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CCSI-Info juillet 2010

Publié le 12 juillet, 2010 dans

bulletin d’infos

juillet 2010

 

 


Édito

 

Les sans-papiers de Genève étaient 600, le 1er juin dernier, à avoir le courage de sortir de l’ombre et de revendiquer leur régularisation collective. Sept ans après la première assemblée générale de 2003, qui avait lancé le processus de demande de régularisation collective auprès du Conseil d’État, la salle du Faubourg était à nouveau comble il y a quelques semaines. Lors de cette assemblée, les sans-papiers se sont montrés déterminés à sortir de la clandestinité dans laquelle la politique migratoire de la Suisse les enferme, pour réclamer leurs droits, pour redire l’indignité de cette situation, et pour rappeler une fois encore que la solution du ‘cas-par-cas’ n’en est justement pas une.

 

Courage et détermination encore, de la part du monde associatif et des très nombreuses personnes étrangères qui, en l’espace de quelques semaines, ont récolté plus de 5000 signatures en faveur du droit de vote et d’éligibilité des étrangers au niveau cantonal genevois. Ceci afin de rappeler à l’Assemblée Constituante que nous ne baissons pas les bras, et que nous n’abandonnerons pas de si tôt le combat pour l’extension des droits civiques aux étrangers-ères qui participent à tous les autres aspects de la vie de ce canton.

 

Au courage dont font preuve la société civile et les migrant-e-s dans ce pays, la Suisse officielle, institutionnelle, et particulièrement la Suisse politique, répond par une absence de courage – pour ne pas dire une lâcheté, une timidité et une mollesse inquiétantes. Ainsi, l’Assemblée Constituante genevoise, plutôt que de s’atteler à la rédaction d’un texte fondateur qui soit digne du 21e siècle, n’a pas hésité à balayer en plénière toute une série de droits fondamentaux, dont l’égalité femmes-hommes tout de même. Elle signale ce faisant un recul inacceptable, au mépris total du travail fourni par ses propres commissions, des pétitions adressées par la société civile, et même dans certains cas de la volonté populaire. Inutile, dans ces circonstances, de préciser que les droits politiques des étrangers-ères n’ont connu pour l’heure qu’une toute timide avancée – celle du droit d’éligibilité sur le plan communal – qui reste bien en-deçà des espoirs placés en ce processus.

 

Manque de courage encore de la part des Chambres fédérales qui, par crainte de l’épouvantail électoral que représente l’UDC, n’ont pas eu le courage d’invalider son initiative ‘Pour le renvoi des étrangers criminels’, pourtant contraire au droit international supérieur, et à de nombreuses conventions signées par la Suisse. Vous trouverez dans ce numéro un compte-rendu de la journée d’étude organisée sur ce thème par le CCSI, ainsi que quelques pistes de réflexion concernant la campagne à venir.

 

Absence de courage enfin dans le dossier de l’accès à l’apprentissage pour les jeunes sans-papiers. Le Conseil national, puis la commission compétente du Conseil des États avaient adopté deux motions qui allaient dans ce sens. Il ne manquait plus qu’une étape pour qu’elles soient définitivement adoptées par les chambres, et mises en œuvre par le Conseil fédéral. Dans ce contexte, et malgré l’urgence pour les milliers de jeunes sans-papiers qui résident en Suisse et dont l’avenir est pour l’instant bloqué, le Conseil des États, dans sa session de juin, a dit… ni oui, ni non. Suite à une demande de renseignements supplémentaires de la part d’un Conseiller – dont seul le temps nous dira s’il s’agissait de véritables questions ou de simples manœuvres dilatoires – les deux textes ont été renvoyés en commission et seront repris au mois de septembre. Dans ce dossier comme dans d’autres, il reste à espérer que la Suisse officielle et politique s’inspire, une fois n’est pas coutume, de la société civile: allons, Mesdames et Messieurs, un peu de courage, s’il vous plaît!

Marianne Halle


La pensée et l’action dans le pouvoir:

 

la colère comme moteur?

