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CCSI-Info mars 2011

Publié le 14 mars, 2011 dans

bulletin d’infos

mars 2011

 

 

Édito

 

 

 

Le printemps est arrivé plus tôt que d’habitude, en cette année 2011. Du moins est-ce vrai en Afrique du Nord, où le jasmin a fleuri dès fin janvier… Le courage remarquable des peuples tunisien, égyptien, et à plus forte raison encore libyen, devrait être source d’inspiration pour nous toutes et tous. Et nous rappeler que quand elle se met en mouvement, il n’y a pas de force plus puissante que celle de l’aspiration à la liberté. Pourtant, en Suisse, certains parlementaires se sont chargés de nous rappeler que nous ne sommes jamais à l’abri d’un retour impromptu de l’hiver, et que le cynisme et la petitesse d’esprit n’ont parfois que peu de limites. Car face aux bouleversements historiques qui ont eu lieu au sud de la Méditerranée, et aux souffrances du peuple libyen sous les bombes du pouvoir, les voix les plus bruyantes qui nous parviennent de Berne sont les vociférations de ceux qui persistent à ne voir dans ces mouvements qu’une menace supplémentaire sur la Suisse sur le plan des flux migratoires. Et plutôt que de faire appel à notre la tradition d’accueil prétendument légendaire, certains parlent d’envoyer l’armée aux frontières pour faire barrage aux hordes de réfugiés qui pourraient apparaître à nos portes. On avertit d’ores et déjà les candidats éventuels qu’un tri des plus stricts sera opéré, afin de débusquer parmi eux les «migrants économiques» (ou «faux réfugiés») et de les renvoyer au plus vite à leur misère. Ainsi, avant même que le premier réfugié de la répression ne soit arrivé sur sol helvétique, la machine à fabriquer des peurs s’est mise en marche. On agite le spectre d’un afflux massif et incontrôlé, on établit des liens douteux entre l’augmentation des demandes d’asile et la hausse de la criminalité, on rappelle sans cesse que la Suisse ne peut accueillir toute la misère du monde.

 

La Suisse n’est pas le seul pays à lire les événements récents à travers le prisme des flux migratoires. L’Europe multiplie elle aussi les réunions de crise, destinées à endiguer les vagues de réfugiés qui débarquent à Lampedusa ou ailleurs. Alors qu’officiellement, tous les gouvernements du monde occidental affirment soutenir les mouvements populaires qui ont su faire tomber ces dictatures, dans les coulisses on met tout en œuvre pour ne pas avoir à subir les conséquences d’un tel soutien. Or l’Europe et la Suisse portent une part de responsabilité dans les circonstances qui ont mené au soulèvement de ces populations. D’une part, on s’est accommodé – trop souvent jusqu’à la onzième heure – de la présence de ces régimes tyranniques. De l’autre, notre politique économique contribue au creusement des inégalités, à la pauvreté et au chômage dans ces pays. C’est pourquoi l’Europe et la Suisse, plutôt que de chercher à limiter à tout prix l’arrivée de nouveaux migrants, devraient réfléchir aux meilleurs moyens de venir en aide aux populations locales. Bien sûr, il est urgent de contribuer activement au redressement économique de la région, en donnant les moyens nécessaires à la coopération au développement. De même, il faudra apporter toute l’aide possible aux mouvements d’opposition pour que la mise en place d’une véritable démocratie se fasse rapidement et de manière transparente. Mais encore et surtout, notre soutien à ces populations devra s’exprimer de façon concrète, en accueillant dignement et dans le respect des droits humains les plus fondamentaux les personnes qui fuient la misère et la persécution. Il appartient désormais à chacun-e de nous de (se) rappeler que nous avons, nous aussi, un devoir de solidarité.

Marianne Halle

 


Migrants, hier et aujourd’hui, mêmes combats

 

Dans le cadre du festival Mémoires blessées, certain-e-s ont eu récemment le plaisir de voir le documentaire Les années Schwarzenbach. Ce film a le mérite de faire œuvre de mémoire, à travers les témoignages d’une dizaine de personnes qui ont vécu cette période plutôt sombre de l’histoire suisse. Les migrant-e-s de l’époque qui s’expriment dans ce film, principalement des Italiens et des Espagnols, se rappellent les humiliations subies lors de leur arrivée, la dureté des conditions de vie, mais également l’incompréhension face au rejet exprimé par une partie des Suisses lors des votations sur les initiatives xénophobes. S’il est de bon ton aujourd’hui de se scandaliser du traitement qu’on faisait subir alors aux immigré-e-s, peu nombreux-euses sont celles et ceux qui s’indignent du sort des migrant-e-s en Suisse de nos jours. On entend d’ailleurs souvent, pour justifier ce décalage, que les migrant-e-s d’aujourd’hui sont «différents» de ceux d’alors. Le sous-entendu est que les Italiens et les Espagnols avaient su s’intégrer plus facilement, étant plus proches de nous culturellement, et qu’ils cherchaient – contrairement à ceux d’aujourd’hui – à se «fondre dans la masse». Or le CCSI est en contact quotidiennement avec les populations migrantes, qu’il n’a jamais cessé d’accueillir, d’accompagner, et de défendre. Car s’il a évolué au gré des transformations de la migration elle-même, le Centre de Contact est né du contexte des années Schwarzenbach, en étroite collaboration avec les collectifs d’immigrés italiens, espagnols et portugais. C’est pourquoi nous pouvons affirmer avec force : non, ce n’était pas différent alors, ou du moins, pas pour cela. Dans les années 1970, on entendait les mêmes jugements à l’emporte-pièce, la même stigmatisation, on considérait également que «ces gens-là» étaient trop différents de nous, qu’ils ne pourraient jamais s’intégrer. Or force est de constater que plus personne aujourd’hui ne songe à voir les Italiens comme des «étrangers inassimilables». Il nous semble donc nécessaire de rappeler que la figure de l’autre, de l’étranger, a toujours été et demeure une construction, issue d’un contexte social et historique particulier. Et que cette construction est susceptible de changer, d’évoluer, selon les nécessités politiques et économiques du moment. Il serait salutaire de s’en souvenir, afi
n notamment de pouvoir (re)construire une solidarité entre les migrant-e-s d’hier et d’aujourd’hui qui partagent – parfois sans le savoir – des combats communs.

