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CCSI-Info mars 2012

Publié le 16 mars, 2012 dans

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bulletin d’infos

mars 2012

 

Édito

 

L’attention médiatique est souvent à double tranchant. Dans les meilleurs des cas, elle permet de mettre en lumière un aspect méconnu de la réalité, de donner une voix à celles et ceux que l’on n’entend que rarement, de faire connaître au grand public un sujet qui n’est habituellement traité que par quelques expert-e-s. Dans les pires, elle réveille les plus bas instincts populistes de certains partis, et permet à certaines franges de la population d’identifier facilement un bouc émissaire.

Le cas de l’incendie de la Jonction, le 13 février dernier, illustre parfaitement ce paradoxe. Les locataires de l’immeuble en question ont vécu un épisode traumatisant, et ceux d’entre eux dont l’appartement a été parmi les plus touchés ont perdu dans cet incendie bien plus qu’un logement : tous leurs effets personnels, tous leurs souvenirs, leurs documents importants, voire même leurs maigres économies. Dans un premier temps, c’est principalement sur ce drame humain que l’attention s’est concentrée. Elle a d’ailleurs donné lieu à un remarquable élan de solidarité. L’histoire aurait pu en rester là. Mais dans les jours qui ont suivi, il est apparu qu’une partie des locataires de l’immeuble était sans statut légal, et de fait divers tragique, l’affaire est en train de se transformer en enjeu politique.

La première tentative de récupération est venue de l’extrême droite. L’UDC a en effet déposé une interpellation au Grand Conseil genevois, demandant … le renvoi des familles sans statut légal victimes du sinistre. Et l’on peut d’ores et déjà parier que tant que l’attention médiatique maintient le projecteur sur ce sujet, d’autres (particulièrement au vu de la période électorale qui s’annonce) s’engouffreront dans la brèche et tenteront à leur tour de réaffirmer leur ligne dure en matière d’immigration, en instrumentalisant de manière démagogique certaines des difficultés bien réelles vécues par la population genevoise, en particulier la crise aiguë du logement.

Fortement sollicité par différents médias depuis l’incendie, le CCSI se trouve pris malgré lui dans cette contradiction : faut-il participer à cet engouement médiatique, avec les risques et les effets parfois contre-productifs que cela engendre ? Ou faut-il au contraire fuir la lumière, se taire, et perdre l’une des rares occasions de faire passer un message à l’opinion publique ? Depuis le sinistre, nous tentons de naviguer au mieux dans ces eaux troubles. Sans chercher l’attention, sans contacter nous-mêmes les médias, nous tentons néanmoins de répondre à la demande en insistant toujours sur le message essentiel : au-delà des drames individuels, l’épisode jette une lumière crue sur les conditions de vie de la dizaine de milliers de personnes qui vivent et travaillent sans statut légal à Genève. Logé-e-s dans des conditions très difficiles puisque leur (absence de) statut les empêche de conclure un bail et les contraint donc à se rabattre sur des sous-locations souvent abusives, employé-e-s précaires et mal rémunéré-e-s dans des secteurs économiques cruciaux pour la société, mais néanmoins bien intégré-e-s et/ou scolarisé-e-s ici depuis de nombreuses années, sans jamais avoir créé le moindre problème jusqu’à ce que le feu les pousse hors de l’ombre, les histoires de ces sinistré-e-s illustrent ainsi parfaitement la réalité vécue par cette population. Mais surtout, ces cas démontrent clairement l’hypocrisie qui perdure autour de la situation des sans-papiers en Suisse, et l’urgence de trouver une solution collective et politique à cette problématique. Espérons que ce message sera entendu.
Marianne Halle

 

Apprentissages : solution en vue!

À la suite de l’acceptation par les Chambres fédérales de la motion Barthassat, le Conseil fédéral a présenté début mars la solution qu’il préconise pour permettre aux jeunes sans statut légal de faire un apprentissage. À ce stade, le CCSI n’a pas encore eu l’occasion d’étudier en détail le projet, mais ce dernier semble aller dans la bonne direction. Pour les jeunes qui ont suivi de manière ininterrompue les cinq dernières années de la scolarité obligatoire en Suisse, qui sont bien intégré-e-s, et dont l’employeur potentiel a présenté une demande, le projet prévoit de leur accorder une autorisation temporaire de séjour afin qu’ils-elles puissent effectuer une formation professionnelle initiale duale (emploi et cours). Les familles de ces jeunes, pour autant qu’elles répondent aux critères posés pour une régularisation pour cas de rigueur, pourraient elles aussi être mises au bénéfice d’une autorisation.

