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CCSI-Info mars 2014

Publié le 14 mars, 2014 dans

bulletin d’infos | mars 2014

Édito | Marianne Halle
Parfois, on a l’impression qu’il existe des mondes différents qui se côtoient sans jamais se croiser. C’est par exemple le cas quand, au même moment et dans le même pays, des employées de maison sans statut légal luttent pour leurs droits (voir p. 2-3), alors qu’est acceptée – certes par une courte majorité – une initiative visant à réduire une immigration qualifiée (comme toujours) de « massive ». Et pourtant. C’est précisément parce qu’il s’agit d’un seul et même monde que la situation est si problématique. Car celles et ceux qui refusent de voir certaines réalités – par exemple, le fait que les migrations sont inhérentes à l’humanité, et qu’on ne peut unilatéralement décider d’y mettre fin – ont fini par faire de notre politique migratoire une machine à fabriquer de toutes pièces des sans-papiers.

Outre cet aveuglement volontaire, c’est l’ensemble de la classe politique qui porte une responsabilité dans ce résultat du 9 février. Depuis de trop nombreuses années, personne n’a le courage de développer sur la migration un discours positif, et d’affirmer que les migrant-e-s ne sont pas responsables de tous les maux. Par peur de perdre des voix, la plupart des partis ont laissé ce discours stigmatisant se développer, sans lui opposer de résistance claire et cohérente. Pire encore, tout en les enrobant d’une rhétorique moins hargneuse, certain-e-s n’hésitent pas à reprendre à leur compte les propositions pourtant clairement populistes et xénophobes de la droite nationaliste. Grâce à ces encouragements – tacites ou plus explicites – l’amalgame (souvent faux, et toujours simpliste) entre l’immigration et certaines problématiques liées à la croissance de la population a pu tranquillement prendre racine dans les mentalités.

Au lendemain du vote, le monde politique et médiatique semblait effaré de constater que cette inaction et ce laisser-faire avaient finalement un prix. Mais finalement, ce prix ne sera payé ni par la classe politique, ni par les médias, mais bien par les personnes migrantes elles-mêmes.

Ce sont elles, en premier lieu, qui verront leurs conditions de vie en Suisse fortement se dégrader en raison des limitations du droit au séjour durable, du droit au regroupement familial, et de l’accès aux prestations sociales prévues par l’initiative. Ce sont elles qui seront poussées dans la clandestinité en raison des possibilités drastiquement restreintes d’obtenir une auto-risation de séjour. Ce sont elles dont l’avenir en Suisse sera tributaire des seuls besoins de l’économie, au mépris de l’aspect humain.

En cette année anniversaire, le CCSI aura donc fort à faire : la défense des droits des migrant-e-s, au centre de notre action depuis 40 ans, s’avère aujourd’hui plus nécessaire que jamais.

Aucune employée de maison n’est illégale: pétition déposée aux Chambres fédérales | Laetitia Carreras
Dès l’émergence des mouvements de travailleuses et de travailleurs sans statut légal, ainsi que de différents collectifs de soutien en Suisse, la question du travail domestique a été centrale. En effet, dans les cantons urbains, la majorité de ces personnes sont des femmes qui travaillent dans le secteur de l’économie domestique (le secteur étant à plus de 90% composé de travailleuses, nous utiliserons le féminin dans les lignes qui vont suivre).

L’association « Valoriser le travail domestique – régulariser les sans-papiers » – dont font partie une trentaine d’associations, de syndicats et d’œuvres d’entraide – a lancé la campagne nationale « Aucune employée de maison n’est illégale » au mois de mars 2013 (www.aemni.ch). À Genève, le Collectif de soutien aux sans-papiers, les syndicats SSP et SIT, le Collectif de travailleurs-euses sans statut légal, ainsi que le CCSI sont membres du comité national.

