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CCSI-Info janvier 2015

Publié le 23 janvier, 2015 dans

bulletin d’info | janvier 2015 (fichier à télécharger)

Edito | Marianne Halle 

En ce début d’année, on pourrait assez facilement se laisser aller à un léger découragement. Il semble parfois que le cynisme n’a décidément plus de limites, et que dans le domaine de la migration, on n’aura droit qu’à l’habituelle série de mauvaises nouvelles : les passeurs qui n’hésitent désormais plus à abandonner en pleine mer les misérables rafiots qu’ils ont rachetés pour une bouchée de pain et remplis à ras-bord de personnes prêtes à tout pour échapper à la noirceur de leur quotidien ; la victime polytraumatisée de l’incendie du foyer de requérant-e-s d’asile des Tattes que l’on expulse sans ménagement vers un destin des plus incertains ; les droits des personnes qu’on bafoue, anticipant dans la pratique sur les durcissements législatifs à venir pour satisfaire une certaine vindicte populaire; les attaques de plus en plus éhontées que subit le fragile édifice des droits humains fondamentaux…

Mais cette année, nous faisons le choix – probablement utopique, mais qu’importe – de ne pas se laisser abattre, et de chercher des sources d’espoir en ce mois de janvier glacial. Nous les trouvons, comme toujours, dans les mobilisations collectives qui naissent un peu partout, comme des fleurs dans le désert : ce collectif de personnes solidaires avec les sinistré-e-s des Tattes, qui prend le temps de comprendre et d’écouter tout en voulant agir, en est un exemple. Les nouvelles vocations militantes qui voient le jour et dont le CCSI est témoin, dans les campagnes qu’il mène ou au gré des enseignements qu’il dispense en sont un autre. Les campagnes comme celle à laquelle le CCSI se joint pour défendre les droits humains (voir en pages 2-3), qui réunit un front large d’organisations concernées et dont les premiers échos sont positif, encore un.

Et si ces sources-là venaient à se tarir, nous pourrions toujours puiser à celle, tout aussi précieuse, des expériences et des luttes passées. C’est l’une des conclusions à laquelle on parvient en visionnant le documentaire «Mémoire de l’action immigrée», produit par le CCSI à l’occasion de son 40e anniversaire (vernissage le 31 janvier, voir le flyer encarté dans ce numéro). Réentendre une fois encore que l’horizon n’était pas bien plus dégagé il y a trente ou quarante ans, et que malgré cela, certaines de barrières qui paraissaient insurmontables ont fini par tomber, à force de ténacité, d’engagement collectif et de combativité – il n’y a rien de mieux pour se redonner du courage. Bonne lecture, et bonne année à toutes et tous!


La Suisse et Strasbourg: entretien avec Helen Keller | traduction de l’allemand: Marianne Halle 

Le CCSI s’est engagé dans la campagne «Facteur de protection D», une campagne de défense des droits humains en Suisse. La présente interview de Mme Helen Keller, juge suisse à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, a été réalisée (en allemand) par Andrea Huber, coordinatrice de la campagne. Pour plus d’informations: www.facteurdeprotection-d.ch

Les jugements de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) contre la Suisse font toujours plus la une des journaux. Quelles conséquences ces jugements ont-ils sur la défense des droits de l’homme en Suisse?
Ils renforcent la protection des droits humains. La jurisprudence de la Cour a donné des impulsions très importantes, par exemple dans le domaine des procédures pénales, de la protection de la vie privée et familiale, ou de l’égalité entre femmes et hommes.

Pourriez-vous nous donner un exemple?
Dans le jugement Schuler-Zgraggen contre la Suisse de 1993, la Cour a dit qu’il était contraire à l’interdiction de la discrimination de traiter différemment le calcul des rentes d’invalidité pour les femmes et les hommes sous le seul prétexte que les femmes renoncent généralement à une activité salariée après une naissance. Il y a 20 ans, un tel jugement était révolutionnaire.

Où existe-t-il donc des lacunes dans le système juridique suisse?
Il n’y a pratiquement pas de problèmes systémiques en Suisse. Les fois où Strasbourg a constaté une violation de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) par la Suisse, il s’agissait presque toujours de cas individuels.

Depuis que la Suisse a ratifié la CEDH il y a 40 ans, seules 1.6 % des requêtes émanant de la Suisse se sont soldées par un jugement contre la Suisse. Cette proportion vaut-elle également pour les années récentes, ou le nombre de jugements contre la Suisse est-il en augmentation?
Ces chiffres valent aussi pour les dernières années. La Cour EDH n’a que très rarement constaté une violation (env. 1% des cas).

