Il y a les élu-e-s, et les élections fédérales. Et puis il y a la société civile (drôle de terme, tiens : “civil” signifie entre autres “qui n’est pas militaire” – ce qui ne veut pas dire pour autant “démobilisé” !) Eh bien, cette société civile a parfois des idées qui réchauffent le c ?ur. Des idées qui ne s’inscrivent pas dans une perspective militaire, mais dans un processus pacifiste.
Comment décrire autrement l’initiative de Genève, signée le 1er décembre dernier ? Cet accord de paix israélo-palestinien ne peut se prévaloir d’aucune représentativité, il n’a donc pas véritablement de légitimité démocratique, et certainement aucune valeur juridique. Quel écho pourtant pour ce bout de papier ! Des compromis colossaux de part et d’autre – les observateurs extérieurs ne s’y sont pas trompés : ça sent la paix. Une paix à laquelle il est possible de croire, parce que basée sur la justice.
Vous, je ne sais pas. Moi, je trouve incroyablement rafraîchissant de penser qu’une conviction de fond, puis un jour une idée folle entre deux portes (et beaucoup de travail, c’est évident), puissent créer un souffle pareil.
Le 5 décembre 2002 avait lieu le laboratoire d’idées organisé par le Centre de Contact sur le thème Sans-Papiers : comment sortir de l’impasse Parmi les souvenirs spontanés qui me restent un an plus tard de cette soirée, je retiens l’intervention de Sandro Cattacin, chercheur au Forum suisse d’études des migrations, qui rappelait que pour un chercheur, l’impasse est la norme. La recherche comme un labyrinthe où chercher un issue, en somme. Ou Anne Bisang, directrice du théâtre La Comédie : face à l’impasse, laisser reposer les choses, y revenir plus tard, avec un regard neuf.
Il y a un an, personne n’aurait imaginé l’Assemblée générale de février 2003, où un millier de Sans-Papiers ont convergé vers la salle du Faubourg pour donner leur accord quant au dépôt d’une demande collective de régularisation. Cette décision se concrétisait en août par la remise de 1353 dossiers au Conseil d’Etat, complétée il y a quinze jours par le dépôt de 209 nouveaux dossiers.
Comment se fait-il que la démarche ait eu un tel écho auprès des Sans-Papiers ? L’élément central, à mon sens, est qu’elle répondait à leur besoin. Besoin prioritaire de sécurité : rappelez-vous, au départ les Sans-Papiers se sont rendus dans les permanences pour signer une procuration. En cas d’arrestation, cette procuration permettait aux organisations détentrices de la procuration d’intervenir, limitant fortement les risques d’expulsion précipitée.
Sortir du cadre, imaginer l’impossible, ne plus seulement chercher l’issue du labyrinthe mais faire des brèches dans les murs. Les initiatives de Genève (celle du Moyen-Orient comme la demande de régularisation) auront raison des impasses.
Ce thème est venu à partir de l’interrogation suivante : qu’est-ce que le CCSI peut proposer en termes de politique migratoire ? L’idée est de construire une position de fond sur un ensemble d’éléments, qui inclut la question de la naturalisation. Cette question ne doit donc pas être traitée comme un point isolé, elle s’insère dans une vision d’ensemble.
Bref retour en arrière
En 1992 déjà, le CCSI avait pris position en matière de naturalisation lors de la révision de la loi sur la nationalité. A cette occasion, le CCSI avait demandé la naturalisation facilitée pour les conjoint-e-s (égalité “par le haut” : que les facilités accordées aux épouses de Suisses soient aussi appliquées aux époux de Suissesses), alors que la nouvelle loi prévoyait au contraire de réaliser l’égalité par le bas (plus de facilités particulières pour les épouses de Suisses).
Le CCSI avait aussi revendiqué la naturalisation automatique pour la 2ème génération (pour les enfants né-e-s en Suisse dont les parents séjournent légalement dans le pays). La question des Sans-Papiers ne se posait alors pas dans les mêmes termes qu’aujourd’hui : même si une famille était présente sans statut légal, il y avait le plus souvent un des deux parents qui était au bénéfice d’un permis A saisonnier. Cette seconde revendication n’avait pas non plus été prise en compte.
Par contre, les enfants de la deuxième génération bénéficient actuellement d’une naturalisation facilité. Notamment, les années passées en Suisse entre 10 et 20 ans comptent double dans le calcul de la durée déterminant le droit à la naturalisation. Pourquoi les années comptent-elles double entre 10 et 20 ans seulement, et non dès la naissance ? La perspective qui sous-tend ce choix est qu’avant 10 ans, l’enfant est surtout marqué par son milieu familial. A partir de 10 ans s’opère la construction de l’identité de l’adolescent-e puis du jeune adulte.
