Edito
Ximena, 19 ans, vit en Suisse depuis 2001, sans statut légal. Elle participe actuellement au projet vidéo mené par le CCSI. Il y a un mois, nous l’avons mise en contact avec une journaliste qui souhaitait le témoignage d’une jeune Sans-Papiers.
- Et qu’est-ce qui vous manque, de Colombie, a demandé la journaliste.
- La sécurité, a répondu Ximena sans une hésitation.
Je pensais jusqu’ici vivre dans un des pays les plus sûrs du monde. La remarque de Ximena, ressortissante d’un pays en pleine guerre civile (des milliers d’assassinats et d’enlèvements par année), est édifiante. Quel degré de vulnérabilité ressent-elle en vivant clandestinement à Genève, pour être ainsi nostalgique de la sécurité qu’elle éprouvait chez elle (non, elle ne vient pas d’un petit village tranquille : elle habitait Cali !)
L’insécurité, un thème sur lequel notre Présidente (le hasard fait bien les choses) a été questionnée tout récemment, lors d’un sondage téléphonique.
- Avez-vous peur de vous déplacer la nuit venue, a demandé la collaboratrice.
- Pas du tout, a répondu Christiane sans une hésitation.
- Ah bon ? (étonnement au bout du fil) Mais alors vous restez chez vous le soir, vous circulez peu ?
- Non, je finis souvent des réunions vers minuit, et rentre volontiers chez moi à pied.
La collaboratrice a remercié, raccroché. La liste de questions qu’elle avait en réserve était prévue pour les personnes éprouvant un sentiment d’insécurité. Elle était toute surprise que ce ne soit pas le cas de tout le monde.
Et vous, avez-vous peur quelquefois ? De quoi ? Osez-vous prendre le tram le soir ? Utilisez-vous les parkings publics ? Sortez-vous une fois la nuit tombée pour aller au ciné, boire un verre, rendre visite à vos amis, assister à un concert ? Avez-vous peur de monter dans un taxi ? Vous êtes-vous déjà fait voler ? Connaissez-vous quelqu’un qui s’est fait braquer dans votre entourage ? Certains alimentent des peurs qui ne correspondent pas à notre réalité quotidienne. Pendant ce temps chaque classe accueille, statistiquement, un à deux enfants victimes d’abus sexuel (la plupart du temps, de la part d’un proche). Des pétroliers vétustes menacent de polluer mers et littoraux. La route tue bien davantage que les faits divers. Le climat continue à se réchauffer tandis que les États-Unis renoncent à appliquer les dispositions du Protocole de Kyoto. La spéculation boursière a transformé l’économie en un Monopoly où l’exigence de rendement fragilise les travailleurs, toutes branches confondues.
L’insécurité existe, mais pas dans le registre auquel on veut nous faire croire. Les véritables insécurités sont escamotées par les effets de manche(tte)s des xénophobes. Et la vraie terreur, c’est celle qu’exercent nos lois migratoires sur les femmes de ménage, gardes d’enfants, ouvriers agricoles, et tant d’autres.
Marie Houriet
Collectif de soutien aux Sans-Papiers
La procuration :
du “garde-fou” individuel à l’action collective
Sécurité des personnes : depuis le début du mouvement des Sans-Papiers, cette préoccupation est au centre de la réflexion et de l’action des Collectifs de soutien. Afin d’éviter que des Sans-Papiers soient renvoyés manu militari lors d’un contrôle de police, le Syndicat Interprofessionnel des Travailleuses et Travailleurs (SIT) a mis sur pied voici un peu plus d’un an le système dit des procurations. Tout récemment, Caritas a d’ailleurs ouvert un espace semblable pour pallier à la demande et à la surcharge du SIT. L’idée est la suivante : les Sans-Papiers donnent procuration au SIT ou à Caritas pour que ceux-ci puissent faire des démarches en cas d’arrestation.
A défaut de solution-miracle, ceci a permis de freiner les renvois immédiats. Même lorsque des personnes ont été contraintes de partir, il a été possible de prévenir leurs proches en Suisse et dans le pays d’origine, de récupérer les cotisations payées par l’employeur pour les travailleurs au gris, de rassembler des affaires voire un peu d’argent avant le départ. Le Collectif de soutien a pour sa part interpellé plusieurs fois les autorités, demandant de respecter certaines règles même lorsqu’il y a expulsion (par exemple de ne pas procéder à un renvoi durant le week-end, les travailleurs sociaux ne pouvant intervenir).
Ces différentes démarches ont amélioré quelque peu la situation, mais un certain arbitraire demeure. Et de toute façon, “l’aménagement” des conditions de renvoi ne constitue pas une solution en tant que telle pour les Sans-Papiers.
Dans les procurations figurent une série de données : nom, prénom, adresse, employeur, salaire, date d’arrivée en Suisse, membres de la famille proche présents à Genève ou à l’étranger, sexe, âge, etc. Ces éléments ont permis de dresser un portrait-type des Sans-Papiers qui se sont adressés au SIT jusqu’à présent. Il s’agit en majorité de Latino-américain-e-s, principalement des femmes entre 30 à 35 ans. Un grand nombre d’entre elles travaillent dans l’économie domestique.
