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CCSI-Info avril 2004

Publié le 13 avril, 2004 dans
CCSI-Info
Avril 2004

 

Edito

 

Du 4 au 7 mai prochain, nos député-e-s au Conseil National entameront l’examen de la nouvelle Loi sur les Étrangers (LEtr). Ce numéro du CCSI-Info est entièrement consacré à ce thème. A côté de notre dossier, vous trouverez la position de la Commission Européenne contre le Racisme et l’Intolérance au sujet de la politique migratoire suisse telle quelle est envisagée dans la LEtr (extrait du dernier rapport sur la Suisse, janvier 2004).

Depuis la mise en chantier de la LEtr, le Centre de Contact s’est fermement opposé à ce projet, et vient d’ailleurs de le rappeler dans un courrier aux parlementaires romand-e-s :

La LEtr entérine la politique actuelle des deux cercles, qui ne permet plus aux ressortissants extra-européens de s’installer dans notre pays (excepté les personnes hautement qualifiées). Et cela alors même que notre économie a besoin de ces personnes et les emploie, créant un véritable « réservoir de Sans-Papiers ».

Nous pensons que la Suisse a le devoir de recevoir correctement les travailleuses et travailleurs actifs dans notre pays. Cela passe par l’octroi d’un permis pour toute personne au bénéfice d’un emploi, quelle que soit sa provenance. Cela passe également par des conditions d’accueil dignes, impliquant de ne pas traiter les travailleuses et travailleurs migrants comme de simples pions, mais comme des personnes ayant certains droits imprescriptibles – notamment le fait de pouvoir vivre avec son conjoint et ses enfants, et de voir respecter les droits fondamentaux de sa famille (accès aux soins et à la formation, protection, etc.).

Mais nous ne sommes pas seul-e-s sur le front de l’opposition. Le 3 avril dernier a été officiellement constituée la Coordination romande contre la LEtr, faîtière d’associations, syndicats et groupes politiques opposés à la nouvelle loi. Les prochaines échéances s’annoncent comme suit :

  • 4 mai : actions symboliques dans toute la Suisse. Pour Genève, rendez-vous à la place Neuve à 15h00.
  • 10 mai : débat contradictoire sur la LEtr organisé par l’OSEO, et auquel participera le CCSI (Maison de Quartier de Plainpalais à 19h)
  • 15 mai : réunion de la Coordination pour décider du lancement ou non d’un référendum, en fonction du résultat du débat parlementaire (Bd de Grancy 31, Lausanne)

Last but not least : une grande manifestation nationale aura lieu le 5 juin à Genève (le lieu est encore à préciser), en marge de la Conférence Internationale du Travail de l’OIT qui traitera notamment du travail des migrant-e-s. Nous avons besoin de vous… Venez-y en nombre !

 

 

LEtr, le dossier à charge

NON à la discrimination et à l’arbitraire, NON à l’exploitation, NON à la précarité

 

Le projet de loi est disponible sur htpp://www.admin.ch/ch/f/ff/2002/36…

Une logique d’admission duale porteuse d’inégalité

La LEtr concerne les étrangers hors Union-Européenne (UE) et de l’AELE. C’est un des postulats fondamentaux sur lesquels est construit la LEtr, et un des plus problématique. Que l’existence d’accords bilatéraux avec l’UE facilite l’entrée des ressortissants de l’UE et de l’AELE en Suisse, c’est une chose. Mais une fois installés dans notre pays, les étrangers devraient bénéficier des mêmes droits indépendamment de leur nationalité. Il ne devrait pas y avoir de politique différenciée en fonction du pays d’origine, car c’est une discrimination flagrante. Par simplification, on entendra donc par « étrangers », dans le texte qui suit, les personnes non ressortissantes de l’UE ou de l’AELE.

