Actualités

CCSI-Info juillet 2008

Publié le 27 juillet, 2008 dans

bulletin d’infos

juillet 2008

 

 

Édito

 


L’Eurofoot, c’est édifiant. Tout a été parfaitement pensé. Plusieurs mois avant l’événement, il y a eu des campagnes pour apprendre aux Suisses à sourire (sic). Des messages d’accueil en différentes langues ont fleuri sur les devantures (à part quelques publicités, dont celles de Western Union pour les transferts de fonds au pays d’origine, l’affichage multilingue n’est pas encore monnaie courante).

Ca, c’est de l’accueil. On y a réfléchi sur les conditions propres à faciliter la vie des supporters comme des Genevois-es, les tuyaux à donner (quand partent les navettes gratuites, à quelle heure circulent les derniers trains spéciaux et les Noctambus, etc.)

Ce qui frappe, c’est la différence d’approche entre l’organisation d’un événement comme l’Euro 2008, et la manière dont on aborde habituellement la question de l’intégration des migrant-e-s. Bien sûr, il ne s’agit pas de la même chose. Dans un cas, il s’agit d’un événement festif ponctuel, avec un flux de touristes qui sont reparti-e-s au bout de trois semaines. Dans l’autre, il s’agit d’une réalité au long court puisqu’on parle de l’installation à long terme de personnes en Suisse.

Dans un cas, le visiteur ou la visiteuse est suffisamment argenté-e pour contribuer à la bonne marche des affaires locales. Dans l’autre cas aussi, et de façon bien plus décisive – mais il peut y avoir des exceptions. Dans un cas, il s’agit d’un hôte de passage. Dans l’autre, ce sont des gens qui passeront toute leur vie (ou du moins plusieurs années) au milieu de nous. Ce pays deviendra sans doute celui de leurs enfants.

Il devrait donc être encore plus important de bien accueillir les migrant-e-s que les fans du ballon rond. Pourtant, lorsqu’on entre dans le vif du sujet, que remarque-t-on ?

Dans les débats, par exemple à propos des contrats d’intégration, beaucoup de personnes (public, élu-e-s, acteurs du terrain) expriment la nécessité de rappeler aux nouveaux arrivants les « valeurs constitutionnelles ». Ce qui ne va pas sans poser quelques questions. Tout d’abord, ces fameuses valeurs, comment sont-elles définies ? Simple, me direz-vous : par le texte de la Constitution. Mais s’il ne s’agit que d’une approche juridique, pourquoi met-on presque systématiquement en avant le principe de l’égalité hommes / femmes (pourtant loin d’être acquise) et non celui du respect des minorités (valeur dont l’Helvétie aime à se prévaloir dans d’autres contextes, et qui a effectivement grandement guidé son organisation institutionnelle) ?

Difficile de ne pas y voir une allusion préventive aux manquements dont les migrant-e-s pourraient, présume-t-on, se rendre coupables. Ceci contribue à présenter des valeurs vers lesquelles on tend (et qui auraient pourtant bien besoin de faire l’objet d’un débat, tant elles peuvent être interprétées de façon différenciée) comme un patrimoine suisse de nature quasi ethnique.

Voilà qui est pour le moins problématique… mais guère surprenant dans un pays imbibé par la crainte de l’Uberfremdung, c’est-à-dire la peur que la présence de migrant-e-s sur son sol ne vienne altérer sa « nature profonde ». Cette sensation de menace, entretenue depuis des décennies, révèle le rapport étriqué d’une certaine Suisse avec sa propre identité, vécue comme une donnée « naturelle », immuable, qu’il faut à tout prix préserver. Inutile de préciser que cette façon de voir n’est pas la meilleure base pour développer des rapports de confiance et d’ouverture avec les étrangers…

Deuxième point récurrent : le besoin de dire aux migrant-e-s qu’il faut respecter la loi. Pourquoi cette piqûre de rappel, comme si on devenait amnésique en passant les frontières ? Le message tel quel a-t-il la moindre chance d’être efficace auprès de quelqu’un qui s’apprêterait à commettre un délit ? Clairement non. Alors, que vise-t-il, ou plutôt, qui ? Ne s’agit-il pas de donner des gages (« Voyez comme nous sommes fermes ») envers les personnes ou les partis qui voient dans chaque migrant-e un-e délinquant-e en puissance ?

