CCSI-Info septembre 2012
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bulletin d’infos
septembre 2012
Édito
Savoir construire des majorités politiques – ou une minorité crédible –, savoir fédérer les accords ou les oppositions sur un sujet (alors que ces derniers ont souvent des causes diverses, voire opposées) est l’un des enjeux de la vie politique. Nous qui sommes actifs-ves dans la défense des droits des migrant-e-s avons l’habitude de chercher à rassembler des voix éparses, pour construire cette fameuse minorité face à un climat politique généralement hostile à notre cause. Il ne s’agit pas d’un travail facile, surtout quand nos opposant-e-s usent d’une tactique qui s’avère (trop) souvent payante. Laquelle ? Le mécanisme est le suivant : dans un premier temps, la majorité présente un projet insatisfaisant aux yeux de plusieurs composantes de la minorité sur de nombreux points ; puis, la majorité fait de la surenchère, et agite un épouvantail quelconque, un chiffon rouge que toutes les composantes de la minorité sont d’accord de considérer comme inacceptable, donnant naissance à un front d’opposition ; ensuite, petit à petit, la majorité édulcore, abandonné l’épouvantail inacceptable, faisant mine de consentir à d’importantes concessions ; constatant le retour juste en-deçà de la ligne rouge, les opposants les moins combattifs poussent des soupirs de soulagement, et finissent par accepter le projet insatisfaisant, persuadés d’avoir sauvé l’essentiel ; les autres ont beau dire que – sur le fond – le projet demeure médiocre, plus rien n’y fait, le soufflé retombe, et l’opposition se retrouve déchirée entre les “raisonnables” et les “extrémistes”.
Des exemples ? Prenons la nouvelle constitution soumise au vote en octobre. La droite, largement majoritaire au sein de l’assemblée constituante, a remis en cause des acquis importants pour la gauche. À certaines étapes du processus, le droit au logement, l’égalité entre femmes et hommes, ou encore l’interdiction du nucléaire ont ainsi semblé passer à la trappe, alors qu’un frein à l’endettement aux conséquences drastiques était introduit dans le texte. Un front très large s’était réuni pour dire sa colère et clamer son refus de cette version du texte. Puis, la plupart des articles litigieux ont disparu, au compte-gouttes. Au final, bien que le texte constitutionnel porte encore fortement la marque de cette majorité et ne propose pas une vision de société digne du 21e siècle, tous les partis “raisonnables” s’y rallient, arguant que le résultat aurait pu être bien pire. Ne restent dès lors plus que les “extrémistes” de la gauche de la gauche, les syndicats et autres associations pour s’y opposer.
Prenons encore les révisions en cours dans le domaine de l’asile. Alors que l’idée, absurde et dangereuse, de mettre tou-te-s les demandeurs-euses d’asile à l’aide d’urgence aurait certainement permis de fédérer une coalition assez large en vue d’un éventuel référendum, certaines des forces en présence semblent bien plus frileuses à l’idée depuis que cette disposition a été abandonnée. Et pourtant, d’autres mesures tout aussi scandaleuses ont passé la rampe, à l’instar de l’élimination de la désertion comme motif d’asile. Prenons enfin le projet de loi fédérale sur l’intégration, soumis à consultation ce printemps. Le Conseil fédéral annonce désormais avoir renoncé à certaines des mesures contenues dans la première mouture, dont l’obligation pour les conjoint-e-s et enfants étrangers-ères des Suisse-sse-s de suivre des cours de langue avant même d’avoir mis les pieds en Suisse, ou encore l’obligation pour les cantons de conclure une convention d’intégration avec les étrangers-ères qui présentent des “déficits d’intégration”. Quant à l’esprit du projet – qui consiste à durcir les exigences en matière d’intégration sans pour autant offrir des encouragements concrets en contrepartie – il demeure inchangé. Cela suffira-t-il pour que toutes les associations qui s’étaient exprimées contre l’avant-projet décident de mettre des forces dans la lutte contre le projet final ? Rien n’est moins sûr.
