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CCSI-Info septembre 2009

Publié le 7 septembre, 2009 dans

bulletin d’infos

septembre 2009

 

Édito

 

Une des idées fondatrices du Centre de Contact, et qui reste aujourd’hui encore un de ses signes distinctifs majeurs, est de partir de sa pratique pour élaborer ou défendre des propositions qui dépassent le cas individuel et visent à dessiner un nouveau cadre, structurellement plus adéquat.

 

Les quatre permanences du CCSI sont au cœur de ce processus. C’est à partir des difficultés rencontrées par les consultant-e-s qui y viennent quotidiennement qu’ont été forgées les principales revendications du CCSI : une politique migratoire ouverte et non discriminatoire (et, en attendant, une modification de la Loi sur les Etrangers pour protéger les migrantes victimes de violences conjugales), une responsabilisation accrue de l’Etat autour des questions d’intégration dans le contexte multiculturel qui est le nôtre, des droits politiques élargis pour les étrangères et étrangers, la naturalisation facilitée, le droit à l’éducation et à la formation pour les enfants et les jeunes sans statut légal, la régularisation collective des Sans-Papiers, la mise en valeur des langues et cultures des communautés migrantes, une politique sociale qui assure à chacun-e de vivre dans la dignité, etc.

 

Sur ce dernier point, pourtant crucial en période de crise, le CCSI peine à se faire entendre. Face à la multiplication du nombre de personnes en difficulté, le discours ambiant ne semble pas prendre la bonne direction. « On ne peut tout de même pas aider les gens indéfiniment », tel est le leit-motiv auquel nous sommes de plus en plus souvent confrontés. Cette approche n’est pas l’apanage de nos adversaires politiques habituels. De plus en plus, elle gagne du terrain auprès de décideurs qui jugent nécessaire de ne pas maintenir les gens dans l’assistance et appellent à engager les bénéficiaires de l’aide sociale dans une dynamique de « partenariat », en faisant davantage appel aux « ressources des personnes qui sont dans le besoin».

 

Cette perspective a tout pour séduire, et si notre propos n’est pas ici de faire un procès d’intentions à celles et ceux qui la défendent, il est du devoir du CCSI de faire entendre une voix critique. Bien sûr, le fait que des personnes doivent être aidées à très long terme n’est pas optimal, que ce soit pour elles-mêmes ou pour les professionnel-le-s qui les accompagnent sans pouvoir leur proposer de véritables solutions. Mais couper ou diminuer l’aide octroyée n’améliorera en rien leur situation.

 

Le monde d’aujourd’hui n’est pas en mesure d’offrir à chaque homme et à chaque femme un travail digne. Tant que cette donnée structurelle n’aura pas évolué, il est impératif de ne pas faire porter aux personnes déjà précarisées la responsabilité de leur état. Or c’est bien ce qui se passe lorsqu’on envisage de lier l’octroi de prestations (subvention, allocation, rente, aide sociale, don en espèce ou en nature,…) à la capacité qu’auraient les bénéficiaires d’élaborer un projet de réinsertion.

 

Notre société ne parvient hélas pas à absorber l’ensemble de celles et ceux qui y cherchent une place. Bien que nous peinions à en prendre acte, cela vaut pour les Suisses comme pour les migrant-e-s, pour les travailleuses et travailleurs qualifié-e-s comme pour celles et ceux qui n’ont pas de formation particulière.

 

Si ce contexte représente un défi pour le travail social, il ne doit pas être résolu au détriment des personnes jetées en marge du système, mais bien au contraire servir à une remise en question de ce dernier. On retrouve ici la dimension politique que le CCSI a intégrée dans son travail depuis ses débuts : une approche visionnaire qui garde toute sa pertinence.

