“A l’heure où nous mettons sous presse”, comme on dit, Christophe Blocher sort de sa manche un rapport sur l’immigration illégale. La table des matières dit déjà tout sur l’esprit dans lequel ce texte a été écrit : entrée clandestine et séjour illégal, abus de la législation, criminalité et sécurité publique, travail au noir, exécution et contrôle, inobservation des dispositions d’admission, falsification de pièces d’identité, accords de réadmission, séjour légal obtenu de manière abusive, infractions : telles sont les principales rubriques. Qui s’étonnera que ce sommaire ne contienne pas un chapitre concernant les causes du phénomène, les conditions de travail et de salaire que subissent les Sans-Papiers ? Qui s’étonnera qu’il ne mentionne pas la responsabilité des employeuses et employeurs des personnes sans statut légal et qu’il ne pointe pas les failles de notre politique d’admission ?
Plusieurs parlementaires de retour de Berne après le vote de la LEtr au Conseil national (pages 2 et 3) nous ont fait part de leur profonde inquiétude devant la percée xénophobe dans notre pays. Face à cela, le Centre de Contact poursuit la ligne qui est la sienne depuis 30 ans :
se mettre en réseau avec d’autres partenaires (Collectif de soutien aux Sans-Papiers, Comité Non à la Loi contre les Etrangers, Plate-forme nationale pour une Table ronde au sujet des Sans-Papiers, Collectif du 14 juin, etc.) affirmer sa résistance face aux attaques xénophobes promouvoir la recherche de solutions à la fois globale (régularisation collective), sectorielle (la journée sur la santé des Sans-Papiers est un exemple dans ce sens – voir le communiqué de presse en page 4) et individuelle (c’est le travail des permanences) interpeller les autorités et proposer d’autres aménagements de la politique migratoire dans une perspective d’égalité, de respect de la dignité humaine et de justice sociale.
Sous la pleine lumière du solstice, les nuages s’amoncellent dans le ciel de la migration. Nous allons devoir redoubler d’opiniâtreté et d’inventivité. Le 30ème anniversaire du Centre, dont le programme sera joint au prochain numéro, sera l’occasion à la fois de resserrer nos liens et d’élargir nos contacts. Que les vacances qui s’approchent pour beaucoup soient l’occasion de se “requinquer”. La rentrée, hélas, s’annonce caniculaire.
Autant le dire tout de suite : pour ce solstice 2004, les nouvelles sur le front de la migration ne sont pas bonnes. Ce mois-ci, le projet de nouvelle Loi sur les Étrangers (LEtr) a passé le premier cap parlementaire, et a été voté au Conseil National. La prochaine étape est le débat au Conseil des États. 63 oui, 48 non, et 55 abstentions. Tandis que le monde a les yeux rivés sur les résultats des matchs de l’Eurofoot, peu de bruit a été fait autour de ce score. Pourtant, il a une triste particularité : le camp du oui était composé d’une majorité de parlementaires démocrates-chrétiens et socialistes. Les Radicaux se sont abstenus et l’UDC a voté contre, jugeant que la loi ne va “pas assez loin”. Pour des raisons inverses, les Verts et les élu-e-s du POP, du PdT et de Solidarités ont voté non.
Pour celles et ceux qui forment le front du refus de la LEtr, ce fut la consternation. Sans l’appui d’une majorité du groupe socialiste, la LEtr n’aurait pas passé la rampe au Conseil National. Plusieurs socialistes romand-e-s ont choisi l’abstention lors du vote – signe de leurs doutes quant au mot d’ordre du parti. Pour les militant-e-s que nous sommes, ce choix (stratégique, nous dit-on) est incompréhensible. Comment peut-on se déclarer opposé-e à la LEtr lors de débats, de manifestations, et ne pas voter non au moment décisif ? Pour le public, le message est forcément brouillé. Plusieurs justifications ont été avancées, passons-les en revue.
Des améliorations au projet initial ont été apportées. Ainsi, l’élargissement de l’accès à une autorisation de séjour de courte durée aux personnes non qualifiées, le maintien d’un budget pour des projets d’intégration, la possibilité d’examiner l’opportunité de régulariser des personnes sans statut légal à partir de 4 ans de séjour en Suisse.
Quelques remarques quant à cet argument. D’une part, le projet n’en est pas au stade du vote final, puisqu’il doit encore être débattu au Conseil des États. Christophe Blocher a d’ailleurs annoncé qu’il proposerait des modifications au texte à voter, dans le sens d’un durcissement. Les ouvertures acquises d’un cheveu au Conseil National ont très peu de chances d’être maintenues. D’autre part, le c ?ur de la LEtr (différenciation de traitement, selon l’origine, des migrant-e-s établi-e-s en Suisse) reste intact. Il y aurait lieu de réfléchir à deux fois avant d’entériner cette vision du monde par un vote. Face à une loi qui ne traitera pas de la même façon l’enfant d’une Équatorienne remariée à un Suisse et l’enfant d’un couple de Tchèques, était-ce le bon choix ? Enfin, il y a toutes les chances pour que le dernier point revienne à inscrire la circulaire Metzler (juridiquement, il ne s’agit pour l’heure que d’une directive) dans la loi. Or cette circulaire a toujours été appliquée en exigeant bien d’autres conditions (qui ne sont qu’exceptionnellement remplies) que les 4 ans de séjour.
