Actualités

CCSI-Info janvier 2010

Publié le 17 janvier, 2010 dans

bulletin d’infos

janvier 2010

Édito

Outre les bulles de champagne du Nouvel-An, difficile de ne pas commencer l’année par une sacrée gueule de bois. La terre a tremblé en Haïti, le sommet de Copenhague n’a pas répondu aux besoins de l’environnement – deux événements qui ne seront pas sans conséquence sur le plan migratoire. Les bonus reprennent l’ascenseur, la crise accroît la précarité des Sans-Papiers (p. 2 et 3) alors que les milieux de défense des migrant-e-s cherchent toujours comment mieux se faire entendre (page 4). Sans compter les ratonnades italiennes ou le récent renvoi par le canton de Vaud d’un requérant mineur, accords de Dublin obligent. En y ajoutant le vote du 29 novembre sur les minarets, on dirait volontiers que la coupe est pleine si ce n’était pas le cas depuis longtemps.

Les échos de cette votation n’ont pas fini de résonner. Il importe donc de dire ici encore une fois à quel point ce résultat heurte tous ses opposant-e-s. Il faut prendre la mesure de la blessure et de l’humiliation infligées aux communautés musulmanes, qui ont servi de déversoir à une propagande effrénée. Quelques réflexions à ce propos :

– La plupart des acteurs politiques (partis, syndicats, associations) se sont trop peu engagés.

– Quelques féministes, notamment en Suisse alémanique, ont soutenu l’initiative. La question de l’égalité hommes/femmes doit plus que jamais être abordée fermement mais avec prudence pour ne pas servir de levier à la discrimination.

– Certains milieux se sont désintéressés du scrutin en le réduisant à sa composante « religieuse ». Ce réflexe laïque n’est pas sans rappeler l’affaire Dreyfuss autrefois, lorsque la gauche s’est divisée sur l’opportunité de défendre un Juif (qui plus est, capitaine de l’armée) face au complot politique et à l’erreur judiciaire dont il était victime.

Surtout, le climat délétère qui entoure la réflexion autour de la présence de l’islam dans nos sociétés a joué un rôle majeur. Dans ce sens, les innombrables commentaires sur la fracture entre la classe politique ou les média et « le peuple » font fausse route. Car si les grands partis ont combattu l’initiative (trop mollement), si les média ont fait un bon travail explicatif, deux mois de campagne ne suffisent pas à effacer les ravages d’un discours remâché depuis le 11 septembre 2001, et qui a littéralement créé le « problème musulman » dans les esprits. Vu sous cet angle, le prétendu écart entre politiques et journalistes d’un côté et population de l’autre, n’existe pas. Aujourd’hui le discours xénophobe ne s’enflamme plus au sujet des Turcs, des Yougos, des Beurs. Toutes ces communautés sont devenues indifféremment « des musulman-e-s ». La religion a ainsi remplacé d’autres stigmatisations, et avec quelle efficacité puisque cela homogénise le danger qui menacerait nos pays/nos cultures/nos valeurs, le rendant d’autant plus massif et effrayant.

Depuis des années nos milieux peinent à se faire entendre par les média, alors que ceux-ci offrent régulièrement leur antenne aux propos les plus caricaturaux. Depuis des années, la majorité des politiques et des média taxent d’angéliques celles et ceux qui osent avoir une pensée moins sommaire. Qui était angélique au moment des résultats du 29 novembre, si ce n’est les gens qui refusent de voir l’étendue du racisme en Suisse ? Loin d’en tirer les leçons, beaucoup se sont aussitôt lancés dans la surenchère populiste.

L’an nouveau vient nous redire que les choses tournent. Aucun système ancré structurellement dans l’injustice ne peut durer : tôt ou tard, ses propres déséquilibres en viennent à bout. Parce que sans satiété, sans liberté, sans équité, sans solidarité, sans dignité, les humains sont comme des oiseaux englués par une marée noire. Beaucoup meurent, mais d’autres connaîtront un jour des mers sans pétroliers, et de larges ciels. Nous situer dans cette perspective historique est un recours précieux lorsque nous vivons, comme maintenant, en plein brouillard.

