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CCSI-Info septembre 2010

Publié le 12 septembre, 2010 dans

bulletin d’infos

septembre 2009

 

 

Édito

 

La fin des vacances, c’est toujours un moment un peu difficile. Il sonne le glas des longues siestes au soleil, des lectures fascinantes, des soirées entre amis qui se prolongent… Pourtant cette année, le retour de vacances a été plus brutal que d’autres. En guise de bienvenue, ayant fait bloquer mon courrier, je n’avais dans ma boîte aux lettres qu’une seule chose: le tous-ménages de l’UDC, faussement intitulé Consultation populaire sur la politique d’asile et des étrangers. Quelle politique à l’égard des étrangers souhaitez-vous? Avant même d’avoir eu le temps de passer la porte de chez moi, je me retrouvais confrontée à ce discours-là. On a tous tendance à s’habituer, qu’on le veuille ou non, à ces vociférations xénophobes, tant elles sont devenues monnaie courante dans le débat public de ce pays. Là, après trois semaines de coupure totale, c’était comme si je les découvrais pour la première fois. Et leur violence me sautait au visage Pourtant, ces pages ne contenaient strictement rien de nouveau: les mêmes statistiques faussées, les mêmes amalgames douteux, les mêmes raccourcis simplistes, le même recours à une Suisse complètement imaginaire comme modèle à ‘préserver’ d’une prétendue ‘permissivité’ des autorités à l’encontre d’une immigration qui n’est jamais autre chose que ‘de masse’. Trouver ce brûlot dans ma boîte aux lettres, c’était comme recevoir une double gifle. La première m’était destinée sur le plan personnel, en tant que personne d’origine étrangère. Selon les auteurs de la publication en effet, j’avais beau être née ici, intégrée et même naturalisée, je resterais à jamais une citoyenne de seconde classe. La seconde m’atteignait quant à elle sur le plan politique de l’autre, en tant que personne active dans la défense des migrant-e-s. Je ne pouvais que constater que, malgré tous nos efforts, les limites de ce qu’il est acceptable de dire publiquement sur les étrangers-ères sont sans cesse repoussées plus loin dans le mensonge, la manipulation, et l’incitation à la haine. Ce constat me met bien sûr en colère, ne serait-ce que parce que j’aimerais tant, pour une fois, ne pas avoir à parler de l’UDC dans un édito. Mais à défaut d’avoir toujours le temps, l’espace (et le public…) pour faire entendre notre propre discours, il me semble indispensable de dénoncer celui-ci. Car si nous ne lui opposons pas au moins cette forme minime de résistance, il est à craindre que la place qu’il occupe dans notre société finira par étouffer définitivement les voix qui ne suivent pas docilement cette tendance. Vous trouverez également, encarté dans ce numéro, un bref panorama des autres nouvelles qui illustrent pourquoi cet été 2010 nous a laissé un arrière-goût amer.

 

Le témoignage que vous trouverez dans les pages qui suivent n’est donc pas nécessairement une réponse à ce climat hostile. Néanmoins, il offre un autre regard que celui auquel les médias nous ont habitués depuis de nombreuses années. Le parcours de vie retracé brièvement ici, par le biais d’un entretien avec une jeune femme migrante, est à la fois emblématique et atypique. La personne qui a accepté de livrer ce témoignage est représentative des migrant-e-s que nous rencontrons au CCSI sur plusieurs plans: il s’agit d’une femme, latino-américaine, avec un enfant resté au pays, employés dans l’économie domestique. Mais si les difficultés rencontrées par cette jeune femme sont elles aussi courantes dans les récits de vie des migrant-e-s que nous côtoyons, tou-te-s n’y sont heureusement pas confronté-e-s, ni de la même manière, ni à un tel degré. Plus rare encore sont celles et ceux qui acceptent de parler publiquement de ce qu’ils ont vécu. Notre propos n’est pas de faire dans le sentimentalisme, ni de susciter la pitié. Au contraire, nous pensons que ce récit illustre plutôt l’espoir et le besoin de dignité qui poussent tant de ces personnes non seulement à quitter leur pays d’origine, mais également le courage et la force qui les aident à endurer ici les conditions très difficiles dans lesquelles la politique migratoire helvétique les enferme. Bonne rentrée à vous toutes et tous, et bonne lecture…

Marianne Halle


Parcours de vie: entretien avec Aurora

 

Arrivée en Suisse il y a quatre ans et demi, Aurora est Bolivienne. Elle a 37 ans, est mariée et a une fille de 8 ans au pays, ainsi qu’un garçon de 17 mois qui vit en Suisse. Elle vient d’obtenir un permis.