Par ailleurs, la LEtr introduit une limitation qui ne correspond pas à la réalité actuelle de notre pays, en limitant l’admission aux personnes avec qualification :

art. 23 alinéa 1

Seuls des cadres, des spécialistes et autres travailleurs qualifiés peuvent obtenir des autorisations de courte durée ou de séjour.

art. 23 alinéa 3

Peuvent être admis en dérogation (…) des investisseurs et des chefs d’entreprise (…) des personnes reconnues des domaines scientifiques, culturel ou sportif, des personnes possédant des connaissances ou des capacités professionnelles particulières (…), des cadres transférés par des entreprises actives au niveau international, des personnes actives dans le cadre de relations d’affaires internationales de grande portée économique (…)

Sous ces formules alambiquées, le message est clair : les catégories professionnelles supérieures sont les bienvenus, les artistes de cabaret seront tolérés (sans doute en fonction de « capacités professionnelles particulières »). Rien n’est prévu par contre pour les travailleuses et travailleurs dans des secteurs comme l’agriculture, l’économie domestique, l’hôtellerie, la restauration, le nettoyage industriel, pourtant demandeurs de main d’oeuvre.

Cette option, qui ne laisse aucune possibilité d’obtenir une autorisation pour les personnes peu qualifiées, laissera de nombreux étrangers dans la clandestinité. Faute d’obtenir un permis, ces personnes rejoindront les rangs des Sans-Papiers dans notre pays.

Une optique très utilitariste (art. 3 et 4, 16 à 18, 27 à 29, 32, 33, 41 à 44, 61, 62)

Que ce soit à travers l’actuelle loi sur le séjour ou l’Établissement des Étrangers (LSEE) ou la LEtr, l’immigration étrangère est vue comme une menace potentielle pour l’identité suisse et l’économie du pays. Ce qui domine, c’est la peur d’une altération de l’identité nationale qui serait due à une trop forte population étrangère en Suisse.

art. 16 alinéa 3

Lors de l’admissio
n des étrangers, l’évolution socio- démographique de la Suisse est prise en considération.

La loi est donc conçue pour faire venir les étrangers dont on aura besoin tout en prévoyant des soupapes pour qu’ils repartent une fois leur tâche terminée.

art. 3 alinéa 2

En cas de séjour temporaire, l’étranger doit « apporter la garantie qu’il quittera la Suisse ».

art. 27 alinéa 1d

L’étranger peut être admis en vue d’une formation ou d’un perfectionnement (…) s’il paraît assuré qu’il quittera la Suisse.

De nombreux articles démontrent également le souci que la venue des travailleurs étrangers et de leur famille ne « coûte rien » à la Suisse. En témoignent les dispositions prévues concernant l’admission, l’accès à une formation, l’octroi ou la prolongation des autorisations de séjour, qui exigent que le financement du séjour soit garanti et que les personnes ne soient pas susceptibles de recourir à l’assistance publique.

La politique migratoire est définie par les intérêts suisses :

art. 16

L’admission des étrangers en vue de l’exercice d’une activité lucrative doit servir les intérêts de l’économie suisse.

Les besoins culturels et scientifiques de la Suisse sont pris en considération de façon appropriée.

Par ailleurs, l’article 30 b prévoit de déroger aux conditions d’admission, notamment en fonction « d’intérêts publics majeurs ». La première version de cet article était plus explicite, et est édifiante quant au sens dans lequel cette disposition risque d’être appliquée : des exceptions aux conditions d’admission étaient prévues en vue de « tenir compte de certains intérêts publics ou fiscaux » !!

Des statuts différenciés et précaires (art. 31 à 40)

La LEtr perpétue l’existence de différentes catégories de permis. Un statut précaire est prévu pour les bénéficiaires des autorisations de séjour de courte durée. Celle-ci sont valables pour une année au plus, renouvelable jusqu’à un maximum de deux ans. Une nouvelle autorisation de courte durée peut être donnée « après une interruption du séjour en Suisse d’une durée appropriée » (art. 31 alinéa 4). L’autorisation de courte durée n’ouvre aucun droit à une transformation automatique en autorisation de séjour après une période donnée : sous cet angle, ce statut est moins favorable que l’ancien permis saisonnier !! Par contre, il permet le regroupement familial sous condition (art. 44)

Les autorisations peuvent être révoquées, notamment lorsque l’étranger « ou une personne dont il a la charge dépend de l’aide sociale » (art. 61 e)  » de manière durable et dans une large mesure » (art. 62 alinéa 1d) . Par ailleurs, une interdiction d’entrée peut être prononcée envers un étranger, notamment « s’il a occasionné des coûts en matière d’aide sociale » (art. 66 alinéa 1b). Enfin, l’autorité cantonale peut expulser de Suisse un étranger « si lui-même ou une personne à sa charge tombe de manière continue et dans une large mesure à la charge de l’assistance publique » (art. 62 alinéa 1d). Seuls des étrangers qui vivent légalement en Suisse depuis plus de 15 ans ne peuvent être expulsés en vertu de cet article.

