CCSI-Info novembre 2011
CCSI-Info
novembre 2011
Edito
Depuis le 23 octobre dernier, le nouveau visage du Parlement helvétique est connu. Du moins celui du Conseil national, puisque dans plusieurs cantons, on devra attendre l’issue d’un second tour avant de connaître la composition définitive du Conseil des États. Les commentaires sur ces élections, de pertinence variable il est vrai, ont d’ores et déjà été très nombreux. Cela étant, un aspect a été relativement peu abordé: quelles conséquences cette nouvelle configuration risque-t-elle d’avoir sur la politique en matière de migration? D’une part, il ne faut pas sous-estimer l’importance du score réalisé par l’UDC: non seulement l’extrême-droite n’atteint-elle ni l’un ni l’autre de ses objectifs affichés (progression continue pour atteindre 30% de l’électorat et « prise de pouvoir » au Conseil des États), elle recule même, perd huit de ses sièges au Conseil national et ne parvient pas à faire élire son leader charismatique à la chambre haute (Blocher n’arrive qu’en troisième position dans la course aux États dans le canton de Zurich). Les raisons de cette déconvenue? Elles sont sans doute multiples. Mais peut-être le peuple arrive-t-il (enfin) à une certaine saturation. Peut-être les ficelles de la dernière initiative en date – contre « l’immigration massive » – étaient-elles un peu trop voyantes, la manipulation un peu trop crasse. Peut-être aussi qu’en ces temps incertains, entre angoisse nucléaire, crise économique et menaces sur l’emploi, le programme de l’UDC, limité – du moins envers le grand public – à une énième salve contre les étrangers, a-t-il semblé un peu court. Quoiqu’il en soit, nous ne pouvons être que soulagé-e-s de voir que la progression de ce parti n’est en fait pas illimitée. Et que la combinaison « élections fédérales – initiative xénophobe » n’est pas toujours synonyme de victoire pour ses promoteurs.
Si l’UDC est l’un des perdants de ces élections, d’autres partis ont connu un meilleur sort. Notamment en Suisse alémanique, les électeurs ont clairement exprimé une volonté de renouveau, en votant pour des partis qui n’ont pas encore pu faire leurs preuves sur la scène nationale. L’arrivée en force de ces deux nouvelles formations (Parti Bourgeois-Démocratique – PBD et Verts’libéraux), faussement qualifiées de centristes par les médias, est source d’incertitude, voire même d’inquiétude pour les milieux de défense des migrant-e-s. L’UDC et le PLR, traditionnellement restrictifs en matière d’immigration, ne constituent désormais plus une majorité au Conseil national. Parviendront-ils à maintenir la ligne dure au parlement en forgeant des alliances avec les élu-e-s de ces nouveaux partis? On l’ignore encore. Pour l’instant, pas de quoi se réjouir: au lendemain du scrutin, Martin Baümle, éjecté du parti écologiste zurichois pour ses positions trop droitières et désormais président des Verts’libéraux, a déclaré qu’il voterait avec l’UDC sur les questions migratoires. Quant au PBD, le passage de sa représentante la plus connue – Eveline Widmer-Schlumpf – à la tête du Département de Justice et Police n’a pas laissé de souvenirs encourageants aux organisations de défense des migrant-e-s. Pourtant, en ce début de législature, l’espoir est encore permis: les nouveaux-elles parlementaires pourraient choisir de répondre à l’appel d’une partie de l’électorat, celle qui a délaissé l’UDC pour chercher en eux-elles un programme politique qui propose d’autres solutions que la simple limitation de l’immigration par tous les moyens possibles.
Marianne Halle
Droit à l’éducation: un succès pour le CCSI!
Le 14 octobre dernier, le CCSI organisait une grande soirée pour fêter les 20 ans du droit à l’éducation pour tous. Le combat mené par le CCSI et ses partenaires pour que tous les enfants, quel que soit leur statut légal, puissent aller à l’école à Genève avait été couronné de succès en 1991. Près de 200 personnes, toutes origines, tous âges, et tous horizons professionnels confondus sont venues témoigner de leur solidarité envers les familles sans statut légal. La table ronde, qui réunissait des acteurs et actrices du terrain confronté-e-s quotidiennement à la situation que vivent les enfants sans-papiers, a traité de nombreux aspects de cette problématique. Les interventions – pertinentes, engagées, et révélatrices des difficultés rencontrées par ces familles – ont suscité de nombreuses questions, démontrant ainsi l’intérêt de la population pour ces questions encore trop méconnues. D’autres ont pu simplement exprimer leur indignation par rapport à la situation intenable dans laquelle ces familles se trouvent.
