Actualités

CCSI-Info novembre 2013

Publié le 26 novembre, 2013 dans

bulletin d’infos | novembre 2013

Édito | Marie Houriet  (Responsable ad interim du CCSI-Info)
L’éditorial du dernier CCSI-Info se terminait sur le renflouement du Costa Concordia et l’élan, si humain, de rattraper les naufrages. Quelques jours plus tard, 366 personnes en provenance d’Érythrée et de Somalie ont péri au large de Lampedusa. Les cercueils ont été discrètement enterrés dans diverses communes de Sicile mais les survivant-e-s, dont des parents des victimes, n’ont pas reçu l’autorisation d’assister à la cérémonie commémorative qui s’est tenue ultérieurement. Une semaine plus tard, un drame similaire faisait plus de trente morts. À la fin du mois d’octobre, ce sont une centaine de migrant-e-s qui n’ont pas survécu à leur traversée du désert.

Nos pensées vont aux communautés frappées par ces tragédies. Nous nous reconnaissons dans la Lettre à Lampedusa du Forum Civique Européen et de Solidarité Sans Frontières (www.sosf.ch/cms/upload/blog/Solibrief_Lampedusa_FR_def.pdf), dont voici un extrait :  Nous sommes en deuil, mais nous ne baissons pas les bras et devons continuer à affirmer notre solidarité et notre détermination à faire changer cette situation d’injustice (…) Nous sommes écœuré-e-s par l’hypocrisie qui consiste à décréter des jours de deuil tout en renforçant la surveillance des frontières, à pointer du doigt les passeurs sans remettre en question les rapports de domination entre l’Europe et l’Afrique. On ne peut à la fois criminaliser l’aide apportée aux naufragé-e-s et compatir sincèrement au sort des victimes. Nous rejetons toute forme de répression et de surveillance supplémentaires de l’espace méditerranéen, et souhaitons que les personnes qui fuient la misère, la violence et la guerre puissent parvenir en Europe de manière sûre pour y recevoir l’asile.

Difficile de digérer de tels événements alors que les cris d’alerte ne sont pas entendus et les appels à l’ouverture, taxés d’angélisme. Dans Harry Potter, livre plus politique qu’il n’y paraît, les plus redoutables adversaires du petit sorcier sont les Détraqueurs. Ces créatures ont le pouvoir de vider l’air environnant de toute trace de paix ou d’espoir, enveloppant leurs cibles dans un brouillard qui anéantit toute leur énergie. Un trop-plein de mauvaises nouvelles expose aux mêmes effets ravageurs. Aussi ne faut-il pas hésiter à recourir aux antidotes qu’utilise le jeune héros : faire apparaître un Patronus – pensée, image ou souvenir suffisamment heureux pour que le désespoir et la résignation battent en retraite. En rédigeant la page 4 de ce numéro, j’ai été requinquée par les publications des Commissions fédérales pour les questions de migrations (CFM) et contre le racisme (CFR) qui traitent respectivement de la démographie et des communautés nomades dans notre pays. Bouffée d’oxygène également en visionnant le magazine multiculturel Carrefours.

Ou en me souvenant de cette restauratrice de Plainpalais s’adressant à une femme Rom debout devant sa devanture : Venez manger. Autant de personnes qui pensent, soutiennent, déclinent la migration dans des teintes chamarrées, conjurant la grisaille.

Questions de convictions
Au-delà du contenu de nos convictions, il est intéressant de décortiquer la façon dont elles se forgent, se déclinent, s’ajustent, se transmettent. C’est sur ce socle qu’a pris corps cette rubrique, et c’est sous cet angle que nous avons sollicité André Castella, Délégué à l’intégration depuis 2007. La perspective de cet article n’est donc pas de dresser un inventaire de ses convictions ou priorités en matière d’intégration. Il s’agit plutôt, pour reprendre ses termes, de prendre une lampe frontale et une échelle de corde, et de descendre à l’intérieur de soi. Et également, compte tenu de son parcours et de sa fonction, d’interroger la manière dont il s’y prend lorsque lui-même tente, quel que soit le sujet, de convaincre. Avec, comme dans nos numéros précédents, l’espoir que son itinéraire individuel résonne chez nos lectrices et lecteurs, éveillant cogitations et questionnement sur leurs propres convictions.

