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CCSI-Info mars 2016

Publié le 4 avril, 2016 dans ,

bulletin d’infos | mars 2016 (pdf)

Édito | Marie Houriet

Le 28 février dernier, l’initiative UDC dite « de mise en œuvre » a été rejetée à 59%. La Suisse a certainement joué la prudence pour ne pas compliquer encore ses relations avec l’Union Européenne, déjà embourbées suite à l’acceptation de l’initiative « Contre l’immigration de masse ». Les milieux économiques, politiques et scientifiques ont d’ailleurs massivement investi le débat dans ce but. N’empêche que dans une actualité  marquée par l’afflux de réfugié-e-s en Europe et la crainte d’attentats (on m’excusera de juxtaposer les deux sujets, mais ce lien existe hélas dans une partie de l’opinion publique), le succès n’était pas acquis. La campagne a aussi vu émerger une réjouissante résistance envers le discours de l’UDC, notamment en réaction à son slogan « Mieux protéger nos  femmes et nos filles » : sur les réseaux sociaux ont circulé quantité de photos et vidéos détournant le  message. Ce retour aux affaires de la société civile fait du bien, autant que la victoire.

Car pendant ce temps dans les hautes sphères, on gère les crises d’une drôle de façon. Des milliers de personnes se pressent aux frontières de l’Europe ? Qu’à cela ne tienne, l’UE juge que la Turquie est l’endroit idéal pour elles, et négocie à cet effet avec le régime d’Ankara. Peu importe que celui-ci soit justement en train de réprimer ses opposant-e-s, Kurdes et presse d’opposition en tête. En Syrie, une personne sur cinq a cherché refuge à l’extérieur du pays. Deux à trois millions d’entre elles vivent en Turquie [1], alors que cet État est beaucoup moins argenté que l’Europe et autant (sinon plus) susceptible d’être déstabilisé dans ses équilibres démographiques [2].

moutons

Qu’on me permette d’évoquer par contraste  le rafraîchissant documentaire Vers un monde altruiste de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade [3], qui présente différentes recherches sur le sujet. Il s’en dégage que la coopération est un mécanisme fondamental dans les relations humaines, et qu’elle est présente dès le plus jeune âge : À travers des tests répétés des centaines de fois, des bébés américains de quelques mois témoignent d’un sens inné de la justice tandis que leurs homologues allemands, un peu plus âgés, manifestent une tendance naturelle à aider autrui.

Face aux vents politiques adverses, il n’est pas interdit de s’appuyer  sur ce ressort lorsqu’il s’agit de sortir de l’impuissance.  Car face à l’arrivée des réfugié-e-s, l’action s’organise. Stand up for refugees [4], pour citer un des acteurs émergents, coordonne la recherche de dons, matériel ou volontaires pour appuyer diverses interventions.

Il y a fort à parier que ces initiatives souffrent des maux habituels de l’aide humanitaire, mais sortir de l’impuissance et faire émerger une solidarité concrète présente à coup sûr suffisamment de mérites pour qu’on s’y arrête. Lorsque les autorités font à ce point fausse route, restent les chemins de traverse.

Marie Houriet

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1 Soit plus du double qu’en Allemagne, qui a pourtant la même population que la Turquie (80 millions d’habitant-e-s).

2 « La frontière turco-syrienne est ourlée d’une complexe mosaïque ethnoreligieuse (…) que l’État turc a mis un siècle à faire cohabiter de manière pacifique. L’afflux de réfugiés dans leur diversité ethnique réactive un pan mal réglé de l’histoire collective.«  Le Monde Diplomatique, octobre 2015.

3 Diffusé sur Arte, DVD disponible sur la boutique de la chaîne

4 https://www.surf.ch/fr


Dossier Intégration – Lutte contre le racisme et les discriminations

Dernier volet de notre série sur quelques chantiers en matière d’intégration, ce numéro se penche sur la prévention du racisme et des discriminations à Genève.

C-ECR, nouvel acteur social

Avec la cessation il y a quelques années de certaines activités d’ACOR/SOS-Racisme, il était urgent de mettre sur pied une nouvelle structure pour prendre le relais. Sur l’impulsion du Bureau de l’Intégration des Étrangers est né le Centre d’Écoute contre le Racisme (C-ECR), géré par une coordination de cinq organisations actives dans le domaine [1]. Indépendant, le C-ECR est financé par l’État et la Ville de Genève, ainsi que par la Confédération.

S’il a fallu un certain temps pour fédérer les forces, dresser un cahier des charges, convenir d’un fonctionnement, rechercher des fonds, trouver et aménager des locaux, définir un protocole d’intervention, le C-ECR est opérationnel depuis 2014. Afin de le faire connaître, une campagne d’information était incontournable. À côté de l’information auprès des partenaires usuels (Hospice Général, CASS, associations), un clip a été diffusé durant toute l’année 2015 dans les TPG, avec des papillons à disposition. À ce jour, un tiers des personnes reçues ont eu connaissance du C-ECR par le biais de cette campagne. Pour 2016, le clip sera également montré dans quelques grands centres commerciaux.