La soirée a également permis de présenter au public la très belle exposition élaborée par le CCSI pour cette occasion. Retraçant dans un premier temps l’histoire du droit à l’éducation à Genève, l’exposition s’ouvre ensuite sur d’autres aspects plus contemporains, offrant un éclairage sur la vie des familles sans statut légal en Suisse. Accompagnée d’une brochure à vocation pédagogique qui approfondit certains aspects de la thématique, elle est maintenant destinée à voyager dans divers lieux du canton. Par ailleurs, elle est à disposition des collectivités publiques qui souhaiteraient l’héberger (écoles, maisons de quartier, communes, etc.), il suffit pour cela de s’annoncer au CCSI à l’adresse (admin@ccsi.ch). Signalons toutefois que le CCSI est toujours à la recherche de fonds, afin que l’exposition puisse circuler dans les différents lieux qui l’accueilleront dans les mois à venir.
Le morceau d’histoire que nous avons célébré cette année démontre qu’à force de courage et de détermination, on peut parfois faire avancer des causes qui semblaient perdues d’avance. Aujourd’hui, alors que le CCSI continue
de défendre les droits des enfants migrants, de leurs parents et plus généralement de promouvoir une société dans laquelle toutes les personnes qui la composent ont droit au même respect, aux mêmes droits fondamentaux, de telles sources d’inspiration sont précieuses. Enfin, nous tenons à adresser un immense merci à toutes les personnes qui, en donnant un coup de main à la préparation, en participant à la table ronde, ou simplement en étant présentes, ont contribué à faire de cette soirée un grand succès.
Migrations et Développement
Les 1er et 2 décembre prochain, Genève accueille le Forum Mondial Migrations et Développement (FMMD). Le Forum, en réalité un espace de discussion annuel entre les États, cherche officiellement à renforcer la relation entre migration et développement, considérant que ces deux processus peuvent être mutuellement bénéfiques. Inoffensif à priori, le FMMD fait l’objet de nombreuses critiques de la part des ONG et de la société civile, et en particulier d’associations de migrant-e-s issues de pays en voie de développement. On reproche notamment au FMMD d’évacuer complètement l’aspect des droits humains de ses préoccupations, et de promouvoir une vision des migrations et du développement centrée uniquement sur les besoins économiques des pays développés. Pour faire entendre ce point de vue critique, la société civile organise chaque année un sommet parallèle. Centré cette année sur les migrants sans statut légal, le « contre-sommet » aura lieu à Genève pendant la semaine précédent le Forum. Pour le CCSI et les autres organisations locales de défense des migrant-e-s, ces événements seront l’occasion de tisser des liens avec ces ONG, d’échanger nos expériences et de confronter nos regards.
Strasbourg-Berne: 2-0
Sous ce titre un peu énigmatique se cache un réel problème, à la fois politique et juridique. La Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH) de Strasbourg a rendu récemment un second jugement dans le cadre de l’affaire Emre c. Suisse. Pour rappel, il s’agit du cas d’un jeune homme de nationalité turque, arrivé en Suisse à l’âge de six ans, qui a commis un certain nombre de délits entre la fin de son adolescence et ses premières années d’âge adulte. Arrêté et condamné à la suite de ces délits, le jeune homme a été expulsé de Suisse et interdit de retour pour une durée indéterminée, cela alors qu’il n’avait pour ainsi dire plus aucun contact avec son pays d’origine, et que sa famille réside désormais en Suisse.
Un recours contre ce jugement avait été gagné à Strasbourg en 2008 déjà, la Cour jugeant que la mesure prise par la Suisse était contraire au respect de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (respect de la vie privée et familiale). Les tribunaux suisses ont donc été priés de revoir ce jugement, ce qu’ils ont fait. Mais plutôt que d’annuler la mesure d’interdiction d’entrée en Suisse, ils n’ont fait que réduire la durée de cette dernière à dix ans. Un nouveau recours a donc été déposé à la CEDH, qui statue maintenant sur deux niveaux: premièrement, elle juge que la mesure d’expulsion, même réduite à dix ans, ne respecte toujours pas la vie familiale du requérant (art. 8); deuxièmement, elle annonce que la Suisse est tenue d’exécuter les arrêts de la CEDH dans le respect non seulement de leur teneur juridique, mais également en se conformant à « l’esprit » de ces arrêts (art. 46).
Démocratie directe vs. Droits humains?