Il ne s’agit pas de dire ici que toute forme de compromis est néfaste, ou que celles et ceux qui, sur un sujet donné, décident de rejoindre les “raisonnables” sont toujours des traitres. Au contraire, c’est un peu l’essence même de la démocratie helvétique. Mais ne nous laissons pas aveugler pour autant, et reconnaissons le mécanisme décrit ci-dessus pour ce qu’il est : une manœuvre efficace pour nous faire oublier le goût amer de certaines des pilules qu’un rapport de forces défavorable nous force trop souvent à avaler.
Marianne Halle
Nouvelle constitution : occasion manquée
Il aura fallu quatre ans de travaux et 15 millions de francs de dépenses, pour arriver à ce résultat décevant : un projet de Constitution peut-être mieux rédigé, mais qui sur le fond ne consacre aucune avancée, et qui sur certains points est même plus critiquable que l’actuelle ! Après examen du projet et des différents arguments en faveur et contre ce nouveau texte, le Comité du CCSI a considéré que les quelques aspects positifs ne l’emportaient pas sur les nombreux manques et aspects critiquables, de sorte que le CCSI a rejoint les organisations et associations qui ont pris position contre la nouvelle Constitution.
Il faut rappeler que le CCSI a, dès le début du processus constitutionnel, lancé avec d’autres associations une “proposition collective” visant à l’extension des droits politiques pour les ressortissant-e-s étrangers-ères résidant en Suisse depuis plus de cinq ans, tant pour l’éligibilité sur le plan communal que pour les droits de vote, d’initiative, et d’éligibilité cantonale. Cette revendication a été reprise pa
r la campagne ViVRe (Vivre, Voter, Représenter), dont le CCSI est membre depuis sa création. Une pétition munie de plus de 5000 signatures recueillies en quelques mois a été déposée par ViVRe à l’assemblée constituante.
Le fait que la nouvelle Constitution ne contienne, en fin de compte, pas la moindre avancée du point de vue des droits politiques des étrangers-ères, même s’agissant de l’éligibilité communale pourtant acquise dans la plupart des cantons romands, nous déçoit et nous révolte. Les ressortissant-e-s étrangers-ères représentent près de 40% de la population du canton de Genève, ils/elles travaillent, cotisent aux assurances sociales, paient des impôts, mais n’auront toujours pas le droit à la parole dans les votations cantonales, ni d’être élu-e-s dans leur commune. Faisant les frais des négociations et des compromis entre les différentes forces politiques représentées à l’Assemblée constituante, ils/elles continueront ainsi (vraisemblablement pour de très longues années encore) d’être exclu-e-s des processus d’élaboration et d’acceptation des règles qui les concernent pourtant directement. Les constituant-e-s ont laissé passer là une occasion historique de faire progresser la représentativité et la vitalité de notre démocratie. Un tel résultat est à nos yeux inacceptable, et ne peut pas être cautionné par un “oui” à la nouvelle Constitution de la part d’une association comme la nôtre, dont la raison d’être est la reconnaissance des droits des personnes migrantes ! L’adoption d’un article (210) prévoyant que “l’État facilite l’accueil, la participation et l’intégration des personnes étrangères” ne suffit évidemment pas à faire contrepoids, l’accueil et l’intégration faisant déjà l’objet de dispositions légales tant fédérales que cantonales. Quant à la “participation“, il ne peut s’agir que d’un cache-misère, puisqu’elle est précisément niée par le refus d’élargir les droits politiques des personnes étrangères !
Si l’absence de toute avancée dans le domaine des droits politiques des personnes étrangères constitue le principal motif de notre refus de la nouvelle Constitution, mentionnons quelques autres dispositions critiquables du projet. À commencer par la définition du rôle de l’État (art. 9 al. 1), qui est évidemment un point crucial, révélateur de l’orientation politique et philosophique globale du projet. Selon cette disposition, “l’État agit au service de la collectivité, en complément de l’initiative privée et de la responsabilité individuelle“. On ne pourrait pas exprimer plus clairement la vision du “moins d’État” que les partis de droite ont réussi à imposer. Or, le CCSI avait déjà eu l’occasion d’exprimer son avis sur cette question lors de la procédure de consultation, en relevant qu’à son avis, le rôle de l’État était au contraire fondamental et premier (et non pas seulement “complémentaire” par rapport à l’initiative privée et à la responsabilité individuelle) s’agissant de garantir la mise en œuvre du principe d’égalité des chances, notamment dans les domaines essentiels que sont l’accès à l’éducation et à la santé.
