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CCSI-Info février 2006

Publié le 28 février, 2006 dans

bulletin d’infos

février 2006

 

 

Édito

 

 

Quelle politique migratoire pour demain ?

Une intéressante étude* publiée par la Commission Mondiale sur les Migrations Internationales (CMMI, www.gcim.org) analyse un scénario provocateur : que se passerait-il si les contrôles aux frontières étaient supprimés et les personnes autorisées à se déplacer librement dans le monde ? Point de départ de l’étude : le paradoxe de la Déclaration Universelle des Droits Humains qui ne reconnaît comme droit fondamental que le droit à l’émigration et pas celui à l’immigration … L’étude examine la débauche de moyens mis actuellement en oeuvre pour renforcer le contrôle aux frontières et à l’intérieur des pays et constate l’inefficacité de ces mesures : il est impossible d’empêcher des personnes d’entrer dans un pays. Trois questionnements majeurs sur les politiques migratoires émergent de ces constats : 1) Sur leur cohérence : les Etats doivent-ils garder leur ligne dure d’un contrôle migratoire absolu malgré les preuves de leur échec ? 2) Sur leur durabilité : quelles réponses apporter à long terme au défi migratoire et à l’augmentation prévisible du nombre de personnes migrantes ? Ceci alors que les politiques actuelles sont réactives et donc peu prospectives face à l’évolution des flux migratoires. 3) Sur leur compatibilité avec les valeurs fondamentales démocratiques : comment concilier des mesures coercitives aux frontières (au coût humain élevé, avec des centaines, voire des milliers de morts chaque année pour la seule frontière méditerranéenne de l’Union européenne) sans remettre en cause les principes libéraux et de liberté chers aux démocraties ?

Un travail stimulant pour faire progresser le débat en Suisse, qui en reste à gérer le statut des étrangers d’un côté (Loi sur les étrangers), celui des requérants d’asile de l’autre (Loi sur l’asile) et à encourager timidement leur intégration (Loi fédérale sur l’intégration). Une approche plus ambitieuse telle une loi sur la migration avait en effet été écartée en 1996 par le Conseil fédéral « en raison de difficultés juridiques, législatives et politiques » (Message du Conseil fédéral concernant la LEtr, 2002). L’étude conclut que le scénario de migrations sans frontières représente un cadre cohérent et moralement défendable pour envisager les politiques migratoires sur le long terme : une option prioritaire pour embrasser plus globalement cette question dans notre pays et se doter d’une politique migratoire digne de ce nom.

Thierry Pellet

*Antoine Pécoud and Paul de Guchteneire, Migration without borders : an investigation into the free movement of people, in Global Migration Perspectives, Nb 27, April 2005, 29 p.

 

 

Pour une campagne référendaire efficace : abattre 10 préjugés sur l’asile

 

En pleine campagne référendaire contre la Loi sur les étrangers (LEtr) et sur l’asile (LAsi), nous reproduisons ci-dessous 10 réponses à des préjugés souvent entendus sur l’asile lors des discussions dans le cadre des récoltes de signatures. Ces arguments sont extraits de la brochure « Halte aux abus » (Vivre ensemble, Agora, 2005) et ont été actualisés par le conseiller national Ueli Leuenberger.

1. « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde » La grande majorité des réfugiés reste dans les pays proches de leur origine. Ainsi, en 2004, 36% étaient situés en Asie, 25% en Afrique et 25% en Europe (principalement dans les Balkans et l’Europe de l’Est).

2. « Tous les réfugiés sont des réfugiés économiques » La liste des pays des principales provenances des requérants d’asile en 2005 est édifiante : ce sont des pays où existent des troubles politiques, des guerres civiles ou des persécutions chassant hommes, femmes et enfants de leur foyer. Ces personnes doivent trouver un refuge !

Serbie-Monténégro 1506 Turquie 723 Somalie 485 Irak 468 Bulgarie 461 Géorgie 397 Russie 375 Bosnie-Herzégovine 301 Iran 291

3. « Il y a trop de réfugiés » Tous ensemble, réfugiés reconnus, personnes admises provisoirement et requérants d’asile ne représentent que 0,9% de la population Suisse.

4. « La Suisse est submergée par l’afflux de requérants d’asile » 10’061 demandes d’asile ont été déposées en 2005 et 14’248 en 2004. Ce chiffre n’a jamais été aussi bas depuis 1986.

