CCSI-Info mai 2010
bulletin d’infos
mai 2010
Édito
Symboliquement, selon l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, il existe deux manières de considérer l’Autre, l’Étranger: soit ce dernier est source de richesse, et on cherche à l’inclure en le « mangeant » métaphoriquement; soit il représente un danger, et on cherche à l’exclure en le « vomissant ». Le mot peut sembler fort, et pourtant, c’est bien à cela qu’on a parfois l’impression d’assister: un rejet systématique de l’Étranger, une vision qui fait de toute différence une menace envers une identité prétendument figée, mais non moins en péril. Ce rejet prend une place prépondérante dans l’espace public, et se manifeste de différentes façons. Rejet dans l’accusation quasi-systématique dont font l’objet les frontaliers (et par amalgame, tous les étrangers), rendus coupables de tous les maux dont souffre le canton. Rejet encore, dans le cadre des débats autour de l’initiative « Pour le renvoi des étrangers criminels ». Cet énième projet nauséabond de l’extrême-droite populiste laisse entendre, dans sa formulation même, qu’il y a un lien de causalité entre l’origine des personnes et les actes délictueux qu’elles pourraient commettre: ce sont les étrangers qui sont (presque intrinsèquement) criminels, et non les criminels qui sont (parfois) d’origine étrangère. Rejet aussi, avec la polémique absurde autour de l’interdiction de la burqa. Faire de cette question un enjeu majeur, alors même qu’elle ne concerne qu’une infime minorité de personnes en Suisse, c’est donner une nouvelle fois l’occasion aux milieux xénophobes d’affirmer leur crédo, selon lequel il y aurait entre « eux » et « nous » une différence ontologique et irréconciliable.
On pourrait multiplier presque à l’infini les exemples de cette conception de l’Autre, tant on a l’impression qu’elle ne cesse de gagner du terrain. Mais malgré ce climat hostile, nous sommes persuadés, aujourd’hui plus que jamais, qu’il est temps de sortir de cette vision stérile et d’envisager les choses… autrement. Les jeunes issus de l’immigration, avec ou sans statut, représentent l’une de ces richesses dont la Suisse aurait tout intérêt à se nourrir. En mars, nous avions brièvement évoqué les ouvertures récentes dans le domaine de l’accès à la formation professionnelle des jeunes sans-papiers. Depuis, le sujet continue de susciter des débats, et de faire son chemin sur le plan politique et législatif. Vous trouverez dans ce numéro un article qui fait le point complet sur ce dossier.
Mais les étrangères et les étrangers de ce pays sont également une richesse potentielle pour la démocratie. De fait, l’extension des droits politiques sur le plan cantonal aux étrangers-ères établi-e-s à Genève est l’un de nos combats de longue date. Nous avions déjà, en 2009, interpellé l’Assemblée constituante de Genève sur ce sujet. En septembre, la Commission des droits politiques nous accordait même une audition publique. Mais in fine, cette dernière a refusé en premier débat de faire figurer le droit de vote et d’éligibilité au niveau cantonal pour les étrangers-ères dans la nouvelle constitution genevoise. Malgré cette déception et au vu du vote très serré de la Commission, nous avons décidé, avec plusieurs autres associations, de continuer à faire pression sur cette consultation, par l’intermédiaire d’une proposition émanant d’un front le plus large possible. C’est ainsi qu’est née la Coordination ViVRe, réunie autour de la proposition collective « Citoyenneté locale pour toutes et tous: Vivre, voter, représenter », que vous trouverez en annexe dans ce numéro. En nous associant à ce projet commun, nous espérons démontrer que la société civile et notamment les personnes étrangères – premières concernées – sont fortement mobilisées autour de cette question cruciale pour la Genève multiculturelle. La population genevoise a d’ailleurs réservé un accueil chaleureux à cette initiative, puisque malgré la pluie, ce sont près d’un millier de personnes qui ont apporté leur soutien à notre démarche en signant la proposition lors du Premier mai. Hélas, c’était sans compter avec les aléas du sort… En effet, le sac dans lequel se trouvait une partie des signatures récoltées ce jour-là a été volé. Ainsi donc, nous vous invitons à signer et faire parvenir à vos proches cette proposition collective, et ce même si vous l’avez déjà signée lors du Premier mai.
Marianne Halle
Formation professionnelle des jeunes Sans-papiers: le combat continue!