Qu’on veuille rassurer est une chose (qui peut être remise en question, mais c’est un autre chapitre). Du moins faut-il alors assumer cette intention, et non le faire sous couvert d’accueil ou d’information destinée aux nouveaux arrivants. Car si l’objectif est véritablement d’informer les migrant-e-s de lois spécifiquement suisses, il faut réfléchir de façon tout à fait pragmatique et tenir un discours en conséquence. Il peut être utile en effet d’expliquer qu’une vignette est requise pour rouler sur l’autoroute, que des sièges spéciaux sont obligatoires pour transporter les enfants dans des voitures, que la consommation de cannabis est prohibée (un-e jeune qui verrait des copains fumer un pétard en pleine rue aurait du mal à s’y retrouver sans information précise), etc. etc. Tout est dans la perspective : qu’est-ce qui est nécessaire de savoir lorsqu’on arrive ? C’est très différent, on s’en rend compte à l’usage, d’un discours destiné à la société d’accueil.

Autre écueil courant : vouloir des migrant-e-s plus que parfaits. C’est un piège dans lequel tout le monde tombe un jour ou l’autre, et qui n’épargne pas les professionnel-le-s qui accompagnent les migrant-e-s : Pourquoi diable ne font-ils / elles pas ceci, ou cela ? etc. Dans la même veine, on prône aux migrant-e-s des comportements peut-être souhaitables (recourir à la médiation en cas de conflit, par exemple) mais qui ne sont pourtant pas majoritaires dans la population.

Le point d’orgue de cette logique est certainement l’injonction de s’intégrer. Récemment, dans un documentaire de la Radio Suisse Romande, une journaliste s’étonnait qu’une Colombienne vivant à Genève depuis neuf ans ne connaisse pas ses voisins-e-s. J’ai pensé à mon immeuble, où la petite taille des appartements donne lieu à une véritable valse de locataires, et où les échanges dépassent rarement le bonjour/bonsoir. Qu’aurait pensé la journaliste ?

C’est évidemment une bonne chose que de tisser des liens avec les gens du pays où l’on vit. Mais il n’est pas sûr que les Suisses soient des as de la conversation sur le palier de porte. Quiconque a fait l’expérience, comme Confédé
ré-e, du temps nécessaire pour réellement s’intégrer dans un autre canton (j’entends, jusqu’au moment où on se sent de ce nouvel endroit, où on y est reconnu-e) a une petite d’idée de la longueur du processus. Il n’y a qu’à observer le comportement grégaire des étudiant-e-s en provenance des régions non universitaires (qui se rencontrent gaiement entre Tessinois, Valaisans et autres Jurassiens) pour prendre la mesure du réflexe qu’ont les gens à se retrouver dans leur communauté d’origine lorsqu’ils sont dans un environnement inconnu. Autre exemple : la coopération au développement, haut lieu du « regroupement national » dans les pays lointains, et dont le touriste saluant un compatriote roulant sur la même autoroute n’est que la figure de proue. Alors, pourquoi être surpris que les migrant-e-s mettent du temps pour « prendre racine » (sans parler de celles et ceux qui ont pris racine et que la Suisse voudrait renvoyer chez eux faute de papiers) ?

…Mais revenons à l’Eurofoot ! Là encore, pas de cartons rouges à distribuer du point de vue des supporters. « Bienvenue à Genève », disaient les affiches et les panneaux-à-texte-qui-défile dans les trams, et personne n’a eu l’idée d’y ajouter des recommandations du style Veuillez ne pas jeter vos déchets par terre, ne sprayez pas le nom de votre équipe favorite sur les murs, ne klaxonnez pas trop longtemps après les matchs.