5. « Plus de 90% des requérants d’asile sont des faux réfugiés » Ces dix dernières années, 35% des requérants d’asile ont été autorisés à rester en Suisse en raison du danger qu’ils courent dans leur pays, soit 8% avec un statut de réfugié et 27% avec une admission provisoire.

6. « Les migrants utilisent abusivement la filière de l’asile pour venir en Suisse » Lutter contre les abus implique une politique migratoire cohérente en Suisse et en Europe, la création de voies d’immigration régulières et contrôlées.

7. « Les requérants d’asile viennent en Suisse pour profiter de l’assistance » A Genève, un requérant d’asile seul reçoit par jour environ dix francs pour se nourrir et trois francs d’argent de poche.

8. « Les requérants d’asile reçoivent plus d’argent que les Suisses dans le besoin » En Suisse, le minimum vital est fixé à 960 francs par mois. L’assistance accordée aux requérants d’asile est de 50% inférieure à l’aide sociale versée aux Suisses dans le besoin.

9. « Quoi qu’on fasse, les requérants déboutés restent en Suisse » En 2005, l’Office fédéral des migrations a dénombré 13’879 renvois et départs (19’730 en 2004). Ce chiffre dépasse largement le nombre de demandes d’asile déposées pendant la même année, soit 10’061 (14’248 en 2004).

< span style="color: #000000;">10. « Les requérants d’asile sont des délinquants en puissance » Seule une petite minorité commet des infractions. La majorité des délits se produit durant la première année de séjour. Nombre de délits pourraient être évités par une véritable politique d’accueil et d’intégration.

 

 

La Tribune du CCSI

 

Le Centre de Contact Suisses-Immigrés a tenu la « vedette » dans la Tribune de Genève durant une semaine en occupant la rubrique « Ma Tribune ». Nous reproduisons ci-dessous les 5 articles publiés.

Pourquoi se geler les doigts de pieds?

100 jours. C’est le temps accordé pour réunir les 50’000 signatures nécessaires pour faire aboutir les deux référendums contre la loi sur les étrangers et la loi sur l’asile. Une course contre la montre lancée depuis le 27 décembre dernier. Deux lois aux serrements de vis tellement inacceptables que la mobilisation est très forte. A Genève, une coordination contre l’exclusion (www.stopexclusion.ch) regroupe plus de 30 partis, syndicats, églises et organisations pour faire échec à ces lois. Deux exemples : un requérant d’asile arrivé sans document d’identité ne verra pas sa demande prise en compte, quelle que soit son histoire. Inacceptable pour le pays dépositaire des Conventions de Genève. Et un enfant de 12 ans ne pourra plus rejoindre ses parents non européens venus travaillés en Suisse 5 ans après leur arrivée. Quel parent peut accepter une telle séparation ? De nombreux autres points de cet acabit poussent de nombreuses personnes à se geler les doigts de pieds pour récolter des signatures dans la rue en plein hiver. Une question de dignité humaine.

Par Thierry Pellet, responsable de l’information et des relations extérieures au CCSI. Il a auparavant travaillé sur les questions sociales et de développement durable.

 

Tous des abuseurs ?

Samedi matin, Marché aux puces. Saison hivernale pour une récolte de signatures des plus chaudes. Encore 62 jours pour faire aboutir les deux référendums contre la révision de la loi sur l’asile et la loi sur (contre ?!) les étrangers. Caleçons longs, chaussettes en laine, anorak brise-bise : me voici paré avec mes feuilles référendaires, un sous-main et un stylo.

Malgré le froid, accueil plutôt chaleureux des badauds… jusqu’au moment où patatra, le gros cliché, lâché par un citoyen, que l’on attendait, mais qui surprend toujours tellement la phrase est teintée de préjugés, de raccourcis et de généralités.

« Tous les étrangers abusent de la Suisse, cela suffit, qu’ils retournent chez eux ! »

« Les étrangers abusent dites-vous ? Les personnes qui pensent que les étrangers abusent sont bien souvent les mêmes qui pensent que les chômeurs abusent, que les handicapés abusent, que les personnes à l’assistance abusent. Vous ne croyez pas qu’en fin de compte, c’est M. Blocher qui abuse de nous en faisant croire que les étrangers sont toujours les responsables de tous nos problèmes de société ? »

Il n’a pas signé mais il est parti songeur…

Par Jean-Stephan Clerc, responsable administratif au CCSI. Il a auparavant travaillé 6 ans au Pérou dans des projets de développement.