Il ne s’agit que d’un vote intermédiaire, puisque le projet passera devant le Conseil des États, et fera peut-être plusieurs allers-retours entre les deux chambres parlementaires. Les député-e-s ont encore la possibilité de voter non à la version finale.
De deux choses l’une : soit la version finale ne comprend plus les avancées obtenues par les socialistes parce qu’elles ont été rejetées au Conseil des États (la version la plus probable). A quoi aura-t-il servi de voter une version intermédiaire et de souscrire ainsi de facto à certains des principes très contestables contenus dans la loi (rappelons que la discrimination selon l’origine a été dénoncée vertement par la Commission de lutte contre le Racisme) ? Si certain-e-s socialistes cautionnent l’approche de la LEtr, l’honnêteté consisterait à le dire. Autre option : le texte final, contre toute attente, reprend effectivement les ouvertures arrachées par la gauche. Encore une fois, l’esprit de la
LEtr ne serait pas remis en question. Les socialistes qui auraient voté le projet dans un premier temps pourraient difficilement se retourner et le rejeter. Les socialistes ont-ils déjà admis la clef de voûte sur laquelle repose la loi, et qui fonde notre politique migratoire sur la discrimination ?
Si la LEtr ne passait pas, la droite remettrait sur le métier une législation sans doute bien plus dure.
En votant oui au projet tel qu’il est ressorti du débat au Conseil National, les socialistes avouent implicitement que cette version est le mieux que l’on puisse obtenir au vu d’un contexte politique extrêmement hostile. Il est possible que notre vision lémanique des choses ne prenne pas la mesure de la dureté qui sévit à Berne. La question reste pourtant de savoir si ce minimum, si c’en est vraiment un, est acceptable. En répondant par l’affirmative, les socialistes affichent un seuil de tolérance élevé vis-vis du climat xénophobe en Suisse. L’atmosphère politique de ce pays est-elle délétère au point que des projets d’inspiration de droite soient désormais votés grâce aux voix de gauche ? Au-delà de la politique migratoire, cela pose de sérieuses questions en termes de démocratie. En est-on, dans le rapport de force politique, arrivé à ce point-là ?
Si c’est le cas, il serait grand temps de nous alarmer. Au lieu de quoi, les Assises de l’intégration qui se sont tenues à Genève les 25 et 26 juin n’ont pas même aborder la question ! Sans quelques interventions en marge du thème officiel (le sport), notamment de la Plate-Forme des communautés étrangères puis d’Oscar Tosato, élu municipal de Lausanne pour le parti socialiste ( !), le sujet n’aurait tout simplement pas été abordé. Ce qui impose quelques commentaires :
- Ces Assises ont été mises sur pied sans consultation. S’il est normal que le Bureau de l’Intégration des Étrangers (BIE) prenne les décisions finales (après tout, c’est à lui que revient la tâche de les organiser, il doit donc garder son pouvoir de décision), il serait bon de sonder les milieux concernés (communautés étrangères, associations ou syndicats travaillant avec la migration) quant à leurs sujets de préoccupation ! L’intégration par le sport est un thème consensuel certes, mais pas prioritaire, et ne permettait pas d’être relié à l’actualité. Il était quelque peu surréaliste de tenir des Assises de l’Intégration sans discuter de la Loi sur les Étrangers au moment même où le parlement la débattait ?
- Le BIE a incontestablement fait une erreur politique en invitant M. Adolf Ogi à ces Assises. Le fait que M. Ogi ait parlé en qualité de Conseiller spécial du Secrétaire Général de l’ONU pour le sport au service du développement et de la paix (sic) n’y change rien. Il a exercé les plus hautes fonctions de ce pays sous l’étiquette UDC, cela même s’il ne partage pas la ligne extrême de Christophe Blocher. Après la campagne xénophobe tenue par l’UDC avant les élections fédérales, il n’est pas défendable d’inviter un de ces anciens hauts représentants aux Assises. En termes symbolique, c’est un mauvais signal envoyé aux communautés étrangères.
- Alors que la nouvelle migration est majoritairement féminine, les intervenant-e-s des Assises étaient des hommes à une majorité écrasante. 1 femme et 6 hommes pour la soirée du vendredi, 1 femme et 11 hommes le samedi matin ! Tout cela pendant que l’équipe d’accueil, cette fois-ci majoritairement féminine, distribuait bon de repas, sourires et micro ? Un mauvais tir, à corriger résolument lors de la prochaine édition.
Ces deuxièmes Assises étaient organisées par la nouvelle équipe du BIE. Robert Cuénod, Délégué à l’Intégration, a annoncé qu’il serait heureux de collaborer avec des représentant-e-s des communautés étrangères pour la mise sur pied des Assises 2005. C’est un pas dans la bonne direction.