Depuis la fin du mois de février, l’actualité a été riche en rebondissements.1 A l’heure qu’il est, difficile de dire qui de l’annonce tonitruante de la municipalité lausannoise, ou de la campagne menée depuis de nombreuses années par les associations actives dans le domaine de la défense des migrants, aura joué le rôle le plus déterminant dans les récentes avancées. La première a très certainement eu le mérite de jeter un pavé dans la mare, et de placer sur le devant de la scène médiatique la problématique des jeunes Sans-papiers en fin de scolarité obligatoire. La seconde, plus discrète, n’en reste pas moins essentielle: ce sont en effet de longues années de lutte, pour informer sans relâche et tenter de convaincre ceux qui prennent les décisions dans ce domaine de mettre fin à l’hypocrisie que constitue l’impasse dans laquelle se trouvent ces jeunes, qui sont ici récompensées.
Ainsi donc, à la fin du mois de février, la municipalité de Lausanne annonçait qu’elle ouvrirait l’accès de ses places d’apprentissage à tous les jeunes, qu’ils soient avec ou sans statut. Si la levée de boucliers ne s’est pas fait attendre, il semble que l’ouverture vaudoise ait aussi eu des répercussions positives. L’attention médiatique intense dont a bénéficié cette problématique trop souvent laissée dans l’ombre a probablement contribué à ce que, quelques jours plus tard et à la surprise générale, le Conseil National vote en faveur de deux motions allant dans le même sens. Bien qu’elles restent vagues dans la formulation, les deux motions déposées par MM. Barthassat et Hodgers demandent à ce que tous les jeunes aient accès à la formation professionnelle. Elles doivent maintenant être examinées par le Conseil des États, traditionnellement plus conservateur. La Commission des Institutions Politiques de cette instance les a acceptées de justesse. Néanmoins, si nous voulons garder un espoir de succès lors de la session plénière de juin, nous devrons poursuivre sans relâche le lobbying intensif entrepris auprès des parlementaires, et dans lequel le CCSI s’est fortement en
gagé. C’est dans ce cadre que devrait s’inscrire la remise aux autorités fédérales des quelque 10’000 signatures récoltées par le biais de la campagne « Aucun enfant n’est illégal », que nous avons également soutenue. Cette action symbolique, qui interviendra au début de la session parlementaire, pourrait jouer un rôle important et agir comme une piqûre de rappel en faveur des deux motions. Car sans l’aval des deux chambres, elles resteront lettre morte.
Mais ces avancées fédérales ont d’ores et déjà eu des conséquences positives dans plusieurs cantons. Les gouvernements de Bâle et de Berne, par exemple, ont fait preuve d’ouverture et donné des signes positifs en réponse à des interpellations parlementaires en faveur de l’accès à la formation pour les jeunes sans statut légal. A Genève, le dossier avance également. La Ville d’une part, engagée depuis de nombreuses années sur ce dossier, poursuit un projet similaire à celui de Lausanne et tente avec des partenaires du monde associatif et syndical de mettre en place un système pour permettre à certains jeunes sans-papiers d’accéder aux apprentissages de la Ville de Genève. Elle a en outre pris contact avec d’autres villes du canton de Genève afin de leur demander un soutien. Par ailleurs, la Ville de Genève a interpellé l’Union des villes suisses, principales concernées par la problématique, afin d’élaborer une position commune sur ce sujet. Sur le plan cantonal d’autre part, le Grand Conseil a adopté une résolution qui invite le Conseil d’État à intervenir auprès de l’Assemblée fédérale pour que celle-ci crée les bases légales permettant aux jeunes sans statut légal d’avoir accès à l’apprentissage et à la formation professionnelle. Une pétition a également été adressée au Conseil d’État à la suite des Assises de l’éducation, qui se sont tenues le 24 mars 2010. Celle-ci réclame en particulier la mise en œuvre rapide – sans attendre le dénouement sur le plan fédéral – d’une solution au niveau cantonal qui permette l’accès aux apprentissages, notamment en délivrant une autorisation temporaire de travail aux candidats dont le dossier de régularisation est en cours d’examen.