Le CCSI salue la volonté du Conseil fédéral de trouver rapidement une solution pragmatique pour ces jeunes. Il nous semble également très positif que le projet tienne compte des familles dans leur ensemble, et non seulement de l’apprenti-e. Cela étant, le projet est une modification de l’OASA, et à l’instar de ce que montre la pratique en matière de régularisations pour cas de rigueur, les cantons conservent ici une marge de manœuvre considérable. Ainsi, on peut craindre que les inégalités de traitement massives que nous constatons d’un canton à l’autre pour les cas de rigueur ne se répète dans le domaine de l’apprentissage. La consultation officielle prend fin en juin, et nous ne manquerons pas de revenir sur ce sujet dans un prochain numéro.

Prise de position sur l’intégration

Le CCSI, avec le CSP-Genève et Caritas-Genève, a répondu à la consultation sur l’avant-projet de loi concernant l’intégration. Cette prise de position commune a été présentée lors d’une assemblée de la Coordination contre l’exclusion et la xénophobie (Stopexclusion) le 29 février dernier. À l’issue de cette présentation et du débat qui s’en est suivi, le comité de Stopexclusion a décidé d’adopter le texte, et c’est donc au nom de la faîtière que ce dernier a été envoyé à Berne.

La prise de position – disponible sur notre site internet (www.ccsi.ch) – cherche d’abord à montrer en quoi le projet fait fausse route. En effet, si le rapport explicatif qui accompagne la consultation stipule que l’intégration doit impliquer les étrangers mais aussi la société d’accueil (en appliquant la politique « encourager et exiger »), l’avant-projet de loi
ne reflète pas cette réalité. Sauf à dire que l’intégration est une tâche des structures ordinaires (écoles, marché du travail, secteur de la santé, etc.), le projet ne propose rien de réellement nouveau en termes de devoirs pour la société d’accueil: ni renforcement de la protection contre la discrimination, ni mesures concrètes pour lever les obstacles pratiques et juridiques à l’intégration. Au contraire, la responsabilité de l’intégration repose ici presque entièrement sur les épaules des étrangers, comme s’il s’agissait d’une simple question de bonne volonté. L’avant-projet prévoit dès lors également un renforcement des sanctions à l’égard de celles et ceux qui ne rempliraient pas les critères d’intégration posés par la loi.

Le texte s’attarde ensuite sur quelques aspects qui nous paraissent fondamentaux : les conventions d’intégration et l’évaluation de l’intégration selon certains critères, le regroupement familial, et la situation des personnes admises provisoirement en Suisse. Sur chacun de ces points, le projet de loi est particulièrement problématique : incohérences juridiques (admission provisoire), introduction de dispositions contraires au droit supérieur (regroupement familial), durcissements inutiles et mise en place d’instruments qui comportent de graves risques de discrimination et d’arbitraire (conventions d’intégration). Nous espérons que ces critiques seront entendues, et nous garderons un œil attentif à la suite du processus législatif.

 

 

Différent-e par nature ? Éléments de réponse

Le 25 février dernier, le CCSI organisait une journée de réflexion autour de l’essentialisation, cette manière de réduire une personne ou un groupe à des caractéristiques telles que notamment l’origine ou le sexe. Un tel concept peut a priori sembler flou, ou difficile à comprendre. Mais en réalité, les interventions des trois invitées de cette très riche journée de réflexion lui ont fait prendre tout son sens. La politologue Lorena Parini nous a par exemple rappelé de manière très pertinente, en analysant les discours qui ont permis (et permettent toujours) d’exclure les femmes de la sphère de la décision politique, à quel point la naturalisation des femmes est l’une des premières et plus puissantes formes d’essentialisation. D’abord basées sur la religion, puis renforcées par la science (l’anatomie, la biologie, mais aussi la psychiatrie naissante), les représentations de la « nature » des femmes – leur fragilité, leur émotivité, leur vulnérabilité face aux tentations, et autres poncifs – sont profondément ancrées dans l’imaginaire collectif. Or cette réduction de la gent féminine à une essence prédéterminée permet aujourd’hui encore d’expliquer, quand ce n’est de justifier, la persistance des inégalités entre femmes et hommes.

L’anthropologue Iulia Hasdeu nous a brossé quant à elle un tableau des politiques discriminatoires envers les Roms qui ont cours en Hongrie. Mais les interrogations suscitées par son intervention peuvent aussi s’appliquer à la situation des Roms en Suisse. En effet, les politiques mises en œuvre par la Hongrie sont fondées tout comme ici sur des théories de type eugéniste, qui attribuent de manière quasi-génétique à ce groupe des comportements dangereux, tant sur le plan sanitaire (santé reproductive en particulier, on raconte souvent que les Roms « font trop d’enfants ») que sécuritaire (on entend notamment « Ils sont pauvres et nomades, ils mendient et ils volent, c’est leur culture »). En faisant de ces caractéristiques des éléments intrinsèques, non seulement on justifie la violence répressive qui s’abat sur cette population, on se dédouane également de ne rien faire d’autre (accès aux soins, éducation, logements décents, emplois) pour améliorer son sort.