 

Dans quelles circonstances êtes-vous partie de Bolivie ?

J’étais mère célibataire, et je viens d’une famille très modeste. Je voulais un avenir meilleur pour ma fille, pouvoir lui offrir les études que je n’ai pas pu faire. Pour mon malheur, mon père est mort quand j’avais à peine 2 ans. Alors ma mère s’est retrouvée seule, dans la rue, avec ses huit enfants à élever. Ma mère est devenue lavandière, et nous nous occupions les uns des autres. Les premiers enfants n’ont pu suivre que quelques cours de l’école primaire. Mais moi, je suis allée à l’école supérieure, et j’ai décroché un titre de secrétaire. J’ai toujours travaillé, j’ai élevé ma fille seule. Et là-bas en Bolivie, si vous êtes mère célibataire, la société vous rejette complètement, vous ‘réduit en poudre’. Ils m’ont fait ça à moi, les gens me regardaient mal, je ne valais plus rien aux yeux de la société. J’ai du supporter toute cette humiliation toute seule. Le père de la petite n’a pas été capable de me sortir de ce trou dans lequel il m’avait mis. Moi, je pensais que je m’étais mise dans cette situation, et que c’était à moi de la régler, d’assumer, peu importe ce que dit la société. J’ai donc trouvé du travail. Mais les salaires en Bolivie sont très bas, et ce que je gagnais ne suffisait pas à couvrir mes frais, ceux de ma fille et ceux de ma mère, qui s’occupait de ma fille. C’est ainsi que j’ai pris mon courage à deux mains, et que je suis venue ici pour voir si j’arrivais à faire mieux.

 

Pourquoi avoir choisi la Suisse? Que saviez-vous de ce pays avant de venir ?

Il se trouve que la plupart des gens de mon village qui ont émigré sont venus ici, en Suisse. Les personnes que je connaissais ici m’ont dit que c’était difficile, à cause de la langue d’abord, et à cause du travail surtout.
Là-bas, nous avons du travail, mais aussi des diversions, de la famille, des amis. Ici, c’est travail, travail, travail, à 100%. Elles m’ont dit qu’il fallait bien qu’on se mette ça dans la tête. Elles m’ont aussi expliqué comment faire pour ne pas être expulsée, et quoi dire à la police en cas de contrôle. Elles m’ont dit qu’amener, et que laisser pour ne pas créer de soupçons. Elles m’ont surtout aidée au début, pour trouver un logement temporaire, pour quelques jours ou un mois, mais ensuite c’était à chacun de trouver son chemin. Et si nous ne trouvions pas, tant pis, c’était à nous de souffrir par ici.

 

Et ce sont elles qui vous ont dissuadée d’emmener votre fille ?

Non, c’est moi qui ai décidé. Mon intention au départ n’était pas de rester ici. A l’origine, j’étais venue pour quelques années, dans l’idée de travailler, d’économiser un peu d’argent, et de rentrer en Bolivie. Mon grand rêve était d’entrer à l’Université. Je pensais venir ici, travailler et économiser, puis rentrer et m’acheter une maison. Ensuite, je serais allée à l’Université, en travaillant le jour et en étudiant la nuit. Je pensais que tout allait s’arranger. Mais ça ne s’est pas passé comme ça.

 

C’est-à-dire ? Expliquez-nous comment ça s’est passé ici ?

