La santé: un bien commun
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Le CCSI a organisé le 10 mars 2018 une journée de réflexion sur le thème « La santé : un bien commun. Quel accès pour les personnes en situation de vulnérabilité ? ». Suite à cette journée, le groupe de travail qui l’avait mise sur pied a rassemblé dans un document les différents constats qui ont émergé lors des conférences de la matinée, ainsi que lors des ateliers qui se sont déroulés l’après-midi. Nous espérons qu’ils pourront vous intéresser. Contrairement à ce qui avait été annoncé lors de l’événement, nous n’avons finalement pas jugé opportun de rédiger une lettre de doléances formelle, et avons préféré accompagner les constats précités de quelques pistes de réflexion. Vous trouverez ce document ci-dessous. Il est également disponible en téléchargement, au format PDF, en cliquant ici. N’hésitez pas à nous faire part de vos remarques et suggestions, nous vous souhaitons bonne lecture!
“La santé : un bien commun. Quel accès pour les personnes en situation de vulnérabilité ?”
Constats généraux
Les différents participant·e·s à cette journée de réflexion ont constaté que l’accès aux soins est entravé pour une part toujours plus nombreuse de la population en Suisse, et non plus uniquement pour les populations les plus précarisées. Cela est dû à deux facteurs principaux : la complexité du système de l’assurance-maladie en Suisse, et le coût élevé des primes de l’assurance-maladie obligatoire.
Cependant, malgré ses limites, une large partie de la population suisse maintient une confiance dans le système de santé et de l’assurance-maladie, convaincue que le système fonctionne pour celles et ceux qui « font tout juste ». Le fonctionnement et les mécanismes du système qui aboutissent à une augmentation régulière des primes et des bénéfices réalisés par les caisses maladies semble être très peu questionnés.
Trop souvent, les hausses des coûts de la santé sont imputés aux assuré·e·s – aux personnes malades qui consulteraient trop facilement et demanderaient des examens coûteux, ou aux personnes âgées. Or comme l’a démontré M. Jean Blanchard du Mouvement populaire des familles dans l’exposé qu’il a présenté lors de la séance plénière, la marchandisation de la santé et la libéralisation de la politique hospitalière sont des facteurs non négligeables de l’augmentation des coûts de la santé.
Par ailleurs, le discours sur les « abus » en matière de prestations d’assurances sociales et la « culture du soupçon » (tous deux fortement relayée par les médias) se sont généralisés ces dernières années. Ils sont peu à peu intériorisés par de larges couches de la population, y compris des professionnel·le·s de l’aide sociale.
La thématisation du non-recours aux prestations sociales ou au système de soins est très récente en Suisse et il n’existe actuellement que peu de données sur ces problématiques. Différentes études, dont celle de Barbara Lucas (professeure à la HETS, qui est également intervenue à l’occasion de cette journée de réflexion) sont en cours afin de permettre de la rendre visible.
Les discussions dans les ateliers ont permis de faire surgir différents problèmes relatifs au système de santé et de sécurité sociale en Suisse, plus particulièrement ceux en lien avec l’assurance-maladie, ainsi que les éventuelles causes d’un non-recours aux prestations de soins pour différentes catégories de la population.
Étant donné que des professionnel·e·s ou militant·e·s du CCSI étaient fortement représenté·e·s dans ces deux ateliers, les constats concernent majoritairement la population immigrée « sans autorisation de séjour » ou les personnes migrantes titulaires d’un permis B ou C dont les revenus sont peu élevés et qui travaillent dans des secteurs économiques dans lesquels les conditions de travail ont un fort impact sur l’état de santé.
Les problèmes rencontrés par ces populations, en termes d’accès ou de recours au système de santé et de soins, dépendent en partie de leur statut de séjour en Suisse. En outre, les différents acteurs de la politique de santé auprès desquels des modifications pourraient être demandées en vue d’améliorer l’accès au système de santé de ces populations sont variés et relèvent de l’échelon cantonal ou fédéral. Nous avons donc tenté de regrouper les différents constats ayant émergé de ces ateliers en fonction des catégories de population touchées (avec ou sans permis) et des différents acteurs impliqués.