On est parti du principe que les supporters, dans leur grande majorité, agiraient avec bon sens. C’est dans ce sens qu’ont été rédigés les messages d’accueil, et c’est bien pour cela qu’ils ne regorgeaient pas d’interdits, de menaces. Aucun visiteur n’a dû signer un contrat de bonne conduite avant d’assister aux matchs, cela allait de soi. Pour les agités, on a prévu du sur mesure, toutes nationalités confondues. On a adapté les infrastructures, on a organisé la vie de la Cité autour d’une donnée nouvelle. Rien que des informations utiles, des tuyaux, pas de conseils ou de paternalisme. Si seulement on pouvait en prendre de la graine pour la politique d’intégration. Assumer enfin notre statut de pays d’immigration. Donner à chaque migrant-e un signal clair indiquant qu’il est attendu-e, pris-e en compte.

Marie Houriet

SI VOUS N’AVEZ PAS ENCORE PAYÉ VOTRE COTISATION ANNUELLE (60.— FRANCS), MERCI DE FAIRE VOTRE VERSEMENT – CCSI GENEVE CCP 12-21188-7

 

 

Regroupement familial des ascendant-e-s

 

Le 11 juin dernier, la Haute Ecole de Travail Social de Genève et l’Ecole d’Etudes Sociales et Pédagogiques de Lausanne organisaient un colloque interprofessionnel sur le thème « Regroupement familial des ascendants : enjeux et perspectives pour les interventions professionnelles ». Laetitia Carreras et Eva Kiss ont assisté à cette journée. Petit retour sur ce sujet, complété par les expériences de leurs permanences respectives.


Cadre légal : la brèche des bilatérales

Lorsqu’on évoque la question du regroupement familial des ascendant-e-s (comprenez : des parents), il n’est pas inutile de faire d’abord un bref rappel de la situation juridique. Celle-ci est assez complexe, car les possibilités dépendent non seulement de la nationalité des demandeurs (celles et ceux qui vivent déjà en Suisse avec un passeport rouge à croix blanche ou un permis valable) mais aussi de la nationalité et du lieu de vie du bénéficiaire (la personne qu’on cherche à faire venir).

Seuls des demandeurs suisses ou de l’Union Européenne (UE) ont la possibilité (nous verrons plus loin sous quelles conditions) de faire venir leurs parents ou ceux de leur conjoint. C’est là qu’intervient le premier bémol : cette règle ne vaut que si le parent est lui-même ressortissant-e de l’UE, ou s’il possède une autorisation de séjour durable dans un pays de l’UE. Impossible donc, même pour un Suisse, de faire venir sa belle-mère si celle-ci vit en Inde (ce serait différent si la belle-mère était établie de longue date en Angleterre). Une Allemande pourrait par contre envisager de demander un permis pour son père. Mais ensuite, que vérifierait l’Administration ?


Des conditions restrictives

Bien que paradoxale, la toute première condition à remplir est que le parent soit à la charge des enfants qui font la demande de regroupement, tout au moins partiellement. Cela peut aller d’une prise en charge complète à une contribution substantielle (paiement du loyer ou de l’assurance, aide financière régulière).

Prenons un exemple pour illustrer notre propos. Luigi est italien. Né en Suisse, il possède un permis C. Il est marié à Lucia, Colombienne, et tous deux vivent à Genève. La mère de Lucia vient aussi de Colombie, mais elle a vécu toutes ces dernières années en Espagne. Il serait théoriquement possible de demander un permis pour elle. C’est ce que souhaiterait Lucia, qui est enceinte et voudrait que sa mère retraitée vienne en Suisse pour voir grandir son bébé et l’aider. Le problème, c’est que le cadre juridique n’a pas été conçu pour assurer la venue de parents dits « aidants » mais uniquement de parents « à charge ». Lucia et Luigi n’entrent a priori pas dans ce cas de figure.

Deuxième écueil : alors que la maman de Lucia a une petite pension qui lui permettrait d’être tout juste autonome financièrement en Suisse (mais nous avons vu que les accords bilatéraux exigent une prise en charge par les enfants), Luigi et Lucia ont un budget plutôt serré. Non seulement il n’est guère sensé ni envisageable pour eux d’assurer une partie de l’entretien de la belle-mère, mais ils sont dans l’impossibilité de remplir une condition supplémentaire : la signature d’une garantie pour les frais de séjour éventuels à hauteur de 30’000.— francs !