Regroupement familial (art. 41 à 50)

Si le statut de saisonnier disparaît dans la LEtr, le regroupement familial reste un droit limité, principalement par la capacité du travailleur d’offrir :

  • un « logement convenable » (art. 43 b et 44 b)
  • la garantie de ne pas recourir à l’assistance publique (art. 43 c, art. 44 c) 
  • le fait de vivre ensemble (art. 42 alinéa 1, art. 43 a, art. 44 a). Cette clause, qui à première vue découle du bon sens, peut en réalité engendrer des situations dramatiques en cas de violences maritales. Ainsi, une femme victime de violence qui se résoudrait à quitter le domicile conjugal risquerait de perdre son autorisation de séjour si celle-ci a été délivrée dans le cadre du regroupement familial.

Notons au passage que les formes de cohabitation hors-mariage ne sont pas prises en compte par la nouvelle loi. Enfin, le regroupement familial doit en principe intervenir dans les 5 ans (art. 46), contrainte qui n’existait pas dans la LSEE. Hélas, il peut arriver que ce laps de temps soit insuffisant pour réunir les autres conditions nécessaires au regroupement familial (logement convenable et revenu suffisant).

Rapport de l’ECRI sur la Suisse

Commission Européenne contre le Racisme et l’Intolérance (ECRI)
Extrait du dernier rapport sur la Suisse (janvier 2004)

 

Situation des non-ressortissants résidant en Suisse

Dans son second rapport sur la Suisse, l’ECRI a relevé que, si la vieille politique « des trois cercles » en matière d’octroi de permis de séjour à différentes catégories d’étrangers en fonction de leur pays d’origine et de leur « capacité d’intégration » est désormais abolie et remplacée par une « politique d’admission binaire », d’aucuns craignent que la philosophie sous-jacente de « capacité d’intégration » ne soit demeurée en réalité intacte : en d’autres termes, une éventuelle discrimination peut continuer de s’exercer à l’encontre de certains non-ressortissants.

L’ECRI a vivement encouragé les autorités suisses à veiller à ce que les permis de séjour des non-ressortissants résidant en Suisse depuis un certain temps ne soient retirés que dans des circonstances exceptionnelles et clairement définies, et à garantir l’existence d’un droit de recours contre de telles décisions.

Depuis le 1er juin 2002, un accord sur la libre circulation des personnes est entré en vigueur entre la Suisse et l’Union européenne. Il définit le statut des ressortissants des pays de l’UE dans la Confédération : la situation de ces personnes a été améliorée en ce qui concerne par exemple les conditions de travail et le regroupement familial.

Une nouvelle
Loi sur les Étrangers est en consultation parlementaire depuis le printemps 2002. De sorte que, même en ce moment, alors que la Loi sur les étrangers précédente (de 1931) demeure en vigueur, la politique menée en matière d’admission est celle dite « binaire ».

Tout en voyant globalement dans l’accord avec l’Union européenne un progrès pour les ressortissants d’un pays de l’UE résidant en Suisse, de nombreuses organisations non-gouvernementales ainsi que la Commission fédérale contre le racisme s’élèvent contre le nouveau système « binaire » considéré comme discriminatoire et susceptible d’exacerber l’exclusion et le racisme au sein de la société suisse.

La nouvelle Loi sur les Étrangers limite l’admission en Suisse sur la base d’un permis de travail délivré en principe à des spécialistes hautement qualifiés. Les employeurs désirant recruter de tels spécialistes étrangers déposent une demande de permis de courte ou de longue durée devant les autorités cantonales qui octroient ces permis, en collaboration avec l’Office fédéral de l’immigration, de l’intégration et de l’émigration, en fonction de quotas. Selon certains rapports, le concept de « potentiel d’intégration » ferait également partie des facteurs sous-jacents pris en considération pour décider des admissions et de l’octroi des permis de travail. La nouvelle Loi sur les Étrangers prône explicitement des mesures favorables à l’intégration définie comme un processus fonctionnant dans les deux sens et impliquant l’ensemble de la société.

