Actualités

CCSI-Info septembre 2007

Publié le 27 septembre, 2007 dans

bulletin d’infos

juillet 2007

 

 

Édito

 

Cet été, l’UDC s’est à nouveau illustrée par des campagnes de choc où les amalgames simplistes débouchent sur l’intolérance et le racisme. D’une part, la désormais fameuse affiche de l’initiative Pour le renvoi des criminels étrangers (où des moutons immaculés boutent un mouton noir hors de Suisse). D’autre part, une vidéo en vue des élections fédérales.

Véritable ramassis de clichés, la vidéo de l’UDC oppose le monde idéal version « Blocher au pays de Heidi » et l’enfer qui attendrait les Helvètes s’ils avaient le malheur de voter à gauche cet automne. D’un côté, lac, montagnes et pots de géraniums : un paradis avec des gens bien de chez nous (tous travailleurs assidus), de dynamiques cadres bien propres sur eux, les-banques-qui-ont-fait-notre-prospérité, et l’armée-qui-nous-protège-de-tous-les-dangers. De l’autre côté (forcément urbain-banlieusard) : des jeunes violents qui font régner la terreur à coups de tags, d’incivilités, de vols à la tire, de rackets, d’agressions sexuelles. Tout ça dans un environnement apocalyptique puisqu’habité par des étrangers, des handicapés, et pire : des femmes voilées ! Associer des mamans portant le foulard à l’enfer est non seulement scandaleux mais ridicule. Qui aurait l’idée saugrenue et insultante de peindre le diable sur la muraille sous les traits d’une religieuse en costume ? L’enfer n’est pas là où on croit, ni où l’UDC le dit. Il pousse sur le mépris, la calomnie et l’exclusion. C’est pourquoi le Centre de Contact a plaidé pour l’interdiction de cette vidéo – retirée depuis suite à la plainte déposée par les jeunes qui avaient participé à son tournage (semble-t-il sans avoir été informés qu’il s’agissait d’un clip de propagande pour l’UDC). Il n’empêche : retrait ou pas, quel coup de pub ! L’UDC s’insère parfaitement dans la logique médiatique actuelle (voir dans ce numéro le compte-rendu de l’université d’été que le CCSI a organisée sur ce thème). Présence offensive, discours qui sort de l’ordinaire, langage simple et symbolique, formules-choc, coups d’éclat, utilisation des faits divers, goût de la polarisation, intervenant-e-s charismatiques, création d’événements (lancement d’initiatives populaires) : tous les ingrédients d’une communication adaptée au système médiatique y sont. Ces ingrédients qu’on nous recommande d’utiliser davantage pour rompre avec l’image de candeur et d’ennui qui colle au monde associatif, selon les professionnel-le-s des média…

Pourtant, manifestement, il y a certaines armes qu’il nous est impossible d’utiliser, malgré leur efficacité. Ainsi, l’intégration est un processus complexe qui ne se laisse pas enfermer dans des slogans. De même les statistiques sur le chômage ou la criminalité, grand fond de commerce de l’UDC, demandent à être décortiquées, croisées avec d’autres données (tout spécialement la classe sociale) : bref, expliquées au public. Or le rejet actuel du journalisme dit « pédagogique » relègue l’analyse au profit de la confrontation brute (chaque partie balance chiffres et arguments, sans arbitrage du journaliste). Enfin et surtout, la tendance lourde à personnaliser les choses, à les traiter sous l’angle du spectacle et en fonction des événements (on évoque le réchauffement climatique à l’occasion des intempéries, ou la violence conjugale lors de la mort de Marie Trintignant) masque dangereusement la dimension structurelle de phénomènes comme la migration, l’état de l’environnement, les inégalités sociales, les rapports sociaux entre les sexes.

D’autres conseils, heureusement, peuvent être suivis et doivent guider nos stratégies. Nous y revenons en page 4. Bonne lecture !

