CCSI-Info septembre 2004
Les 26 et 27 août derniers s’est déroulée la traditionnelle université d’été du Centre de Contact. Espaces de formation et de réflexion, ces trois demi-journées sont aussi l’occasion, pour les permanent-e-s et les membres du Secrétariat, d’avoir des échanges approfondis, au-delà des urgences (politiques, organisationnelles) qui rythment l’année. C’est dans ce cadre que nous avons accueilli Rosita Fibbi, proche du Centre de longue date et collaboratrice scientifique au Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population de Neuchâtel (FSM). Rosita Fibbi nous a entre autres présenté les résultats d’une recherche portant sur la discrimination de jeunes étrangers (des hommes uniquement, en l’occurrence) lors de l’embauche.
L’étude a été réalisé selon une méthode élaborée par le BIT et permettant donc des comparaisons internationales. La méthode consiste à envoyer des postulations fictives en réponse à des offres d’envoi (niveau de qualification CFC). Toutes les candidatures sont équivalentes. Dans notre exemple, le profil est celui d’élèves avec un parcours scolaire linéaire et sans retard, ayant fait toute leur scolarité en Suisse (et au bénéfice d’un permis C pour les étrangers). Des dossiers similaires ont donc été envoyés, mais avec des noms différents. Pour la Suisse romande, les patronymes choisis correspondaient aux nationalités suivantes : Suisse, Portugal, ex-Yougoslavie albanophone. En Suisse alémanique, la candidature portugaise était remplacée par une candidature turque (ceci pour respecter la “constellation migratoire”, différente dans les deux régions linguistiques).
Dans un deuxième temps, on a comparé le nombre de fois où les jeunes étrangers étaient convoqués à un entretien d’embauche au même résultat obtenu par le candidat suisse. On estime qu’il y a discrimination significative à partir d’une différence supérieure à 15%. Les chiffres obtenus sont les suivants :
En Suisse romande
Portugal 10%
ex-Yougoslavie albanophone 24%
En Suisse alémanique
Turquie 30 %
ex-Yougoslavie albanophone 59%
En comparaison internationale avec des pays de l’Union Européenne, la discrimination envers les Portugais est basse. Par contre, la discrimination des Turcs et des ressortissants albanophone d’ex-Yougoslavie est très élevée. L’Allemagne, où la population immigrée d’origine turque est nettement plus nombreuse qu’en Suisse, enregistre par exemple un taux de discrimination bien inférieure.
On pourrait imaginer que ces chiffres provoqueraient un tollé. La surprise majeure a été de constater que cette discrimination est jugée “normale” : c’est la fameuse “préférence nationale”. Or cette attitude est jugée adéquate, même si elle conduit à des décisions irrationnelles (puisque le futur employeur n’a pas pu comparer le dossier du jeune suisse au dossier du migrant, celui-ci n’ayant même pas été convoqué en entretien).
Lors de la présentation de la recherche, le FSM s’est heurté à un accueil poli et à un mur d’inertie. Ni les autorités, ni les syndicats, ni les milieux patronaux, n’ont paru pressés de réfléchir à la manière d’améliorer ces scores catastrophiques. Pourtant, le monde du travail est une pièce essentielle du puzzle de l’intégration. Mais ce n’est pas la première fois que des recherches dans le domaine de la migration finissent dans un tiroir – il semble même que ce soit un classique : les études aboutissent à des recommandations, mais les décisions prises par les responsables concernés vont à l’opposé ! Il appartient notamment au Centre de Contact de renforcer ses liens avec le monde de la recherche, de façon à être un de ses relais possibles, et d’interpeller sans relâche les acteurs politiques et sociaux sur ces thématiques.
*Rosita FIBBI, Bülent KAYA, Etienne PIGUET, Le passeport ou le diplôme ? Etude sur la discrimination à l’embauche de jeunes issus de la migration, FSM, 2003.