 

Marie Houriet

 

Votations du 29 novembre

Initiative anti-minarets

 

Le 29 novembre prochain aura lieu la votation sur l’initiative contre les minarets. Le texte de cette initiative est lapidaire dans sa simplicité, puisqu’il demande de compléter l’art. 72 de la Constitution (qui règle les rapports Eglise / Etat) par la disposition suivante : « La construction de minarets est interdite ». A l’origine de cette initiative, un groupe de personnes dont bon nombre sont issues des rangs de l’UDC. Quels sont leurs arguments ?

 

A en croire Oskar Freysinger dans un virulent exposé intitulé Les phares du djihad1, le minaret est loin d’être un simple édifice religieux. Il s’agirait du symbole, non pas d’une religion, mais d’un pouvoir politico-religieux que les musulman-e-s tenteraient d’imposer, le symbole d’une soumission religieuse absolue et de l’intolérance que cela implique envers les croyant-e-s d’autres obédiences. En ce sens, les minarets menaceraient la paix religieuse en Suisse (que la Confédération et les cantons sont tenus de
défendre selon l’art. 72 de la Constitution) : c’est pourquoi leur interdiction servirait
in fine la cohabitation harmonieuse entre communautés.

 

Mais au-delà de cette interprétation « guerrière » du rôle des minarets, la rhétorique des auteurs de l’initiative a des relents profondément islamophobes, comme par exemple lorsque le tract pour la récolte de signatures affirme : « Le minaret exprime la volonté d’imposer un pouvoir politico-religieux selon la devise Nous sommes là et nous ne partirons pas ». Intéressant que cette « devise » soit dénoncée par les initiants : attend-on des musulman-e-s qu’ils partent ? Pourquoi ? Et partir où ?

 

Ici émerge une autre caractéristique du débat. On parle toujours des musulman-e-s comme d’étrangères et d’étrangers, alors que 12% sont Suisses. Mais le rappeler est gênant, car cela met à mal le seul visage que les partisans de l’initiative veulent donner à l’islam : celui d’une religion et d’une culture incompatibles avec les « valeurs helvétiques ». Ainsi l’islam est-il associé systématiquement au fondamentalisme et au terrorisme, à la négation de la démocratie et des droits fondamentaux, aux mariages forcés et à l’excision2, à la burqa, etc.

 

L’avis de Stéphane Lathion, Président du Groupe de Recherche sur l’Islam en Suisse (GRIS)

Que pensez-vous de l’argument avancé par les initiants selon lequel le minaret n’est pas  un « simple » symbole religieux, mais le symbole d’un  pouvoir politico-religieux, qui de plus revendique une exclusivité religieuse (et donc intolérant aux autres religions), dans un esprit de conquête et de guerre sainte ?Comme le clocher d’une église ou d’une cathédrale, le minaret est d’abord fonctionnel. Il permet de se situer dans l’espace, de s’orienter en direction de son lieu de culte. En ce sens, oui, il est symbolique et, forcément, visible. Ensuite, le minaret, comme les cloches chrétiennes, permet l’appel à la prière du muezzin pour les fidèles. Fonction communicatrice et, oui, symbolique d’une présence.
Il est indéniable que, au cours de l’histoire, des gouvernements ont utilisé le minaret pour symboliser le pouvoir politico-religieux de leur régime… oui, mais de là à n’y voir que l’expression d’une revendication à l’exclusivité religieuse dans un esprit de conquête, cela me paraît exagéré, de l’ordre du fantasme. Il nous suffit d’observer l’évolution de l’architecture islamique, que ce soit dans la construction des lieux de culte en Europe ou dans le monde musulman, pour s’en convaincre. Les dynamiques de l’architecture sacrée, quelle soit musulmane ou chrétienne, sont bien réelles et reflètent autant l’évolution des communautés que la réalité des contextes de vie.