Enfin, Marie-Clarie Caloz-Tschopp nous a livré une stimulante réflexion philosophique autour de l’exclusion et de l’égalité. Selon elle, l’essentialisation est une forme de mise à part, et toute mise à part implique une catégorisation entrainant forcément une hiérarchisation. Et alors que les inégalités structurelles dans nos sociétés – en termes de conditions salariales, de classe, de nationalité, etc. – contribuent à renforcer l’impression d’une inégalité indépassable, on comprend mieux le rôle que jouent ces discours essentialisants dans l’élaboration des politiques migratoires. On mesure également l’importance de lutter encore et toujours pour que personne ne soit exclu-e du « droit d’avoir des droits ». À l’heure où les politiques semblent être basées toujours plus sur diverses formes de charité, accordée non pas en fonction de droits mais pour protéger une hypothétique « dignité », ces propos font écho de manière forte nos préoccupations.

Toutes ces réflexions ne trouveront pas forcément une application pratique. Elles tendent même plus  souvent à soulever interrogations qu’à apporter des réponses. Néanmoins, en ces temps où les espaces de réflexion se font rares, des journées comme celle du 25 février ont toute leur importance. Le CCSI est de plus en plus souvent confronté à ce discours simplificateur, que ce soit dans les médias, dans l’application des politiques sociales, ou dans la difficulté à faire valoir les droits de ses consultant-e-s. Il est donc vital de réfléchir sur ces catégories – comment elles se construisent, par qui et comment elles sont utilisées, voire instrumentalisées – afin de pouvoir les déconstruire et enfin les dépasser. Les trois intervenantes nous ont, chacune à leur manière, donné quelques outils pour comprendre les mécanismes de l’essentialisation, et nous leur adressons à toutes nos remerciements.

 

Mariages : nouvelle jurisprudence

Entre fin 2011 et début 2012, le Tribunal fédéral (TF) a redu deux décisions concernant l’interdiction du mariage pour les personnes sans statut légal. Entrée en vigueur en janvier 2011, une modification du Code civil fermait de facto les portes du mariage à toutes les personnes qui ne pouvaient pas prouver la légalité de leur séjour en Suisse. Alors que le premier arrêt jugeait qu’une telle interdiction généralisée et sans exceptions ne respectait pas le droit fondamental au mariage, garanti par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme, le second vient préciser la pensée des juges.

Le deuxième arrêt confirme qu’il n’existe pas de marge de manœuvre pour les officiers d’État civil : en l’absence de preuves du séjour légal, ils ne peuvent pas entrer en matière. Par contre, en amont, les autorités de police des étrangers sont tenues de donner à la personne concernée une autorisation lui permettant d’ouvrir la procédure de mariage, pour autant qu’il n’y ait pas d’indice qu’il s’agit de mariage de complaisance, et que le couple remplisse les conditions du regroupement familial après le mariage. Concrètement, cela signifie que l’interdiction généralisée est levée.

Cependant, il s’agit tout de même d’un changement notable : les conditions du regroupement familial étant ce qu’elles sont, certains couples pourraient se
voir interdire l’accès à la procédure de mariage sur la base de leur situation économique. De plus, les cantons conservent une autonomie certaine sur la définition de ce qui constitue un indice de mariage de complaisance, ainsi que sur l’appréciation de ce que sera la situation du couple après le mariage. Le flou juridique n’est donc pas complètement éclairci, et d’autres jugements, sur le plan cantonal et fédéral, viendront probablement compléter ces deux arrêts.

 

Exposition à voir

Vous pourrez découvrir « Impasses et espoirs », l’exposition créée par le CCSI à l’occasion des 20 ans du droit à l’éducation, à la Maison de quartier de Carouge du 12 au 24 mars, et à la Maison Onésienne du 27 mars au 13 avril.

 

Assemblée générale du CCSI

29 mars 2012

25, Route des Acacias

Conférence à 18h30, suivie d’une verrée

Partie statutaire à 20h

Le CCSI invite tout-e-s ses membres à prendre part à son Assemblée générale, qui se tiendra le jeudi 29 mars 2012.

À 18h30, nous aurons le plaisir d’accueillir Mme Nicole Wichmann, co-auteure du rapport intitulé « Les marges de manœuvre au sein du fédéralisme : la politique de migration dans les cantons ». Paru en 2011, ce rapport met en lumière de manière très intéressante les différentes manières d’appliquer les politiques d’intégration selon les régions de Suisse, et soulève de nombreuses questions, notamment sur la mise en œuvre des conventions d’intégration et des risques de discrimination qu’elles engendrent.

L’intervention de Mme Wichmann sera suivie d’un moment de discussion et d’une verrée. La partie statutaire de l’Assemblée générale débutera quant à elle à 20h. Nous nous réjouissons d’ores et déjà de vous y voir.