Un éditorial, c’est souvent une mosaïque d’informations ou d’impressions qu’il s’agit de relier par un fil rouge. Il se forme alors comme une toile d’araignée, une grille d’analyse des choses. Qu’y a-t-il dans mon butin pour ce numéro ? En premier lieu, une photo : un sandwich emballé sous vide, un Milky Way et une pomme. Cette image est tirée de l’exposition itinérante Urgence montrée dans le cadre de la semaine des migrant-e-s à Lausanne (photographies de Pierre-Yves Massot et Carine Roth). Il s’agit d’un repas pour les personnes qui vivent dans les centres d’aide d’urgence, dérisoire « nature morte » sur un large fond blanc qui souligne le côté chiche de cette collation. Il est vrai qu’il y a des domaines où on ne lésine pas sur… les restrictions. L’asile en est un : Eveline Widmer-Schlumpf a mis un terme à la possibilité de faire une demande d’asile depuis une ambassade suisse à l’étranger, la procédure étant trop coûteuse. Pour un des pays les plus riches du monde, il n’y a pas de petites économies. Après la photo, cette nouvelle est la deuxième perle que j’ai récoltée.
Mais tout cela date d’un autre temps (septembre), avant la crise financière dont tout le monde parle. Alors que les bourses dégringolent, les intervenant-e-s se succèdent. Je n’ai qu’une vision très partielle de ce qui se dit et s’écrit sur le sujet, mais je suis frappée de voir à quel point on est loin d’un changement de paradigme. Stabiliser le système, le moraliser (très mollement) : voilà le propos. Bien sûr, on ne peut pas tout changer du jour au lendemain, mais jusqu’à quand poursuivra-t-on dans la voie d’un capitalisme qui laisse tant de gens exsangues ? Le goût du risque entrepreneurial, c’est bon pour le coiffeur ou l’épicière du coin. Pour les grands, en cas de pépin, l’Etat est là. Le nouveau patron d’UBS a beau annoncer qu’il renonce à ses bonus pour 2008, quelque chose me dit que son salaire n’a pas grand’chose à voir avec celui de la personne qui vide ses poubelles le soir. Ni du boulanger qui a pétri son pain ou de l’infirmier qui le soignera dans ses vieux jours. Sans parler de l’agricultric qui a vendu le lait qu’il met dans son café, des cultivateurs qui ont récolté ce café, etc. Dormez, grandes gens, vous ne risquez rien. Tout au plus des débats pour discuter de critères destinés à diminuer l’opacité de vos mirobolantes rémunérations (entre 2004 et 2007, Marcel Ospel a gagné 44’000.— Francs par jour. Les seuls intérêts de cette somme représentent plus de 1’000.— Francs par jour). Vous êtes encore bien loin du sandwich et du Milky Way.
Pendant ce temps, vous et moi nous pestons. Nous enrageons. Mais publiquement, nous nous taisons. Le plus terrible depuis quelques semaines, c’est ce grand silence, ce blanc. Jusqu’à quand ? Et pourquoi ? A mi-chemin de mon édito, chère lectrice et cher lecteur, c’est ce vide qu’il me reste à vous soumettre. Comme le photographe autour du repas indécent réservé au NEM, je n’ai que du blanc pour illustrer l’étendue de l’absurdité : notre complicité.
Marie Houriet
Aide au retour pour les personnes sans statuts légal
Si le droit de rester [1] est une revendication fondamentale dans les milieux de défense des Sans-Papiers, il n’est pas sans intérêt de se pencher sur les aides à disposition de celles et ceux qui demandent à rentrer dans leur pays. A Genève, c’est la Croix-Rouge qui gère le Bureau d’aide au départ. Jusqu’en 2002, les bénéficiaires de cette aide relevaient exclusivement du domaine de l’asile. Le champ d’action s’est progressivement modifié puisqu’actuellement, les Sans-Papiers représentent la moitié des personnes qui font appel à la Croix-Rouge.