La phase de pré-campagne a été longue, comme souvent dans ce petit pays aux réalités cantonales si différentes… Comment trouver des dénomi-nateurs communs? Par exemple, si l’accès aux prud’hommes et aux assurances sociales, sans risque de dénonciation, pour les travailleuses et les travailleurs sans statut légal est possible en Suisse romande, Outre-Sarine celui-ci est ardu, voire impossible dans certains cantons. Finalement et malgré ces différences régionales, la pétition – qui fut un instrument de sensibilisation central durant cette année de campagne – revendique un réel accès aux assurances sociales de base et aux prud’hommes dans toute la Suisse, ainsi que la régularisation des personnes sans statut légal, avec une attention particulière à celles qui travaillent dans le secteur de l’économie domestique.

Si nous avons choisi de parler de ce secteur, ce n’est pas dans l’objectif de hiérarchiser différentes catégories de personnes sans statut légal, mais de lutter contre une invisibilisation inhérente à cette activité longtemps occultée, effectuée dans les foyers privés, ce travail « naturellement » dévolu aux femmes, que celui-ci soit pris en charge par d’autres femmes ou pas.  À Genève,  entre 20’000 et 25’000 familles emploient une employée sans statut légal, souvent pour quelques heures, parfois davantage, ou encore à plein temps. À Zurich, un foyer sur dix-sept recourt à une employée de maison sans autorisation de séjour. Bien des personnes employeuses sont concernées par cette situation…

Plusieurs facteurs expliquent les besoins croissants dans ce secteur d’activité. À l’heure actuelle, l’organisation entre le temps professionnel, familial et personnel est ardue pour de nombreuses familles et personnes. De plus, le développement de la flexibilité et des formes de travail précaire et atypique touche tout particulièrement les femmes salariées. Du nombre important de familles mono-parentales, de personnes isolées, de personnes âgées et/ou dépendantes découlent de nouveaux besoins qui ne sont pas comblés par les services publics, ni par les services d’aide et de soins à domicile. À cela s’ajoute une disponibilité de places dramatiquement insuffisante dans les institutions de la petite enfance ou les familles d’accueil. En effet, de nombreux enfants en âge préscolaire restent plus d’une année en liste d’attente.

Malgré l’importance de ce secteur, celui-ci demeure dans l’ombre. Une réelle reconnaissance de la valeur et de l’utilité de ce travail, indis-pensable au fonctionnement de la société, est essentielle. Ce sont les conditions dans lesquelles cette activité s’exerce qui doivent être améliorées.
Car l’absence de statut renforce des conditions de travail difficiles, en favorisant l’exploitation et la discrimination : salaire indécent, absence de couverture sociale et d’accès aux soins, chantage à la dénonciation, violence, risques accrus de harcèlement sexuel et de viol, logement dans la promiscuité, difficulté de faire valoir ses droits devant les tribunaux, insécurité permanente liée à la peur d’être expulsée.

Le réseau local genevois, composé de nombreuses associations, a mis sur pied des actions de sensibilisation et est intervenu à plusieurs reprises auprès de différents publics (voir notamment le rapport d’activités 2013 du CCSI pour davantage d’informations). La participation des migrantes à ces événements – en tant qu’intervenantes ou comme public – a créé une dynamique porteuse.

Cela étant, comme dans toute campagne, l’une des difficultés demeure l’articulation entre diffé-rentes temporalités. Que peut-on exiger à court, moyen ou long terme ? Comment articuler diffé-rentes revendications, sans oublier les per-spectives, tout en avançant pas à pas ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité dans un contexte politique fermé.

Néanmoins, des pas importants ont été franchis ces dernières années : depuis 2011, un contrat-type de travail (CTT) garantit pour la première fois un minimum salarial au niveau national. L’engagement de l’association « Valoriser le travail domestique – régulariser les sans-papiers » aux côtés des syndicats Unia, SIT et SSP/VPOD,  lors du renouvellement du CTT en novembre 2013, a abouti à une amélioration du salaire-horaire, même s’il demeure encore bas. L’acceptation de l’initiative pour un salaire minimum au mois de mai constituerait à cet égard un net progrès.
Par ailleurs, l’Organisation Internationale du Travail a adopté une convention (n°189) sur le travail domestique intitulée Pour un travail décent. Nos efforts de sensibilisation ont favorisé une prise de position de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des États en faveur de la ratification. La convention sera donc vraisemblablement ratifiée prochainement par la Suisse.

