin que toutes les forces qui se sentent concernées reprennent, chacune à sa manière, la bataille.

 

Spécial votations: 2x non aux renvois

Le peuple suisse se prononce le 28 novembre prochain sur l’initiative de l’UDC « Pour le renvoi des étrangers criminels », et sur le contre-projet à cette initiative élaboré par le Parlement. Si le CCSI s’est fortement engagé, au sein de la Coordination contre l’exclusion et la xénophobie, dans une campagne pour un double non, c’est que les enjeux qui l’entourent touchent le cœur de nos préoccupations. Ces deux textes vont à l’encontre d’un principe que nous défendons depuis toujours, celui d’une égalité de droit et de fait entre Suisses et étrangers-ères. Nous sommes convaincus du fait que seule une véritable égalité est à même de garantir des relations harmonieuses entre Suisses et étrangers-ères, et de renverser les barrières qui pourraient nous séparer. Toutefois, afin d’expliquer pourquoi nous avons choisi de nous opposer à ces deux textes, nous devons d’abord comprendre sur quoi nous sommes appelés à voter.

L’initiative de l’UDC

L’initiative « Pour renvoi de étrangers criminels » propose de renvoyer systématiquement de Suisse les étrangers qui se rendent coupables de certains délits. La liste de ces délits cite par exemple le meurtre, le viol, et d’autres crimes graves, mais également l’effraction ou encore l’abus aux assurances sociales. Ces crimes entraineront automatiquement l’expulsion de leur auteur. Le renvoi est en outre assorti d’une interdiction d’entrée sur le territoire suisse pouvant aller jusqu’à 20 ans en cas de récidive. L’initiative contient plusieurs éléments particulièrement choquants. D’une part, elle place sur le même plan des délits radicalement différents. Le viol est ainsi traité de la même manière que la perception abusive de l’aide sociale. D’autre part, au-delà de la double peine qui est imposée aux résidents d’origine étrangère, ces mesures s’appliquent exactement de la même manière à une personne au bénéfice d’un permis B, présente en Suisse depuis une année, qu’à un ‘étranger’ né en Suisse, qui y a grandi, dont toute la famille est ici, et qui n’a jamais vécu dans le pays dont il détient le passeport. Ces renvois engendreraient des situations humainement insupportables, tant pour les auteurs de délits que pour leurs familles: celles qui sont en Suisse par le biais du regroupement familial, qui seront renvoyées alors qu’elles sont innocentes; et celles qui sont au bénéfice d’un statut moins précaire, qui seront déchirées par ces mesures. Le texte de l’initiative contrevient en outre à de nombreuses normes de droit international, de même qu’à des principes fondateurs de l’État de droit. Les principes de proportionnalité et d’individualisation de la sanction, en particulier, selon lesquels la peine prononcée doit tenir en compte les circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise, de même que les circonstances propres à l’auteur du délit, ne sont clairement pas respectés. Le droit à la vie privée et familiale, ainsi que le principe de non-refoulement (l’interdiction de renvoyer une personne dans un pays où elle risque la torture) sont également bafoués par l’in
itiative.  

Le contre-projet

Le contre-projet élaboré par les chambres fédérales reprend l’essentiel des propositions de l’initiative, en y apportant toutefois quelques modifications. D’une part, la liste des infractions entrainant un renvoi est à la fois plus étendue et plus précise que celle de l’initiative. Elle prévoit entre autres que soient renvoyés de Suisse les étrangers qui sont reconnus coupables de toute infraction passible d’un an de prison au moins. Ainsi, le contre-projet se réfère à la ‘peine-menace’, et non à la condamnation effective. Seraient également renvoyés les étrangers condamnés à 720 jours amande en l’espace de dix ans. Il est important de noter que ces condamnations peuvent concerner des délits d’une gravité toute relative. En cela, le contre-projet va plus loin que l’initiative elle-même. D’autre part, le contre-projet stipule que les décisions de renvoi sont prises dans le respect des droits fondamentaux. Si la mention de ce principe constitue évidemment un point positif par rapport à l’initiative, elle n’est pas suffisante. Elle ne dit rien des critères d’application de ces principes, et les laisse à la libre appréciation des autorités. La simple mention de ces normes constitutionnelles et internationales ne permet donc pas de garantir leur application.

En outre, le contre-projet, contrairement à l’initiative, contient des articles relatifs à l’intégration. À notre sens, le fait d’inclure des notions d’intégration dans un texte censé répondre à une problématique de criminalité étrangère encourage un amalgame inacceptable. Il sous-entend en effet que si les étrangers commettent des délits, c’est parce qu’ils ne sont pas intégrés. Les Suisses, qui sont par définition ‘intégrés’, ne commettent-ils donc jamais de crimes ? Enfin ces articles, destinés avant tout à rendre le contre-projet moins indigeste pour la gauche, ne proposent rien de fondamentalement nouveau, et ne contraignent pas les autorités à mettre en place des mesures concrètes en faveur d’une réelle intégration des étrangers.