Marie Houriet

 

 

Média et migration

 

Les 24 et 25 août derniers, le Centre de Contact a organisé sa traditionnelle université d’été, cette année sur le thème « média et migration ». L’occasion tout d’abord de faire un bref état des lieux avec Gaétan Clavien, sociologue et analyste des média, puis de plonger dans la logique interne des média grâce à l’intervention de Pierre-Louis Chantre, journaliste et consultant au Centre de Formation des Journalistes, qui a réalisé pour le CCSI une petite enquête auprès de ses collègues de divers média.

L’information médiatique, une construction (Gaétan Clavien)

On le sait, mais on l’oublie tant qu’il n’est pas inutile de le rappeler. Les média ne transmettent pas un reflet fidèle de la réalité sociale, « ils imposent ce qu’ils construisent dans l’espace public » (Patrick Charaudeau, « Le discours d’information médiatique », Paris, Nathan, 1997). Par exemple, les phénomènes migratoires, qui sont une problématique routinière, récurrente, sont traités par les média de façon événementielle (lors de votations, de faits divers). De même, les média adoptent volontiers une structure narrative dans le traitement de l’information. La question centrale est alors la suivante : « Quelle histoire peut-on raconter ? » – ce qui implique un début, un temps fort et un dénouement (voire plusieurs « épisodes » si on arrive à créer un « feuilleton »).

Cette logique inscrit d’emblée le traitement de la migration (comme d’autres sujets par ailleurs) dans un contexte émotionnel fort plutôt que dans une approche permettant distance et sérénité dans la réflexion. Si on y ajoute la thématisation très active de la migration par la droite populiste, qui impose un agenda que les média doivent reprendre, on comprend qu’on a affaire à un thème chaud.

Car du côté de la « production » de l’information (pour autant qu’il s’agisse d’un bien comparable à un produit industriel, ce qu’on peut évidemment remettre en question), la préoccupation n’est pas du tout liée à l’impact de l’information sur les « récepteurs » (celles et ceux qui lisent les journaux, écoutent la radio, regardent la TV ou pianotent sur le net). À la tête de l’entreprise médiatique, le souci est de mettre le produit à portée du plus grand nombre de personnes. Pour cela, on émet des hypothèses sur le public visé : les gens souhaitent davantage de polarisation, ne veulent plus qu’on leur dise ce qu’il faut penser, etc. Puis on construit en fonction de ces hypothèses. Prenons l’exemple des grandes émissions de débat de la télévision romande. On est passé de la « messe dominicale » qu’était Table ou
verte dans les années septante (face-à-face assez convivial de différentes personnes autour d’une table) à une sorte d’agora grecque avec Droit de Cité (disposition en arène avec de petits bureaux où les intervenant-e-s s’expriment debout) pour aboutir à l’actuelle émission Infrarouge et son dispositif en forme de « ring » favorisant l’affrontement. L’horaire de diffusion de ces débats a également évolué, puisqu’on est passé du dimanche matin à un jour de semaine en deuxième partie de soirée – avec l’ambition d’atteindre un public jeune et noctambule.

Dans l’analyse des média, il est difficile de dissocier la forme et le sens : mise en scène, éclairage, fond sonore, titres, photos, mise en page sont autant d’éléments à prendre en compte. L’ensemble des choix effectués participe à l’organisation du débat public (enjeu politique) en générant des représentations auprès des récepteurs, et donc en participant à la création de normes sociales (enjeu socioculturel).

Le monde des média vu de l’intérieur (Pierre-Louis Chantre)

Au-delà des choix délibérés évoqués ci-dessus, il y a des réalités dont on peine à prendre la mesure lorsqu’on se penche sur le monde média. Ainsi, la petitesse du bassin romand induit-elle des effectifs très restreint dans les différentes rédactions : 15 à 20 personnes (mais avec des contributions externes) pour Le Matin, 70 à 80 personnes à la Tribune de Genève et au Temps,

une vingtaine au Courrier, 25 à L’Hebdo, 140 pour l’ensemble du secteur information de la TSR : une paille en rapport aux 340 journalistes du Monde (330 pour Le Figaro). Et que dire en comparaison du New York Times et ses 1200 journalistes ?!