A. Situations problématiques pour tou·te·s les assuré·e·s à bas revenus
- Le système de l’assurance-maladie, générateur de dettes :
Le coût de la santé à charge des individus est un facteur majeur de renoncement aux soins. Pour la population migrante qui a accès à l’assurance-maladie, les coûts des primes et les frais à charge (franchises, quote-part, prestations ou médicaments non pris en charge) sont trop élevés. Ces coûts sont d’autant moins supportables que les subsides octroyés par le canton sont bien trop bas.
Cette catégorie de la population est donc souvent tentée d’opter pour des franchises d’assurance-maladie très élevées. Cela augmente le risque de tomber dans l’engrenage de l’endettement quand les personnes ne parviennent plus à payer les primes et/ou les frais de santé à charge. Dans les deux cas, cette situation conduit à un renoncement aux soins.
Le risque de rencontrer des difficultés financières augmente en raison du système de « tiers garant ». La gestion administrative des factures médicales (tiers garant) est compliquée pour de nombreuses personnes et requiert un suivi minutieux des factures et des remboursements. Certaines factures ne sont pas envoyées aux assurances pour en demander le remboursement pour différentes raisons (oubli, difficulté dans la gestion administrative, mauvaise compréhension du système, et difficulté à « décrypter » les décomptes de certaines caisses maladies).
Il arrive en outre que les personnes à bas revenus soient tentées, en cas de remboursement d’un montant plus conséquent, d’utiliser ce dernier pour payer d’autres frais considérés comme plus urgents et ne puissent par la suite plus s’acquitter des factures médicales remboursées.
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Conséquences de cet endettement pour les personnes migrantes :
L’endettement pour payer des primes d’assurance-maladie ou des frais médicaux a un impact direct sur le recours aux soins, mais il peut également mettre en danger l’obtention d’un permis de séjour ou son renouvellement.
À Genève, lorsque les assuré·e·s font l’objet d’un acte de défaut de biens pour cause de non-paiement des primes ou de quote-part d’assurance-maladie, le service de l’assurance-maladie (SAM) paie les primes arriérées à la caisse maladie. Cependant, l’assuré·e reste endetté·e auprès de l’État et la dette figure sur l’extrait de poursuite. En raison du montant des primes mensuelles, cet endettement est souvent très élevé, notamment s’il perdure plusieurs années de suite ou concerne plusieurs personnes du groupe familial.
B. Situations problématiques pour les personnes sans permis de séjour
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Accès à l’assurance-maladie difficile ou impossible pour les adultes :
Les personnes adultes sans autorisation de séjour accèdent difficilement à la possibilité de s’affilier à l’assurance-maladie, et ce malgré l’obligation légale de contracter une assurance-maladie pour toute personne domiciliée en Suisse.
Les caisses maladies refusent d’affilier les personnes, soit parce que ces dernières ne peuvent obtenir une attestation de domicile délivrée par l’Office cantonal de la population et des migrations – OCPM (ce qui est impossible pour toutes les personnes en situation irrégulière), soit parce qu’elles ne peuvent obtenir une attestation d’assujettissement obligatoire à la LAMal. Le SAM, service concerné à Genève, refuse actuellement dans la plupart des cas de délivrer ces attestations d’assujettissement par crainte que les personnes ne puissent plus par la suite payer les primes d’assurance-maladie.
En effet, même si les personnes sans autorisation de séjour peuvent en théorie s’affilier à une caisse maladie, le montant de la prime mensuelle est souvent rédhibitoire. Il l’est d’autant plus qu’à Genève, il est impossible pour des personnes sans autorisation de séjour et n’étant pas imposées à la source d’obtenir un subside.
Cette discrimination dans l’accès à une caisse maladie pour des raisons tant administratives que financières a de lourdes conséquences sur la possibilité d’obtenir un traitement médical adéquat pour les personnes souffrant de maladies graves ou chroniques. En effet, bien que les personnes adultes sans autorisation de séjour puissent recourir à la CAMSCO ou aux services des urgences, elles ne peuvent bénéficier d’une prise en charge pour des soins ou des traitements de longue durée en cas de maladie grave si elles n’ont pas d’assurance-maladie.