Les victimes en premier lieu

Même si le C-ECR est ouvert aux victimes, témoins ou auteurs d’actes racistes ou de discriminations, ce sont à 90% les victimes qui s’adressent à lui (le 10% étant des témoins). Hommes et femmes s’y rendent à parts égales. Toutes les couches sociales sont représentées, contrairement à l’idée reçue qu’on pourrait avoir selon laquelle les classes aisées feraient moins l’objet de discriminations. La population la plus touchée vient d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique du Nord, mais il peut aussi y avoir des personnes simplement « identifiées comme non Suisses » sur la base de critères physiques, comme la couleur de peau. Le racisme anti-noir ou anti-musulman (typiquement à l’égard des femmes voilées) représente la moitié des situations traitées, soit la même proportion qu’au niveau national [2].

C’est prioritairement dans leur rapport avec des administrations que les personnes sont confrontées à des difficultés, par exemple lors de contrôles de police ou de vérification des titres de transport. En matière de voisinage, les problèmes rencontrés vont de l’injure à la déprédation. Sur le lieu de travail, la discrimination à l’embauche ou les comportements discriminatoires sont les principales doléances rapportées. Les réseaux sociaux sont un autre espace d’agression potentiel : souvent, le discours se lâche…

Un des aspects sensibles du travail est de faire prendre conscience aux victimes de la différence entre racisme vécu et racisme juridiquement avéré : « Retournez chez vous ! » n’est ainsi pas punissable légalement, alors que l’injonction est perçue comme foncièrement discriminatoire. Il faut dire que l’interprétation des tribunaux est extrêmement laxiste. « Sale cochon d’étranger », propos tenu par un policier, a ainsi été qualifié d’injure mais n’a pas été considéré comme xénophobe ! Pour défendre les victimes, la norme pénale spécifique (à savoir l’art. 261 bis) est donc peu efficiente, et ce sont souvent d’autres articles du code pénal qui sont invoqués. D’autant plus que selon cette norme, c’est à la victime qu’incombe le fardeau de la preuve [3]. Enfin, le délai pour porter plainte est très bref : 3 mois seulement. Cette échéance n’est pas propre à ce domaine, mais elle est parfois très mal vécue par des victimes qui auraient besoin de davantage de temps pour donner une suite pénale à l’agression subie. En prenant connaissance au C-ECR des difficultés à obtenir gain de cause devant les tribunaux, certaines personnes sont frustrées. Pour d’autres, le simple fait d’avoir pu exprimer ce qui leur était arrivé est apaisant.

La pointe de l’iceberg

Mais il serait naïf de croire que la faiblesse de l’arsenal juridique (en comparaison, la France est nettement plus répressive) reste sans conséquence. Le nombre peu élevé de condamnations laisse croire qu’il n’y a que très peu de problèmes, ce qui ne correspond pas aux faits. Très fréquemment, les victimes manifestent en effet une forte réticence à faire valoir leurs droits, et une propension aiguë à « ne pas faire de vagues ». Celles et ceux qui sortent du bois sont donc sans nul doute la pointe de l’iceberg. Dans certaines situations en revanche, la personne se sent victime de discrimination tandis qu’à l’exposé des faits, on constate que les obstacles décrits concernent l’ensemble de la population, comme ce peut être le cas lors de litige avec la régie ou l’assurance-maladie. Dans ces cas-là, la personne sera réorientée vers un service adéquat, tel l’Asloca.

Une moitié des situations suivies est réglée par téléphone ou par mail, l’autre moitié donne lieu à un rendez-vous. Adola Fofana (avocat et médiateur) ainsi qu’Anne-Laure Zeller (médiatrice, intervenante psychosociale et culturelle), offrent des consultations en français, anglais ou allemand [4]. Les prestations (écoute, conseil, soutien psycho-social, médiation ou aide juridique) sont gratuites et confidentielles. Le fait d’être un organe indépendant est un atout : il est plus aisé de se rendre au C-ECR que d’aller porter plainte auprès d’un poste de police, par exemple.

Un maximum de trois séances a été fixé, dans le sens où le C-ECR n’a pas de mandat thérapeutique (même si la reconnaissance de la souffrance peut avoir un tel effet). D’ailleurs, les personnes rencontrées souhaitent avant tout aller de l’avant. La démarche peut être plus longue pour une médiation, mais le cas reste très marginal puisque cela nécessite la présence et la collaboration de la partie adverse – une condition rarement remplie.