Vous avez devant vous le fils de réfugiés économiques?
Ainsi se présente André Castella lorsqu’il est invité à parler de son travail dans des classes. Fils de Fribourgeois émigrés à Genève dès 1949, il est le cinquième enfant d’une famille de six. Avec une telle fratrie, égalité, équité et justice sont des mots clés pour l’harmonie familiale. Justement, les plaques de chocolat helvétiques comportent six barres, une pour chaque enfant – hors de question que l’un ou l’autre ait davantage ! Depuis tout jeune, André Castella reçoit le message : l’éducation doit apprendre l’égalité des droits, l’égalité de traitement.

Dans le Vieusseux des années soixante, où la famille s’est installée, les ressortissant-e-s d’origine étrangère sont moins nombreux qu’aujourd’hui. Mais il y a déjà des Hongrois, un Turc, quelques Tchèques, des enfants de saisonniers italiens. André Castella se souvient des initiatives Schwarzenbach, des camarades qui faisaient part de leur crainte de devoir quitter la Suisse.

Dans ce milieu très modeste et ce quartier populaire, la solidarité fonctionne à plein régime. Entre étages et immeubles s’échangent ou circulent machines à coudre, journaux, vêtements, appareils électroménagers. La relation interpersonnelle, c’est le pain quotidien. Les enfants Castella sont trois à se partager une chambre, le cinq pièces et demi est un luxe par rapport au logement précédent où il n’y avait pas d’eau chaude.?La question de l’autre était très présente dans la famille et le quartier. Pour moi, l’autre a toujours représenté une richesse, on était plus fort ensemble. Ce climat a forgé ce que je suis devenu.

Yvonne et Clovis, les parents, sont de leur époque. Par leur héritage religieux notamment, la soumission à l’autorité est intériorisée : ?Un excès d’humilité qui n’incite pas à ruer dans les brancards !? Avec cette mentalité on ne se plaint jamais, on tient à ne rien devoir demander et on met un point d’honneur à payer ses factures à temps. Pour André Castella, c’est donc à travers des gens de sa génération que s’opère la prise de conscience politique et critique.

Dans le sillage de soixante-huit, le groupe de jeunes de sa paroisse organise des rencontres avec des personnalités militantes, des représentant-e-s d’Amnesty et de la Déclaration de Berne, du commerce équitable, sans oublier Michel Bühler et d’autres chansonniers engagés, un magistrat… Les convictions débordent le cercle immédiat, prennent une dimension citoyenne.

Sur le plan professionnel, André Castella est entraîné dans des directions imprévues. Alors que durant quelques années, il assume des responsabilités dans la protection civile, des divergences d’orientation le contraignent à abandonner une fonction où son besoin d’entreprendre et de se sentir utile avait trouvé à s’épanouir.

Peu après, il est contacté pour se présenter aux élections de sa commune. Il estime s’être peu investi jusqu’alors au niveau local et, en accord avec sa famille, se déclare partant. Les jeux sont loin d’être faits (23 candidat-e-s se disputent 13 sièges), mais il est élu. Les surprises continuent avec le départ imprévu du maire tout en début de législature. À nouveau, on le sollicite. En novembre 1999, il prête serment comme maire d’Avusy. De cet itinéraire au cours inattendu, il garde un principe qui lui tient à cœur : Ne pas juger les gens en les enfermant dans une case d’où ils ne pourraient pas sortir.

Sa nouvelle fonction le met au cœur des confrontations de valeurs et d’intérêts, il s’agit de jongler entre la conviction de chacun-e d’avoir raison et d’être dans son bon droit. Comment s’y prendre lorsque l’atmosphère s’envenime entre riverains et que les tentatives d’apaisement sont au point mort ? J’allais voir les gens là où ils étaient. Je ne convoque personne. À pas de fourmis, un travail qui s’apparente à la médiation se met en place. Écouter, d’abord. Ôter de la tête des gens qu’il s’agit d’un bras de fer que je veux gagner : je me bats très peu CONTRE l’autre. Puis faire prendre conscience aux protagonistes qu’une solution doit nécessairement permettre à toutes les parties d’y trouver leur compte, et donc réclame des efforts de tous. Sur les dossiers qui s’y prêtent, s’appuyer sur des exemples concrets, proches. Rassurer en commençant par un projet-pilote, qui sera évalué avant d’être étendu. Faire dépasser la peur de «perdre des plumes» – ou la face.