 

« Il faut inverser l’opinion générale et convenir que ce n’est pas la dureté d’une situation ou les souffrances qu’elle impose qui sont motifs pour qu’on conçoive un autre état de choses où il en irait mieux pour tout le monde: au contraire, c’est à partir du jour où l’on peut concevoir un autre état de choses qu’une lumière neuve tombe sur nos peines et nos souffrances et que nous « décidons » qu’elles sont insupportables. »1

 

Cette citation aurait pu servir de sous-titre au colloque La pensée et l’action dans le pouvoir. Colère: dynamiques soumission-insoumission et création politique qui s’est tenu en avril dernier à l’Université de Lausanne. Les échanges qui s’y sont déroulés ont soulevé de nombreuses questions: comment résister, dans la conjoncture actuelle où l’être humain devient de plus en plus superflu? Quels sont les facteurs qui peuvent favoriser une résistance et participer à la construction de changements politiques et sociaux? Comment transformer le sentiment d’impuissance auquel nous sommes confronté-e-s, où même les alternatives peinent à être pensées?

 

Plusieurs intervenant-e-s ont soulevé l’urgence, dans le contexte socio-politique actuel, de travailler l’imaginaire et de le nourrir. Comme l’a si bien dit M.-C. Caloz-Tschopp, comment retrouver, dans la lourdeur actuelle, le souffle avant la parole, et dans quels contextes la colère peut-elle venir au secours du droit? Quels sont les liens entre colère, résistance et création politique? Face à cet asséchement de l’
imaginaire – pour ne pas dire son expropriation – pour reprendre les termes de F. Neyrat, difficile d’élaborer autre chose, ou même quelque chose.

 

A mon sens, nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à nous interroger sur les limites au sentiment d’injustice et à la complicité avec certaines politiques, à nous demander jusqu’où celles-ci vont être repoussées. Face à cela, comment rendre possible l’action politique? Selon V. Gerard, c’est lorsque naît le sentiment que les conditions de vie et de travail pourraient être différentes que la colère commence à éclater. Dès lors, il est nécessaire dans un premier temps de rendre visibles la violence et l’arbitraire d’une situation, afin d’en révéler les rapports sociaux sous-jacents. Car les phénomènes sociaux, comme les catégories sociales, sont avant tout politiques et demeurent de ce fait modifiables. Ce ne sont en aucun cas des tsunamis.

 

Comment relier la pensée et l’action, dans une société où, de plus en plus, la division du travail n’est pas seulement sociale, sexuelle et internationale, mais également entre celles et ceux qui pensent et celles et ceux qui ‘font’? Cette fragmentation du travail permet d’éviter une responsabilisation trop forte. Il devient donc de plus en plus nécessaire de créer des espaces où ces deux dimensions soient conjointes, comme de renforcer et de visibiliser ceux qui existent déjà.

 

Mais, allez-vous objecter, qu’en est-il sorti, au-delà de mots, de réflexion, de théories? Dans cette morosité ambiante, pour employer un euphémisme, certaines formes d’action portent les ferments de changements. Un exemple parmi d’autres est celui de requérant-e-s d’asile contrait-e-s à l’aide d’urgence, dans le canton de Vaud, qui, par le biais d’un atelier d’écriture, ont dénoncé les conditions aliénantes de leur vie – déplacement dans des centres d’aide d’urgence, isolement, fouilles, destruction de leurs peu d’affaires personnelles, etc. (tiens, ces pratiques ne nous rappellent-elles pas certains faits pas si anciens?). Ces personnes ont porté leurs revendications auprès des autorités vaudoises. Par ailleurs, dans l’un des ateliers a émergé, au terme de ce colloque, le projet d’un procès: celui des politiques d’asile et de migration, avec un certain nombre de témoignages et d’accusé-e-s. Affaire à suivre.

