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CCSI-Info juillet 2005

Publié le 10 juillet, 2005 dans

bulletin d’infos

juillet 2005

 

 

Édito

 

 

Le 18 juin dernier, des milliers de personnes défilaient à Berne pour revendiquer davantage d’ouverture dans la politique d’asile et la politique migratoire.

Un signal fort au moment où la Commission des Institutions Politiques du Conseil National (examinant les divergences sur la LEtr et la LAsi entre les deux chambres fédérales) entérinait la quasi totalité des durcissements votés par le Conseil des Etats.

Un signal indispensable alors que sur le terrain, l’application de la ligne dure se fait déjà sentir. Depuis plusieurs mois par exemple, les permis dits “humanitaires” sont accordés de façon encore plus limitée qu’auparavant. Alors que la circulaire Metzler permettait, pour les personnes sans statut, de prendre en considération la durée du séjour, la pratique actuelle ne tient plus compte de cette donnée.

Désormais, pour obtenir une dérogation selon l’art. 13 lettre f de l’OLE (Ordonnance Limitant le nombre des Etrangers), il faut prouver qu’en cas de départ de Suisse, la situation de la personne serait pire que celle de ses compatriotes au pays. Une condition quasiment impossible à remplir, et qui nie tout ce que les migrant-e-s ont pu vivre et construire chez nous. Le plus navrant, c’est que cette approche s’ancre sur la jurisprudence de la plus haute instance, le Tribunal Fédéral, puisque ce dernier indique que les permis hors contingent doivent être délivrés de façon “restrictive.”

Malgré les impasses programmées, il est hélas certain que les Chambres fédérales voteront la LEtr et la LAsi, malgré les dénonciations par les milieux de défense des migrant-e-s et des requérant-e-s ainsi que par certaines instances européennes (voir en page 4 le rapport du Commissaire européen des Droits de l’Homme pour le Conseil de l’Europe). Aux votes sur la LEtr et la LAsi succédera, c’est d’ores et déjà annoncé, le lancement de deux référendum. C’est dire si la manifestation du 18 juin n’est qu’une première étape de la mobilisation !

Dans l’intervalle pourtant, l’actualité est comme en suspens. Berne n’a toujours pas donné de réponse à la demande du Conseil d’Etat genevois (qui réclame des permis pour plus de 5’000 personnes sans statut actives dans l’économie domestique).

Cet interstice estival est une opportunité pour aborder des thèmes qui ne sont guère sur le devant de la scène, mais pourtant fondamentaux. Et comme les vacances sont souvent l’occasion de se plonger dans quelques livres, pourquoi ne pas en profiter pour creuser quelques réflexions ? Vous trouverez en pages 2 et 3 de ce numéro nos notes de lecture autour d’un sujet important pour le CCSI : la prise en compte de la dimension pluriculturelle de notre société dans la formation, que ce soit celle de l’Administration ou lors d’activités de sensibilisation tout public.

Il est nécessaire que des progrès soient faits dans ce domaine et il est important de ne pas perdre de vue cet objectif, même si l’actualité nous empêche souvent de nous y investir comme nous le souhaiterions. Nous sommes convaincu-e-s qu’un travail de fond est un socle incontournable pour renverser la tendance à l’enfermement et à l’intolérance.

Le CCSI entend continuer à ouvrir des brèches en ce sens, inlassablement.

 

 

Prévention des discriminations dans une société multiculturelle

Quelques pistes en matière de formation et de sensibilisation

 

Les permanent-e-s du Centre de Contact en sont témoins chaque jour : l’intégration des personnes migrantes est grandement facilitée (ou au contraire, rendue difficile) selon le degré d’information auquel elles ont accès, couplé à la qualité de l’accueil reçu dans les différents endroits où les mènent les démarches de la vie quotidienne – Administration, supermarchés, écoles, assurances, lieu d’habitation, etc.

