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CCSI-Info mai 2017

Publié le 2 mai, 2017 dans ,

Bulletin d’infos | mai 2017 (PDF)

Édito| Marianne Halle

Le fonctionnement actuel du monde politique laisse parfois perplexe. La dernière session parlementaire en a fourni une démonstration éclatante. En effet, le Conseil des États et la Commission des institutions politiques du Conseil national ont tous deux décidé de donner suite à une initiative parlementaire déposée par le canton de Saint-Gall, demandant un durcissement de la Loi sur les étrangers. Jusque-là, rien de très nouveau, me direz-vous. Mais à y regarder de plus près, la trajectoire politique de cet objet interpelle.

Depuis quelques années, une famille originaire de Bosnie résidant dans le canton de Saint-Gall s’est régulièrement retrouvée en conflit avec les autorités locales. Les médias s’emparent de l’affaire, et font monter la sauce : le père a connu quelques démêlés avec la justice, s’oppose pour des raisons religieuses à ce que ses filles participent au cours de natation dans le cadre scolaire, et, pour couronner le tout, la famille dépend de l’aide sociale. L’opinion publique (du moins celle qu’on choisit d’entendre) s’en émeut, et demande pourquoi cette famille ne peut pas être expulsée de Suisse malgré son « refus manifeste de s’intégrer ». Le Grand Conseil saint-gallois décide alors de déposer une initiative aux Chambres fédérales, exigeant que les autorisations de séjour puissent être révoquées en cas de mauvaise intégration.

Sauf qu’au moment où cette initiative est traitée par les Chambres, une importante révision de la Loi sur les étrangers portant sur l’intégration vient d’être entérinée. Et que cette révision répond quasi point par point aux demandes formulées dans l’initiative saint-galloise. Elle stipule en effet que l’octroi et le renouvellement des autorisations de séjour sont conditionnés aux efforts d’intégration fournis par l’étranger-ère, et qu’une « mauvaise intégration » constitue désormais explicitement un motif de non-renouvellement de permis.

Eh bien, malgré les explications détaillées et rationnelles de plusieurs parlementaires sur l’inutilité de légiférer une nouvelle fois (et toujours dans le même sens) sur le sujet avant même que la loi révisée n’ait eu le temps d’entrer en vigueur (!), une courte majorité de politicien-ne-s – obnubilé-e-s par leur obsession répressive ou xénophobe, ou simplement par opportunisme politique – a fait basculer les deux instances précitées en faveur de ce durcissement.

Que la famille en question se soit réellement « mal comportée » ou non n’est pas la question (sans compter qu’il est impossible de se prononcer sans connaître les détails du dossier). Mais on ne peut que s’interroger quand on constate que les agissements d’une famille dans un contexte donné suffisent à faire voter nos représentant-e-s démocratiques en faveur d’un tour de vis qui promet d’affecter négativement l’ensemble des étrangers-ères issu-e-s de pays tiers.

À la veille de la campagne contre l’initiative de l’UDC sur les « juges étrangers », le peu d’empressement que montrent nos élu-e-s à défendre des éléments fondamentaux de l’État de droit comme le principe de proportionnalité et l’indépendance des juges vis-à-vis du politique a de quoi inquiéter.


Opération Papyrus: reflets des permanences

L’opération Papyrus, visant à régulariser un nombre important de personnes sans statut légal à Genève, a été lancée en février de cette année. Depuis, les associations de défense des personnes migrantes ont mis sur pied des permanences spécifiques à cette opération [1], afin d’informer les personnes potentiellement concernées sur les conditions à remplir, et de recueillir les dossiers de celles et ceux qui choisissent de déposer une demande de régularisation.

Dans les premières semaines, il y avait une très forte demande d’information. De nombreuses personnes n’avaient pas pu assister à la soirée organisée au Palladium (ou n’avaient pas pu rentrer !), et souhaitaient simplement savoir de quoi il en retournait. Ainsi, le premier mois, la proportion de personnes remplissant les critères formels de l’opération Papyrus (années de séjour, emploi, indépendance financière, niveau de langue, absence de condamnations pénales) oscillait entre la moitié et les deux tiers. Aujourd’hui, l’information semble être passée largement. Et si le flux de personnes venant aux permanences diminue légèrement, la très grande majorité de celles et ceux qui viennent sont désormais dans la cible.

Parmi elles et eux, il y a notamment toutes ces femmes originaires d’Amérique latine qui triment depuis des années en silence et pour lesquelles cette opération est comme un éclat de ciel bleu dans la grisaille. Elles ont souvent de la peine à croire qu’elles ont désormais un espoir de régulariser leur situation. Il y a aussi toutes ces familles qui décrivent les réalités que nous connaissons si bien au CCSI – la peur au quotidien, les obstacles incessants, la difficulté de se projeter dans un avenir incertain, mais dont la force, la ténacité et le courage sont aujourd’hui récompensées par une probable régularisation.

Les permanences donnent aussi à voir tous les autres cas de figure, ceux qui ne rentrent pas dans le cadre de l’opération, mais qui viennent quand même voir de quoi il s’agit… On découvre par exemple le cas d’une femme polonaise, qui travaille ici depuis 14 ans, déclarée aux assurances sociales, mais qui n’a pas de permis de séjour… et qui tombe des nues quand on lui annonce qu’en tant que citoyenne de l’Union européenne, il aurait littéralement suffi de le demander. Ou cette autre personne, en Suisse depuis 12 ans, mais qui ne peut rien entreprendre parce qu’à son arrivée en Suisse les gardes-frontières l’ont amenée à Vallorbe et lui ont conseillé de déposer une demande d’asile. Bien qu’elle ait quitté le Centre d’enregistrement 48h plus tard, et qu’elle vive et travaille depuis lors exactement comme un « sans-papiers » classique, cette « demande d’asile » d’il y a douze ans conditionne encore tout son parcours. Pour les bénévoles et permanent-e-s, il est toujours difficile d’être confronté-e-s à ces cas sans issue, qui fort heureusement demeurent rares.

