CCSI-Info mars 2005
bulletin d’infos
mars 2005
Édito
Régularisation des Sans-papiers:position du Conseil d’Etat genevois
Lors du Comité du 17 janvier dernier, le CCSI a invité Anne-Catherine Ménétrey (Conseillère nationale pour les Verts vaudois) à nous exposer les enjeux liés aux accords de Schengen-Dublin, qui seront soumis à votation en juin prochain.
Contexte de négociation
La proposition d’associer la Suisse aux accords de Schengen et Dublin résulte des négociations bilatérales entre notre pays et l’UE. Ces accords bilatéraux bis portent sur neuf domaines différents (fiscalité, environnement, formation professionnelle, etc.) dont Schengen et Dublin. L’ensemble est donc l’aboutissement d’un marchandage, dans lequel la Suisse a notamment cherché à préserver à tout prix le secret bancaire (ce qui a été obtenu en échange de quelques concessions en matière de lutte contre la fraude fiscale).
Contenu
La création de l’espace Schengen repose sur deux axes majeurs : suppression des frontières intérieures et renforcement des frontières externes, allant de pair avec une harmonisation de la politique des visa ainsi que des dispositifs policiers et judiciaires. L’accord prévoit en effet la mise en place d’un Système Information Schengen (SIS), banque de données informatiques au niveau européen. Enfin, Schengen veut responsabiliser les transporteurs susceptibles de laisser entrer des personnes sans statut en les laissant assumer les frais liés à ces arrivées jugées indésirables.
Dublin répond également à une volonté de coordination, dans le domaine de l’asile cette fois. Ainsi un-e requérant-e qui aura fait une demande d’asile dans un des États membres ne pourra plus, en cas de refus, déposer une requête similaire dans un autre pays signataire. De même, l’accord fixe les critères de compétence pour le traitement d’une demande (attribution à un État ou à un autre en fonction de l’existence de liens familiaux, du lieu d’entrée, etc.) La liberté, pour un-e requérant-e, de choisir le pays auquel est adressée sa demande d’asile est donc restreinte.
Quelques aspects positifs
L’association de la Suisse aux accords de Schengen-Dublin est une étape d’intégration à l’ensemble européen, même si c’est par un biais bilatéral et non au travers d’une adhésion pure et simple à l’UE. Pour celles et ceux qui espèrent de la Suisse autre chose qu’une politique d’insularité au beau milieu de l’Europe en c
onstruction, c’est une étape à ne pas manquer.
Le visa Schengen consacrera la liberté de circulation pour les ressortissant-e-s de l’espace Schengen ainsi que pour les touristes. Si la Suisse est partie prenante, cela facilitera grandement la liberté d’aller et venir sur son territoire pour ces deux catégories.
Selon certains avis, les standards d’accueil des requérant-e-s d’asile seraient plus élevés dans l’UE qu’en Suisse, ce qui pourrait laisser espérer, à défaut d’une amélioration des conditions d’accueil chez nous, un frein à l’effarante dégradation à laquelle nous assistons pour le moment. Rien de garanti cependant, car la Suisse ne serait pas tenue d’appliquer les mêmes critères que ses voisins lors de l’examen d’une demande d’asile.
Les points noirs
C’est principalement le risque de voir Schengen et Dublin consolider une approche répressive de l’asile et de la migration qui est avancé. Ce risque se décline à différents niveaux :
L’abolition des frontières internes entérine la liberté de circulation pour les ressortissant-e-s de l’espace Schengen et pour les touristes. Elle s’accompagnera d’une fermeture accrue vis-à-vis des personnes en provenance d’État-tiers, et d’un renforcement de la lutte contre la migration illégale.
A ce titre, le fait de « responsabiliser les transporteurs » est révélateur : c’est une manière indirecte de passer le relais du contrôle à des entités privées, sans garantie sur la façon dont ce contrôle sera exercé.
Outil central du nouveau concept de sécurité, le SIS peut entraîner des dérapages considérables : par exemple, on peut ficher des personnes sur simple présomption (« s’il existe des raisons sérieuses de croire qu’elles ont commis des faits punissables graves »).
Par ailleurs, la question de savoir qui fournira les données contenues dans le SIS, qui les enregistrera, et qui sera susceptible de les consulter, n’est pas réglée. On peut dès lors avoir des craintes légitimes quant à la protection des données.
Autre exemple, la transmission de données à l’État d’origine d’un ressortissant non membre de l’espace Schengen est possible, moyennant « protection adéquate » : quelle application sera faite de cet article pour le moins opaque ?
En cas de non-entrée en matière sur une demande d’asile, le recours n’aura, « sauf exception », pas d’effet suspensif. C’est une péjoration par rapport à la situation actuelle, qui ne laisse pourtant que 10 jours de répit…
En cas de refus d’une demande d’asile par un État, il n’y aura plus de possibilité pour un-e requérant-e de tenter sa chance une seconde fois auprès d’un autre pays signataire.
Contexte politique : un monde à la dérive
Par bien des aspects, les accords de Schengen et Dublin incarnent une « rationalisation » en matière de circulation des personnes, de sécurité et de politique d’asile. Abolir les chicanes douanières au profit de contrôles plus ciblés, n’est-ce pas judicieux ? Éviter les doublons en matière de traitement des demandes d’asile, pourquoi pas ? Avoir un outil performant pour faire face à la criminalité, améliorer les échanges au niveau policier et judiciaire, où est le problème ?
Cette logique tiendrait si nous vivions dans le meilleur des mondes. Malheureusement, ce n’est pas le cas, et les indicateurs sont de plus en plus alarmants. Les Conventions de Genève en matière de droit d’asile devraient impérativement être complétées (en prenant en compte les persécutions non étatiques ou liées au genre, pour ne citer que deux exemples).
Or au contraire, l’application de ces Conventions se réduit comme une peau de chagrin, les États cherchant davantage à dissuader les candidat-e-s à l’asile plutôt qu’à garantir un refuge à qui en a besoin. Parallèlement, une banque de données perfectionnée fait peur dans un contexte où les migrant-e-s sont de plus en plus facilement suspecté-e-s, même en l’absence de bases sérieuses, simplement parce que provenant d’ailleurs (l’exemple extrême étant la logique des États-Unis de l’après-11 septembre). Enfin, ne risque-t-on pas de voir le fichage porter à terme sur les oppositions de toute sorte à l’ordre dominant (altermondialistes, défenseurs des droits humains, écologistes, etc.) ? Le précédent helvétique des fiches dans la façon de concevoir les priorités en matière de lutte contre la criminalité incite pour le moins à la méfiance…
Contexte suisse : un nouveau non à l’Europe ?
D’autre part, il s’agit de réfléchir aux éventuelles conséquences d’un rejet de Schengen-Dublin. Ne pas signer ces accords n’impliquera en aucune manière une politique plus ouverte de la Suisse vis-à-vis des migrant-e-s et des requérant-e-s d’asile, pas plus que cela n’empêchera le développement des techniques de fichage (la Suisse n’a pas attendu l’Europe pour tester différents systèmes en la matière). Dès lors, les objections légitimes aux accords de Schengen-Dublin pèsent-elles suffisamment pour que la Suisse se distancie une fois encore de la construction européenne ? Enfin, l’opposition de gauche à Schengen-Dublin sera-t-elle entendue dans sa spécificité, ou sera-t-elle submergée par l’opposition de l’UDC à l’heure de l’analyse du vote ?