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CCSI-Info juillet 2018

Publié le 16 juillet, 2018 dans ,

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Édito| Marianne Halle

Ce début d’été nous laisse devant un choix philosophique des plus élémentaires – celui de voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Plusieurs situations m’ont particulièrement marquée ces dernières semaines : l’angoisse des personnes requérantes d’asile soumises à la nouvelle procédure d’obtention de l’aide d’urgence (qui les obligeait à se rendre dans les locaux de la police de l’aéroport pour obtenir un tampon, voir la rubrique Actualités de notre site internet) ; l’interminable errance maritime imposée par le nouveau gouvernement italien aux personnes migrantes secourues par le navire Aquarius, signe de l’échec absolu des politiques migratoires européennes ; et la douleur indicible des familles séparées à la frontière sud des États-Unis par une administration Trump en roue libre nationaliste et xénophobe. Ça, c’est pour le verre à moitié vide.
Mais dans les trois cas, face à cette absence criante de considération pour l’humanité des personnes concernées, il s’est opéré un retour de balancier salutaire. Manifestations monstres dans les rues américaines, prises de position fortes de la part de représentants politiques en faveurs des droits fondamentaux ; réaffirmation – même timide – du principe de solidarité et de la nécessité de répondre aux urgences humanitaires en-dehors de considérations politiques partisanes ; et à Genève, mobilisation citoyenne et associative (à laquelle le CCSI s’est joint) pour dénoncer une procédure inhumaine et insensée à l’égard des requérant·e·s d’asile.
Et surtout, dans les trois cas, ces mobilisations ont porté leurs fruits : l’administration Trump a été contrainte de mettre fin à la séparation des familles, l’Aquarius et ses passagers ont enfin pu débarquer en Espagne, et l’OCPM vient d’annoncer qu’elle revenait à la pratique antérieure en matière d’aide d’urgence. Ça, c’est pour le verre à moitié plein.
La colère et l’indignation face à l’injustice sont autant d’étincelles qui permettent parfois de susciter l’action. Il serait évidemment préférable de ne pas devoir en arriver là, mais si ces moments servent au moins à réveiller les consciences, tout n’est pas perdu. Pour le CCSI, le choix est fait depuis longtemps. Le verre est à moitié vide ? À nous de le remplir. Bel été à toutes et tous!


Accès aux soins pour les personnes en situation de vulnérabilité : des constats alarmants

Le 10 mars dernier, le CCSI organisait une journée de réflexion sur le thème « La santé : un bien commun ». Nous revenons ici sur cette riche journée d’échanges et vous en livrons les principaux constats.

L’exposé de Jean Blanchard (Secrétaire général du Mouvement Populaire des Familles), intitulé « Une santé hors de prix », nous a fourni une quantité importante de données chiffrées et d’explications concrètes sur la question des coûts de la santé, du système d’assurance-maladie en Suisse, et des pistes pour améliorer la situation.

Barbara Lucas (Professeure à la Haute école de travail social à Genève) nous a livré les premiers résultats d’une recherche qu’elle a menée avec des collègues sur la question du non-recours aux prestations sociales et ses répercussions sur la santé. On entend par « non-recours » la situation où des personnes ne perçoivent pas les prestations auxquelles elles auraient droit, soit par non-connaissance de leurs droits, soit par non-réception de la prestation (celle-ci est demandée, mais pas reçue), soit par non-demande (la prestation est connue, mais pas demandée). Cette problématique est encore mal connue en Suisse, alors que l’OCDE évalue le taux de non-recours aux prestations sociales en Europe entre 40 et 60%.

Un système d’assurance-maladie inique

En seconde partie de journée, nous avons travaillé en sous-groupes pour approfondir la réflexion sur la base des expériences de terrain des participant·e·s. Sans surprise, un des principaux constats concerne le problème majeur que représente le système de l’assurance-maladie en Suisse, avec sa complexité et le coût excessif des primes qui entrave l’accès aux soins pour une partie de plus en plus importante de la population, même au-delà des couches les plus précarisées (à Genève, en 2012, 14,5% de la population déclarait renoncer à des soins pour des raisons économiques).

