Actualités

Pour une véritable Institution nationale des droits humains

Publié le 5 octobre, 2017 dans ,

La création d’un institut national des droits humains (destiné à renforcer la protection et la promotion des droits de l’homme dans notre pays), est une recommandation que les instances internationales ont faite à la Suisse à de nombreuses reprises. Depuis 2011 un projet pilote, constitué d’un réseau universitaire – le Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH) a été mis sur pied. Alors que le projet pilote touche à sa fin et que tant l’existence d’une demande pour une institution de cette nature que son utilité pour la Suisse ont été démontrés, la Confédération doit maintenant déterminer comment continuer.

Elle propose, dans un avant-projet de loi (suivez ce lien pour voir le rapport explicatif), une solution appelée “statu quo +”, à savoir essentiellement la pérennisation du projet pilote (avec quelques améliorations). Pour les organisations de défense des droits humains, il aurait été préférable de créer un véritable institut indépendant. Dans le cadre de la consultation sur l’avant-projet de loi, la plate-forme des ONG de humanrights.ch (dont le CCSI est membre), a préparé une prise de position type allant dans ce sens. Le CCSI soutient ces revendications, et a donc repris à son compte et adapté la prise de position. Nous la reproduisons ci-dessous (pour une version PDF, cliquez ici). Bonne lecture!

 

Prise de position sur l’avant-projet de loi fédérale sur le soutien à l’institution nationale des droits de l’Homme (LIDH)

 

Mesdames, Messieurs,

Le Centre de Contact Suisses-Immigrés (CCSI) est une organisation de défense des droits des personnes migrantes à Genève, et la mise en œuvre concrète des droits humains en Suisse est au cœur de notre action. C’est pourquoi nous nous permettons de prendre position sur l’avant-projet de loi fédérale sur le soutien à l’Institution nationale des droits de l’homme (LIDH) de la manière suivante :

1. Généralités

En tant qu’organisation engagée dans la reconnaissance et la mise en œuvre des droits humains en Suisse, nous nous réjouissons de la décision du Conseil fédéral du 29 juin 2016 de créer une Institution nationale des droits humains (INDH) en Suisse. Nous saluons dans son principe l’avant-projet de loi fédérale sur le soutien à l’institution nationale des droits de l’homme que le Conseil fédéral a présenté le 28 juin 2017, même si nous estimons qu’il a besoin d’être amélioré sur certains points.

La plupart des réserves formulées ci-dessous auraient été superflues si le Conseil fédéral avait choisi l’option d’un « institut indépendant » au lieu de l’option « statu quo + » (cf. rapport explicatif, §1.3.7). L’institut indépendant correspondait à la solution pour laquelle les ONG suisses se sont engagées durant toute la procédure de création d’une INDH.

La Suisse doit selon nous viser à la création d’une INDH ayant le statut A et ceci constitue le fil conducteur de notre critique de l’avant-projet. L’INDH suisse doit correspondre entièrement aux Principes de Paris. Tout autre objectif ne saurait correspondre à l’image que la Suisse donne à la communauté internationale dans le domaine des droits humains. Toute autre solution ne répondrait ni à nos attentes vis-à-vis de la Suisse ni à l’image qu’elle se fait de sa politique des droits humains. Une INDH avec un statut B ne serait pas prise au sérieux au niveau international et ternirait l’image de notre pays.

2. Commentaires article par article:

Article 1: Institution nationale des droits de l’homme

La voie suivie, conformément à l’art. 1, al. 1, à savoir celle d’une loi relative à un soutien financier, nous parait être praticable. Le fait également que l’art. 1, al. 4 désigne explicitement une « institution nationale des droits de l’homme » au sens des « Principes de Paris »1 en tant que bénéficiaire de l’aide financière nous parait particulièrement bienvenu.

Le rapport explicatif fait plusieurs fois référence à une somme de 1 million de francs annuel à titre de « contribution aux coûts d’exploitation »2. Nous estimons que cette contribution de 1 million est largement insuffisante.

Même si l’art. 2 al. 2 prévoit une contribution des hautes écoles sous forme de mise à disposition gratuite de l’infrastructure nécessaire, la somme de 1 million visant à financer les coûts d’exploitation ne permettra pas à la future INDH de s’acquitter de manière satisfaisante de toutes les tâches mentionnées à l’art. 3 de l’avant-projet LIDH. Nous établissons cette estimation par comparaison avec les budgets d’autres INDH dans des États comparables à la Suisse (Autriche, Danemark, Liechtenstein et Norvège entre autres).