 

Aborder 50 inconnus ?

Vous avez peut-être lu cette annonce dans la Tribune : « Etes-vous capable d’aborder 50 personnes dans la journée ? ». « Pas moi » m’étais-je dis. En ce samedi, je me retrouve au marché aux puces à récolter des signatures pour les référendums contre la loi sur l’asile et la loi sur les étrangers. Aborder 50 inconnus, c’est pour aujourd’hui…

Un tel bain de foule est l’occasion de se frotter à tous les avis. Trop souvent, j’entends des arguments basés sur des informations fausses : les requérants d’asile recevraient plus d’argent que les Suisses ou ils vivraient dans des appartements luxueux. Les statistiques officielles permettent de désarmer beaucoup de ces préjugés. Mais on sent parfois un fond de méfiance irréductible, au-delà des faits : la peur de « l’autre ». Une peur compréhensible, qu’un monde globalisé nous impose pourtant de dépasser pour reconnaître chez « l’autre » ses richesses. Pour cela, il faut accepter de laisser ses préjugés de côté et constater que mieux on connaît l’autre, plus il devient proche. Les Romands l’expérimentent avec les Suisses-allemands, les Genevois avec les Vaudois, pourquoi pas les Suisses avec les étrangers ?

T.P.

 

Berne, réveille-toi !

Vous aimez les maths ? Je vous propose une équation si évidente que notre gouvernement genevois l’a adoptée sans réserve.

Tout d’abord, notre économie a besoin de main d’oeuvre prête à être peu payée pour réaliser des tâches que plus personne ne veut faire (dans les secteurs de l’économie domestique notamment). Ensuite, nos lois sur le séjour des étrangers sont de plus en plus restrictives et les personnes voulant exécuter ces tâches ne peuvent entrer en Suisse légalement. Additionner les deux et vous obtenez une machine à fabriquer des personnes sans titre de séjour valable, obligées de vivre dans la clandestinité. Ils et elles seraient 100’000 en Suisse, dont 10’000 à Genève.

Une voie sans issue qui a poussé le Conseil d’Etat à demander à Berne la régularisation de 5’000 personnes actives dans l’économie domestique. La réponse de Berne est attendue prochainement. Le contexte politique actuel donne peu d’espoir pour une réponse positive. Pourtant, ces personnes continuent jour après jour dans l’ombre et la peur de garder nos enfants ou de faire notre ménage. La dignité et l’honnêteté nous imposent de leur offrir un permis de séjour. Genève l’a compris, quand donc Berne se réveillera-t-elle ?

T.P.

 

Kafka doit rester dans les livres Monsieur M. est arrivé en Suisse il y a 15 ans pour travailler. Seul, la famille le rejoindrait plus tard. Un accident de chantier le confronte à un vrai parcours du combattant et finalement les séquelles de son accident ne sont pas reconnues par l’assurance accident. Pas de rente et un rêve d’une vie meilleure qui s’éloigne et le pl
onge en dépression. L’assurance invalidité, elle, ne lui offre pas de réadaptation professionnelle car il ne maîtrise pas suffisamment le français et n’a pas de qualification professionnelle reconnue. Après dix ans d’attente ( !) et d’expertises, il obtient un quart de rente AI de 443.- fr. et doit retourner dans son pays.

Des histoires kafkaïennes comme celles-là, le Centre de Contact Suisses-Immigrés (CCSI) en entend beaucoup dans ses 4 permanences qui reçoivent des migrants et leur famille pour des questions de scolarisation d’enfants et de formation de jeunes sans statut légal, de droit de séjour et de regroupement familial, de petite enfance et de questions d’assurances sociales. Le CCSI oeuvre depuis plus de 30 ans à Genève pour une meilleure intégration des migrants et la reconnaissance de leurs droits. Avec l’espoir que les histoires kafkaïennes restent dans les livres.

Par Catherine Lack, responsable de la permanence “assurances sociales” au CCSI. Elle travaille sur les questions d’assurance invalidité et de migration depuis 10 ans.