Un autre constat porte sur la généralisation du discours sur les « abus » dans le domaine des assurances sociales et la culture du soupçon à l’égard des assuré·e·s qui en découle. Ce discours, fortement relayé par les médias, a également été intériorisé par de nombreux·euses professionnel·le·s de l’aide sociale, et s’accompagne de la mise en place de contrôles souvent intrusifs voire humiliants. Il s’agit là d’une des causes de non-recours aux prestations.

Les migrant·e·s doublement pénalisé·e·s

Pour les personnes migrantes, la situation est aggravée par le fait qu’un endettement ou des poursuites pour les primes d’assurance-maladie ou les frais médicaux impayés peuvent mettre en danger l’obtention ou le renouvellement d’une autorisation de séjour. Quant aux migrant·e·s sans statut légal, bien que leur affiliation à l’assurance-maladie de base soit théoriquement possible, ils et elles se heurtent cependant à des obstacles à la fois administratifs (impossibilité d’obtenir une attestation de domicile ou une attestation d’assujettissement obligatoire à la LAMal) et économiques, le montant des primes étant le plus souvent disproportionné par rapport aux faibles revenus de cette population. La non-affiliation fréquente à l’assurance-maladie des travailleuses·eurs sans statut légal est lourde de conséquences, surtout en cas de maladies graves ou chroniques. Un autre problème majeur pour cette catégorie de travailleuses·eurs est la très grande précarité de l’emploi, et l’absence de toute couverture de la perte de salaire en cas de maladie : ces personnes ne peuvent donc tout simplement pas « se permettre » de prendre congé en cas de maladie.

Au terme de cette journée de réflexion, un document résumant les constats et pistes de réflexion des participant·e·s a été élaboré (il est disponible en lecture et en téléchargement ici). Ce document a été communiqué à toutes les associations avec lesquelles le CCSI travaille en réseau sur la thématique de la santé et de l’accès aux soins. Nous participons également activement aux réflexions engagées dans le cadre du CAPAS (Collectif d’associations pour l’action sociale) sur la thématique de l’accès aux prestations sociales et de santé pour les populations précaires. Une étroite concertation entre toutes les associations actives dans ce domaine est nécessaire pour envisager d’éventuelles démarches vis-à-vis des autorités.

Par ailleurs, il conviendra de suivre attentivement le sort de l’initiative fédérale « Assurance-maladie : pour une liberté d’organisation des cantons », et de l’initiative cantonale pour un plafonnement des primes d’assurance-maladie à 10% du revenu des ménages.

Anne-Marie Barone


Migration : que disent nos chiffres ?

Dans le cadre de ses consultations, qui suivent près de 1650 dossiers par année, le CCSI est aux premières loges pour observer les réalités migratoires sur le terrain. Quels constats pouvons-nous en tirer ? La base de données dans laquelle nos dossiers sont enregistrés permet d’extraire quelques chiffres intéressants. Rien de révolutionnaire pour celles et ceux qui travaillent dans ce domaine, mais il est précieux de pouvoir documenter ce que nous constatons sur le terrain.

Facteurs « push » et « pull »

Les spécialistes des phénomènes migratoires le disent depuis longtemps : la décision de migration est bien davantage liée aux conditions dans les pays de provenance (soit les facteurs qui poussent les personnes à partir, ou facteurs « push » dans le jargon de la sociologie des migrations) qu’à ceux dans les pays d’accueil (les facteurs pull). Nos statistiques confirment bien sûr ce constat. La violence des gangs en Amérique centrale, la crise au Venezuela, et la crise économique de 2008-2009 en Europe ont toutes mené à des arrivées plus importantes en provenance des régions concernées.