Dans ce contexte romand « lilliputien », il n’y a pas de poste de titreur, c’est le journaliste qui propose (et dispose d’un temps très réduit pour cela), alors même que les titres, les chapeaux, les légendes de photos ont un impact important. Idem pour le choix d’un sujet en séance rédaction (moins d’une minute par proposition) et une éventuelle enquête (si on va plus loin que la simple reprise d’une dépêche d’agence de presse) : une petite demi-heure à tout casser pour réunir de la documentation et/ou trouver des interlocuteurs ! Ceci sans parler d’aller sur le terrain, chose de plus en plus difficile compte tenu des délais à tenir. Le tout se joue dans un contexte de stress et de concurrence – gare à celui ou celle qui n’arrive que trop rarement à faire passer un sujet auprès de sa rédaction en chef (elle-même devant rendre des comptes au Conseil d’administration, responsable à son tour devant le groupe de presse propriétaire du média…) Bien plus qu’une intentionnalité idéologique des journalistes, les contraintes imposées par ce système influent sur le discours produit, que ce soit sur la migration ou tout autre sujet.

Le rejet du « journalisme pédagogique » Par contre, ce qui relève d’un choix clair, c’est l’actuelle tendance majoritaire qui consiste à rejeter le journalisme dit pédagogique ou professoral – entendez par là une forme de journalisme qui se donne pour ambition « d’éclairer », d’expliquer le monde. Partant de l’hypothèse que « les gens ne veulent pas ça, ils sont assez grands pour penser par eux-mêmes », on se borne à « exposer », à « donner à voir » le monde, sans forcément l’analyser. Les sujets sont développés en fonction du sentiment supposé du public, de l’air du temps, des préoccupations, de l’humeur ambiante. On livre les choses en vrac, éventuellement en juxtaposant des opinions divergentes (entre lesquelles le journaliste se garde bien de trancher), la confrontation étant considérée comme éclairante. Au lecteur, à l’auditrice, au téléspectateur, à l’internaute, de faire le tri et de se forger un avis…

Critères de sélection des sujets Une fois ce cadre posé, quels sont les critères qui font que l’on va retenir un sujet plutôt qu’un autre ? Le premier critère pris en considération est sans aucun doute l’actualité d’un sujet. Il est plus facile de rappeler la position d’une association comme le CCSI juste après le renvoi d’une personne sans statut qui aurait touché la population locale (c’est-à-dire en lien avec un événement particulier) que de le faire hors de tout contexte (quand bien même la problématique garde tout son sens…). L’actualité, c’est non seulement ce qui se produit maintenant, mais aussi ce qui est nouveau. Quel que soit le thème abordé, les journalistes craignent la répétition, et sont à l’affût du neuf (comment parler de la rentrée scolaire sous un angle inédit ?). Là encore, cette logique ne simplifie pas la tâche des organisations qui travaillent sur le long terme, dans des problématiques récurrentes. À côté de ce critère d’actualité, on peut mentionner d’autres éléments qui vont influer sur le choix d’un thème : La proximité (géographique, chronologique, spécifique – tel sujet est proche du public visé). La représentativité – si un événement est considéré comme exemplaire aux yeux de l’opinion. Le fait de correspondre à l’identité du média – le fait divers correspond à l’identité d’un quotidien comme Le Matin, mais pas, sauf exception, à celle du Temps ou du Courrier. La faisabilité : la cérémonie de remise des Oscars aux Sans-Papiers n’a par exemple pas eu d’échos dans les média, étant organisée à Berne (donc loin !) un vendredi soir (difficile de déplacer les journalistes sur un tel créneau horaire). Le caractère jugé incontournable d’un sujet (une déclaration officielle de Blocher, un concert des Rolling Stones, l’été pourri, l’anniversaire de la mort de Lady Di, etc.) La fécondité d’un événement : peut-on faire plusieurs « papiers » autour du sujet (un article, une interview, une infographie), voire un feuilleton ?

Enfin, le potentiel dramatique d’un sujet, soit ce qui réunit les qualités d’un spectacle : ce qui choque ou émeut, ce qui peut être mis en scène, ce qui est l’objet de confrontation et/ou met en avant des « personnages » à qui s’identifier, etc.