L’un des progrès majeurs de ce mois écoulé est d’avoir rendu visible cette problématique sur le plan national. De fait en Romandie, on a tendance à oublier que dans bien des cantons, notamment alémaniques, le sujet est encore très mal connu, et que certains droits acquis de longue date à Genève ne le sont pas forcément ailleurs. Dans plusieurs cantons par exemple, les jeunes Sans-papiers sont dans l’impasse dès la fin de l’école obligatoire puisqu’ils n’ont accès ni aux écoles de commerce, ni à celles de culture générale, ni même à une formation professionnelle en école. Or le débat soulevé par la proposition lausannoise et le vote positif du Conseil National, ont largement été relayés dans la presse. Par ricochet, certains représentants des autorités, souvent très frileux sur la question, ont été amenés à prendre position dans la controverse, avec des résultats parfois étonnants: la Conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf par exemple, qu’on ne peut soupçonner de connivence avec les prétendus « gauchistes » à l’origine de ces propositions, a déclaré dans la presse que la situation de ces jeunes était difficile, et qu’elle était favorable à une solution « humaine » à ce problème. Cette visibilité peut toutefois être à double tranchant. En effet, la droite populiste n’hésitera pas à s’emparer de la question si elle pense pouvoir en tirer profit sur le plan électoral, en dénonçant les prétendus « encouragements à l’illégalité » et la « concurrence déloyale » envers les apprentis suisses.
Ainsi donc, certaines portes se sont ouvertes, ou du moins entrouvertes… Il semble relativement probable qu’une solution, du moins en Suisse romande, finira par émerger en ce qui concerne l’accès à l’apprentissage dit dual pour les jeunes Sans-papiers. De même, pour ces jeunes et leurs familles, il est possible que l’on assiste à un assouplissement des critères de régularisation individuelle à titre humanitaire. Enfin, il est fort probable que le droit à l’éducation soit à terme mieux appliqué, et que d’autres cantons ouvrent progressivement les portes des écoles post-obligatoires aux jeunes sans statut légal.
D’autres portes en revanche, semblent malheureusement rester obstinément fermées. C’est notamment le cas de la revendication centrale d’une grande partie des associations de défense des migrants, à savoir la demande d’une régularisation collective des Sans-papiers. En effet, malgré ces avancées, les autorités fédérales refusent toujours de reconnaître l’apport essentiel de cette population à notre économie, et laissent perdurer l’hypocrisie qui consiste à ‘tolérer’ leur présence sur notre territoire, et à se décharger sur eux de tâches que l’État n’est pas en mesure d’assumer (notamment dans le secteur de l’économie domestique). Elles persistent à dire que la régularisation n’est possible qu’au cas par cas, selon des critères extrêmement stricts, dont l’application aléatoire constitue un véritable casse-tête pour les défenseurs des Sans-papiers et une source d’insécurité et d’angoisse pour les personnes concernées. Le Conseil d’État de Genève a d’ailleurs réitéré publiquement son soutien à la demande de régularisation collective déposée à l’initiative du Collectif de soutien aux Sans-papiers, dont le CCSI est membre. Ce geste, si louable soit-il, risque de demeurer vain encore longtemps: la demande, pourtant lancée en 2005 déjà, reste à ce jour sans réponse de la part de Berne.
Marianne Halle
Pour la défense des femmes migrantes
En septembre 2009, le Groupe de travail Femmes migrantes et violences conjugales, créé à l’initiative du CCSI, avait déposé une note devant le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU. Celle-ci portait sur les conséquences de l’application de l’article 50 de la Loi sur les étrangers (LEtr), qui établit les règles de renouvellement de permis en cas de dissolution de l’union conjugale. En effet, l’application de cet article crée une discrimination à l’égard des femmes migrantes, dont l’autorisation de séjour est mise en péril lorsqu’elles quittent une union dans laquelle elles subissent des violences. Les recommandations du Comité, parues à la fin octobre 2009, enjoignaient la Suisse à modifier sa législation, afin que les femmes migrantes ne soient plus, dans les faits, contraintes à rester dans des relations conjugales violentes2. Quelques jours plus tard, probablement en partie suite à ces recommandations, le Tribunal Fédéral a quelque peu assoupli l’application des critères de cet article3. Si cette avancée doit bien sûr être saluée, il reste à préciser qu’elle n’oblige toutefois pas les autorités à renouveler l’autorisation de séjour des femmes étrangères qui quittent leur époux suite à des violences (à ce sujet, vous trouverez un exemple d’un cas concret dans la fiche de l’ODAE encartée dans ce numéro). Par conséquent, le Groupe de travail a décidé de continuer à agir et a déposé une nouvelle version de la note, complétée et mise à jour, devant le Comité contre la torture de l’ONU en vue de l’examen de la Sui
sse par cette dernière4. Nous espérons vivement que les recommandations de ce comité, qui seront publiées ces prochains jours, se feront l’écho de nos préoccupations, et qu’elles contribueront à ce que l’article 50 de la LEtr soit à terme amendé, assurant ainsi aux femmes migrantes victimes de violences conjugales le renouvellement de leur permis.