J’ai trouvé du travail dès le premier mois, chez une dame latino-américaine. Elle me payait 1200.- par mois. Mais je n’avais ni les samedis, ni les dimanches de libre. Je devais travailler de 7 heures du matin à 11 heures du soir. C’était toujours courir, et je n’avais droit à rien. Elle criait beaucoup, tout le temps. Je vivais dans un petit studio au premier étage, alors que la famille vivait au quatrième. Mais je devais m’occuper de huit personnes en permanence, six enfants et deux adultes. Je devais me lever tôt, aller à l’appartement, faire le petit-déjeuner pour tous les enfants, les habiller, les envoyer à l’école. Et elle, qui criait sans arrêt. Le matin, quand je savais que je devais monter au travail, j’avais peur. Un jour, elle n’était pas contente de moi et elle m’a même frappée. Je lui ai dit que je n’acceptais pas qu’elle me frappe, et elle m’a menacée de nous faire déporter, moi et mes frères. Je n’en pouvais plus. Elle criait et menaçait tout le temps. Souvent, j’avais jusqu’à douze enfants à garder, parfois jusqu’à 1h du matin. Elle m’amenait tous les enfants de ses amies, dont les employées avaient un jour de congé. Je lui disais « Pourquoi m’amenez-vous tous ces enfants ? Imaginez-vous la responsabilité que vous m’imposez, moi toute seule avec douze enfants ! Et s’il arrive quelque chose à l’un d’eux ? » Elle m’a dit: « Tais-toi, ne réclames rien, sinon je te frappe à nouveau !» Après cinq mois de cet enfer, je suis tombée malade, je suis allée chez le médecin, et c’est comme ça que je me suis échappée de là. Je ne suis plus retournée chez la patronne. Elle me devait encore un demi-mois, mais je m’en fichais. L’important pour moi, c’était de sortir de là. Cette expérience m’a complètement traumatisée. Je ne voulais plus travailler, plus sortir, plus rien faire. J’avais tellement peur qu’il m’arrive la même chose une nouvelle fois.

 

Avez-vous tenté de la dénoncer ?

Non, je pensais qu’elle avait tous les droits. Elle me disait qu’elle avait des papiers, que moi non, et qu’elle pouvait tout faire. J’avais très peur. Et je pensais aussi : une fois sortie de là, c’est ma parole contre la sienne, comment vais-je pouvoir prouver ce que je dis ? Après ça, je ne voulais plus travailler, et j’ai vécu avec une amie de ma sœur dans un studio. Elle savait à quel point j’étais traumatisée, et m’a aidé à trouver du travail sans que je doive retourner vivre avec les familles. Elle m’a trouvé un travail, je gardais deux enfants la journée, au studio. Le soir, parfois, je sortais avec elle.

 

C’est alors que vous avez rencontré votre mari ?

Oui. Il est portugais, et il a un permis ici. Mais il venait de divorcer de sa précédente compagne, et n’avait plus de maison. Comme le studio de mon amie ne pouvait m’accueillir que moi, seule, je suis partie à la recherche d’un autre logement. Mais les appartements sont tellement chers, ici… Il y a des endroits où les gens mettent des petites annonces, s’ils cherchent des colocataires par exemple. C’est comme ça que j’ai trouvé un logement pour nous. Mais c’était un studio, d’environ 25 m2, et nous étions douze dedans. Il y avait des lits superposés dans tous les coins. Nous étions tous en sous-location, et c’est la personne qui avait l’appartement officiellement qui encaissait l’argent. Elle faisait payer 380.- le matelas. Hommes, femmes, enfants, couples, tout y passait. Pour elle, cela n’avait aucune importance, tout ce qu’elle voulait, c’était encaisser l’argent. Comme nous dormions dans le même lit, elle nous a fait un rabais, c’était 500.- par mois pour les deux. Et quand l’enfant est né, elle nous a fait payer 200.- de plus par mois. Pour le bébé.

 

Vous avez-vécu là, enceinte ?

Oui, nous n’avions pas le choix. Nous n’avions rien. Je suis allée chez l’assistante sociale pour qu’elle nous aide à trouver un logement, mais elle m’a dit que je n’avais pas de papiers, et qu’elle ne pouvait rien faire pour moi. Ensuite, heureusement, mon mari m’avait inscrit à l’assurance maladie quand je suis tombée enceinte. Et comme j’avais eu des problèmes lors de ma première grossesse, je l’ai dit au médecin, et il m’a envoyé une personne qui venait à la maison pour prendre ma tension trois fois par semaine. C’est elle qui s’est inquiétée de la situation dans laquelle nous étions. Là-bas, c’est qu’il y avait de tout, des gens qui vivent, qui dorment, qui boivent, de tout, de tout. Le problème, c’était surtout la salle de bains. On n’y allait pas quand on voulait, mais quand on pouvait… vous imaginez, à douze dans le studio, c’était tout le temps occupé, ce qui n’est pas facile quand on est enceinte et qu’on a des problèmes d’estomac… Je disais à mon mari que je vivais un véritable calvaire dans cet appartement, qu’il ne pouvait pas savoir, lui qui travaillait toute la journée. Mais nous ne pouvions pas faire autrement, impossible de trouver un endroit à nous, même à sous-louer. C’est l’infirmière qui nous a conseillé de nous marier.

 

Cela posait des problèmes, de se marier sans papiers ?