 

 

Adieu, Henri!

 

Malheureusement, une fois encore, nous devons dire adieu à un ami. En effet, Henri Stauffer, notre ami de longue date, nous a quitté. Il s’en est allé rejoindre Aimée Stitelmann, sa chère compagne et complice dans la solidarité sans faille qu’a été leur vie. Au moment où d’autres prennent leur retraite, Henri s’est mis au service de très nombreux jeunes allophones qui avaient besoin de cours de rattrapage, afin de poursuivre leur formation. Il les aidait dans les matières scientifiques, en math et en physique notamment, alors que sa compagne Aimée donnait des cours de français. Grâce à l’engagement de ce couple hors du commun, de très nombreux enfants et adolescent-e-s ont pu reprendre courage, combler des lacunes – parcours scolaire et migration ne font pas toujours bon ménage – et poursuivre d’un meilleur pied leur cursus. L’immigration lui doit une fière chandelle.

 

De plus, membre actif de notre Centre, Henri est venu toutes les semaines, pendant des années aussi, pour mettre à jour la comptabilité du CCSI, chaque mardi, durant plusieurs heures, parfois jusque tard le soir. C’était souvent l’occasion, devant notre machine à café, d’échanger quelques mots, de tisser des liens, moments privilégiés où une partie de mémoire de lutte collective affleurait parfois. Il avait un humour particulier, un côté pince-sans-rire, réservé, parlant peu, observant le monde et les êtres qui l’entouraient, avec un regard perspicace, sage et pétillant de malice. Quelque chose de facétieux émanait de sa longue silhouette, qui s’affinait avec les années. Nous lui disons aujourd’hui adieu, et gardons pour nous tout ce qu’il nous a apporté. Merci, Henri.

 


Quel avenir pour les jeunes sans-papiers?

 

Le 7 février dernier avait lieu à l’UOG une table ronde, organisée par le Collectif de soutien aux sans-papiers de Genève. Ce fut l’occasion de réunir autour d’une même table des acteurs et actrices issu-e-s d’horizons très différents, et de les entendre non seulement sur la problématique de l’accès à l’apprentissage pour les jeunes sans statut légal, mais également plus largement sur la question des sans-papiers dans notre pays. Le débat franc et ouvert, sans langue de bois (ou si peu…), a permis de confirmer qu’il existe une réelle volonté politique, même au sein de certains partis de droite, de faire avancer le dossier de l’accès à la formation professionnelle. Par contre, il semble toujours aussi difficile de forger un consensus large sur une éventuelle régularisation collective. Si tous s’accordent à dire qu’il s’agit là d’un problème auquel des solutions pragmatiques doivent être trouvées, il reste impossible de dégager des pistes concrètes qui conviennent à tout le monde. C’est pourquoi il est d’autant plus urgent de se concentrer sur cette question de l’apprentissage, et de s’appuyer sur le consensus existant en la matière pour faire progresser ce dossier. Depuis l’acceptation de la motion Barthassat1, toutes les associations de défense des sans-papiers font face à de nombreuses questions sur les possibilités réelles que ce vote pourrait engendrer. Afin d’être en mesure d’apporter une réponse aux interrogations de ses consultant-e-s, et en souhaitant pouvoir offrir une lueur d’espoir aux jeunes concerné-e-s, le CCSI encourage vivement la recherche de solutions cantonales en la matière, et soutient avec force la mise en place de mesures transitoires, dans l’attente d’un projet fédéral qui mette en œuvre concrètement le principe accepté par les Chambres l’automne dernier.