 

Les initiant-e-s l’admettent : derrière la question du minaret, c’est celle de l’islamisation de la société qui est posée. Et dans leur esprit, l’islamisation a forcément une connotation extrémiste – alors que la notion d’évangélisation propre aux Églises chrétiennes, par exemple, n’a pas du tout la même résonnance. En ce sens, cet échange épinglé sur le net est symptomatique : lorsque un internaute suggère que les églises aussi sont des symboles de pouvoir puisque toutes les religions ont la volonté d’exercer une influence dans un certain sens moral et social, la réponse fuse : « Oui, mais l’immense majorité des Chrétiens occidentaux ont intégré les valeurs démocratiques (ce qui n’est pas le cas d’assez nombreux Musulmans, même en Occident). »3

 

Nous y voilà. L’essence de l’islam en ferait une religion différente des autres. Les musulman-e-s (catégorie présentée comme homogène malgré la grande diversité de nationalités, cultures et tendances qui caractérise les diverses communautés) seraient trop différents pour une cohabitation en bonne harmonie. En un mot : inassimilables. Par nature.

 

On retrouve ici l’essentialisme caractéristique qui fait le socle de la xénophobie et du racisme, en décrétant que certain-e-s sont aptes à la démocratie et à l’égalité hommes/femmes, d’autres non. De cet autre si différent, il faut se défendre, car sa proximité (pire, sa prolifération !) pourrait anéantir la fragile identité suisse – dont les contours, aussi opaques que dans la propagande des années Schwarzenbach, sont toujours aussi utiles pour faire ressurgir le spectre de la barque pleine.

 

L’islam en Suisse : quelques chiffres
– L’islam est la troisième religion en Suisse.– On estime à environ 350’000 le nombre de musulman-e-s en Suisse (310’000 lors du recensement en l’an 2000). La moitié d’entre eux ont moins de 25 ans, c’est donc une communauté jeune qui a été scolarisée et socialisée en Suisse.– 89% des musulman-e-s sont originaires d’Europe, la majorité venant de Turquie et d’ex- Yougoslavie. 12% ont la nationalité suisse.
– Comme dans d’autres religions, seule une minorité de personnes s’affirment pratiquantes (15%).
– y a aujourd’hui 4 minarets en Suisse. Le premier a été construit à Zurich en 1963.Il

 

Face au retour des vieux démons, rappelons-nous les polémiques qui ont entouré les arrivants d’Italie, d’Espagne, du Portugal, de Turquie, du Sri Lanka. Tous ces gens venus de loin, de plus en plus loin, et que l’Helvétie a si bien absorbés à l’insu de son plein gré. Pensons
aux clochers catholiques, dont le canton de Vaud avait interdit la construction en 1810 pour se prémunir contre
« le caractère autoritaire et passéiste d’une religion qui ne respecterait pas la liberté individuelle »4. Rien de bien neuf, en somme.

 

Une campagne à risques

 

L’initiative anti-minarets est largement combattue. Tous les partis qui se sont prononcés (l’UDC le fera seulement en octobre) s’y sont opposés. La Fédération des Eglises Protestantes de Suisse, l’Eglise catholique romaine, l’Eglise catholique chrétienne, la Fédération des Communautés Israélites de Suisse et la Plateforme des Juifs Libéraux de Suisse ont clairement pris position, voire même demandé que l’initiative soit invalidée. Les milieux économiques craignent un impact négatif sur le tourisme et l’exportation.

 

En principe, l’initiative ne devrait donc pas passer. Mais la campagne donnera à nouveau une tribune où seront ressassés des arguments simplistes, elle jettera le discrédit sur des communautés, elle blessera. L’an dernier, une journaliste turque établie depuis longtemps en Suisse témoignait du changement de climat après le 11 septembre 2001. Avant, disait-elle en substance, on ne lui posait pas de question en lien avec sa religion, c’était éventuellement sa nationalité qui définissait son identité. Aujourd’hui, on ne cesse de lui demander si elle est musulmane, pratiquante ou non, sans même avoir conscience que ces interrogations peuvent être intrusives. Avez-vous l’habitude de discuter de vos convictions spirituelles et existentielles (religieuses ou non) avec quelqu’un que vous venez à peine de rencontrer ? Auriez-vous envie de devoir vous justifier à ce sujet ? C’est à cette réalité que se heurtent les musulman-e-s. Sous le feu de questions qui cherchent à cerner leur degré d’intégration, comment ne pas justement sentir grandir sa différence ? C’est tout le paradoxe.