Finalement, 21’875 personnes ont signé la pétition « Plus de droits pour les employées de maison », qui a été remise à Berne le 5 mars 2014, dans une ambiance festive et déterminée. À Genève, le 13 mars, une action silencieuse a eu lieu devant le Grand Conseil, afin de rappeler les revendications de la pétition et la nécessité d’une régularisation.

Comment parvenir à modifier les représentations en matière d’immigration ? Comment, dans le contexte des durcissements actuels, améliorer les conditions de vie et de travail des personnes sans statut légal ? Suite aux votations du 9 février, les critères d’obtention d’une autorisation de séjour vont encore se durcir, avec comme conséquence l’augmentation du nombre de personnes sans statut légal et de familles à « statut mixte ». Avant ces restrictions annoncées, ne faudrait-il pas remettre l’ouvrage sur le métier et, comme en 2005 mais à un niveau national cette fois, lutter pour une régularisation large – seul moyen de diminuer une vulnérabilité intrinsèque à l’absence de statut ?… Affaire à suivre !

Contrats d’accueil : la fausse bonne idée
Le Conseiller d’État Pierre Maudet, en charge de l’intégration, a annoncé fin janvier l’introduction prochaine des « contrats d’accueil ». Il s’agit en fait d’une forme de pacte que devront signer les étrangers-ères à leur arrivée à Genève, dans lequel ils-elles s’engagent à respecter un certain nombre de valeurs censément fondamentales pour le canton.

Lors d’une consultation éclair menée par le Département, le CCSI a fait savoir les nombreuses raisons de son désaccord quant à l’introduction de ces contrats. Parmi celles-ci, le fait que la démarche place d’emblée les personnes étrangères dans une position de déficit, et présuppose qu’elles n’avaient pas l’intention de se conformer à ces valeurs. En termes d’accueil, et pour favoriser l’intégration, on a vu mieux…
Toutefois, le Département  souhaiterait aller de l’avant avec ces contrats. De multiples questions restent dès lors en suspens, notamment sur la distribution de ce document et sur les conséquences d’un éventuel refus de signature. Nous ne manquerons pas d’y revenir dès que nous en saurons davantage.

Brèves parlementaires
Droits politiques des étrangers-ères : lors de sa session de février, le Grand Conseil genevois a refusé d’entrer en matière sur un projet de loi des Verts, qui visait à accorder le droit de vote et d’éligibilité cantonal et communal aux étrangers-ères qui résident à Genève depuis cinq ans ou plus. L’association Droits politiques pour toutes et tous étudie désormais d’autres pistes pour faire avancer ce dossier.

Loi sur les Naturalisations : au stade de l’élimination des divergences entre les deux Chambres du parlement fédéral, certains durcissements semblent d’ores et déjà acquis (comme la limitation du droit à déposer une demande de naturalisation aux seul-e-s étrangers-ères détenteurs-trices d’un permis C), alors que d’autres sont encore en discussion. C’est par exemple le cas des exigences accrues dans le domaine des connaissances linguistiques, notamment à l’écrit. En l’absence d’un consensus à la fin de la session de printemps, le projet sera vraisemblablement refusé.

Intégration, révision de la LEtr : suite au vote du 9 février, le projet de loi sur l’intégration – en cours d’examen par les Chambres fédérales – a été renvoyé au Conseil fédéral pour refonte complète… Si l’orientation initiale de ce projet – axée sur la politique de la carotte (un peu) et du bâton (beaucoup) – était déjà contestable, il paraît clair que la refonte ne sera guère plus satisfaisante pour nous. À suivre de près.

Assemblée Générale
Le CCSI a le plaisir d’inviter ses membres à son Assemblée générale annuelle. Celle-ci aura lieu le 27 mars 2014, dans nos locaux, 25 Route des Acacias (3e).

La partie statutaire sera précédée d’une conférence de Mme Maria Elena Valenzuela, qui viendra présenter la Convention de l’OIT sur le travail domestique, à 18h30. Nous nous réjouissons d’ores et déjà de vous retrouver nombreuses et nombreux à cette occasion.