Par contre, l’annonce de l’opération Papyrus n’a pas mené à un pic d’arrivées : le nombre de nouveaux dossiers dans les consultations qui reçoivent principalement des familles primo-arrivantes n’a pas augmenté plus que les années précédentes. En d’autres termes, les personnes migrantes ne viennent pas moins en Suisse parce que les règles se sont durcies (ou plus parce qu’elles se sont assouplies). Bien que cet effet ne puisse pas être mesuré statistiquement, sur le terrain les permanentes du CCSI constatent toutefois que l’espoir suscité par l’opération Papyrus encourage les familles à stabiliser leur situation dans la perspective de pouvoir être régularisées un jour.

Complexité des situations

Nous constatons depuis de nombreuses années que les situations dans lesquelles se trouvent les personnes que nous accompagnons sont de plus en plus complexes. Elles viennent au CCSI pour des situations dans lesquelles plusieurs volets sont imbriqués – généralement un volet lié au permis de séjour (ou son absence…), combiné à d’autres besoins de soutien social. Nos chiffres reflètent cette réalité : le nombre de dossiers suivis simultanément par plusieurs consultations du CCSI est en nette augmentation (+ 42 % en deux ans).

Le cas le plus fréquent est celui de familles suivies pour des démarches liées à la scolarité des enfants parallèlement à une demande de regroupement familial ou de régularisation. Certains dossiers impliquent même trois permanent·e·s, généralement pour des enfants qui présentent un handicap ou des situations compliquées dans le domaine des assurances sociales.

L’absence de statut renforce la précarité

Au CCSI, nous recevons des personnes migrantes d’horizons très divers. Toutefois depuis quelques années, la précarité dans laquelle se trouvent une bonne partie de nos usagers·ères ne cesse de s’aggraver. Ils et elles nous rapportent par exemple qu’il devient de plus en plus difficile de trouver des heures de travail dans les secteurs d’emploi habituels (économie domestique, nettoyages et hôtellerie-restauration). Cette difficulté est d’autant plus importante pour les personnes sans permis de séjour, et ce même dans les secteurs de travail informels.

Le logement est également un facteur majeur de précarisation, tant en termes d’accessibilité (sans permis de séjour, impossible de s’inscrire dans une régie, ou de trouver un logement subventionné) que de prix (de nombreux bailleurs n’hésitent pas à pratiquer des prix usuriers, sachant combien les personnes sans statut ont besoin du logement qu’elles ont trouvé et qu’elles n’oseront probablement pas s’en plaindre).

L’un des meilleurs indicateurs de la précarité croissante des usagers·ères du CCSI est le nombre de personnes et familles qui perçoivent des aides en nature (aide alimentaire avec les Colis du cœur et épiceries solidaires, ainsi que vêtements via les vestiaires sociaux de Caritas et du CSP). Les chiffres sont alarmants, les demandes pour des aides en nature faites via le CCSI sont en forte augmentation. Cette hausse de la demande pour des aides en nature est également constatée par de nombreux autres acteurs du réseau social genevois. Il est choquant qu’une part de plus en plus importante de la population genevoise soit touchée par cette précarité, et que les besoins vitaux de nombreuses familles ne soient pas couverts.

Plus frappant encore, nos chiffres permettent de montrer qu’il existe une forte corrélation entre le statut de séjour et les difficultés matérielles. Plus les personnes ou familles ont un statut de séjour instable, précaire ou inexistant, plus la précarité dans laquelle elles vivent est importante. Parmi les personnes ou familles dont les besoins vitaux ne sont pas couverts, autour de 90% d’entre elles sont sans statut légal. Les 10% restants sont majoritairement des titulaires de permis B ou personnes en attente d’un permis (demande initiale ou renouvellement). À noter que plus des deux tiers ont fait deux ou plusieurs demandes en cours d’année (renouvellement ou deux types d’aide différents), ce qui tendrait à indiquer une précarité dans la durée, et non pas uniquement ponctuelle.

Marianne Halle