Ce jugement, très positif pour tous les défenseurs des droits humains, a suscité de nombreuses réactions et promet de faire des vagues en Suisse. En effet, à l’heure où un groupe de travail se penche sur la manière de mettre en œuvre l’initiative de l’UDC sur le « renvoi des étrangers criminels », acceptée par le peuple suisse le 28 novembre 2010, il apparaît de plus en plus clairement que la Suisse devra faire un choix: soit elle continue de respecter ses engagements internationaux, soit elle applique l’initiative – mais elle ne pourra faire les deux. On entend déjà l’UDC crier au scandale, au non-respect d’une décision démocratique et populaire, et au diktat des « juges étrangers ». Le parti a d’ailleurs déjà annoncé qu’il prévoyait de lancer une nouvelle initiative, demandant… l’application à la lettre de la première, au besoin en dénonçant les traités internationaux qui rendent cette application impossible. Autre conflit en vue, celui autour de l’interdiction des mariages pour les sans-papiers, en vigueur depuis janvier 2011 suite à l’acceptation par le parlement de la motion Brunner (UDC, encore). Plusieurs instances juridiques ayant déclaré qu’une telle interdiction générale, ne prévoyant aucune exception, ne respectait pas le droit fondamental au mariage, elle pourrait elle aussi être remise en question.
Face aux critiques que font naître ces « ingérences », il serait judicieux de rappeler à quel point la pente sur laquelle l’UDC emmène ses moutons est dangereuse. De fait, les dispositifs de droit international mis sur pied pour garantir le respect des droits humains et fondamentaux sont nés d’une prise de conscience collective: les droits humains et fondamentaux doivent absolument être protégés, ils sont le dernier rempart entre les individus et la violence, qu’elle soit privée, sociale ou étatique. Celles et ceux qui s’acharnent aujourd’hui à démanteler ces protections feraient bien de réfléchir: qu’en serait-il si le courant devait tourner en leur défaveur, et qu’ils-elles avaient le malheur de se trouver à leur tour du mauvais côté de la barrière? Les droits humains ne sont pas un luxe. Ils sont un bouclier nécessaire contre les dérives autoritaires des puissants contre les faibles, contre l’arbitraire. Or contre le risque de décisions arbitraires des États, seul un système de protection internationale peut garantir les droits des personnes.
Enfants suisses sans-papiers dans leur propre pays
Le 1er janvier 2006 sont entrées en vigueur les modifications de la Loi fédérale sur l’acquisition et la perte de la nationalité suisse. En vertu de ces modifications, chaque enfant né hors mariage d’une mère étrangère et d’un père suisse acquiert la nationalité suisse au moment de sa reconnaissance par ce dernier.
De nombreux enfants suisses, dont la mère étrangère ne possède pas de permis de séjour, résident actuellement dans le canton de Genève. Suite au dépôt d’une demande de permis humanitaire en faveur des mères, la permanence « Permis de séjour » du CCSI suit les situations de quelques unes de ces mères et de leurs enfants.
Ainsi nous avons pu constater que, plus de cinq ans et demi après ce changement législatif, les enfants en question n’arrivent toujours pas à obtenir leurs passeports et leurs cartes d’identité suisses, et ce bien que leur nationalité soit établie. En effet, les divers services de l’Office cantonal de la population n’enregistrent pas ces enfants comme résidant dans le canton et/ou refusent d’établir ces documents tant que leurs mères n’obtiennent pas une autorisation de séjour.
Or, cette pratique est contraire aux dispositifs juridiques en vigueur et bafoue les droits de ces enfants: la Constitution fédérale proscrit toute forme de discrimination, et le Règlement relatif aux documents d’identité cantonal précise que tout citoyen suisse a droit à un passeport et une carte d’identité.
Sur la base des informations récoltées dans la permanence, nous avons donc signalé ce dysfonctionnement à la Direction générale de l’Office cantonal de la population fin septembre. Dans sa réponse, le Directeur adjoint s’est empressé de nous informer qu’il avait donné des instructions à ses services, afin que ces cas soient traités dans le respect des dispositifs juridiques précités. La vigilance reste toutefois de mise quant à la mise en œuvre de ce changement de pratique administrative.
Eva Kiss
Le CCSI fait son cinéma:
Le 19 novembre prochain, le CCSI sera présent lors de la journée de réflexions sur les migrations organisée dans le cadre du festival Filmar en America Latina (pour le programme complet, cliquer ici). Cette journée sera également l’occasion de (re)découvrir, entre autres, la série de courts-métrages «Un train qui arrive est aussi un train qui part », réalisés par Juan José Lozano en collaboration avec le CCSI.
Maison des Arts du Grütli, rue Gén.-Dufour 16, samedi 19 novembre, dès 13.30. (www.filmar.ch)
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Le 25 novembre, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence envers les femmes, l’Association des médiatrices interculturelles organise une soirée de films et de débats (pour voir le flyer, cliquer ici). Une table ronde, à laquelle participera Laetitia Carreras du CCSI, abordera les différentes dimensions de la violence envers les femmes, ici ou ailleurs.
Maison des Arts du Grütli, rue Gén.-Dufour 16, vendredi 25 novembre à 18.30.