A l’aube, pour beaucoup d’entre nous, des départs en vacances, il n’est pas compliqué de rattacher ce constat à nos propres expériences de voyage (dans des conditions pourtant bien meilleures que celles qui entourent les véritables migrations). Ainsi, lorsque vous arrivez dans un lieu inconnu, vous appréciez qu’on se donne la peine de comprendre votre anglais hésitant (qui n’est même pas la langue du pays visité), qu’on vous explique où prendre le ticket de bus, ou qu’un guide bien documenté vous donne quelques indications quant aux règles à suivre pour ne pas commettre d’impair. Vous garderez un excellent souvenir de “ce petit hôtel où nous avons été dorlotés comme à la maison” et déconseillerez avec la même fougue ce restaurant où l’on a été “si désagréable”.

Un pays comme la Suisse, et a fortiori un canton comme Genève, a le devoir de s’interroger sur ce qu’il met en place, notamment en matière de formation et de sensibilisation, pour assurer la bonne intégration des personnes venues d’ailleurs. Contrairement au discours dominant, les migrant-e-s ne profitent pas de notre système mais sont souvent victimes de pratiques discriminatoires (chicaneries lors de demande de prestations, difficultés à l’embauche liées à l’origine, attitudes de dénigrement, etc.)

Dans un petit livre édité par le Service de lutte contre le racisme*, Sylvain Fattebert, Marc Ruegger et Sandrine Salerno examinent ce qui se fait en matière de lutte contre les discriminations dans la formation pour le personnel de la fonction publique, en Suisse romande et au Tessin.

Une thématique souvent confinée à la formation continue, et destinée en priorité aux employé-e-s…

Premier constat : les agent-e-s de la fonction publique suivent des filières très diversifiées, qui vont de l’apprentissage de commerce aux Hautes Ecoles. Le personnel de l’administration dite “générale” n’a pas accès, la plupart du temps, à une formation spécifique concernant la prévention des discriminations, c
ontrairement à ce qui peut être proposé dans une école de soins, dans la formation des enseignant-e-s ou en travail social. Cependant, même pour ces dernières catégories, le sujet fait rarement partie de la formation de base stricto sensu. Il est davantage proposé en formation continue (ou éventuellement dans le cadre d’un module en option). Ceci pose un premier problème : ce sont souvent les personnes déjà sensibilisées à la question qui estiment nécessaire de se former davantage. Il reste difficile d’atteindre les autres.

D’autre part, ces formations sont suivies en majorité par les employé-e-s en contact avec des personnes migrantes, et sont rarement dispensées aux responsables de service. Leur efficacité en souffre incontestablement. Une collaboratrice ou un collaborateur de retour d’une formation (dont personne d’autre n’aura bénéficié sur son lieu de travail) n’aura pas les mêmes possibilités de mettre ses apprentissages à profit au sein d’une “culture de groupe” qui n’aura pas évolué. Il est donc indispensable de mettre en place une approche collective plutôt qu’individuelle, mais cela passe nécessairement par la sensibilisation des cadres.

…où les migrant-e-s sont usagers plutôt qu’acteurs de la fonction publique…

En outre, il faut relever que ces formations visent généralement à améliorer le service offert dans la fonction publique. La personne migrante est celle qui se présente au guichet d’une Administration, qui amène ses enfants à l’école ou dans une permanence médicale. C’est une perspective où les migrant-e-s sont usagères et usagers. Pour pertinente qu’elle soit, cette approche peut occulter une autre dimension de la réalité pluriculturelle. En effet, nombre de migrant-e-s sont également des salarié-e-s de la fonction publique. Il serait bon d’examiner si, dans le cadre de leurs relations de travail, des discriminations existent, de façon à pouvoir y remédier le cas échéant.

…et où l’accent porte sur la diversité culturelle plutôt que sur les mécanismes de discrimination !

Cette réflexion nous amène à un autre point soulevé par les auteur-e-s. En matière de formation, on privilégie actuellement la sensibilisation à la diversité culturelle plutôt que l’analyse des mécanismes de discrimination. Plus largement, on s’en tient au transfert de connaissances sans avoir forcément l’occasion de décortiquer les comportements. Or le deuxième volet apparaît également nécessaire si l’on veut induire de réels changements dans les pratiques.