Oui, parce qu’il manquait toujours un document. J’arrivais avec le dossier, et ils nou
s disaient qu’il manquait un papier. Je devais le demander en Bolivie, et comme je viens de la campagne, c’est difficile d’obtenir les documents rapidement. Quand finalement je revenais avec le document manquant, les autres étaient périmés, parce que tous ces papiers n’ont de valeur que six mois. Ce fut un calvaire. Quelques jours après la naissance du bébé, j’ai reçu un téléphone de la mairie qui nous disait d’amener tous les papiers. Nous nous sommes mariés quatre mois après la naissance. Mais nous vivions toujours dans le studio avec les douze personnes. Il y avait des enfants, de tout… des gens qui se réveillaient en buvant. Et moi, là dedans, avec mon bébé nouveau-né… Ils faisaient tellement de bruit… Le bébé n’arrivait pas à se reposer, moi je n’en pouvais plus. Un jour, par désespoir, je suis allée vers l’assistante sociale et je lui ai demandé ce que je pouvais faire pour qu’on nous expulse d’ici, moi et mon bébé. Je ne voulais pas laisser mon bébé. Je lui ai expliqué la situation. En plus, la ‘responsable’ avait commencé à nous faire des misères, elle voulait 200.- de plus pour le bébé, et nous disait que si nous ne payions pas, elle nous mettait à la rue. Il y avait déjà d’autres couples en attente, et elle en avait marre que je me plaigne du bruit. J’ai pensé aller dormir à la gare, avec mon bébé, mais je n’y arrivais pas. Alors l’assistante sociale m’a orientée vers une personne qui m’a dit qu’elle allait trouver quelque chose, à cause du bébé. Et finalement, un beau jour, elle a appelé pour nous dire que c’était bon. Le bébé avait cinq mois. Le permis, lui, est arrivé en février de cette année.

 

Quelle est selon vous la principale différence entre le parcours d’un sans-papiers ici, et celui d’un migrant autorisé ?

C’est que les gens, même parfois des gens du même pays, de la même ville d’origine que soi, essaient de t’exploiter. Parce que les sans-papiers ne connaissent pas leurs droits, ne connaissent pas les règles. Mais c’est surtout la peur, que les gens exploitent. Par exemple, ils te ‘vendent’ un travail, et te disent que tu leurs dois ton premier salaire, parce que ce sont eux qui t’ont recommandée. Les gens profitent du fait qu’on ne peut pas passer par les canaux officiels.

 

Et maintenant que vous avez le permis, qu’est-ce qui va changer dans votre vie ?

La peur diminue, surtout… Ensuite, j’aimerais apprendre bien le français, à le lire et à l’écrire. Et j’aimerais travailler dans ce que je sais faire. J’aimerais bien travailler comme secrétaire, pour pouvoir aider mon mari un peu, et étudier aussi, pour m’améliorer. Et bien sûr, j’aimerais faire venir ma fille. Je me sentirais plus tranquille de l’avoir ici avec moi. Là-bas, elle n’aura pas accès à un bon niveau d’études. Elle vit dans un petit village à la campagne, avec ma mère qui est analphabète. Ma mère m’a dit qu’il était temps que je la reprenne, parce qu’elle était incapable d’aider la petite avec ses devoirs, pour l’école.

 

Vous avez la possibilité de communiquer avec votre fille?

Oui, je l’appelle de temps en temps, depuis qu’ils ont installé le téléphone. Mais c’est récent. Avant, je ne pouvais même pas l’appeler. Mais même ça, c’est très cher, et comme seul mon mari travaille et que nous avons beaucoup de factures à payer, je dois faire attention, pour ne pas que mon fils ici manque de tout. Imaginez si je ne pouvais pas lui acheter son lait…

 

Et que pensez-vous de l’idée de rentrer en Bolivie ?

Moi, j’aimerais bien. Je pourrais suivre des cours de nouveau, et travailler. Mais mon mari a une fille, ici, de son précédent mariage. Et il doit payer 900.- de pension alimentaire. Comment pourrait-il gagner ça en Bolivie ? Là-bas, 200 dollars, c’est déjà un très bon salaire. Moi, pour du travail en bureau, je pourrais gagner 200, au maximum 300 dollars par mois. Mais lui, en tant qu’ouvrier, pour du travail peu qualifié, il gagnerait 100 dollars, tout au plus. Comment pourrait-il payer la pension avec ça ? Moi j’y pense, parfois, et je me dis que ce serait tellement plus facile… Mais là, avec ce problème d’argent, ce n’est pas possible.