Article 2 : rattachement à des institutions du domaine des hautes écoles

Selon l’art. 2, al. 1, l’INDH sera rattachée à « une ou plusieurs hautes écoles ou autres institutions du domaine des hautes écoles ». Il s’agit là du point central du modèle « statu quo + » retenu par le Conseil fédéral. Cette option fait référence à l’ancrage universitaire du Centre de Compétences pour les droits humains (CSDH) et l’inscrit dans la loi.

Nous avons des objections de fond à un ancrage universitaire de l’INDH :

  1. Conflit entre mandat lié au droits humains et liberté académique

Un engagement en faveur des droits humains tel qu’exigé de la part d’une INDH n’est pas compatible avec la liberté académique et l’éthique de recherche qui sous-tend la recherche universitaire. Cette dernière procède de la transparence des résultats d’une recherche empirique, alors que l’engagement pour les droits humains implique un attachement à certaines valeurs clairement définies et des prises de positions objectives. L’exemple de l’Institut norvégien pour les droits humains, qui était rattaché à une université, a démontré que le conflit entre deux exigences incompatibles pour une INDH peut mener tout droit à l’échec.

  1. Forme d’organisation peu judicieuse

Le rattachement à un réseau d’universités a – et le CSDH l’a démontré – des désavantages dans la pratique. La charge que le travail liée à la coordination entre six instituts dépendant de cinq universités s’est avérée considérable pour le bureau du CSDH. Elle a eu une influence certaine sur l’efficacité de l’institution et sur l’allocation de ses ressources limitées. L’alternative, à savoir le rattachement à une seule université, est également impropre puisque le problème de la dépendance institutionnelle ne pourrait alors qu’être renforcé.

  1. Subventions cachées au détriment de l’indépendance

L’une des principales raisons motivant l’ancrage universitaire de l’institution réside apparemment dans la mise à disposition à titre gratuit de l’infrastructure nécessaire à l’institution par les hautes écoles concernées, soit indirectement par les cantons où elles sont domiciliées. Ce subventionnement caché des cantons remet également en cause l’indépendance de l’institution, même si celle-ci est expressément garantie vis-à-vis des instances auxquelles l’INDH est rattachée3.

Malgré ces réserves sur le fond, nos remarques aux autres articles ci-dessous ne gardent leur valeur que si l’article 2 est adopté sous sa forme actuelle.

Article 3: Tâches

Au premier alinéa de l’article 3, la promotion des droits humains est mentionnée comme unique objectif de la future INDH. La formule consacrée, tirée du titre même des « principes de Paris » et régulièrement mentionnée dans le texte est : « promotion et protection des droits de l’homme ». Nous ne voyons aucune raison objective pour supprimer cette notion de protection dès lors qu’elle n’implique, en soi et de par sa formulation non spécifique, aucune activité telle qu’une fonction de bureau de médiation (Ombudsman) ou de fonctions normalement dévolues aux autorités et qui sont de manière évidente exclues du cahier des charges de l’INDH. Nous recommandons donc l’utilisation à l’art. 3 al. 1 de la formule suivante : « Dans le but de promouvoir et de protéger les droits de l’homme en Suisse (…) »

L’énumération des diverses tâches dévolues à l’INDH4 est incomplète. Il y manque de manière évidente l’encadrement (Beratung) politique et le « monitoring ». Ces deux domaines d’activité doivent être possibles également en dehors du cadre des prestations de services mentionnées à l’art. 5 LIDH. Nous recommandons donc de compléter la liste des tâches de l’article 3 de la manière suivante :

g. Encadrement politique, en particulier du Conseil fédéral, du parlement, de l’administration et des cantons.

h. Observation de la situation des droits de l’homme en Suisse.

Dans le rapport explicatif, une différence importante avec l’actuel Centre suisse de compétences pour les droits humains (CSDH) est mentionnée à propos de l’article 3 : l’INDH peut « agir de sa propre initiative et définir elle-même ses activités et ses priorités »5. Ce point nous parait à suffisamment important pour qu’il doive, selon nous, figurer en toute lettres dans un alinéa supplémentaire de l’article 3.

Nous proposons la formulation suivante :

Art. 3, Tâches

Al. 1(nouveau) L’institution nationale des droits de l’homme a la compétence d’agir de sa propre initiative et de communiquer de manière indépendante sur les thèmes de son choix.