Bien qu’équivalent en termes quantitatifs, les réalités de ces deux catégories de bénéficiaires divergent. Dans la plupart des cas, les requérant-e-s partent contre leur gré. C’est l’Office Cantonal de la Population, lorsqu’elle leur signifie que leur demande d’asile est rejetée, qui les oriente vers le Bureau. Pour les Sans-Papiers en revanche, la démarche est souvent volontaire même si elle fait généralement suite à un événement imprévu : problème de santé, perte d’emploi, maladie grave d’une personne proche restée au pays,… La demande d’aide porte la plupart du temps sur l’achat du billet d’avion.
La Croix-Rouge entre donc en matière pour ces situations, tout en rappelant qu’une participation aux frais (du tiers à la moitié du prix) sera réclamée. Par ailleurs, la Croix-Rouge s’appuie sur certains critères pour accorder son aide :
La personne doit être là depuis un an au moins et pouvoir l’attester (factures de téléphone,…). Pour les séjours inférieurs à six mois, les gens sont orientés vers leur consulat – sans grand succès, les aides sont peu nombreuses et très lentes à être débloquées. Elle doit pouvoir expliquer comment elle a vécu depuis son arrivée, avec quel gain, et pourquoi (lorsque c’est le cas) celui-ci a été perdu. Les informations font l’objet de recoupements auprès d’institutions partenaires. Il y a également prise en charge lorsque la Croix-Rouge est en présence de personnes en grande vulnérabilité : handicapées, malades ou très âgées, ainsi que les victimes de la traite jusqu’à récemment (il existe maintenant un programme spécifique pour ces dernières).
La Croix-Rouge a pu assurer ces aides au retour grâce à un fonds issu d’un important don privé. Evidemment, celui-ci s’épuise au fil du temps, c’est pourquoi l’institution a adressé une proposition aux autorités, afin que le Can
ton verse une contribution financière.
Qu’en est-il d’aides en faveur d’éventuels projets de réinstallation ? Ceux-ci ne sont guère fréquents pour les Sans-Papiers, c’est davantage un outil utilisé pour appuyer le retour des requérant-e-s d’asile (pour des montants également plus importants). Malgré ces appuis, très peu d’entre eux souhaitent rentrer : la situation dans les pays d’origine est si difficile qu’on s’en sort toujours mieux à l’extérieur en envoyant de l’argent à la famille…
« Grandir sans statut et sans droits »
A l’occasion de la journée des Droits humains le 10 décembre prochain, le Collectif de soutien aux Sans-Papiers organise une projection du film d’Ingrid Wildi Los invisibles (35’). La séance sera suivie d’une discussion autour du thème « Comment grandir sans statut et sans droits ? », avec la participation d’Anne-Catherine Ménétrey (ancienne Conseillère nationale et Présidente d’Appartenances Vaud), Aldo Brina (permanent de l’Observatoire romand ODAE) et Lisa Weiler (coordinatrice de la Campagne pour les droits des enfants sans statut légal. Réservez votre soirée, le lieu et l’heure exacte suivront sous peu sur notre site www.ccsi.ch
[1] Slogan de la manifestation nationale du 13 septembre 2008 et mot d’ordre du mouvement « sans nous rien ne va plus »
La rentrée de la Permanence Ecole
Les « vacances de patates » sont l’occasion de faire un bilan de la rentrée scolaire 2008. Placée sous le signe de la réforme, celle-ci a vu l’entrée en fonction de 93 directrices et directeurs d’établissement au niveau primaire. En ce qui concerne l’inscription à l’école des enfants sans statut légal, le changement a eu un impact considérable puisque celle-ci est désormais faite précisément par les directeurs et directrices. Si le CCSI s’est félicité de voir l’Etat assumer cette nouvelle responsabilité dans la prise en charge des Sans-Papiers, il regrette que les directions d’établissement n’aient pas bénéficié d’une formation ad hoc pour cette nouvelle tâche. La mise en place précipitée de la réforme a en effet entraîné de nombreuses difficultés administratives pour nos consultant-e-s, avec à la clé un retard injustifiable dans l’entrée en classe pour certain-e-s enfants sans statut. Le Centre de Contact a alerté Charles Beer sur ce point et rappelle qu’une formation adéquate (y compris, plus largement, sur les questions interculturelles) est indispensable au bon fonctionnement de l’école dans une société plurielle.