Laetitia Carreras

 


Initiative Renvoi des étrangers criminels:

 

quelques pistes de réflexion

 

À la fin du mois de mai, le CCSI organisait une journée de réflexion autour de l’initiative de l’UDC intitulée ‘Pour le renvoi des étrangers criminels’, et du contre-projet direct à cette dernière. Deux intervenants de grande qualité sont venus alimenter les débats: Me Christophe Tafelmacher, avocat et grand connaisseur de la politique migratoire suisse, et Antonio Hodgers, parlementaire Vert et membre de la Commission des institutions politiques du Conseil national. L’expertise du premier nous a amené un éclairage juridique précieux, qui nous a permis de démêler les enjeux complexes qui se jouent autour de ces deux textes. Le second, en tant que membre de la commission parlementaire qui a discuté des détails du contre-projet, a ensuite de partagé avec nous son analyse politique. Il a notamment décrypté (sans bien sûr les cautionner pour autant) les mécanismes et les tactiques politiques qui ont mené certain-e-s élu-e-s parlementaires de droite comme de gauche à voter en faveur du contre-projet.

 

L’initiative avait recueilli, en 2007, plus du double des signatures nécessaires à ce qu’elle soit soumise au vote populaire. C’est entre autre cet argument qui sous-tendait le refus du Conseil fédéral d’invalider cette dernière, alors même qu’elle est contraire à toute une série de droits fondamentaux inscrits dans notre Constitution, et qu’elle va à l’encontre de nombreuses règles du droit international. Après avoir dans un premier temps planché sur un contre-projet indirect, c’est finalement un contre-projet direct que les Chambres fédérales ont décidé de soumettre au peuple en même temps que l’initiative, le 28 novembre prochain. Pourtant, ce contre-projet n’en est pas réellement un. En effet, outre le fait qu’il est muni de quelques articles sur l’intégration destinés à se donner bonne conscience, il véhicule fondamentalement le même soupçon généralisé envers les étrangers, et reprend les mêmes fausses solutions au problème de la criminalité que celles proposées par l’UDC. Certes, après un premier article qui instaure l’automaticité des renvois, le texte du contre-projet précise que ces décisions devraient être prises dans le respect du droit international et de l’ordre constitutionnel, ce que l’initiative ne fait pas. Mais les juristes se disputent déjà quant à l’interprétation de cette précision, et nombre d’entre eux estiment que cet article ne suffira pas à garantir le respect du principe de proportionnalité. Or en proposant au peuple cette pâle copie pour toute réponse aux idées nauséabondes véhiculées par l’original, les Chambres légitiment en quelque sorte le discours haineux de l’UDC et consorts. Plus grave encore, elles laissent le débat public et politique se déplacer toujours plus sur un terrain dont la droite populiste est maîtresse, et lui permettent une fois encore de dicter l’agenda politique de ce pays.

 

Au-delà des considérations liées particulièrement à la votation à venir, cette journée a également fait émerger des constats plus généraux. D’abord, il nous semble que ces assauts incessants contre les étrangers-ères amènent, en fin de compte, une précarisation importante du statut des résident-e-s étrangers-ères en Suisse. La tendance qu’on perçoit actuellement signifie en effet aux étrangers-ères que, même après des années de résidence et de travail dans ce pays, leur statut n’est pas stable, ne leur offre aucune sécurité, et peut être remis en question à tout moment. Ensuite et surtout, il nous paraît vital que la population suisse cesse de se voiler la face, et de penser que les atteintes aux droits des étrangers ne la concernent pas. Car si ces attaques ne nous sont pas directement adressées aujourd’hui, elles finissent souvent par se répercuter sur nous toutes et tous. De fait, les étrangers-ères servent souvent de laboratoire et de terrain d’expérimentation aux politiques d’exclusion. Souvenons-nous par exemple de la campagne menée contre les prétendus ‘abus’ de la part des migrants, et des requérants d’asile en particulier: d’abord appliquée à eux, elle s’est insidieusement étendue à toutes les personnes résidentes en S
uisse, et en particulier aux plus précaires d’entre elles (celles qui bénéficient du chômage, d’une rente AI, etc.). Les attaques de la droite populiste ne s’arrêteront pas aux étrangers, et le démantèlement de leurs droits nous concerne, car il nous vise, finalement, toutes et tous.