Pourquoi certaines voix s’élèvent-elles alors pour dénoncer une inflation de jugements contre la Suisse de la part de la Cour EDH?
La couverture médiatique donne une image complètement faussée des chiffres. Quand on lit la presse quotidienne, on a l’impression que la Cour renverse la moitié des décisions concernant le droit des étrangers en Suisse. Ce n’est vraiment pas le cas. Même dans ce domaine, nous n’avons qu’un très faible pourcentage de violations de la CEDH, i.e. la Cour ne parvient à une autre conclusion que les autorités suisses que dans environ 1 % des cas.

Faut-il des réformes?
La Cour a plusieurs séries de réformes derrière elle. Les 15e et 16e protocoles sont les dernières étapes récentes dans ce processus. Avec le 15e protocole, la subsidiarité de la protection juridique à Strasbourg a été explicitement maintenue; le 16e protocole introduit la possibilité pour les États de demander un avis consultatif à la Cour. Une fois que ces réformes sont entérinées, ce sera en premier lieu le devoir des États de faire en sorte que le respect des droits humains soit mieux garanti au niveau national. Environ 40’000 requêtes purement répétitives sont toujours pendantes devant la Cour, c’est-à-dire des cas pour lesquels l’État concerné sait depuis longtemps qu’il doit s’attaquer aux racines du problème.

Pourriez-vous donner un exemple?
Oui: les conditions de détention en Russie, en Ukraine, en Italie ou en Grèce; la notoire non-application de jugements des tribunaux nationaux en Serbie ou en Ukraine. Ces dysfonctionnements amènent des milliers de requêtes devant la Cour. En d’autres termes : la Cour ne peut s’en tenir à la subsidiarité que si les États prennent également au sérieux leur responsabilité primaire pour la défense des droits humains.

Quelle influence avez-vous en tant que juge suisse sur les jugements concernant les cas de la Suisse?En tant que juge suisse, je prends part à toutes les procédures dans lesquelles la Cour pourrait reconnaître une violation des droits de l’homme par la Suisse. En général, les collègues écoutent très attentivement les «juges nationaux». Ce sont eux/elles qui connaissent le mieux les réalités et le droit et national.

En tant que juge à la Cour EDH, avez-vous toujours été d’accord avec les jugements de la Cour?
Non, évidemment pas (rit)! C’est la nature même des choses. Des questions controversées arrivent souvent devant la Cour, en particulier de la part de pays qui ont des standards élevés en matière de droits humains. On ne peut pas être d’accord avec tout. Mais ce n’est pas une raison, à mon sens, pour remettre l’ensemble du système en question.

Pourquoi pas?
Dans l’ensemble, la Cour fait un bon travail, un travail important. Elle est une voix importante dans de nombreux pays pour les personnes dont les droits ont subi de très graves atteintes.

En Suisse, les droits humains sont ancrés comme droits fondamentaux dans la Constitution. Pourquoi aurions-nous donc besoin de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH)?
La seconde guerre mondiale a montré qu’il était dangereux de laisser la défense des droits de l’homme entièrement à l’État national. Il est essentiel de maintenir un contrôle minimal sur le plan international. Dans le contexte suisse, la Cour a joué un rôle important parce que la Suisse n’a pas de cour constitutionnelle.

Mais le peuple ne devrait-il pas être la plus haute instance?
Je suis une fervente partisane de la démocratie directe et du droit d’initiative. Mais les décisions du peuple ne constituent pas un laisser-passer pour l’arbitraire. La démocratie directe est liée au système de l’État de droit; cela implique également le contrôle de par le pouvoir judiciaire, à savoir avant tout le Tribunal fédéral.

Où se situe pour vous la limite du pouvoir du peuple?
Si le peuple et les cantons devaient accepter une initiative populaire pour l’introduction du lynchage pour les violeurs d’enfants, cette initiative serait invalidée car elle contreviendrait aux valeurs fondamentales de notre Constitution. La séparation des pouvoirs, c’est-à-dire la répartition du pouvoir entre différents acteurs dotés d’un pouvoir de contrôle réciproque est le fondement de notre Constitution. Notre Constitution ne prévoit pas de «peuple souverain», dans le sens d’un pouvoir illimité du peuple.