Bref…
Pas de tribune pour l’UDC à l’Université
Le Centre de Contact a fait part de sa préoccupation au responsable de la formation continue sur le thème « Islam en Suisse : comment gérer méconnaissance et coexistence ? » organisée par l’Université de Fribourg. En effet, dans le cadre de cette formation, Oskar Freysinger a été invité comme intervenant. Extrait du courrier envoyé :
(…) on peut encore comprendre « qu’Oskar Freysinger soit sollicité sur ce thème par les média, puisqu’il se profile sur le sujet et est en ce sens un acteur de l’actualité. Mais à quel titre une Université l’invite-t-elle ? Quelles compétences a-t-il sur le sujet ? Car c’est bien là la question. L’invitez-vous en tant que citoyen ? En tant que politicien ? Mais pourquoi inviter le plus caricatural d’entre eux ? Vous ne pouvez ignorer que M. Freysinger utilise la thématique des étrangers à des fins électorales. Or en plein débat autour de la votation sur l’initiative des minarets, vous lui offrez une tribune, une légitimité. Il ne s’agit pas d’occulter les « sujets qui fâchent », mais de les aborder avec des personnes légitimées par le sérieux de leur argumentation et leurs compétences. »
Vers un véritable accès aux soins de base pour les patient-e-s allophones
Aux côtés d’autres associations, dont Appartenances s’est fait le porte-parole, le CCSI a appuyé une motion déposée par le Conseiller aux Etats Luc Recordon, qui reprend en partie une initiative parlementaire d’Anne-Catherine Ménétrey sur le même sujet (rejetée en plénum au mois de juin dernier).
La motion demande au Conseil Fédéral de « mettre en place un système permettant, lorsque cela est nécessaire dans les relations entre soignants et patients, l’intervention d’interprètes ou d’interprètes communautaires formés, et de régler le financement de ces prestations. Dans les assurances sociales, de même que dans le domaine judiciaire, le recours à des interprètes est reconnu et généralement financé par les pouvoirs publics. Ce besoin se fait également sentir dans le domaine de la santé (…) Les solutions ad hoc souvent utilisées consistant à faire appel aux proches ou au personnel des hôpitaux sont considérées comme inadéquates pour des raisons de compétences, de disponibilité ou de protection de l’intimité du patient (…)
Un système ordonné d’interprétariat est le seul à même d’assurer le consentement éclairé du patient et le secret médical. Il n’est pas acceptable de renoncer à l’interprétation lorsque la santé est en jeu alors qu’on reconnaît ce droit lorsque des valeurs moins essentielles sont en cause, notamment dans le domaine judiciaire. »
Rapport de l’Observatoire romand du Droit d’Asile et des Etrangers (ODAE)
Le 24 septembre 2006, un scrutin populaire entérinait l’acceptation de la Loi sur les Etrangers (LEtr) et de la Loi sur l’Asile (LAsi). Pourtant assommée par un résultat sans appel, la Coordination genevoise contre le racisme et la xénophobie, qui avait mené la campagne référendaire au niveau cantonal, ne s’est pas laissée abattre. Dans le sillage de son opposition aux nouvelles lois, elle créait un organe chargé d’en surveiller l’application – application qui, au moment de la votation, avait naturellement fait l’objet des promesses usuelles (bienveillance et bon sens seraient au rendez-vous…). Après de tenaces recherches de fonds, un permanent (Aldo Brina) était engagé. Aujourd’hui, la
structure cantonale est en passe de s’élargir au niveau romand, tandis que deux autres observatoires ont été créés en Suisse alémanique et au Tessin, tandis qu’une structure nationale est chargée de la coordination et du lobbying.