 

Question à Albana Krasniqi, coordinatrice de l’Université Populaire Albanaise à Genève

Comment l’initiative anti-minarets est-elle reçue dans la communauté albanaise ? Souvent montrée du doigt, se sent-elle encore davantage stigmatisée ? Est-ce que l’initiative irrite, blesse, inquiète ?
La question est peu débattue à l’UPA. La communauté albanaise se sent peu concernée car elle compte assez peu de pratiquant-e-s. Comme vous le relevez, cette communauté est souvent stigmatisée; elle ne souhaite donc pas prendre position, même si, éthiquement parlant, le principe de l’initiative choque. Nous préférons canaliser nos énergies sur des causes qui nous sont plus proches.

 

A vos blogs, à vos plumes !

 

Dès lors, quelle stratégie adopter ? Claude Longchamps, directeur de l’institut de sondage gfs (spécialisé sur les votations) indiquait l’an dernier, lors d’une formation organisée par Amnesty International, que les initiatives engrangent généralement un maximum de voix favorables en début de campagne – ensuite, ce sont les adversaires qui marquent des points. Toujours selon lui, il faudrait non pas remettre en question la légitimité des questions posées dans les initiatives, mais démontrer à l’électorat que la réponse proposée n’est pas adéquate. Pour les milieux de défense des migrant-e-s, l’arme est à double tranchant. Bien sûr il y a l’enjeu stratégique de gagner la votation, avec le meilleur score possible. Mais ce type de votation offre de larges plate-formes d’expression aux attaques contre les étrangères et étrangers. Ne faut-il dès lors pas saisir l’occasion pour démonter et dénoncer les mécanismes xénophobes sous-jacents au débat ? C’est ce qui peut être fait dans les prises de position officielles ou dans les média. Ce sera sans doute d’autant plus nécessaire que plusieurs partis ont semble-t-il choisi le profil bas pour ne pas provoquer de vote négatif en réaction à un discours qui pourrait être perçu comme moralisateur. Si ce choix peut se comprendre en termes tactiques, il n’a de sens que parce que nous évoluons dans un contexte général où ces mêmes partis ne font pas de la défense d’une société pluriculturelle une priorité politique. Il appartiendra aux milieux de défense des migrant-e-s de les interpeller ultérieurement sur cette responsabilité, et de revendiquer, en dehors du contexte risqué d’une votation, que ces partis comme l’Etat osent affirmer que la multiculturalité est une réalité incontournable, qu’il faut apprendre à l’organiser et à la vivre positivement.

 

En attendant, nous sommes en présence d’un de ces sujets où risquent de s’affirmer dans l’urne des avis qui n’osent s’exprimer tout à fait ouvertement. Et pas dans un sens positif. C’est hélas perceptible en glânant des réactions et opinions abritées derrière les pseudonymes des sites internet. Il nous faut donc élargir notre travail de conviction au champ électronique. Les journalistes n’aiment guère les prises de positions institutionnelles. Faire publier une position associative dans plusieurs journaux est donc déjà une gageure. C’est pourquoi les prises de paroles individuelles pèseront lourds, que ce soit sur les blogs ou dans les courriers de lecteurs. N’hésitez pas à vous lancer dans le débat !

1www.minarets.ch

2Alors que ces deux phénomènes ne sont en rien l’apanage de cette religion

3Réaction sur le site www.lemonde.fr suite à un article du Monde du 6 août 2009 au sujet de la votation.

4Selon Bernard Reymond, pasteur et Professeur hon
oraire à l’Université de Lausanne, cité par Christiane Imsand dans le journal
L’Express du 7 août 2009. L’interdiction des clochers fut abrogée en 1878.