Le nouveau système « binaire » est surtout critiqué pour établir des distinctions entre les différentes catégories d’étrangers résidant en Suisse. Par exemple, les conditions au regroupement familial sont plus favorables aux ressortissants de l’UE qu’aux autres étrangers, le renouvellement des permis de séjour des non-ressortissants de l’UE dépend de leur cohabitation avec leur conjoint pendant au moins cinq ans et les ressortissants de l’UE peuvent plus facilement changer de travail et de canton que les autres étrangers. Qui plus est, la question de l’ »intégration » n’est jamais soulevée à leur égard.

De manière plus générale, on estime que le système binaire risque d’exacerber les préjugés à l’encontre des étrangers couverts par la Loi sur les Étrangers et de provoquer le ressentiment des intéressés.

Les craintes exprimées dans le second rapport de l’ECRI concernant les différents types de permis de séjour demeurent valables. En particulier, l’Office fédéral de l’immigration, de l’intégration et de l’émigration dispose toujours d’un pouvoir discrétionnaire pour décider du retrait du permis des personnes condamnées pour une infraction pénale ou vivant des prestations sociales depuis longtemps. Les ONG signalent par ailleurs que les titulaires d’un permis de séjour de courte durée craignent tout particulièrement de se le voir retirer et hésitent donc souvent à porter plainte contre les autorités, de peur de perdre leur statut de résident légal. L’ECRI note à cet égard qu’une révision de la constitution a permis d’ancrer la garantie d’accès au juge dans le droit constitutionnel. Celle-ci permet notamment de recourir à un tribunal dans tous les cas, donc également dans ceux relevant du droit des étrangers. Les dispositions d’exécution de cette révision ne sont pas encore entrées en vigueur.

La situation des personnes résidant en Suisse sans permis de travail et de séjour (« Sans Papiers ») soulève également des craintes. Leur nombre serait estimé à au moins 100 000 à 200 000. Beaucoup d’entre elles travaillent chez des particuliers ou bien dans les services, la construction, l’agriculture ou l’industrie du sexe. Selon certains spécialistes, l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur les étrangers – qui réserve l’entrée et le séjour en Suisse en principe aux personnes hautement qualifiées – risque d’accroître le nombre d’étrangers travaillant illégalement, dans la mesure où les lois du marché du travail font que la plupart des emplois modestes et mal rémunérés disponibles sont exercés par des non-ressortissants.

La question des personnes résidant en Suisse sans permis de séjour et de travail n’est devenue un thème débattu en public que ces dernières années. Des différences d’approche des cantons en la matière ont été signalées. Cependant, les organisations non-gouvernementales signalent que, généralement, cette catégorie de personnes est très vulnérable : elle ne dispose que d’un accès limité aux soins de santé et elle est à la fois exploitée et victime de discriminations sur le marché du travail. Les travailleuses surtout courent un risque majeur d’exploitation.

Recommandations

L’ECRI recommande aux autorités de réexaminer l’impact du système « binaire d’admission » pour ce qui concerne le traitement des différents groupes d’étrangers installés dans le pays, en particulier concernant des domaines tels que le regroupement familial.

L’ECRI recommande de nouveau aux autorités de prendre des mesures pour garantir que le retrait des permis de séjour est strictement réglementé et sujet à contrôle judiciaire. En particulier, elle considère que le retrait des permis de séjour au motif que leurs titulaires vivent depuis longtemps des prestations sociales de l’État ou comme sanction supplémentaire frappant les personnes condamnées pour une infraction pénale devrait être aussi limité que possible et étroitement réglementé.

L’ECRI encourage les autorités à prendre des mesures pour améliorer la situation des personnes résidant dans le pays sans les permis requis.

Le rapport est disponible sur http://www.coe.int/T/F/Droits_de_l’…