Deux ans après le verdict des urnes, l’Observatoire (ODAE) vient de présenter son premier rapport annuel. Après quelques mois d’activités, une quarantaine de situations ont été répertoriées et vérifiées Toutes démontrent ce que les opposant-e-s aux lois migratoires redoutaient : une politique migratoire dont l’objectif premier est de limiter l’immigration extra-européenne, au mépris de considérations humaines. Les titres des fiches (très bien faites et disponibles sur le site www.odae.ch) sont évocateurs :
« Il se sépare après 6 ans de mariage : l’ODM le renvoie ». « Pas de regroupement possible entre une mère et ses filles ». « Les autorités brisent la vie familiale d’une enfant suisse ». « Parce qu’elle se sépare d’un mari violent, l’ODM la renvoie ». « 20 mois de procédure pour obtenir un visa pour rendre visite à sa fille ». « Procédure à l’aéroport : 47 jours de rétention pour une fillette et sa mère ». « L’Office fédéral des Migrations disqualifie les mesures d’intégration genevoises ». « Le Tribunal Administratif Fédéral renvoie une jeune fille qui a passé son adolescence en Suisse ». « D’après la loi, grand’maman ne fait pas partie de la famille ». « Un père expulsé par vol spécial ».
Pas de doute, comme l’ODAE l’indiquait lors de sa conférence de presse, on a bien à faire à « une législation toujours plus stricte, une pratique toujours plus rigide ». Les extra-européens ne sont décidément pas les bienvenus… Face à ces durcissements hélas prévisibles, le travail de l’Observatoire est incontournable. Résistance politique, réquisitoire public mais aussi MEMOIRE de tant de vies méprisées par les lois : voilà ce dont il s’agit. Le CCSI est à la fois membre de l’ODAE en tant qu’association et collabore étroitement au recensement des cas par l’intermédiaire d’Eva Kiss, responsable de la permanence Permis. C’est pourquoi nous vous invitons à faire bon accueil à l’appel financier en faveur de l’Observatoire que vous trouverez dans ce numéro.
Un cas parmi d’autres traités au CCSI et relayé par l’Observatoire (extrait de la fiche 036 élaborée par l’ODAE)
« Juan », originaire du Pérou, arrive en Suisse en 2001 pour y suivre une formation HES en télécommunication à l’Ecole d’ingénieurs de Genève. Après des débuts difficiles, il obtient son diplôme d’ingénieur en télécommunication en janvier 2007. Souhaitant poursuivre sa formation par un master en informatique à la rentrée universitaire d’automne 2008, « Juan » suit depuis l’automne 2007 des cours préparatoires à l’Université de Genève. Il introduit auprès de l’Office cantonal de la population (OCP) une demande de renouvellement d’autorisation de séjour qui sera rejetée. L’OCP impartit un délai au 31 mars 2008 à « Juan » pour quitter le territoire suisse. À l’appui de sa décision, l’OCP ne considère que le but initial du séjour, selon l’art. 32a OLE, en l’occurrence l’obtention d’un diplôme d’ingénieur, est atteint, et que la durée du séjour de Juan (7 ans) pourrait remettre en cause son départ de Suisse à l’issue de sa formation. L’OCP lui reproche également de ne pas avoir respecté le programme de formation convenu (« Juan » a doublé sa première année.) et de ne pas avoir annoncé initialement son intention de chercher à obtenir un master. Un recours est déposé au niveau cantonal, dans lequel « Juan » explique qu’il ne souhaite rester qu’un an de plus, durée nécessaire pour l’obtention de son master qui serait décisif pour son avenir (…)
Que penser de l’exigence légale du respect du plan d’étude initial ? Ne devrait-elle pas pouvoir être appliquée avec un minimum de souplesse ? Combien d’étudiants suisses suivent fidèlement jusqu’au master un plan d’études qu’ils s’étaient fixé avant le début de leurs études ?