Plaine de Plainpalais, samedi 9 décembre 2006. En cette veille de journée des droits humains, le Centre de Contact était présent, avec d’autres organisations et partis, au stand du Collectif de soutien aux Sans-Papiers. D’un côté, un pucier entouré de trésors sortis de quelque grenier (fauteuil velours, tableaux, appareils électroménagers et tourne-disque). De l’autre, la caravane à gourmandise (tchaï, café turc, thé à la menthe et autres gâteaux aux parfums d’ailleurs) que connaissent bien les amatrices et amateurs du marché. Une ambiance propice à la flânerie, encore accentuée par la présence du théâtre de rue Les Montreurs d’Images (associé à l’action de sensibilisation).
Un géant surplombe la foule : c’est un Christoph Blocher sur échasse, qui tempête contre un groupe de femmes terrées derrière un mur. Près des comédiennes, le Collectif de soutien distribue soupe et information. Il s’agit, en ce week-end de l’Escalade, de dénoncer l’exploitation des personnes sans statut. Exploitation politique, lorsque Blocher traite comme des hors-la-loi des travailleuses et travailleurs indispensables au bon fonctionnement de notre société. Exploitation économique, lorsqu’on leur donne des salaires de misère pour des horaires harassants. Sus, donc, à l’escalade de l’exploitation ! Il est temps de repousser Blocher, comme autrefois l’agresseur. Dans le sillage de la Mère Royaume, la soupe de la solidarité est la première arme de ce combat. Offerte aux passant-e-s, elle permet d’informer, de répondre aux interrogations, de réchauffer. De donner des tuyaux (« J’aurais une question à propos du permis de mon amie… »), d’écouter aussi : parmi les Sans-Papiers présent-e-s, deux travaillent en Suisse depuis 15 et 17 ans ! Et toujours pas de régularisation en vue…
Lors de son Comité de mai 2006, le Centre de Contact a réaffirmé comme priorité son soutien aux personnes sans statut. Le premier lieu de ce soutien, ce sont évidemment les permanences et leurs 3‘650 consultations (chiffres pour 2005), dont plus de la moitié concernent des Sans-Papiers. L’autre volet, c’est l’action politique. Pour ne pas céder au découragement dans un contexte de durcissement, il faut garder la mémoire vive des acquis, et rester offensif. Tout d’abord, des droits sociaux ont été conquis (scolarisation des enfants, accès aux soins). Loin de nous l’idée de nous contenter d’une société à plusieurs vitesses, mais il faut trouver dans les acquis la conviction que des progrès sont possibles. Sur le front des contrôles policiers et des expulsions, la situation genevoise est également bien meilleure qu’il y a cinq ans. D’ailleurs, qui, à cette époque, aurait parié que le Conseil d’Etat lui-même solliciterait un jour de Berne une demande de régularisation groupée ? Le signal reste fort même si la Confédération a jusqu’ici balayé cette demande.
Car c’est un fait : c’est au niveau national que se joue ce combat. Pour 2007, le Collectif de soutien aux Sans-Papiers de Genève cherchera à faire prendre conscience de la dimension du problème. Or chercher des idées dans ce sens, c’est déjà prendre la mesure des choses. En effet, si on décidait par exemple d’une action symbolique où chaque Sans-Papiers serait représenté-e par un pion, on ferait face à un problème de trésorerie. Car à dix centimes le petit pion, la facture atteindrait 10’000.- Francs au minimum (puisque même l’Office des Migrations admet qu’il y a au moins 90’000 Sans-Papiers en Suisse) ! Pour la santé de nos finances, il faudra trouver d’autres idées. Elles ne manquent pas, nous y reviendrons en temps voulu – un peu de suspense en fin d’année ne peut pas faire de mal… Très belles fêtes à chacun-e.