Cette dernière quinzaine, deux articles venaient ternir gravement l’image des étrangères et des étrangers. La Tribune de Genève, citant une estimation (sur quelle base ?) d’une fonctionnaire d’état civil de Payerne, claironnait en première page que 3 mariages sur 10 en Suisse pourraient être des mariages blancs. Si ce chiffre était vrai, cela voudrait dire qu’un tiers de nos connaissances auraient contracté un mariage arrangé ! La semaine suivante, Le Temps relatait les propos d’un requérant d’asile vendeur de cocaïne sur une demi-page (avec annonce en couverture s’il vous plaît). Accablant, l’article en question l’était – l’exemple révoltant du type qui vient abuser du système. Mais accablant aussi, le manque de mise en perspective. Combien de personnes auront traduit le titre “Pour nous les dealers, ici la vie est facile” par “pour nous les requérants, ici la vie est facile” ? Or il est connu que seule une minorité des requérant-e-s sont des criminel-le-s ? Pas un mot non plus sur les difficultés de la police à mettre un terme à ce trafic. En matière de sécurité publique, la question centrale est pourtant là, non ? Même le problème des chauffards, depuis peu sous le feu des projecteurs, est traité sous l’angle de la nationalité – comme si l’excès de vitesse ou l’abus d’alcool avaient un passeport.
Face à l’affirmation du climat xénophobe, il est impératif que le BIE, après avoir entamé son travail en direction de l’Administration (brochure de sensibilisation + cours sur la réalité multiculturelle de Genève), des institutions (notamment la CFE) et des communes, posent des gestes forts à l’attention des migrant-e-s. Sa crédibilité en dépend.
Plate-forme pour une table ronde au sujet des Sans-Papiers
Le cri d’alarme a été entendu
Communiqué de presse du 25 juin 2004
Le cri d’alarme concernant la santé des Sans papiers a été entendu.
Réunis le 25 juin à Berne, à l’invitation de la Plate-forme pour une table ronde pour les Sans-Papiers, les représentant-e-s des autorités fédérales, des cantons et des organismes actifs sur le terrain sont tombés d’accord sur la nécessité d’améliorer la situation préoccupante des Sans-Papiers en matière de santé. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) reprendra contact avec les caisses maladie et les cantons de manière à voir comment assurer le financement.
Constituée en avril 2002 à l’appel de parlementaires fédéraux, la Plate-forme pour une table ronde pour les Sans-Papiers rassemble des représentant-e-s des Eglises, des syndicats, des partis et des ONG actives dans le domaine des migrations*. Le 25 juin, elle organisait à Berne une nouvelle Table ronde consacrée, cette fois, à la santé. Quelque 40 personnes se sont réunies, représentant l’Office fédér
al de la migration (IMES), l’Office Fédéral de la Santé Publique, la Commission Fédérale des Etrangers ; SantéSuisse ; les cantons de Jura et Berne ; les organismes de soins de Genève et Lausanne ainsi que Médecins sans frontières et la Croix rouge suisse ; les collectifs de soutien aux Sans-Papiers et les partenaires de la Plate-forme.
Un constat très alarmant a été dressé selon lequel la plupart des Sans-Papiers ne sont pas affilié-e-s à une assurance maladie, soit parce qu’ils ne peuvent pas payer les primes, soit parce que les caisses les refusent – malgré les directives émises en décembre 2002 par l’OFAS leur faisant obligation d’accepter toutes les personnes résidant en Suisse, y compris les Sans papiers. Plusieurs cas ont été cités où des hôpitaux ont refusé des interventions à des Sans papiers ou les ont facturées au tarif fort réservé aux étrangers de passage. Des cas de dénonciations aux autorités pour retard de payement des factures ont été signalés, ce qui explique la forte réticence des clandestin-e-s à s’assurer. L’accès aux soins n’est donc pas garanti, ce qui pose à court et à long terme un important problème de santé publique. Des organismes publics et privés tentent de pallier les lacunes constatées, mais l’offre de soins est très disparate selon les régions, et ces organismes connaissent des difficultés de financement qui menacent parfois leur survie. La situation risque de s’aggraver encore selon l’évolution de la situation des requérants frappés de non entrée en matière (NEM).
Face à cette situation, les participants ont convenu de prendre des mesures pour encourager l’affiliation aux caisses maladie. Des pourparlers auront lieu entre l’OFSP, les cantons et les assureurs pour envisager dans quelle mesure et à quelles conditions une caution ou des subsides pourraient être accordés pour la couverture des primes. Les organismes de consultation et de conseil pour les Sans-Papiers poursuivront leur travail de médiation qui a été unanimement reconnu indispensable.
*Parlementaires fédéraux ; Conférence des évêques suisses ; Fédération des Eglises Protestantes de Suisse ; Union Syndicale Suisse ; Syndicat Industrie & Bâtiment ; Syndicat interprofessionnel des travailleurs et des travailleuses SIT ; Confédération des syndicats chrétiens ; FTMH ; Caritas ; Solidarité sans frontières ; Croix rouge suisse ; Centres sociaux protestants ; Centres de Contact Suisses-Immigrés ; Entraide protestante ; OSAR ; FIZ ; FIM ; Les Verts ; Parti socialiste ; Parti du travail