Al. 2 dans le but de promouvoir et de protéger les droits de l’homme (…)

Toujours à propos de l’article 3, le rapport explicatif affirme que « la politique étrangère de la Suisse en matière de droits de l’homme est en revanche en principe exclue du domaine d’activité de l’INDH »6. Cette observation nous parait hors contexte et arbitraire. Il est en effet nécessaire, pour tout ce qui concerne les questions de cohérence politique dans le domaine des droits humains, que la politique extérieure des droits humains figure dans le mandat de l’INDH. De nombreux sujets thématiques comme les exportations de matériel de guerre, comportent de facto une composante transfrontalière significative. Vouloir exclure la dimension de politique extérieure du mandat de l’INDH nous parait inadéquat et dysfonctionnel. Les « principes de Paris » préconisent par ailleurs l’octroi d’un mandat le plus large possible aux institutions nationales.

Nous sommes fermement convaincus, que l’activité de l’INDH dans tous les domaines des droits humains, que ce soit en en politique intérieure ou extérieure, doit être ancrée dans la loi. Ceci pourrait être concrétisé également par un ajout à l’art.3 al. 1 (nouveau) tel que proposé ci-dessous :

“Le champ de travail de l’INDH couvre toutes les questions relatives à la mise en œuvre de l’ensemble des droits de l’homme en politique intérieure comme en politique extérieure”.

Article 5: Représentation pluraliste des forces sociales concernées

Nous saluons l’inclusion du principe organisationnel du pluralisme dans le projet de loi. Il est de même utile que l’expression « forces sociales concernées » soit précisée dans le rapport explicatif7.

Nous estimons cependant que cette disposition sous sa forme actuelle n’est pas suffisante pour permettre de définir un cadre à la structure organisationnelle de l’INDH. De très nombreuses questions restent ouvertes, que la Confédération devrait régler. C’est le cas par exemple de la procédure de nomination aux organes décisionnels ou à la direction. D’autres décisions relevant du droit de la personne comme, par exemple, la possibilité ou non d’être simultanément membre de la direction de l’INDH et employé par un institut universitaire donné, doivent être réglées en priorité, et non déléguées aux Hautes Ecoles porteuses du projet.

Nous pensons qu’une ordonnance d’application de la LIDH constituerait un instrument adéquat pour régler ces questions et nous proposons de compléter l’article 5 par un alinéa ayant la teneur suivante :

Art. 5 al. 2 (nouveau) Le cadre organisationnel de l’INDH sera défini par voie d’ordonnance en tenant compte des exigences des principes de Paris.

Le titre de la disposition devrait être adapté en conséquence et pourrait devenir: « Art. 5 Organisation »

Article 8: Indépendance

L’article 8 garantit l’indépendance de l’INDH dans l’exécution de ses tâches, d’une part vis à vis de la Confédération et d’autre part vis à vis des hautes écoles auxquelles elle est rattachée. Ceci semble très positif au premier regard.

À y regarder de plus près, il est cependant paradoxal que l’indépendance de l’INDH vis à vis des hautes écoles auxquelles elle est rattachée doive être ainsi formellement rappelée. Nous y voyons la conséquence directe du conflit potentiel entre le milieu universitaire et la capacité d’agir de manière autonome de l’INDH.

Le rapport explicatif8 rend attentif au fait que l’indépendance de l’institution « peut entre autres être renforcée par l’attribution d’une personnalité juridique propre ». Sont à ce propos envisageables, toujours selon le rapport explicatif, « les formes juridiques de la fondation ou de l’association »9. Nous y voyons pour notre part non pas une possibilité mais une nécessité.

Si l’on part de la prémisse qu’un rattachement universitaire de l’INDH est indispensable, la personnalité juridique propre à l’INDH est une condition sine qua non pour que l’indépendance statutaire vis à vis des hautes écoles auxquelles elle est rattachée ne reste pas un voeu pieux. Nous insistons donc fermement pour que l’article 8 soit complété en conséquence et clarifie la question de l’indépendance juridique.

Nous proposons l’ajout d’un alinéa 2 à l’article 8 ayant la teneur suivante:

Art. 8 al. 2 (nouveau) L’indépendance est garantie par une personnalité juridique propre à l’institution.

Nous vous remercions de l’attention que vous voudrez bien porter à la présente prise de position et vous adressons nos meilleures salutations,

Pour le CCSI, Marianne Halle

 

1 Annexe de la résolution 48/134 de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies du 20 décembre 1993

2 Art. 1, al 2 LIDH

3 Art. 8 LIDH

4 Art. 3, al. 1, litt. a à f

5 Rapport explicatif, page 20

6 Rapport explicatif, page 20

7 Rapport explicatif, page 22

8 Rapport explicatif, page 23

9 Id.