Marie Houriet
Dans le dernier CCSI-Info était insérée une feuille de référendum contre la 5ème révision de la Loi sur l’Assurance Invalidité (LAI). Nous vous invitons, si ce n’est déjà fait, à signer et à faire signer ce référendum – le délai court jusqu’au 15 janvier 2007. Si vous avez égaré la feuille, vous pouvez la télécharger sur www.referendum-lai.ch ou téléphoner à Cap-Contact (021/653.08.18).Dans ce numéro, nous développons les raisons pour lesquelles le Centre de Contact s’oppose à cette 5ème révision. Cette prise de position s’ancre dans la pratique puisqu’une des permanences s’occupe de l’accompagnement de personnes migrantes invalides à travers le dédale des assurances sociales.
Une révision de la LAI, c’est d’abord une armada de dispositions juridiques difficiles à saisir lorsqu’on n’est pas spécialiste du domaine. Sans entrer dans tout le détail de la révision, mentionnons ici quelques points qui ont pesé dans la balance au moment de notre prise de position :
Restriction de la notion d’invalidité et du droit à la rente de manière à réduire de 20% le nombre de nouvelles rentes. Cette mesure risque de toucher en premier lieu les personnes atteintes de troubles difficiles à quantifier objectivement (maladies psychiques, douleurs chroniques,…)
Naissance du droit à la rente retardé (6 mois après le dépôt de la demande). Une demande de rente peut être présentée après une incapacité de travail de 40% minimum durant un an. Si quelqu’un dans cette situation n’a que l’assurance perte de gain minimale, son salaire durant la maladie peut ne plus être versé après 3 semaines d’absence déjà. Entre ce moment et celui où la rente serait accordée, il n’y a rien d’autre à espérer que l’assistance publique… Les nouvelles dispositions prolongeraient cet « intermède » de 6 mois !
Allongement de la durée minimale de cotisations de 1 à 3 ans. Faire dépendre le droit aux prestations de la durée de cotisations est déjà contestable. En effet, ce droit devrait être uniquement lié aux besoins découlant de l’état de santé, et non de la contribution qu’on a apportée au système d’assurance sociale. La révision renforce pourtant cette logique.
Suppression de la possibilité d’exporter les prestations à l’étranger. Un-e migrant-e venu-e travailler en Suisse et qui deviendrait invalide ne pourrait plus rentrer au pa
ys sans perdre son droit aux prestations. Cette mesure frappe donc tout spécialement les étrangers. Or s’il y a proportionnellement plus d’étrangers bénéficiaires de rente AI que de Suisses, il faut souligner que leur taux d’activité professionnelle est plus élevé, qu’ils travaillent dans des secteurs plus exposés (construction par exemple), et que le niveau de leurs rentes est plus bas que pour les Suisses.
Détection précoce de cas AI potentiels. Cette idée n’est pas inintéressante dans le sens où elle vise à maintenir la personne en emploi en négociant des aménagements de son poste de travail (par exemple, ne plus porter du lourd en cas de problèmes de dos, ou être déchargé-e de certains dossiers lorsqu’on est au nord du burn out). Tout dépend évidemment de la façon dont les mesures sont appliquées (et l’actuelle obsession de combattre les abus n’incite pas à l’optimisme). Il est compréhensible qu’il n’y ait pas de contrainte pour l’employeur (chacun-e peut imaginer ce que signifierait l’obligation de garder quelqu’un ayant des troubles psychiques importants). Mais il ne doit pas non plus y avoir de pression sur l’employé-e (on imagine l’effet dévastateur de se voir intimer l’ordre de reprendre le travail en cas de surmenage, de mobbying, de harcèlement sexuel).