Marianne Halle

 


Demande de soutien

 

Comme vous l’avez déjà lu dans les derniers rapports d’activités ainsi que dans certains bulletins, le Centre de Contact Suisses-Immigrés fait face, depuis maintenant trois ans, à des difficultés financières. Jusqu’à aujourd’hui, cela n’a pas entraîné de conséquences pour les consultants et consultantes. Cependant, le CCSI a dû consacrer beaucoup de temps et d’énergie pour compenser ce manque de moyens ainsi que pour assurer l’avenir.

 

Jusqu’à présent, il s’est agit de se concentrer sur les urgences: en demandant, par exemple, de la flexibilité aux personnes salariées pour des coups de main dans des domaines qui ne leur sont pas assignés; en mobilisant les militant-e-s; et en cherchant activement des personnes bénévoles, qu’il a ensuite fallu former et encadrer. Mais le CCSI a aussi dû prendre des décisions financières (engager ses fonds) et mettre à l’ordre du jour de son Bureau la recherche de fonds. Ainsi, il a fallu mettre sur pied un agenda afin de mobiliser les communes et l’État, écrire des projets et en faire le suivi. La prochaine grande échéance sera celle du renouvellement du contrat de prestation qui nous lie à l’État de Genève.

 

Au vu de ces difficultés financières, nous avons également réévalué la structure institutionnelle du CCSI, et souhaitons désormais élargir la base de nos adhérents. C’est pour cela que nous nous permettons de faire appel à vous, et de vous inviter à chercher autour de vous – par le biais du feuillet que vous trouverez encarté dans ce numéro – des personnes susceptibles de devenir membres. En ces temps de durcissement du climat autour des thèmes qui nous sont chers, il est particulièrement important pour notre association de pouvoir compter sur nos propres fonds. Sans lien avec nos partenaires publics, ces fonds nous permettent en effet de mener à bien des activités plus politiques, et ce en toute indépendance. Dans cette perspective, nous réfléchissons aussi de nôtre côté à la manière d’intégrer plus de personnes bénévoles et militantes dans nos activités (voir ci-dessous), et de faire participer financièrement les consultant-e-s. D’avance, nous tenons à vous remercier infiniment pour votre soutien.

 

 

Modernisation du système informatique

 

Le CCSI a récemment commencé à moderniser son système informatique, et notamment son fichier des membres afin de le rendre plus utile. Celui-ci va désormais nous permettre de mieux connaître nos membres et de développer nos outils de communication. C’est pourquoi nous vous demandons aujourd’hui de nous communiquer votre adresse e-mail, et de nous dire si vous désirez ou non recevoir notre bulletin, le CCSI-Info, par voie électronique. Il n’est bien sûr pas nécessaire d’avoir une adresse e-mail pour rester un membre informé du CCSI. Le bulletin continuera de vous être envoyé à toutes et tous par courrier postal. Nous vous donnerons bientôt la possibilité de choisir entre l’une ou l’autre forme d’envoi. Notre nouveau système informatique nous permettra également, à terme, de maintenir plus informés les membres qui le désirent sur les sujets liés à la migration (conférences, débat, manifestations, articles). Le formulaire encarté dans ce numéro, également disponible sur notre site internet (www.ccsi.ch), vous permettra de nous transmettre toutes ces informations.

 

Dans le cadre de la refonte du fichier des membres, nous vous invitons également à vous manifester (au moyen du même formulaire) si vous désirez prendre part à certaines de nos activités. Une fois inscrit-e-s, le CCSI pourra vous contacter pour vous proposer de participer à l’une ou l’autre d’entre elles. Libre à vous ensuite, bien sûr, de vous engager, selon votre intérêt et votre disponibilité. Ces moments d’apprentissage et d’échange sont aussi l’occasion pour vous de vous rapprocher ponctuellement du CCSI.

1Cette citation, tirée de l’Être et le Néant de Jean-Paul Sartre, a été lue par Françoise Bloch en préambule à sa prise de parole, le 14 juin 2010, lors du rassemblement « Midi-déclic » qui vise à une prise de conscience de la précarité et de la pauvreté à Genève.