Marie Houriet

Impact de la crise économique sur les

personnes sans statut légal

Si la précarisation des conditions de travail concerne l’ensemble des travailleuses et des travailleurs, certain-e-s sont plus durement frappé-e-s que d’autres. Notamment les précaires, nouvelle catégorie qui ne cesse de se développer, dont les contours sont flous et poreux. Ces quelques lignes n’ont pas pour but d’aborder les différentes formes de précarité, ni les mécanismes qui la génèrent et permettent son extension, ni à qui elle bénéficie. Un souci néanmoins, celui de rappeler que si les personnes sans statut légal se trouvent les plus précaires parmi les précaires, elles se situent en bout de chaîne aux marges de rapports de force beaucoup plus vastes.

Les quelques observations qui suivent sont issues principalement de la pratique, dans le cadre de permanences au CCSI. Effectivement, les conditions de vie et de travail de ces personnes se sont considérablement détériorées depuis quelques temps. Difficile d’ailleurs de définir le moment avec précision. Certes, elles n’étaient guère fastes, leurs conditions de travail, la plupart du temps sans contrat, horaires irréguliers, cumul de différents lieux de travail pour joindre les deux bouts, absence de sécurité sociale. Au milieu de l’année 2007, les consultant-e-s ont commencé à signaler, de manière récurrente, de nouveaux problèmes : augmentation des difficultés pour trouver des heures de travail, perte d’heures, obstacles accrus pour accéder à un logement. Pourquoi l’été 2007 ?

Si le contexte de crise économique, depuis environ deux ans a participé à cette détérioration, d’autres facteurs ont également joué un rôle déterminant. Il s’agit en janvier 2008 de l’introduction, d’une part, de la LEtr (Loi sur les étrangers) et, d’autre part, de la LTN (Loi contre le travail au noir). Tout s’est passé comme si les personnes employeuses et logeuses, notamment, avaient anticipé les possibles conséquences de ces deux lois bien avant leur entrée en vigueur. A cela s’ajoute, dans certains cantons urbains notamment, une forme de « saturation » du secteur de l’économie domestique, avec une offre de main d’œuvre qui dépasse la demande. Pour revenir aux éléments législatifs, la LEtr a rendu l’obtention d’une autorisation de séjour pour les migrant-e-s extra européen-ne-s pratiquement impossible. « Etre sans statut » devient un état ontologique duquel il devient très difficile de sortir. A moyen, à long terme, voire peut être à perpétuité, ces personnes demeurent sans statut. Avec comme conséquence, l’émergence d’une deuxième, voire d’une troisième génération de sans statut légal. En effet, seules les migrant-e-s extrêmement qualifié-e-s – selon les besoins des secteurs économiques dominants en Suisse – peuvent espérer obtenir une autorisation de séjour.

Un autre facteur, toujours issu de la LEtr, a participé à la précarisation de leurs conditions de vie. En effet, le fait de sous-louer un appartement à des migrant-e-s sans autorisation de séjour est devenu un délit pénal : incitation au séjour illégal. Les conséquences sur les possibilités et conditions de sous-location ne se sont pas faites attendre, même si la pénurie de logement à Genève, depuis un certain nombre d’années, est patente. Tout se passe comme si le facteur « risque » s’était en quelque sorte monétisé. Un nombre important de personnes ont dû quitter leur logement et les prix de la sous-location ont augmenté. Certain-e-s ont retrouvé un autre lieu de vie, acceptable, d’autres pas. Cela a participé à la décision de quitter la Suisse et de chercher des conditions de vie moins pires ailleurs, voire de rentrer au pays, parfois de manière provisoire.

Suite à l’introduction de la LTN, d’aucuns ont licencié leurs employé-e-s par crainte de contrôle et d’amendes. Un amalgame s’est d’ailleurs produit, dans cette loi comme dans l’esprit de pas mal de monde, entre personnes sans autorisation de séjour et travail au noir. Alors que plus de 80% du travail au noir – c’est-à-dire qui n’est pas déclaré au fisc et aux assurances sociales – est effectué par des personnes suisses ou avec permis.