 

Si vous deviez repartir, que retiendriez vous de votre expérience ici ?

Cela m’a aidée à ne plus penser que… vous savez, on vient ici avec tellement d’espoir, tellement d’illusions. Je n’ai pas pu faire ce que je voulais… Je n’avais jamais l’intention de rester ici, de demander des papiers… Je voulais juste que la vie me donne une petite chance, cette vie qui m’avait enlevé mon père quand j’avais deux ans, qui ne m’a pas donné un mari pour m’aider à élever ma fille, je me disais qu’au moins, elle me donnerait ça, qu’elle me laisserait tenter ma chance ici. Je ne voulais que travailler et économiser un peu d’argent pour pouvoir m’acheter une maison, et étudier l’informatique. Au moins, ici, j’ai rencontré mon mari et fondé une famille, j’espère juste que pourrai faire venir ma fille. Mon mari me soutient, il fait des plans pour elle. Lui qui ne peut pas non plus vivre avec sa fille, il comprend ma situation. Il fait des plans pour qu’elle ait sa chambre, ses petites affaires. C’est d’un grand soutien pour moi, une bouffée d’air, qu’il parle de ma fille, qu’il l’accepte comme si c’était la sienne.

 

Propos recueillis et traduits de l’espagnol par Marianne Halle

 

 

 

Un été sur le front de la migration

 

Le tous-ménages de l’UDC n’est malheureusement pas le seul élément inquiétant qui soit apparu au cours de l’été 2010. Petit tour d’horizon, bref, subjectif et non-exhaustif, des dernières nouvelles.

 

En Suisse:

 

Renvois forcés, reprise des vols spéciaux:

Ce terme énigmatique de ‘vols spéciaux’ recouvre dans les faits u
ne réalité dérangeante. Il s’agit de vols affrétés par la Suisse pour renvoyer des personnes déboutées qui s’opposent à leur renvoi. Ces vols comportent de nombreux risques de dérapages, et ont déjà connu plus d’une fois une issue dramatique. C’est d’ailleurs à la suite du décès d’un requérant d’asile nigérian en mars dernier, sur le tarmac de l’aéroport de Zurich, que ces vols avaient été momentanément suspendus. Cet été, alors même que les résultats de l’autopsie sont contestés par sa famille, et que les innombrables problèmes et dysfonctionnements qui ont mené à la tragédie sont loin d’être résolus, l’ODM a décidé de reprendre les renvois spéciaux à destination de l’Afrique. Quand bien même ces renvois forcés devraient désormais se faire en présence d’un médecin, les organisations actives dans le domaine mettent en garde contre ces méthodes «inhumaines, dont l’immobilisation quasi totale et l’interdiction d’uriner et de manger par soi-même, envers des personnes qui n’ont rien fait d’autre que de vouloir être en Suisse et ne pas avoir le droit d’y être.» Les expulsés sont en principe chacun encadrés par trois ou quatre policiers. Selon une information du journal Le Temps, les derniers «vols spéciaux» vers l’Afrique ont coûté en moyenne 140 000 francs pour ne renvoyer qu’une poignée de requérants. Et les premiers témoignages qui nous parviennent à la suite de la reprise de ces expulsions ne sont guère encourageants, faisant notamment état de pérégrinations interminables, de corruption d’agents dans les pays de destination, et de traitements dégradants. Combien de témoignages de ces dysfonctionnements, combien de millions dépensés faudra-t-il encore, avant qu’on mette fin à cette pratique inhumaine?

 

Les Sans-papiers prennent la parole au 1er août:

Accompagnés de membres du collectif « droit de rester », des militants sans statut légal qui avaient occupé en juin dernier le parc de la Kleine Schanze à Berne ont demandé à rencontrer la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf lors de la fête du 1er août qui se tenait à Eiken, sous le slogan « Eiken pour toutes et tous ». Accueillis par un imposant dispositif policier, ce n’est qu’après de longues négociations que cinq personnes ont finalement reçu l’autorisation de rencontrer Mme Widmer-Schlumpf et de lui faire part de leurs revendications. À leurs demandes, qui concernent notamment une régularisation collective et un droit au travail pour les centaines de milliers de sans-papiers et de requérants d’asile déboutés qui résident en Suisse, la conseillère fédérale a répondu que la loi prévoit des exceptions pour les cas de rigueur et que ces mesures sont utilisées. Or les difficultés que rencontrent les personnes concernées (et les organisations qui les défendent) en raison de la pratique excessivement restrictive de Berne en matière de régularisation au cas par cas sont connues de longue date. Le dialogue de sourds continue.