Perspective actuelle des autorités : une mobilité à deux vitesses
Cette manière de voir ne nous paraît guère convaincante, mais tel est le raisonnement des autorités. Ce n’est guère étonnant de voir la Confédération si restrictive en matière de droits liés à la mobilité si l’on pense que même les déplacements des confédéré-e-s sont strictement réglementés. Et ce, alors qu’on prône la mobilité dans d’autres domaines ! A ce titre, l’exemple de la loi sur le chômage est parlant, puisque d’après la législation, une personne peut être tenue d’accepter un travail impliquant jusqu’à 4 heures de trajet par jour…
Une procédure compliquée et arbitraire
Aujourd’hui, l’application de la loi sur la nationalité est à la fois compliquée (niveaux fédéral, cantonal et communal !) et arbitraire. Selon les endroits, la durée de séjour ininterrompu dans la commune qui est exigée pour avoir droit à la naturalisation va de 2 à 12 ans !! Incroyable lorsqu’on pense qu’il suffit parfois de déménager à un 10 minutes de distance pour dépendre administrativement d’une autre commune. La condition d’une durée de séjour minimale dans une commune donnée ne nous semble donc pas pertinente. A nos yeux, la naturalisation devrait être un droit fédéral (ni cantonal, ni communal), même si l’application de la loi se fait ensuite au niveau des cantons – à maintenir pour éviter un nivellement vers le bas.
La naturalisation, qu’est-ce que c’est ?
Dans le débat, une question est centrale : la naturalisation est-elle un droit ? Un don fait au bon vouloir du “donateur” ? Que signifie-t-elle ? La reconnaissance d’une appartenance ? Quels moyens d’intégration le pays d’accueil donne-t-il aux personnes étrangères qui s’y installent ? L’intégration, la connaissance linguistique, relèvent-elles uniquement de la responsabilité individuelle des migrant-e-s ?
Quelques réflexions sur la naturalisation ?
Dans la conception actuelle, quelle place y a-t-il pour les personnes qui n’ont pas la possibilité de bien apprendre la langue ? Ne serait-ce pas le rôle de l’État de veiller à ce que des facilités d’intégration, d’apprentissage de la langue, soient mises en place ?
Actuellement, la Suisse ne désire pas que les personnes se naturalisent : elle a une politique filtrante, dissuasive. On est dans la continuité de la politique migratoire en général. Cette politique migratoire qui accorde les permis de séjour au compte-gouttes. Résultat des courses : certaines personnes se naturalisent pour obtenir la garantie d’un séjour longue durée, obtenir un poste, s’installer comme indépendant-e, ou rentrer dans leur pays d’origine sans perdre leur droit de revenir en Suisse. La naturalisation perd alors son sens symbolique et n’est plus que le moyen d’avoir un droit de séjour sûr, tout en bénéficiant d’une certaine mobilité (géographique et professionnelle). On voit à quel point la question de la naturalisation est liée à la politique migratoire.
Autre biais par lequel creuser la question, s’interroger sur ce que représente son passeport. En vrac parmi les échos à cette questions :
- l’attachement à la région “Suisse” (qui n’est pas exclusif, d’ailleurs) ; attachement qui n’est pas lié à une “nation”, mais à des gens, à un territoire.
- des racines, une appartenance
- une inscription historique à la fois individuelle et collective, un ancrage parmi plusieurs ancrages possibles
- un ancrage qui ne situe pas au niveau du “national”, mais à un autre niveau (culture, peut-être ? entre autres).
Quelles revendications ?
Qu’en est-il du droit du sol pour les enfants nés en Suisse ? Doit-on le revendiquer ? Uniquement pour les enfants dont les parents séjournent légalement en Suisse ? Comment avoir des revendications égalitaires sans créer d’effets pervers ? Autant de questions qui s’avèrent délicates, autant de luttes qu’il faudra mener d’arrache-pied dans le nouveau contexte politique – la loi sur la naturalisation dépend du Département de Justice et Police ?qui sera en mains blochériennes dès le 1er janvier prochain. Ça promet, quand on sait que les débats au Conseil des Etats, juste avant l’élection du 10 décembre, avaient remis sur le tapis les naturalisations décidées par le peuple (la chambre haute voulant laisser les cantons libres de choisir quelle instance accorderait la nationalité suisse) !!
En guise de conclusion, toute provisoire
Aujourd’hui, la naturalisation est vue comme la récompense d’une bonne intégration. Ne faut-il pas plutôt la considérer en amont, comme un moyen d’intégration ? Le projet Metzler, qui prévoit la naturalisation facilitée pour les étrangères et étrangers de la deuxième génération ainsi que la naturalisation automatique pour la troisième génération*, va dans la bonne direction. Espérons qu’il passe le cap en votation – l’échéance est pour 2004.
Dans une perspective limitative, la naturalisation n’est jugée intéressante que pour les personnes qui en font la demande. Ne pourrait-on changer de regard, et mettre en avant l’intérêt du pays d’accueil à favoriser les naturalisations ? Cela reviendrait à affirmer que la Suisse a des besoins en termes migratoires. Cela reviendrait à choisir d’y répondre en créant des citoyen-ne-s plutôt que des étrangères et des étrangers. Il en va de la perspective d’avenir que l’on veut pour ce pays.
* détail disponible sur http://www.auslaender.ch/einbuerger…