 

 

Naturalisations : nouveau durcissement

 

La nouvelle révision de la loi sur la naturalisation vient d’être présentée en grande pompe par le Conseil fédéral. Vendue à la presse comme un moyen de «mettre fin aux différences cantonales», de «simplifier les procédures» et d’encourager les candidat-e-s à la naturalisation à «mieux s’intégrer», il s’agit dans les faits d’une restriction supplémentaire à un processus de naturalisation déjà fort sévère en comparaison avec d’autres pays européens. Le principe directeur de la révision est celui de considérer la naturalisation comme «l’étape ultime de l’intégration» en Suisse. Ainsi, les mesures concernent en premier lieu les conditions à remplir pour pouvoir déposer une demande, puisque seuls les détenteurs d’un permis d’établissement (permis C) pourront désormais obtenir le passeport à croix blanche. Cela exclut près de 15% des demandeurs aujourd’hui, principalement des personnes qui ont obtenu des permis dans le cadre d’une procédure d’asile, ou encore celles qui ont résidé en Suisse avec une carte de légitimation. En outre, on précise ce qu’on entend par «bonne intégration», une notion déjà présente mais jugée trop vague dans les réglementations actuelles. Il s’agit avant tout de connaissances linguistiques et du «respect des normes». Les exemples données par le Conseil fédéral dans son message aux Chambres jettent une lumière plutôt crue sur les comportements visés: un père qui ferait exciser sa fille, qui la contraindrait à un mariage forcé, ou qui la retirerait des cours de natation serait considéré comme non-intégré, et le succès sa demande gravement mis en péril. On mentionne encore comme critère la volonté de participer à la vie économique, ouvrant ainsi la porte à la discrimination envers celles et ceux qui, pour une raison ou une autre, n’auraient pas trouvé leur place sur le marché du travail. Seul point positif à souligner, la possibilité pour les étrangers particulièrement méritants de déposer une demande après huit ans de séjour «seulement», contre douze aujourd’hui. Notons toutefois que cet avancée ne concerne que les étrangers-ères issu-e-s de l’UE, des États-Unis et du Canada, qui peuvent accéder au permis C après cinq ans. Pour le reste, ce sont une fois encore les migrant-e-s les plus pauvres, les moins formé-e-s, et celles et ceux qui viennent des pays tiers qui sont défavorisés par ce nouveau durcissement.

 


Constituante : réponse à la consultation

 

L’Assemblée constituante a lancé en février une large consultation sur le projet de nouvelle constitution pour Genève, issu de ses travaux ces deux dernières années. En tant que partie prenante à ce processus, puisqu’il avait participé à l’élaboration et à la récolte de signatures pour deux pétitions adressées à cette même assemblée, le CCSI a donc répondu à cette consultation non seulement au travers du questionnaire officiel, mais également par le biais d’une prise de position. Cette dernière, plus élaborée, reprend les points qui nous semblent essentiels par rapport à l’avant-projet présenté à la population. Sont mentionnées notamment les questions concernant les droits et besoins fondamentaux, les rôles et tâches de l’État, mais encore et surtout les droits politiques des étrangers, une revendication centrale du CCSI depuis de nombreuses années. Nous reprenons ici les arguments avancés en faveur de l’inscription dans la nouvelle constitution des droits politiques complets (vote et éligibilité) pour les étrangères-ers résidant à Genève (le texte complet de la prise de position est disponible sur notre site internet) :

 

« Il s’agit là de la mise en œuvre du principe de base de la démocratie, qui veut que l’on ait le droit de participer à l’adoption des lois auxquelles on est soumis. D’autre part, le CCSI est convaincu que l’objectif de l’intégration des étrangers passe entre autres conditions par la possibilité de participer à l’élaboration de la volonté collective qui s’exprime dans les lois. La citoyenneté, au niveau local, se fonde sur la participation de tous et toutes à la vie de la cité et à la construction d’un projet collectif pour l’avenir, et doit donc être dissociée de l’origine nationale. Si nous nous félicitons que l’avant-projet ait prévu le droit d’éligibilité des étrangers au niveau communal, nous regrettons toutefois que le pas consistant à étendre les droits politiques des étrangers au niveau cantonal n’ait pas été franchi. L’expérience des cantons (Jura, Neuchâtel) qui ont adopté ce principe montre que l’extension des droits politiques aux étrangers sur le plan cantonal constitue un instrument de cohésion sociale important. Les caractéristiques du canton de Genève (canton-ville), où les compétences des communes sont réduites, rendent d’autant plus légitime et nécessaire l’extension des droits politiques des étrangers au niveau cantonal, puisque c’est à ce niveau que s’élaborent les règles de la vie commune. En outre, compte tenu de l’importance de la population étrangère résidant à Genève (près de 40%), le refus du droit de participation à cette population constitue un affaiblissement injustifiable de la démocratie. […] Nous espérons que la nouvelle constitution de Genève fera de même pour ce qui est des droits politiques des étrangers, et ouvrira ainsi vers des solutions novatrices, en faisant des droits politiques un instrument d’inclusion et non d’exclusion. »

 

Loïc Wacquant, sociologue

donne une conférence sur le thème

« Les prisons de la misère revisitées: panique sécuritaire, insécurité sociale et immigration en Europe »

 

le mardi 22 mars 2011 à 18h au Théâtre St-Gervais

 

Organisation: Ligue suisse des droits de l’homme – Genève, Théâtre de St-Gervais, en partenariat avec la Coordination contre l’exclusion et la xénophobie et le Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH)

Entrée libre