En France:

 

En France, l’été 2010 a donné l’occasion à un gouvernement en chute libre dans les sondages de tenter de se refaire une popularité grâce à un thème qui porte presque toujours ses fruits: la psychose sécuritaire. Soucieux de faire oublier leurs déboires dans le cadre du scandale politico-financier qui vise les plus hautes sphères de l’État, plusieurs personnalités haut-placées dans le gouvernement Sarkozy, dont le président lui-même, se sont livrés sur ce thème à une surenchère médiatique aux forts relents populistes et xénophobes.

 

Retrait de la nationalité aux criminels d’origine étrangère:

Suite aux violences qui ont éclaté notamment à Grenoble à la fin juillet, Nicolas Sarkozy a repris le discours qui l’avait porté à la tête de l’État, celui d’une fermeté absolue à l’encontre de la criminalité et de l’insécurité. C’est dans ce cadre qu’il a notamment affirmé vouloir déchoir de la nationalité française « toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie de policiers et de gendarmes, ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique. » La question qui saute aux yeux est la même qu’en Suisse, où des propositions similaires ont été faites: à partir de quand, une fois naturalisé, cesse-t-on d’être « d’origine étrangère »? Combien de générations faut-il pour être enfin considéré comme véritablement Français ou Suisse? En ces temps d’intense circulation des personnes, des biens, des idées, n’est-il par complètement utopique de vouloir limiter l’accès aux garanties que devrait offrir un État de droit digne de ce nom aux hypothétiques représentants ‘purs’ d’une population donnée? Comme le dit très bien l’historienne Esther Benbassa, « au lieu de concevoir des politiques de cohabitation des groupes de cultures différentes, on marginalise un peu plus. Ainsi établit-on différentes catégories de Français, les bons et les autres, ceux de seconde zone. […] On ne peut pas mieux faire pour diviser la France et donner un coup de pouce au fameux communautarisme tant dénoncé par les élites au pouvoir. On s’assemble avec ceux qui vous accueillent et non avec ceux qui vous rejettent.»

 

Campagne acharnée contre les Roms:

La France est également devenue le théâtre d’une vaste opération anti-Roms. Rendus responsables de crimes souvent très vaguement définis (« climat d’insécurité », « nouvelles formes de délinquance »), et parfois à la limite du grotesque (« mendicité agressive », selon Eric Besson), ces derniers ont été victimes de campagnes d’expulsion d’envergure, de démantèlement de campements, et de nombreuses autres formes de discrimination tout au long de l’été. Plusieurs organisations ont dénoncé la stigmatisation négative dont ils faisaient l’objet, soulignant que les Roms sont persécutés partout et depuis des décennies en raison de leur origine et de leur situation sociale. Cet acharnement contre eux s’explique en partie: les Roms constituent en effet une cible facile, puisqu’ils ne bénéficient d’aucune protection étatique. Au contraire, leur pays d’origine les discriminent, les rejettent et les abandonnent également. Des propos qui étaient jusqu’à présent l’apanage de l’extrême droite sont désormais tenus par de hauts responsables en France, illustrant ainsi une dérive préoccupante.

 

En Allemagne:

 

Une rhétorique qu’on croyait révolue:

Thilo Sarrazin, membre du directoire de la Banque centrale Allemande, a publié cet été un pamphlet intitulé « L’Allemagne court à sa perte », dans lequel il stigmatise les immigrés, notamment ceux d’origine musulmane, et dénon
ce entre autres leur natalité trop élevée. Non content de colporter les clichés les plus nauséabonds, il n’a pas hésité à parler, lors d’une interview donnée fin août, d’un prétendu « gène juif ». Ses propos ont fort heureusement fait scandale, mais dans la foulée, certaines personnes ont également estimé qu’il avait levé le voile sur un réel problème. Le débat sur l’immigration en Allemagne ne fait peut-être que commencer à s’envenimer.

 

Au Mexique:

 

Des clandestins abattus par balles:

On a retrouvé dans un charnier du Nord du pays les corps de 72 personnes, dont 14 femmes. Il s’agit vraisemblablement de clandestins, fusillés puis achevés d’une balle dans la tête. Selon un survivant, elles ont probablement été tuées pour avoir refusé de devenir les hommes de main du cartel de drogue local. Ce massacre démontre une fois encore l’extrême vulnérabilité des migrant-e-s clandestin-e-s, et l’incapacité des autorités à assurer leur sécurité.