Dans le domaine de l’égalité entre les sexes là aussi, malgré la réaffirmation du principe, le texte du projet recule par rapport à la Constitution actuelle, en abandonnant le texte de l’actuel article 2A al. 2, qui prévoit notamment qu’il “appartient aux autorités législatives et exécutives de prendre des mesures” pour assurer la réalisation du principe d’égalité des droits entre femmes et hommes. Le projet renonce également à instaurer le principe de la parité, qui aurait permis des avancées concrètes en matière d’égalité.
Cela étant, force est d’admettre que le nouveau texte contient également des aspects positifs. Parmi ceux-ci, citons notamment l’introduction d’un préambule qui mentionne l’apport de la diversité, le principe de la formation obligatoire jusqu’à l’âge de la majorité (art. 194), ainsi qu’une énumération plus systématique des droits fondamentaux, quand bien même ceux-ci découlaient déjà en grande partie de la Constitution fédérale ou des traités internationaux ratifiés par la Suisse. Nous saluons en outre la mise sur pied – prévue par le projet – d’une cour constitutionnelle et d’un mécanisme d’évaluation de la réalisation de ces droits fondamentaux, tout en soulignant que l’efficacité de ces instruments demeure incertaine à ce stade.
En dépit de ces points positifs, nous considérons que pour l’essentiel, l’Assemblée constituante a raté le coche. Le texte qui nous est proposé n’est porteur d’aucune vision d’avenir pour la société, comme le démontre l’occasion manquée – pourtant historique – de faire un pas dans la direction d’une conception ouverte de la citoyenneté locale et de la reconnaissance du droit de participation de la population étrangère résidant à Genève. Au final, ce projet suscite tant de regrets – et un certaine amertume – qu’il ne pouvait recueillir notre soutien.
Anne-Marie Barone, présidente
Protection des données : permis de dénoncer ?
En janvier 2011, le Conseil fédéral avait suscité de vives inquiétudes au sein des milieux de défense des migrant-e-s, en annonçant qu’il étudiait la possibilité de dénoncer les personnes sans statut légal par divers biais, notamment celui des registres scolaires. Les réactions scandalisées n’avaient heureusement pas tardé, et le Conseil fédéral avait tenté de calmer le jeu en déclarant qu’il n’en était qu’au stade de l’étude de « faisabilité », et qu’il prendrait ses décisions après avoir pris connaissance d’un rapport commandité à cet effet.
Paru au début de l’été, ce rapport conclut fort heureusement qu’il n’est pas souhaitable d’utiliser l’école pour débusquer les familles sans-papiers. Le Conseil fédéral a donc décidé d’abandonner cette idée, ce qui constitue évidemment un immense soulagement. Par contre, le Conseil fédéral souhaite désormais mener une investigation plus poussée dans le domaine du travail au noir, vraisemblablement afin de creuser la question de l’affiliation aux assurances sociales des travailleurs-euses sans statut légal (ce que nous appelons « travail au gris »). Si ces investigations devaient mener à une chasse aux sans-papiers déclaré-e-s, cela mettrait en péril l’un des acquis les plus importants de ces dernières années. Le fait d’être déclaré-e et de cotiser aux assurances sociales permet en effet à ces personnes de bénéficier d’une protection indispensable au même titre que tou-te-s les travailleurs-euses (par exemple, la couverture en cas d’accident), mais éga
lement de toucher un certain nombre de prestations sociales qui découlent de ces mêmes cotisations, telles que les allocations familiales. Ce serait là un recul inacceptable, qui aurait pour effet de plonger ces personnes dans une précarité plus grande encore, tout en affaiblissant les assurances sociales concernées. Le CCSI et ses partenaires restent vigilants, et comptent bien défendre ce droit essentiel.