La criminalité n’a pas de passeport!

L’initiative et le contre-projet se basent sur une interprétation biaisée et simpliste des statistiques en matière de criminalité. S’il est indéniable que les étrangers sont sur-représentés dans ces statistiques, cela tient avant tout à la structure démographique de la population étrangère résidant en Suisse. Les auteurs de délits sont dans la grande majorité de jeunes hommes célibataires, et ces derniers sont plus nombreux parmi les étrangers que parmi les Suisses. Ces personnes sont souvent marginalisées dans la société et éprouvent des difficultés à s’intégrer au marché du travail. Ce sont bien ces facteurs, et non l’origine nationale, qui expliquent le passage à l’acte. Enfin, il est à noter que les étrangers sont souvent condamnés pour infraction à la loi sur le séjour, un délit dont les Suisses ne peuvent par définition pas se rendre coupables.

Un durcissement inutile, des mesures inefficaces

Aujourd’hui, la loi permet déjà d’expulser les étrangers qui commettent des crime graves. Ces renvois ne sont pas qu’une possibilité abstraite, qui serait insuffisamment utilisée comme le prétendent les auteurs de l’initiative. Plusieurs centaines de renvois sont actuellement prononcés chaque année, suivant une tendance à la hausse. Une récente étude a par ailleurs montré que les crimes violents et autres délits graves font presque toujours l’objet d’une décision de renvoi. En outre, les expulsions posent déjà de graves problèmes quant au respect des normes internationales en vigueur. Pour preuve, la Suisse a été condamnée en 2008 par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour ne pas avoir respecté le principe de proportionnalité dans le cadre du renvoi d’un jeune homme dont toutes les attaches personnelles et familiales étaient manifestement en Suisse (affaire Emre contre Suisse). Il est donc entièrement mensonger de prétendre que la pratique actuelle est laxiste. De nombreux cas montrent au contraire qu’elle est extrêmement sévère. Un durcissement supplémentaire n’est en aucun cas nécessaire.  

Les propositions de l’initiative, reprises par le contre-projet, ne sont pas de nature à apporter une quelconque solution aux problèmes de la criminalité. Elles ne sont que des placebos populistes, appliqués sur l’insécurité perçue par la population. Expulser un étranger parce qu’il a commis un délit ne change rien au fait que ce délit a été commis. Quant au prétendu effet dissuasif de ces mesures, les prisons américaines – pleines à craquer alors même qu’on y risque la peine de mort – devraient suffire à démontrer qu’une politique criminelle ultra-répressive n’a pas les effets escomptés. D’autre part, les deux textes ne proposent aucune mesure destinée à agir sur les causes de la criminalité, ou même à prévenir la récidive.  

Officialiser la discrimination?

Si l’initiative et/ou le contre-projet devaient être adoptés par le peuple, ils ancreraient la discrimination dans la Constitution fédérale. Ils enverraient ce faisant un message extrêmement négatif à toutes les personnes d’origine étrangère résidant en Suisse. Ces textes menacent gravement le vivre ensemble, et représentent un retour en arrière par rapport à ce que nous tentons de construire tous les jours de manière positive. En leur signifiant que leur présence sur notre territoire est tout juste tolérée, ces textes disent à nos résidents étrangers qu’ils n’ont droit ni au faux pas, ni à une seconde chance s’ils s’écartent du droit chemin. En effet, avec ces deux textes, un jeune d’origine étrangère, né en Suisse, qui commettrait des erreurs de jeunesse serait renvoyé dans un pays dont il ne sait rien. Or un crime doit être puni en fonction de sa gravité, et non en fonction du passeport détenu par son auteur. La double peine que constitue le renvoi fermerait en outre la porte à toute tentative de réinsertion sociale, à toute possibilité de réhabilitation. Ces mesures vont donc à l’encontre d’une politique cohérente en matière d’intégration et encouragent au contraire le repli communautaire.

Une manipulation populiste

Ces textes s’inscrivent tous deux dans une tendance plus large, celle d’une attitude toujours plus dure et négative envers les étrangers. L’initiative est basée sur une idéologie xénophobe. En rendant les étrangers responsables de tous les maux, les partis de la droite populiste instrumentalisent notre démocratie directe, pour ne proposer que de fausses solutions aux prétendus problèmes qu’ils soulèvent. Ce faisant, ils monopolisent l’espace politique et médiatique de notre pays. Or non seulement le reste de la classe politique ne dénonce-t-elle pas cette prise d’otages, elle offre de plus une légitimité inespérée au discours simpliste qui la sous-tend en le reprenant à son compte. La seule manière de s’opposer à la progression insidieuse de ce discours haineux dans notre société, et d’encourager des relations harmonieuses entre les diverses com
posantes de la population résidente en Suisse, c’est de voter deux fois non le 28 novembre prochain.

Marianne Halle

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