Enfin, le C-ECR est inséré dans le réseau genevois et au-delà. À l’occasion de la semaine contre le racisme, des interventions auront ainsi lieu dans des classes de l’École de Culture Générale Ella Maillart, auprès d’élèves qui se destinent à des professions de la santé.

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1 ACOR/SOS-Racisme, le Carrefour de Réflexion et d’Action Contre le Racisme Anti-Noir (CRAN), la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), la Ligue suisse des droits de l’homme (LSDH) et la Coordination inter-communautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD). Également approchée, l’association Mesemrom a décliné afin de se concentrer sur ses propres activités, du moins pour l’instant.

2 Le système DoSyRa, auquel le C-ECR contribue, collecte les données au niveau suisse. Voir rapports annuels de monitorage sous http://www.network-racism.ch/fr/

3 En matière d’égalité hommes/femmes, c’est à l’employeur de démontrer qu’il fait tout son possible pour qu’il n’y ait pas inégalité de traitement.

4 Pour d’autres langues, il est possible de recourir à un-e interprète, pris en charge par le Centre.


Pour une régularisation maintenant ! Réflexions suite à la journée du 6 février 2016

Plus de 120 personnes, dont une majorité de migrantes, se sont rassemblées le 6 février dernier [1] à Berne lors de la journée organisée par la Plateforme nationale pour les sans-papiers sur le thème de la régularisation. Le terme même est sensible et provocateur !

Comment aménager une solution à un problème structurel qui concerne entre 90’000 et 300’000 personnes sans statut légal en Suisse ? En demi-teinte, le bilan politique de ces quinze dernières années de lutte… Que ce soit en matière d’accès à la santé, à l’éducation, aux assurances sociales et aux tribunaux du travail. Certes, nous observons certaines avancées. Néanmoins, la seule façon de défendre des droits et de diminuer la vulnérabilité à différentes formes d’exploitation et de violence demeure la régularisation. De plus la diversité des pratiques cantonales et le système fédéral rend le travail national d’une grande complexité.

Différent-e-s intervenant-e-s ont rappelé que les dispositions juridiques actuelles ne permettent pas la régularisation des travailleuses et des travailleurs sans statut légal. En effet, nos lois en matière de migration sont des machines à fabriquer la clandestinité sur le moyen et le long-terme, voire même à perpétuité. Dans quelle mesure les résultats des recherches nous permettent-ils de débattre de manière plus factuelle et moins émotionnelle ? s’interroge Denise Efionayi-Mäder, chercheuse et spécialiste de cette question en Suisse. Elle souligne la responsabilité collective envers les personnes sans statut légal et l’importance de l’engagement de la société civile. Les enjeux sont sociétaux et non pas, comme le préconise le système juridique actuel, individualisés, ajoute-t-elle.

Pendant les ateliers, de riches échanges ont eu lieu entre personnes sans statut légal, militant-e-s et professionnel-le-s sur les difficultés rencontrées, les espoirs et les revendications. Lors de la table ronde, face au mur devant lequel nous nous trouvons, différentes stratégies ont été abordées. Si la dimension des droits sociaux liés à l’emploi demeure centrale, d’autres projets, comme celui de la « citoyenneté urbaine » (urban citizenship) dans le canton de Zurich, sont des manières très concrètes d’obtenir des droits à une échelle cantonale. Silvia Mariño, une des fondatrices du Collectif de Travailleuses et de Travailleurs Sans Statut Légal (CTSSL) de Genève dénonce l’absence de sécurité comme principal obstacle à l’organisation des premières personnes concernées. Dans le canton de Genève, dès le début des années 2000, les personnes sans statut légal pouvaient se prévaloir d’une relative protection juridique, et ce même en l’absence de régularisation. Cette protection devrait être mise en place dans chaque canton, souligne-t-elle.

Par ailleurs, plusieurs intervenantes ont souligné la nécessité de développer des études sur le profil et le nombre des personnes employeuses. Ainsi, l’éclairage même posé sur cette question serait tout autre.

Il reste à travailler l’opinion publique, rendre visible l’existence même de ces personnes et construire les jalons pour sortir de cette logique individualisée… Une des stratégies raisonnables serait d’étendre la tentative genevoise de régularisation de 2005 à d’autres cantons, afin de construire un réel rapport de force, par exemple en déposant de manière anonyme des dossiers de travailleuses et de travailleurs sans statut légal auprès des autorités fédérales.

Pour les opposant-e-s à une régularisation, il y a bien sûr la crainte de « l’appel d’air »… Dans les faits, lors de précédents programmes de régularisation « l’appel d’air » ne se produit guère, car les critères sont très stricts, notamment en termes d’emploi. Affaire à suivre.

Laetitia Carreras

1 Interventions, résumé des différentes parties de la journée et revue de presse sur le site http://www.sans-papiers.ch/