Regard des média sur le monde associatif À évoquer ces critères, on mesure sans peine l’écart entre la logique médiatique courante et la ligne d’information d’associations telles que le Centre de Contact. D’ailleurs, ces média, comment perçoivent-ils les organisations de défense des migrant-e-s ? À cette question, posée sur notre suggestion par Pierre-Louis Chantre à différents journalistes, les réponses sont sans concession. Nos milieux sont perçus comme angéliques, trop naïfs, politiquement corrects, avec un discours parfaitement prévisible (donc ennuyeux), en décalage avec « le temps médiatique » (trop lent, pas relié à l’actualité) et ne s’adaptant pas aux règles du jeu (cas typique : un-e journaliste appelle pour avoir une position suite à un événement, et l’interlocuteur répond qu’il lui faut d’abord consulter le Comité de son association avant de se prononcer). Or les média attendent de nous disponibilité (…pas facile dans un milieu où le travail à temps partiel est très répandu !), régularité dans la communication, réactivité à l’actualité, concision et clarté dans les propos, exemples à l’appui du discours, inventivité et nouveauté (dans le ton, l’argumentation, les
événements organisés…).

Points d’attention, défis et réflexions pour le CCSI Sur tous ces points, il est clair que nous pouvons et avons à nous améliorer. Bien sûr, nous devons garder le souci de ne pas tomber dans la simplification. Surtout, nous ne pouvons éluder le devoir permanent de recadrer les débats, de remettre les choses dans leur contexte – rappeler par exemple que les autorités ne peuvent aborder la question de l’excision des migrantes en Suisse sans s’attaquer également aux autres atteintes à l’intégrité physique des femmes, notamment la violence conjugale et les abus sexuels. Mais rien ne nous défend d’avoir un numéro de portable à transmettre aux média. De tenir prêt un ou deux témoignages emblématiques. D’inviter des personnalités inédites à nos tables rondes. D’organiser celles-ci en lien avec des partenaires qui touchent un autre public que le nôtre. De mettre à contribution le talent d’artistes acquis à notre cause (le monde romand en regorge). D’interpeller en amont des journalistes lorsqu’ils préparent une émission dont le seul titre nous paraît biaisé. De nous proposer comme interlocuteurs en argumentant qu’il est bénéfique pour les média de diversifier leurs intervenant-e-s. De donner des « tuyaux » lorsque nous ne sommes pas à même de répondre nous-mêmes à une sollicitation. De tenir compte du calendrier médiatique (ne pas superposer deux événements). De penser aux horaires serrés des rédactions (une conférence de presse à 09h00 avec café-croissants au centre-ville aura plus de succès qu’à Meyrin en fin de journée). De lâcher le travail courant pour rebondir sur l’actualité, quitte à reporter à des jours meilleurs des tâches de « cuisine interne ». De chercher des formes innovantes pour faire connaître nos positions. De choisir les actions à mener en fonction d’objectifs clairement définis (veut-on faire venir les média ? impliquer les migrant-e-s ? resserrer les rangs entre militant-e-s ? proposer un débat tout public ? organiser une formation à l’attention de personnes qui connaissent déjà la problématique ? autant de projets dignes d’intérêt mais qui exigent des stratégies différenciées).

Vu sous cet angle, même si la logique médiatique est un terreau éminemment plus favorable à la droite populiste qu’aux organisations de défense des migrant-e-s, il y a des espaces à occuper et à conquérir. D’ailleurs, le fait que la plupart des professionnel-le-s des média ne soient pas en phase avec les thèses de l’UDC (et redoutent donc d’être accusé-e-s de faire le jeu de celle-ci) n’est pas le moindre de nos atouts. Ceci dit, le système médiatique n’est pas une bulle isolée. Il participe intrinsèquement aux rapports de forces en place dans notre monde. Noyer la réflexion de fond dans l’événementiel, remplacer l’analyse critique par la juxtaposition de faits bruts, individualiser des problématiques sociales, tout cela fait le jeu des pouvoirs (politiques et économiques) en place. Si les brèches existent, la tâche qui nous attend reste rude. Mais indispensable.

Marie Houriet