La perte d’un poste de travail – ou d’heures de travail – est principalement constatée dans le secteur des emplois de proximité (appelé également économie domestique), secteur d’activités principal pour les femmes sans statut légal. Ceci peut également être attribué à la détérioration de la situation financière des personnes employeuses, qui par la suite d’une perte d’emploi ou dans l’anticipation d’une baisse de revenu, prennent la décision de ne plus garder de femmes de ménage ou de gardes d’enfants. Congédiées souvent avec des préavis courts, voire aucun, les employées se retrouvent du jour au lendemain sans revenu, avec, de par leur absence de statut, l’impossibilité d’avoir accès à l’assurance-chômage ou à l’aide sociale.

Toujours dans le secteur des emplois de proximité, le niveau de rémunération a baissé. Les employées relèvent une plus grande difficulté pour négocier leurs conditions de travail, dont la rémunération. Si les possibilités de négociation ont toujours été difficiles – contexte de précarité conjugué à l’absence de statut – elles semblent s’être considérablement amoindries.

Dans un contexte initial où les possibilités de travail pour les hommes sans statut légal sont plus restreintes – ils effectuent de petits travaux, tels que déménagement, peinture, jardinage ou restauration – ils sont également confrontés à la perte d’heures de travail. Certains d’entre eux rentrent au pays d’origine ou tentent leur chance ailleurs en Europe.

Le délitement général des conditions de travail génère une augmentation des heures de travail pour parvenir à joindre les deux bouts : nécessité de devoir accepter des heures supplémentaires, des remplacements, tout job, aussi mal payé soit-il. La disponibilité constante au travail, qui a toujours été présente, augmente. Les sommes d’argent envoyés au pays diminuent avec, comme corollaire, des sentiments de honte et de culpabilité, renforcés quand l’argent est destiné, comme c’est souvent le cas, à l’éducation et l’entretien des enfants restés au pays ou à des traitements médic
aux des membres de la parentèle.

Les atteintes à la santé physique et psychique se multiplient, générées à la fois par la dégradation des conditions de travail et l’accroissement du nombre d’heures de travail pour celles et ceux qui en ont, comme par la durée de « l’état » de sans statut légal. Autre observation importante : des migrant-e-s qui étaient allé-e-s en Espagne, notamment lors de la régularisation collective de 2004, ou au Portugal, et qui avaient obtenu la nationalité ou un permis de résidence sont, suite à une détérioration drastique du marché du travail dans ces deux pays, revenu-e-s tenter leur chance en Suisse. Avec la dégradation du marché du travail en Suisse et à Genève, ces personnes vivent dans une très grande précarité. Ce constat soulève des enjeux importants. L’émergence, d’une part, de ressortissant-e-s de l’UE ou de l’AELE devenant sans statut légal, dont l’autorisation de séjour dépend d’un travail, mais qui dans le contexte actuel, n’en trouvent pas. D’autre part, ce constat interroge les politiques sociales dans certaines pays européens – notamment la durée et le montant des indemnités de chômage et/ou de l’aide sociale. Ainsi des ressortissant-e-s de l’UE et de l’AELE sont poussé-e-s à devenir sans statut légal ailleurs en Europe, car ces personnes ne parviennent pas à survivre économiquement dans leur propre pays.

Comment ces secteurs d’activités vont-ils se restructurer ? Précarisation accrue des travailleuses et des travailleurs sans statut légal et/ou remplacement progressif par des personnes des « nouveaux » pays membres de l’UE, contraintes d’accepter des conditions de travail très précaires, permettant ainsi aux entreprises et aux personnes employeuses d’être « en règle » ? Il est encore trop tôt pour anticiper une évolution à ces différents constats. S’il est plus que jamais nécessaire d’observer et de relayer ce qui nous est donné à entendre, au quotidien, il est essentiel de continuer à explorer différentes pistes.

Les possibilités de régularisation, bloquées, nécessitent entre autres un mouvement social – malheureusement faible à l’heure actuelle. Dans l’intervalle, pourrions-nous imaginer, à l’instar de certains pays européens, que les années de séjour « illégal » débouchent sur un permis ? En France, par exemple, c’est possible après 10 ans – pour autant que la durée de la présence soit démontrée. Ce n’est guère la panacée, toutefois cela ouvrirait déjà une (petite) brèche. En attendant, rappeler le travail indispensable que ces femmes et ces hommes effectuent au quotidien est une étape incontournable pour modifier les représentations.