À ce jour, plus d’une trentaine de demandes ont été déposées par les associations et syndicats partenaires de l’opération, dont quatre par le CCSI. Et d’après ce que nous constatons chaque semaine en permanence, de nombreux autres dossiers sont en cours de préparation.

1 Tenues par un pool de permanent-e-s et de bénévoles des organisations membres du Collectif de soutien aux sans-papiers (CCSI, CSP, EPER et Caritas), ces permanences ont lieu le mardi de 10h à 13h au CSP, et le mercredi de 16h à 20h à l’EPER. Les dossiers déposés dans le cadre des permanences sont répartis de manière équitable entre les différentes associations.


Un nouveau juriste au CCSI

La consultation Permis de séjour du CCSI étant déjà surchargée, le CCSI a engagé un juriste supplémentaire pour assurer le suivi juridique de sa part des dossiers déposés dans le cadre de l’opération Papyrus. Nous avons demandé un soutien ponctuel au Bureau de l’intégration des étrangers pour financer cet engagement. Mehmet Aras, qui était déjà au CCSI depuis septembre dernier en tant que stagiaire dans la consultation Assurances sociales, a ainsi officiellement rejoint l’équipe en mars 2017.

Arrivé en Suisse 2006 en tant que réfugié politique, il a commencé sa formation à Fribourg avant de faire ses études de droit à Neuchâtel, et un master en droit international et en droit européen à l’Université de Genève. Avant d’arriver au CCSI, il a effectué un stage à Elisa-Asile, et travaille en parallèle à la Croix-Rouge comme interprète. Nous sommes ravis de pouvoir compter sur ses compétences et lui souhaitons la bienvenue parmi nous !


Arrêt Zhu et Chen: une victoire importante

Nous vous en avons souvent parlé, le CCSI suit depuis des années plusieurs situations de familles pour lesquelles il demande une autorisation de séjour en application de l’arrêt Zhu et Chen de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après arrêt Chen).

Pour rappel, ce jugement – qui concerne le cas de parents chinois d’une enfant de nationalité irlandaise résidant en Grande-Bretagne – se fonde sur les droits d’un enfant mineur communautaire pour accorder aux parents une forme de « regroupement familial inversé ». Ainsi, l’arrêt Chen estime que les parents d’un enfant citoyen de l’UE ont le droit, indépendamment de leur propre nationalité, de séjourner sur le territoire de l’Union pour autant que la famille ait les moyens financiers nécessaires pour assurer sa survie, une assurance maladie, et un logement convenable.

Depuis 2010, alors que plusieurs arrêts du Tribunal fédéral ont repris cette jurisprudence et confirmé que l’arrêt Chen était applicable en Suisse, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) a toujours refusé d’accorder des autorisations de séjour sur la base de cet arrêt.

Pour les personnes concernées, ce bras de fer juridique se traduit par des procédures inter-minables, générant une incertitude souvent difficile à gérer, et qui a des conséquences négatives sur leur vie quotidienne (perte d’emploi, difficultés administratives, etc.). Et pour la consultation Permis de séjour, ces cas représentent une charge de travail conséquente. C’est notamment le cas de Madame G., dont nous suivons la situation. Or le Tribunal administratif fédéral (TAF) vient de donner raison au CCSI, qui réclamait pour cette femme et son fils une autorisation de séjour en application de l’arrêt Chen depuis… quatre ans et demi !

Dans le jugement, le TAF estime non seulement que la demande du CCSI était fondée, mais aussi qu’une partie des arguments déployés par le SEM pour refuser l’octroi du permis est « en contradiction manifeste avec la jurisprudence rendue jusqu’à ce jour et frôle la témérité ». Inutile de préciser que le SEM n’a pas fait recours. Nous espérons désormais que les autres cas similaires défendus par la consultation Permis de séjour puissent bénéficier de ce jugement et connaître, eux aussi, une issue favorable.


Eldorado?

Le Collectif EldoradoS, formé par plusieurs associations (l’UOG, l’EPER, le Centre de la Roseraie et le théâtre Spirale), en partenariat avec le Service Agenda 21 – Ville durable de la Ville de Genève et le Bureau de l’intégration des étrangers du canton de Genève, organise une série d’événements sur la thématique des trajectoires migratoires.

Du 21 mai au 7 juin, ateliers vidéo, soirée festive, après-midi de réflexion et expositions de photos se succèdent pour alimenter un programme très riche. À noter en particulier la pièce de théâtre Eldorado, qui raconte les destins croisés de personnes migrantes confrontées à l’imperméabilité de la citadelle Europe, au Théâtre du Loup, du 23 mai au 6 juin. Le programme complet est à télécharger ici.


Mémo[ts] à lire

Porté par l’association Vivre ensemble et son projet « Le Comptoir des médias », Mémo[ts] vise à donner aux journalistes quelques clés pour parler d’asile et des migrations avec des mots à la fois simples, précis et non-discriminants. Pour rédiger ce guide, Vivre ensemble s’est notamment nourri des réflexions issues d’une série d’ateliers sur cette thématique, réunissant journalistes, experts et personnes travaillant sur le terrain, auxquels le CCSI a participé. En plus du glossaire, ce Mémo[ts] comporte une partie visant à sensibiliser les professionnels de l’information sur des questions liées au travail de terrain, ainsi que des ressources documentaires. Nous ne pouvons que vous recommander la lecture de ce guide, dont l’utilité s’étend bien au-delà des rédactions. Il peut être commandé ou téléchargé sur le site de Vivre ensemble.