Sans-papiers européens, la tendance se confirme
La permanence École et suivi social du CCSI est chargée entre autres de faciliter l’inscription à l’école d’enfants sans statut légal arrivant à Genève. Elle permet aux parents d’affilier les enfants à l’assurance maladie obligatoire, sésame indispensable à leur intégration dans les classes. Le nombre total d’inscriptions est en légère hausse depuis trois ans. Or cette année, pour la première fois depuis très longtemps, nous relevons que les enfants espagnols sont les premiers en termes de nationalité parmi les nouveaux arrivants : sur plus d’une centaine d’inscriptions au 15 septembre 2012, près du tiers sont de nationalité espagnole. Ces derniers sont suivis cette année par les enfants portugais, les ressortissant-e-s des pays usuels de l’Amérique latine (Brésil, Équateur, Bolivie, etc.) ne figurant qu’à partir du troisième rang.
Il s’agit d’une tendance lourde, constatée depuis plusieurs années déjà (cf. par exemple nos rapports d’activités). Mais si entre les années scolaires 2010-11 et 2011-12, le nombre d’élèves espagnol-e-s inscrit-e-s via le CCSI était déjà passé de 3% à 16 %, les chiffres de cette année s’annoncent alarmants: la péninsule ibérique occupe à elle seule près de la moitié des inscriptions (43%). Les familles espagnoles sont en grande partie originaires d’Amérique latine et ont été naturalisées en Espagne, où elles ont souvent séjourné et travaillé de façon stable pendant de longues années. Quoi qu’il en soit, leur présence marquée dans les statistiques de la permanence École et suivi social donne à voir de manière crue les effets de la crise économique qui sévit au sud de l’Europe, et ses conséquences dramatiques sur les politiques sociales dans ces pays.
Comment expliquer que ces personnes de nationalité européenne, qui pourraient en théorie avoir accès à un permis de séjour relativement facilement1, s’adressent aux permanences du CCSI destinées prioritairement aux personnes sans statut légal? Tout simplement parce que soit ces personnes n’ont pas trouvé de travail du tout à Genève, soit leurs employeurs-euses refusent de les déclarer. Par ailleurs, quand l’un des parents obtient enfin un permis de séjour, le regroupement familial est souvent retardé, voire rendu impossible en raison de l’exigence d’un logement adéquat. Ces situations de grande précarité amènent beaucoup de ces familles à ne faire en Suisse que des séjours très courts : sans emploi et sans possibilité de logement, elles rebroussent parfois chemin après quelques semaines seulement. Certaines sont complètement déboussolées : avec la libre-circulation, elles pensent avoir des droits étendus en Suisse et pouvoir trouver facilement travail et logement. La plupart déchante pourtant rapidement et certain-e-s, en désespoir de cause, acceptent des conditions de travail et de logement très mauvaises, qui ne leur permettent pas de faire vivre décemment leur famille. Le CCSI suit de près cette évolution préoccupante : ces familles vont-elles rester sans permis de séjour sur une longue durée, ou leur statut de « sans-papiers » n’est-il que transitoire ?
Envois de fonds, la Suisse en bonne place
Selon les chiffres de la Banque Mondiale, la Suisse figure dans le trio de tête des pays de provenance des envois de fonds, avec les États-Unis et l’Arabie Saoudite. Ces dernières années, ce qui n’est probablement pas sans lien avec le phénomène évoqué ci-dessus, ces envois de fonds de la part d’étrangers-ères résidant en Suisse vers leurs pays d’origine sont en constante augmentation. En 2010 par exemple, les étrangers-ères de Suisse ont envoyé 21.6 milliards de dollars, soit 1.8 milliard de plus qu’en 2009. Les experts estiment tous qu’avec la crise, les chiffres de 2011 seront plus impressionnants encore2. Rien que pour le Portugal par exemple, ce sont près de 800 millions d’euros qui ont été envoyés depuis la Suisse en 2011. Autres témoins des graves difficultés économiques que connaissent certains pays, ces chiffres expliquent également le nombre croissant de citoyen-ne-s européen-ne-s, notamment espagnol-e-s et portugais-e-s, qui (re)viennent travailler en Suisse : les salaires ici restent très élevés par rapport au reste du continent, et permettent de donner aux proches restés au pays un coup de pouce bienvenu, quand il n’est pas simplement vital.
1Pour les citoyen-ne-s de l’UE (sauf Roumanie et Bulgarie), il suffit d’avoir un travail déclaré pendant au moins 12 heures/semaine.
2Voir l’article de la Tribune de Genève du 14 août 2012, p. 3.