Concernant la deuxième génération, de plus en plus de voix réclament l’ouverture de formations duales aux jeunes sans statut pour celles et ceux qui auraient besoin de s’orienter vers cette filière. Arriverons-nous à trouver des solutions au niveau fédéral à cette question, afin que ces jeunes cessent, du moins dans une certaine mesure, d’être lourdement prétérités dans leur avenir ?

Laetitia Carreras

Troisièmes Etats généraux des migrant-e-s et des réfugié-e-s

Entre 80 et 100 militant-e-s se sont retrouvé-e-s à Berne, le dimanche 13 décembre, pour la troisième édition (après 2005 et 2007) des Etats généraux de la migration.

Cette année, le thème retenu était celui des formes d’actions à mettre en œuvre pour s’opposer à la politique migratoire discriminatoire des autorités suisses. Les organisateurs/trices sont en effet partis du constat tristement exact de l’échec, depuis plus de deux décennies, de l’opposition à la politique migratoire et d’asile suisse, et ont souhaité faire porter le débat sur les nouvelles formes d’action à trouver pour atteindre et convaincre de plus larges cercles de la population.

Parmi les idées et propositions évoquées, signalons celle de mettre sur pied une sorte de Tribunal pour juger la politique migratoire suisse, condamner le démantèlement des droits des catégories sociales les plus vulnérables (non seulement les migrant-e-s, mais également les personnes au chômage, les invalides, etc.), et mettre en accusation des personnalités publiques responsables de cette politique. Cette initiative pourrait voir le jour d’ici l’automne 2010.

Plusieurs groupes de travail ont réfléchi à des thèmes particuliers. L’un d’eux s’est penché sur l’atteinte au droit constitutionnel au mariage entraîné par les nouvelles dispositions du Code civil adoptées le 12 juin 2009, qui visent à interdire aux requérant-e-s d’asile débouté-e-s et aux personnes sans autorisation de séjour la possibilité de se marier en Suisse. Du côté de la suisse alémanique, l’association des couples bi-nationaux est active sur ce sujet. Dans le cadre de cet atelier, différentes actions envers les parlementaires et les médias ont été envisagées. Comment thématiser le terme « fictif » ? Que veut dire un « vrai » mariage? L’institution du mariage préconise déjà un arrangement de type contractuel entre deux personnes, fondé sur toute une série de raisons. Dans ce cas, pourquoi ne pas revendiquer également une « fonction protectrice » face à une menace d’expulsion, par exemple ? Il serait également possible, autour d’un cas précis, de faire recours au Tribunal Fédéral. Une rencontre nationale sur ce sujet aura lieu à Berne le 21 janvier prochain pour continuer à débattre et à mettre sur pied certaines actions.

Un autre groupe de travail a tenté d’analyser le résultat du vote sur l’initiative anti-minarets, et de réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour contrer le discours xénophobe et raciste qui prend de l’ampleur dans la société. Si aucune recette miracle n’a bien sûr été trouvée, quelques idées-force ont été évoquées, en particulier la nécessité de ne pas abandonner le terrain et l’espace public aux partis qui propagent des thèses racistes ou xénophobes, et celle de créer et de multiplier les occasions de contacts entre la population locale et les membres de la communauté musulmane afin de lutter contre les préjugés, la méconnaissance et les peurs irrationnelles qui sont instrumentalisés par l’extrême-droite.

Au terme de cette journée, deux projets « d’appel » et une liste de revendications ont été soumis à la discussion. Malheureusement, le temps a manqué pour le débat, et les participant-e-s ont dès lors décidé de se donner un délai supplémentaire pour pouvoir approfondir la discussion. Le texte de la déclaration devrait donc être adopté et diffusé au début de l’année 2010.

Anne-Marie Barone et Laetitia Carreras

Assemblée Générale 2010

L’Assemblée Générale 2010 du Centre de Contact aura lieu le jeudi 18 mars prochain à 20 heures. En attendant de recevoir votre convocation avec l’ordre du jour, nous vous remercions de réserver d’ores et déjà cette date pour participer nombreuses et nombreux à cette soirée.