Le racisme, une équation à trois…

Ce souci, on le retrouve au centre des réflexions proposées par Monique Eckmann et Myriam Eser Davolio dans un autre ouvrage** fort bien construit. Tout d’abord, elles rappellent que le racisme et les discriminations sont une équation à trois composantes : l’auteur-e, la victime, les témoins (au sens large : pas seulement les personnes qui assistent à un événement, mais la société dans laquelle il se passe, celle qui laisse faire ou réagit, celle qui pose ou non des cadres d’intervention). Cette dernière catégorie est trop souvent oubliée, alors même qu’elle constitue le pivot autour duquel le racisme peut se développer avec plus ou moins de facilité. Lorsqu’on organise une activité de sensibilisation sur ce thème, il est essentiel d’en préciser l’objectif, notamment le public-cible. Le déroulement d’une soirée autour des discriminations sera par exemple très différent selon qu’elle s’adresse aux victimes (espace de témoignages, écoute et validation, atmosphère de respect et de non-jugement) ou aux témoins (nécessité d’aller au-delà du consensus apparent, de faire émerger les conflits, d’éviter l’écueil de la dénégation du racisme, de discuter de ses réactions, etc.)

…qui nécessite une approche différenciée et à plusieurs niveaux.

Par ailleurs, quelques points méritent une attention toute particulière :

Ne pas se limiter à une approche “individuelle” du racisme, aborder également la question du racisme institutionnel (qu’il soit présent à travers des lois, règlements ou pratiques discriminatoires, ou par le biais d’un “laisser-faire” face à des comportements racistes).

- Dépasser l’approche purement cognitive pour prendre en compte la dimension émotionnelle. Les opinions divergentes doivent pouvoir s’exprimer. L’idée est de favoriser le doute, voire le dilemme interne, qui permettra de modifier une position discriminatoire plus probablement que si on s’en tient à un conflit externe (entre soi et autrui).

- L’éducation contre le racisme ne doit pas se limiter à l’éducation contre certaines idéologies, elle doit permettre d’une part une évaluation critique de certaines pratiques, et d’autre part l’émergence d’une action pertinente. Soit pour les victimes : un espace d’écoute et de réappropriation (de l’expérience subie, de leurs ressources), pour les auteur-e-s : des limites claires, pour les témoins : l’acquisition d’une capacité de réaction.

Bien sûr, ces objectifs ne peuvent être atteints du jour au lendemain. Des interventions différenciées (visite d’un centre pour requérant-e-s d’asile avec une classe, jeu de rôle, débat d’idées, soirée-témoignages, etc.) sont utiles, chacune renforçant l’impact de l’autre. Après une première partie qui présente l’approche théorique, l’ouvrage de Monique Eckmann et Myriam Eser Davolio propose en détail plusieurs activités pour aborder la thématique du racisme. Un outil d’animation éclairant et très pratique !

* S. Fattebert, M. Ruegger, S. Salerno, Agents de la fonction publique aux prises avec la diversité culturelle : quelle formation en matière de prévention des discriminations ?, Service de lutte contre le racisme, Berne, 2005.

** Monique Eckmann, Myriam Eser Davolio, Pédagogie de l’antiracisme, IES éditions, Genève, 2002.

 

 

Regard sur la Suisse : rapport 2005 du Commissaire aux Droits de l’Homme

 

En janvier 2004, la Commission Européenne contre le Racisme et l’Intolérance (ECRI) rendait son rapport sur la Suisse. L’ECRI s’y déclarait préoccupée par un certain nombre de points, notamment les comportement de la police vis-à-vis des Noirs Africains, la péjoration du climat général à l’égard des étrangers, et le système d’admission binaire de la politique migratoire suisse (voir le CCSI-Info d’avril 2004).