Cette capacité de persuasion, basée notamment sur la proximité, n’est évidemment pas transposable telle quelle dans les débats actuels autour de la migration et de l’intégration – ?un terme auquel il faudrait renoncer, je préfère celui d’inclusion. Car si on n’inclut pas, c’est simple : on exclut.

Le poste de Délégué à l’intégration, qu’André Castella occupe depuis 2007, est un vaste chantier. Relais des préoccupations des uns et des autres, le Délégué doit pouvoir jouer l’aiguillon auprès des différentes instances de l’État, de ses partenaires, des entreprises… Un rôle stratégique que doit compléter une réflexion plus large : Au-delà des projets concrets et des mesures techniques, c’est une véritable culture, une véritable philosophie du vivre-ensemble qu’il faut inventer et insuffler. Un défi pour lequel le tempérament d’André Castella semble tailler sur mesure : Il suffit qu’on me dise que quelque chose est impossible pour me donner envie d’essayer.

Démographie, ressources et migration
Sur mandat de la Commission fédérale pour les questions de migration (CFM), le Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population (SFM) a publié en octobre 2013 une brochure cherchant à cerner l’impact de la migration dans 4 domaines : démographie, économie, infrastructures et environnement.

Pour ce faire, l’institut a compilé études scientifiques, rapports des autorités, de l’administration, d’organisations internationales. Ce document recense un grand nombre de recherches, permettant d’approfondir certains sujets au gré des besoins. D’autre part, il offre une synthèse des résultats émanant de différentes sources. Aperçu :

  • Natalité, gare aux généralisations
    La Suisse a vu le nombre de ses habitant-e-s augmenter substantiellement durant les années 2000, suite à l’Accord de Libre Circulation des Personnes (ALCP). Sur le plan démographique, les variables déterminantes pour la Suisse sont l’indice de fécondité (nombre d’enfants par femme) et le solde migratoire (différence entre arrivées et départs). Si l’immigration a considérablement amélioré le rapport entre personnes retraitées et celles en âge d’exercer une activité lucrative, cela ne dispensera pas la Suisse de trouver d’autres réponses au vieillissement démographique : la population migrante vieillit également… Et pas question de compter sur le mythe selon lequel les femmes migrantes ont davantage d’enfants que les autochtones. Si cela s’observe pour quelques communautés, la durée de séjour estompe ce phénomène. D’autre part, il arrive que les ressortissant-e-s de certains pays (aujourd’hui, l’Espagne et l’Italie) aient moins d’enfants que les Suissesses. Enfin, le profil socio-économique des personnes migrantes joue aussi un rôle important.
  • Concurrence transfrontalière : quid ?
    Autre influence de l’ALCP, l’augmentation des travailleuses et travailleurs frontaliers, dont l’impact sur le marché de l’emploi est à nuancer. À qualifications égales, les jeunes Suisses au bénéfice d’un CFC restent par exemple avantagés. Dans d’autres cas, la concurrence peut exister : dans la banque, les personnes au chômage souffrent d’un déficit de qualification en comparaison internationale, alors qu’elles sont surqualifiées dans des secteurs comme l’hôtellerie ou la restauration.
  •  Chercher les réponses adéquates
    Le SFM démontre que les questions sensibles ne relèvent pas de la politique migratoire. La pression sur les infrastructures comme le transport, par exemple, tient à des facteurs tels que l’explosion des déplacements pour les loisirs ou la séparation croissante entre lieu de travail et lieu de vie (avec en corolaire, l’augmentation drastique des pendulaires). Au-delà des discours simplistes, il faut trouver de nouvelles réglementations en matière de mobilité, de travail, de structures d’habitat, de marché. La brochure de la CFM regorge d’arguments en ce sens.

A lire ou à regarder

  • TANGRAM, publication de la CFR. Le numéro 30 est consacré aux Yéniches, Manouches/Sintés et Roms en Suisse.
  •  www.carrefourstv.ch, magazine multiculturel sur différents sujets de société en lien avec la migration.