Priorité à la réinsertion professionnelle. Ce noble objectif est, sans doute, partagé par tous. Quoi de mieux en effet, après une incapacité de travail, que de reprendre pied dans le monde du travail ? Il n’est cependant plus acceptable de brandir la réinsertion comme la panacée alors que le marché de l’emploi est saturé. Depuis le début des années nonante en Suisse1, il n’y a plus assez de travail pour tout le monde, mais on refuse de le dire haut et fort et d’organiser la société en fonction de cette nouvelle donne. Au contraire, on cultive le discours sur les abus, dont on soupçonne les chômeurs, les invalides – et en particulier les personnes malades psychiquement, alors que ce même marché de l’emploi, toujours plus exigeant, est lui-même responsable de la mise à l’écart de toute une série de personnes. Si des invalides réintègrent le monde professionnel, bravo. Mais la réinsertion ne doit pas être utilisée par l’Etat comme une arme pour se dérober à ses obligations. Si l’on dit à un homme de 55 ans qui a passé sa vie sur les chantiers : « Vos douleurs de dos vous empêchent de poursuivre votre travail dans la construction, mais vous pourriez très bien être employé dans un bureau », ce n’est pas de la réinsertion, c’est de l’irresponsabilité. * On le voit, les modifications contenues dans la 5ème révision entraînent une baisse des prestations pour les bénéficiaires de l’AI, et rendent plus difficile le fait même d’obtenir une rente. Il n’y a là rien d’étonnant puisque tel est précisément le but poursuivi : économiser, de façon à enrayer le déficit colossal de l’AI (1.5 milliard en 2004, et une dette cumulée de 6 milliards). De prime abord, comment contester cet objectif ? Face à une telle situation financière, cela semble tomber sous le sens. Tout dépend pourtant du point de vue qu’on adopte, des priorités auxquelles on s’attache. Si on part du postulat (et c’est celui du CCSi) que l’AI est là pour garantir un revenu décent à des personnes atteintes dans leur santé physique ou psychique, de manière à ce qu’elles puissent vivre dignement, on perçoit l’incongruité des réformes proposées. Car la diminution des prestations attribuées ne va pas, évidemment, diminuer le nombre d’invalides… ni leurs besoins !
Baisser les prestations, c’est donc toucher au cœur du rôle de l’Assurance Invalidité. À moins, bien sûr, de penser que l’AI est trop généreuse, et qu’il y a donc lieu de donner moins. Ce point de vue est cependant difficilement soutenable. Pour exemple, une rente complète (supposant donc une invalidité à 100%) pour quelqu’un ayant droit à l’entier de cette rente (pour les étrangers, cela suppose d’avoir cotisé un certain laps de temps) se situe entre 1’050.-et 2’100.- Francs par mois (tout dépend du salaire moyen de la branche). À cela peut s’ajouter une rente mensuelle pour enfant équivalente à 40% de ce que perçoit le parent invalide. Est-ce le bout du monde, quand on sait que le salaire médian2 s’élève à 5’500.— Francs ? Est-ce trop demander que d’accorder entre la moitié et les deux tiers de ce salaire médian à des personnes que la vie a durement touchées, au point de ne plus pouvoir travailler ? Car c’est de cela qu’il s’agit . De gens comme vous et moi, actives, actifs, pleins de rêves et de projets, pour qui les choses se sont arrêtées brusquement suite à un cancer, une hernie qui dégénère en douleurs permanentes, un accident de la route, une dépression nerveuse, un épisode de schizophrénie.
À ces personnes dont la vie bascule et qui doivent faire face à la perte, partielle ou totale, de leur santé (et cela, dans la force de l’âge, avec le choc émotionnel que cela représente), on demande un effort supplémentaire pour rééquilibrer les comptes de l’AI. Et cela malgré le fait que leur situation demanderait parfois justement un revenu un peu plus confortable que Monsieur et Madame Tout le Monde : pour réaménager son appartement, équiper sa voiture ou se déplacer confortablement malgré un handicap, payer de temps à autre un-e accompagnant-e pour ne pas devoir renoncer à tout ce qu’on ne peut entreprendre seule sans pour autant mettre systématiquement à contribution son entourage proche (à la fois pour le ménager et par souci d’autonomie), etc.
Dans un des pays les plus riches du monde, où il y a chaque jour de nouveaux millionnaires, où la fortune des milliardaires s’est accrue en 2006, nous ne pouvons cautionner une loi qui économise sur le dos des personnes les plus vulnérables. C’est pourquoi le CCSI réitère son appel à soutenir le référendum.