A son tour, Alvaro Gil-Robles, Commissaire aux Droits de l’Homme pour le Conseil d
e l’Europe, vient de présenter ses conclusions suite à sa visite en terre helvétique*. Rien qu’en consultant la table des matières, on apprend déjà beaucoup : la grande partie du rapport concerne la politique d’asile, la politique migratoire, ainsi que le racisme et la xénophobie. C’est bien dans ses relations avec les étrangers que le bât blesse pour la Suisse ! Morceaux choisis :

- Le fait de pouvoir déclarer une personne “inadmissible sur le territoire suisse” dès son arrivée dans un aéroport est inacceptable, car cette mesure supprime l’opportunité de déposer une demande d’asile dans des circonstances adéquates et d’obtenir une décision susceptible de recours. La procédure est d’autant plus hasardeuse que le tri est parfois effectuer dès la sortie de l’avion…

- le même reproche est fait par rapport aux désormais fameuses Non Entrée en Matière (NEM) qui peuvent frapper des demandes d’asile “manifestement infondées”. Le Commissaire aux Droits de l’Homme relève que les critères permettant de décréter la NEM présentent des risques. S’il est connu que des requérant-e-s se présentent volontairement sans documents d’identité, comment faire le tri entre celles et ceux qui en ont fait une stratégie délibérée, et les personnes dépourvues de passeport suite à une confiscation dans leur pays ou à une fuite précipitée ? Parallèlement, la décision de ne pas examiner une demande sur le fond sous prétexte de contradictions dans le récit ne tient pas compte du fait que des requérant-e-s peuvent effectivement faire preuve d’incohérences dans leurs propos compte tenu du stress vécu dans le pays d’origine, allié à la peur de l’autorité lors des entretiens avec les fonctionnaires suisses. Indirectement, Alvaro Gil-Robles plaide pour un examen approfondi de chaque demande, afin d’éviter au maximum l’erreur d’appréciation.

- L’exclusion des personnes frappées de NEM de l’aide d’urgence est également dénoncée. Le Commissaire rejoint la position du Tribunal Fédéral à ce sujet.

- A propos des personnes séjournant en Suisse sans statut légal, le Commissaire rappelle qu’on est là face à une infraction par rapport à la législation, et non un crime ! Les pratiques dans certains cantons (suivre les enfants sans statut à la sortie de l’école…) ne respectent pas le principe de proportionnalité applicable en l’occurrence.

- Enfin, le Commissaire pointe du doigt la dégradation du climat politique et les tentatives de certains partis d’utiliser la xénophobie à des fins de propagande. Les exemples cités se rapportent à la campagne haineuse qui avait entouré les votations de 2004 sur la naturalisation facilitée.

On le voit, l’analyse d’Alvaro Gil-Robles rejoint celle des milieux de défense des migrant-e-s et requérant-e-s. Sans rencontrer hélas beaucoup plus d’échos auprès des autorités. Ainsi se défendent-elles par exemple de traiter de façon inhumaine les personnes dont la demande d’asile a fait l’objet d’une non-entrée en matière. Une affirmation que l’on voudrait bien croire mais qui ne correspond pas à certains événements (l’émission Temps Présent relatait notamment le cas de gens évacués en plein hiver des centres pour requérant-e-s d’asile ; les récalcitrant-e-s qui auraient voulu leur venir en aide en les laissant entrer dans ces centres pour la nuit se voyaient sermonnés et menacés !)

Quant aux Sans-Papiers, le gouvernement indique que “la solution adoptée par le Conseil Fédéral et le parlement ne prévoit pas d’amnistie générale, mais un examen individuel sérieux”. L’emploi de ce dernier adjectif est proprement scandaleux lorsqu’on sait que les demandes de permis humanitaires n’ont pratiquement plus aucune chance d’aboutir (voir notre édito)…

* Janvier 2004 : parution du 3ème rapport sur la Suisse de la Commission Européenne contre le Racisme et l’Intolérance

** Juin 2005 : parution du rapport de M. Alvaro GIL-ROBLES, Commissaire aux Droits de l’Homme pour le Conseil de l’Europe, sur sa visite en Suisse du 29 novembre au 3 décembre 2004. Texte sous http://www.coe.int/T/F/commissaire_…