Eva Kiss et Marianne Halle
Départs et arrivées au CCSI
Bon vent à Marie…
Fin mars, le CCSI a eu la tristesse de devoir prendre congé de Marie Houriet, qui occupait depuis 2002 le poste de responsable de la communication et des relations extérieures du CCSI. Au cours de ces huit années, Marie aura laissé son empreinte dans les innombrables textes qu’elle a rédigés pour les médias et le CCSI-Info, mais aussi dans les esprits et les cœurs de celles et ceux qui l’ont côtoyée. Nous sommes nombreux à avoir apprécié voire admiré sa capacité d’analyse, sa facilité d’expression tant orale qu’écrite, son aisance dans les contacts humains et politiques, sa sensibilité. Après huit ans d’engagement pour la cause des migrant-e-s, dans des conditions pas toujours faciles, Marie a décidé de poursuivre sa route vers d’autres horizons. Elle va nous manquer, mais nous lui souhaitons de tout cœur bonne chance pour la suite, et espérons rester en contact malgré la distance qui sépare Genève du Jura !
Pour conclure, une citation tirée des mémoires de Marguerite Yourcenar qui me revient à l’esprit : « Il ne faut pas pleurer parce que cela n’est plus, il faut sourire parce que cela a été ».
… et bien bienvenue à Marianne !
Marie qui part, Marianne qui arrive ! Nous nous réjouissons d’avoir pu accueillir Marianne Halle, qui a rejoint à mi-mars l’équipe des permanentes du CCSI, comme chargée de la communication et des relations extérieures. Marianne nous a semblé la personne toute désignée pour reprendre ce poste, vu son expérience de plusieurs années comme militante au sein de la Commission migration du syndicat SIT. Sa motivation, son enthousiasme et ses compétences représentent un atout et un enrichissement pour le CCSI.
Anne-Marie Barone
Informations, rencontres et manifestations
Journée d’étude du CCSI sur l’initiative « Contre le renvoi des étrangers criminels »
A l’été 2007, l’UDC propulsait une fois encore la Suisse sur le devant de la scène médiatique en lançant une initiative intitulée « Pour le renvoi des étrangers criminels». L’initiative elle-même, tout comme l’affiche scandaleuse (celle du mouton noir, souvenez-vous…) qui accompagnait l’ouverture de la récolte des signatures, avaient suscité l’indignation générale. Le parlement, malgré les problèmes évidents que poserait sa mise en application, a décidé de ne pas invalider cette initiative et de la soumettre au peuple en y adjoignant un contre-projet direct. Le vote aura probablement lieu au début de l’année prochaine. La campagne que nous aurons à mener pour combattre cette initiative s’annonce compliquée et difficile, dans un contexte où les recettes simplistes et démagogiques des milieux xénophobes rencontrent un écho indéniable au sein de la population. Afin de dégager des pistes de réflexion, le CCSI invite donc cordialement ses membres à participer à la journée d’étude qu’elle organise sur ce thème le samedi 29 mai 2010. Vous trouverez en annexe le programme et le bulletin d’inscription pour cet événement.
« Liberté. Égalité. Dignité. » Appel à manifestation.
Le contexte général n’est pas favorable aux valeurs que le CCSI défend depuis toujours. Sur le plan législatif, chaque nouvelle proposition ressemble à un durcissement supplémentaire, qui s’ajoute au précédent avant même qu’il ait pu entrer en vigueur et « faire ses preuves ». Sur le plan politique, les cartes qui déterminent les priorités de l’agenda politique, ainsi que l’angle sous lequel elles seront traitées, sont toujours plus fermement tenues par la droite dure. En témoigne la multiplication des initiatives xénophobes et populistes, qui maintiennent sur le devant de la scène médiatique une vision extrêmement négative de la migration sous toutes ses formes. Pour dire haut et fort qu’une autre Suisse, plus ouverte, plus solidaire, plus courageuse, est non seulement possible, mais souhaitable, le CCSI vous invite à participer nombreuses et nombreux à la grande manifestation nationale qui aura lieu à Berne, le 26 juin 2010. Pour plus d’informations, veuillez vous référer à notre site internet, ainsi qu’à celui des organisateurs (Solidarités sans Frontières: www.sosf.ch).
1Une version précédente de cet article a paru dans la revue Reiso: http://www.reiso.org/revue/spip.php?article684
2Voir CCSI-Info, novembre 2009.
3Arrêt du 4 novembre 2009
444ème session du Comité contre la torture, 26 avril – 14 mai 2010