Avec son initiative «Le droit suisse prime le droit international», l’UDC aimerait redéfinir le rapport entre droit national et international. Qu’est-ce qui changerait pour la Suisse en cas d’acceptation de l’initiative – notamment du point de vue de la défense des droits de l’homme?
Je trouve le projet dangereux. Si la Suisse émet à l’avenir une réserve générale en faveur de son droit national, elle sera considérée par la communauté internationale comme un partenaire peu fiable, et devra compter sur le fait que d’autres États ne respectent pas non plus leurs engagements dans le domaine du droit international. Cela pourrait avoir des effets dévastateurs pour notre pays, pour l’économie suisse et pour les Suisses à l’étranger. De fait, en tant que petit pays, nous dépendons du fait que d’autres États – dont certains bien plus puissants que le nôtre – respectent le droit international. En ce qui concerne la défense des droits humains en Europe, je pars du principe que la Suisse ne pourrait plus être membre du Conseil de l’Europe. Ainsi, elle ne serait plus non plus soumise à la juridiction de Strasbourg.

Quels seraient les effets d’une résiliation de la CEDH pour la défense des droits humains en Europe?
Ce serait un signal fatal pour toute l’Europe. La Suisse fortunée, qui est si fière de sa tradition humanitaire, ne ferait plus partie de la plus importante institution européenne des droits de l’homme! Personne à l’étranger ne pourrait le comprendre. Ce serait également une énorme perte pour la Cour, puisque la voix de la Suisse a toujours eu un poids très particulier dans les discussions sur les réformes.


Ecopop : soulagement

Après une campagne à laquelle le CCSI a pris une part active, la Coordination contre l’exclusion et la xénophobie – Stopexclusion, a accueilli avec soulagement le résultat de la votation sur l’initiative Ecopop. Le rejet massif (plus de 74% des voix) dont elle a fait l’objet ne doit toutefois pas masquer des réalités moins réjouissantes. En effet, bien que ne bénéficiant du soutien d’aucun parti, le texte a su convaincre un quart de la population. Cela démontre à la fois la normalisation du discours xénophobe, et l’existence d’un socle important de personnes prêtes à accepter n’importe quelle proposition, pour autant qu’elle vise à réduire l’immigration. En outre, surtout dans les régions frontalières (Tessin bien sûr, mais aussi dans une moindre mesure Genève, ou le Jura), la progression inquiétante du réflexe de repli peut se lire comme la preuve d’une méfiance croissante envers les autorités, qu’on n’estime plus capables d’apporter des solutions aux problématiques de chômage, d’inégalités sociales, ou de logement.

Pour conclure sur une note positive, notons que Stopexclusion a mené une campagne dont elle peut être fière et qui a bénéficié d’une visibilité remarquable, compte tenu des moyens limités dont dispose la Coordination. En outre, chaque campagne fait désormais émerger de nouveaux-elles militant-e-s, voire même de nouveaux partenaires pour Stopexclusion – dans ce cas-ci, Greenpeace Genève. Pourvu que ça dure!


Bureau de l’intégration: nouveau délégué

Le CCSI salue la nomination de M. Nicolas Roguet au poste de Délégué à l’intégration des étrangers. Désigné suite au départ d’André Castella vers d’autres horizons, Nicolas Roguet connaît déjà parfaitement le paysage associatif genevois – et le travail du CCSI – puisqu’il travaille au BIE depuis 2008. Nous nous réjouissons de pouvoir poursuivre notre collaboration avec lui et avec l’ensemble de l’équipe du BIE, notamment au sein du groupe de travail BIE/associations mis sur pied récemment, et dont les travaux s’annoncent déjà prometteurs.


Agenda

  • Nos partenaires des associations Kultura et Bolivia9 organisent un débat public autour de la question des «Politiques communales vis-à-vis des habitants étrangers». Le débat aura lieu à 15h, le samedi 24 janvier à la salle des fêtes des Avanchets, et sera suivi d’une votation symbolique ainsi que d’un spectacle multiculturel.
  • MAI_ccsi_40ans 2.inddDans le cadre de la semaine Mémoires blessées, le CCSI a le plaisir de vous inviter au vernissage du documentaire «Mémoire de l’action immigrée», produit à l’occasion des 40 ans du Centre. La projection du film sera suivie d’une table ronde. La soirée aura lieu le samedi 31 janvier dès 19h, au théâtre de Saint-Gervais.

 

  • Le CCSI invite cordialement tous ses membres à participer à son Assemblée générale.  Celle-ci aura lieu le 26 mars 2015, dans nos locaux. La convocation officielle suivra prochainement.