Marie Houriet et Catherine Lack
Le 4 décembre dernier, une délégation du Centre de Contact a rencontré Laurent Moutinot, Président du Département des Institutions, et Mme Nadia Borowski, Secrétaire adjointe en charge du domaine Population et migration. A partir de sa pratique, en particulier celle de la permanence permis de séjour, le CCSI a interpellé le Conseiller d’Etat sur différents points :
Le regroupement familial devrait être accordé plus facilement, notamment en n’utilisant pas les critères du « logement convenable » pour faire obstacle au regroupement. Le CCSI s’occupe de nombreux enfants portugais pour leur inscription à l’école, parce que le regroupement familial n’est pas encore effectif et qu’ils sont donc considérés comme « sans statut » malgré l’entrée en vigueur des bilatérales. Pourtant, l’égalité de traitement prévue par les bilatérales devrait impliquer de ne plus examiner les critères de logement convenable et de revenu suffisant pour les ressortissant-e-s de l’Union Européenne, puisque les Suisses ont le droit de vivre en famille indépendamment de la taille de leur appartement et de leur revenu… De façon p
lus générale, le critère du « logement convenable » devrait être assoupli compte tenu de l’actuelle crise du logement.
En cas de mariage entre un-e Suisse (ou une personne étrangère au bénéfice d’un permis) et une personne sans statut, l’Administration réclame parfois le passeport de cette dernière avec un visa valable, ce qui contraint le Sans-Papiers à faire la demande de mariage depuis le pays d’origine. Il serait préférable de demander une simple attestation de domicile en Suisse, délivrée par l’OCP au moment où la demande de mariage est déposée.
Le renouvellement du permis pour les étudiant-e-s extra-européen-ne-s doit être possible même s’il y a une fois un changement de filière dans le parcours universitaire (cela d’autant plus que ces étudiant-e-s méconnaissent notre système, et ignorent la plupart du temps qu’ils ne peuvent pas, contrairement à leurs camarades suisses ou européens, changer de branche sans risquer de perdre leur autorisation de séjour). Par ailleurs, l’octroi des visa pour les étudiant-e-s en provenance d’Afrique doit être facilité (actuellement, les consulats de certains pays sont très restrictifs à cet égard). Enfin, le renouvellement des permis d’étudiant-e doit être rapide afin de ne pas prétériter les étudiant-e-s (dans l’attente du permis, il est difficile de trouver un travail ou de passer la frontière).
Le CCSI est préoccupé par l’application de la Loi sur le travail au noir, qui prévoit un échange d’information entre les assurances sociales et les autorités. Les personnes sans statut légal qui travaillent actuellement au gris risquent-elles d’être dénoncées ? Dans l’incertitude par rapport à ce point, nous n’osons pas, par exemple, conseiller aux personnes sans statut actives dans l’économie domestique de s’inscrire au chèque-service.
Le Canton va-t-il modifier sa pratique vis-à-vis des personnes sans statut, suite à l’adoption de la LEtr et de la LAsi (il existe actuellement un modus vivendi qui fait qu’il n’y a pas de « chasse aux Sans-Papiers ») ?
Le rapport du Conseil d’Etat à propos de l’évaluation de la Loi sur les Etrangers annonce, dans ses conclusions, l’intention du gouvernement de mettre l’accent sur les efforts à exiger des communautés étrangères en matière d’intégration. A cette occasion, le CCSI invite d’abord le gouvernement à poser de signaux positifs envers les migrant-e-s et à amorcer une vraie dynamique d’intégration.
Le Centre de Contact demande si le travail des îlotiers à Genève va être poursuivi / développé.
La rencontre a été l’occasion d’un échange ouvert et franc. Plusieurs de nos préoccupations sont partagées par Laurent Moutinot, que ce soit pour maintenir une continuité avec ce qui se fait déjà (travail des îlotiers, politique à l’égard des personnes sans statut) ou pour introduire des améliorations – notamment sur la question des permis d’étudiant.Une seconde rencontre est prévue d’ici quelques mois pour faire le point.