En février dernier, le syndicat a convoqué toutes les personnes qui avaient signé une procuration. Un millier d’entre elles ont répondu à cet appel. Lors de cette Assemblée Générale, elles se sont prononcées en faveur du dépôt de leur dossier, assorti d’une demande de régularisation collective, auprès du gouvernement genevois. Les documents présentés comprendront nom et prénom (sauf pour ceux qui ne le souhaiteraient pas) mais ne mentionneront ni adresse ni employeurs, par souci de protection.
Parier sur le canton comme levier politique
Les lois actuelles ne permettent pas d’obtenir, dans le cadre des contingents, des autorisations de séjour pour des ressortissants extra-européens non qualifiés. Les permis dits humanitaires sont quant à eux délivrés au compte-goutte. La plupart des Sans-Papiers ne remplissent pas les conditions (cumulatives !) pour en obtenir en vertu de la circulaire Metzler :
-
être en Suisse depuis 4 ans au minimum
-
être bien intégré
-
avoir une bonne maîtrise d’une langue nationale
-
avoir des enfants scolarisés dans le post-obligatoire (avec de bons résultats)
-
occuper un poste de travail permettant de subvenir à ses besoins pour ne pas avoir recours à l’assistance
-
ne jamais avoir fait l’objet d’un contrôle de police, etc.
De plus, les permis humanitaires, qui doivent être demandés par l’autorité cantonale, sont octroyés par Berne. Pour les régions les plus “généreuses” (dont Genève fait partie), il arrive que des demandes soient refusées au niveau fédéral malgré un préavis favorable du Canton.
Le cadre légal suisse est donc si serré qu’il n’est pas possible d’entrevoir une solution à un niveau purement juridique. Dès lors, l’approche choisie est de parier sur le Canton. Il s’agit de faire pression sur nos autorités en leur prouvant, dossiers à l’appui, que certains secteurs (tout spécialement l’économie domestique) ne fonctionnent actuellement que grâce au travail des Sans-Papiers. L’idée est d’exercer une pression suffisamment forte sur le Conseil d’État pour qu’il prenne une décision non pas juridique mais politique. Nous voulons que nos autorités interpellent Berne, et fassent une demande extraordinaire de permis B hors contingent, pour régulariser les travailleurs sans statut légal.
L’économie domestique, fer de lance de la stratégie
Le manque reconnu d’infrastructures (places dans les crèches ou dans les EMS), le nombre élevé de familles ayant recours au travail clandestin (on estime que cela concerne plus de 20’000 foyers !) seront autant d’éléments à même d’étayer nos revendications. Combien de personnes issues des milieux politiques et des média, pour ne citer qu’eux, ont recours aux services d’une femme de ménage ? Il sera difficile pour certain-e-s de ne pas entrer en matière sur des solutions alors que le problème les touche directement en tant qu’employeur de travailleurs clandestins. L’idée est donc de mettre l’économie domestique au centre de nos revendications, et que les réponses apportées dans ce domaine fassent tache d’huile dans d’autres secteurs.
Pas de critère initial mais un objectif final
Toute personne sans papiers peut participer à l’opération. Le dépôt de dossier est donc possible quelle que soit la nationalité, la durée de séjour en Suisse ou l’activité professionnelle exercée. Un important travail syndical devra se faire pour que les conditions de travail (la plupart du temps abusives) soient adaptées aux conventions collectives existantes. Les employeurs devront se conformer à ces exigences ou renoncer à leurs employé-e-s. Les syndicats feront leur possible pour replacer les personnes qui n’auraient plus de travail dans un autre secteur économique. Au bout du compte, les permis seront délivrés aux personnes en emploi pour autant que leur travail respectent les normes en matière d’horaire et de salaire.
Le Collectif de soutien aux Sans-Papiers de Genève a décidé d’appuyer l’initiative du SIT. C’est donc au nom du Collectif de soutien que seront déposés les dossiers des Sans-Papiers, conformément au voeu exprimé par l’organisation des travailleuses et travailleurs sans statut légal (CTSSL).
Même en obtenant gain de cause auprès des autorités (ce qui exigera déjà une forte mobilisation), il ne sera sans doute pas possible d’obtenir un emploi conforme aux conventions collectives pour tous les Sans-Papiers actuellement présent-e-s à Genève. Il y a en outre parmi les travailleuses sans statut légal des femmes qui n’ont que quelques heures de ménage par semaine. Même correctement payées, elles ne peuvent pas en vivre. Il ne faut pas se voiler la face : les permis B ne seront pas octroyés (ou renouvelés) de façon plus généreuse pour les Sans-Papiers que pour les migrant-e-s légalement établi-e-s. C’est pourquoi il importe, parallèlement au dépôt de ces dossiers, de continuer à se battre sur le front des lois migratoires, notamment contre la LEtr et la LAsi.