Le couple aurait-il la possibilité de solliciter son entourage pour réunir cette somme ? Même si c’était le cas, le pari serait risqué. La mère de Lucia a beau être en pleine forme, si sa santé devait se détériorer brusquement et nécessiter un placement en EMS ou des soins à domicile conséquents, les frais non payés par l’assurance-maladie pourraient être très lourds.

On le voit, le regroupement familial des parents est encore loin d’être acquis. Et évidemment, on ne parle même pas des ressortissant-e-s des pays non membres de l’UE. Toujours dans notre exemple, si la mère de Lucia vivait encore à Bogota, la question d’une possible venue en Suisse ne se poserait même pas, hormis sous la forme de séjour temporaire avec un visa touristique.


Le cas des familles sans statut légal

Quid de la situation des femmes sans papiers qui font venir leur mère (les hommes ne représentent qu’une toute petite minorité des ascendants migrants), suite à la naissance d’un enfant par exemple ? C’est une situation qui risque de se multiplier. La mère est restée au pays, parfois plusieurs de ses enfants émigrent. Lorsqu’elle-même se retrouve seule, elle part à son tour, au risque d’être condamnée à la clandestinité. Souvent, elle aidera sa fille, soit en trouvant elle aussi un travail dans l’économie domestique, soit en gardant ses petits-enfants tandis que leur maman s’occupe de ceux des autres ou fait des ménages. Parfois, la grand-mère effectue un véritable « tournus » entre ses différents enfants répartis à travers le monde : trois mois ici, trois mois là…1

Il arrive aussi que l’on fasse venir un parent lorsqu’il n’est plus en mesure de vivre seul-e dans le pays d’origine. Le jour où la santé ne sera plus au rendez-vous, que se passera-t-il ? Même sans évoquer les EMS, certaines maladies chroniques nécessitent absolument une prise en charge par l’assurance-maladie. Si le droit de s’affilier existe, les primes sont chères. Que feront alors ces femmes, elles-mêmes sans statut légal depuis leur arrivée, avec d’un côté leurs propres enfants élevés en Suisse mais relégués dans une impasse professionnelle, et de l’autre une mère vieillissante qu’elles ne pourront pas faire soigner en cas de besoin ??

Pour l’instant, le problème est encore peu présent, mais ne nous y trompons pas. Les années passent vite, et d’émergente, la question deviendra vite brûlante. Le vieillissement de la population, beaucoup plus important qu’il y a quelques décennies, est un problème de société qui ne touche pas que les autochtones et les « établi-e-s », mais aussi les personnes sans statut. Même si leur projet initial est souvent une migration temporaire (épargner puis rentrer au pays), il est plus difficile qu’auparavant de le réaliser. Les rêves des Sans-Papiers se brisent non seulement sur la dureté de leurs conditions de travail mais sur l’absence d’une possible évolution de leur situation.


Un horizon chargé qui réclame une réflexion globale

Comme souvent, les personnes les plus précarisées sont révélatrices de failles qui risquent d’atteindre chacun-e de nous. Du côté des ressortissant-e-s de l’Union Européenne, en principe privilégié-e-s, on voit que le parcours pour faire venir un parent est semé d’embûches. Pour les chanceux qui décrochent le sésame du permis, reste à régler la question du logement. Là encore, on se débrouille comme on peut : du petit logement indépendant à la chambre dans l’appartement des enfants, en passant par le canapé-lit dans le salon, les solutions sont variées2. Les Suisses qui veulent déplacer un parent d’un canton à l’autre au moment de l’entrée en EMS peuvent également être confrontés à des difficultés inextricables.3 Nous ne pourrons pas échapper longtemps à une réflexion globale sur la question, même si l’obtention du permis de séjour pour les ascendant-e-s est encore une problématique peu présente par rapport à celle des regroupements familiaux « classiques ».


A VOS AGENDAS – MANIFESTATION

Dans le cadre de la semaine des migrant-e-s (8-14 septembre), une grande manifestation est organisée à Berne le samedi 13 septembre, pour défendre le « droit de rester ». Des informations suivront !