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Situation mitigée pour les enfants sans statut légal :
L’accès des enfants sans autorisation de séjour à l’assurance-maladie est pour l’instant garanti. Toutefois, les caisses maladie ne respectant pas toujours l’obligation qui leur revient de demander pour ces enfants un numéro d’AVS à la caisse de compensation, l’attribution du subside par le SAM s’en retrouve retardée. Cela entraîne des factures impayées et une mise aux poursuites, ce qui peut avoir comme conséquence que les parents ne consultent pas le pédiatre ou tardent à le faire par peur de ne pas pouvoir assumer les frais. Dans certains cas, notamment pour des enfants en âge préscolaire et ne fréquentant pas une institution de la petite enfance, les parents peuvent également être tentés de désaffilier leurs enfants.
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Vulnérabilité extrême en cas de maladie :
Les travailleurs·euses sans statut légal, notamment dans l’économie domestique, sont dans une situation de telle précarité de l’emploi qu’elles et ils « ne peuvent pas se permettre » d’être malades. En effet, cela signifierait non seulement des dépenses de santé hors de leur portée, mais aussi, en cas d’arrêt de travail, une perte de revenu importante : ces personnes sont souvent payées à l’heure et n’ont de surcroît, dans la plupart des cas, pas d’assurance perte de gain en cas de maladie. Par conséquent, elles ne reçoivent aucun salaire en cas de maladie.
Pour les travailleurs·euses sans statut légal, un problème de santé est assimilable à une « double peine » (perte du travail et non accès aux soins). Cela génère un état de stress permanent qui évidemment est nuisible à la santé.
Pistes de réflexion
Ces constats et discussions ont amené les participant·e·s à proposer les pistes de réflexion suivantes :
- Fixer les primes de l’assurance-maladie en fonction du revenu pour faire baisser la charge financière des coûts de la santé. Cela impliquerait évidemment un changement au niveau national de la loi sur l’assurance-maladie de base. Dans un premier temps, nous proposons de soutenir les différentes initiatives cantonales sur l’assurance-maladie qui vont dans ce sens.
- Abolir le système du « tiers garant » au profit du système du « tiers payant » pour toutes et tous, afin de faciliter la gestion des frais des soins. Cela impliquerait également un changement de la loi sur l’assurance-maladie au niveau fédéral.
- Relever le montant des subsides de l’assurance-maladie pour les adultes a également été suggéré comme mesure permettant d’alléger la charge financière de l’assurance-maladie. Afin que le subside ait un impact il faudrait qu’il couvre au moins la moitié de la prime d’un adulte, à l’instar de ce qui est prévu dans la LAMal pour les jeunes de moins de 25 ans et pour les enfants. Pour qu’il soit efficace, ce changement devrait être inscrit dans la LAMal et implique donc une modification de la loi au niveau fédéral. Cette piste pose néanmoins le problème du subventionnement indirect par l’État de l’assurance-maladie, qui est un système privé et dont le contrôle des coûts par l’État est souvent considéré comme lacunaire voire déficient. Cet état de fait ne pourra malheureusement pas être amélioré tant que le puissant lobby des assurances au Parlement fédéral ne sera pas remis en cause.
- Diminuer les coûts à charge des caisses maladies, par exemple en instaurant un contrôle de l’État sur le prix des médicaments, ainsi que sur le besoin de rentabilisation du matériel sophistiqué acquis par les Hôpitaux publics, cliniques, permanences et cabinets médicaux, qui les conduit parfois à effectuer des examens inutiles.
- Instaurer une assurance perte de gain maladie pour tou·te·s les salarié·e·s afin de réduire les conséquences néfastes de la perte de salaire en cas de maladie.
- Mieux combattre les discours sur les abus en matière d’assurances sociales et de prestations de soins, notamment en démontrant, chiffres à l’appui, le coût disproportionné des contrôles mis en place par les autorités ou les assurances, en illustrant le rôle qu’ils jouent dans le non-recours aux prestations, et en dénonçant leur caractère souvent intrusif, voire humiliant. Il est également impératif de dénoncer les violations des droits des personnes commises par les administrations.
- Encourager la recherche sur l’apport économique des migrant·e·s, et en particulier leur contribution aux assurances sociales, afin de démentir certaines idées reçues quant aux coûts engendrés par les migrant·e·s pour l’État.
- Défendre les droits de toute personne à bénéficier de soins de santé et établir ou renforcer les liens entre les associations qui défendent des populations touchées par la précarité et dont les droits ne sont pas reconnus (migrant·e·s, mais aussi personnes handicapées, détenu·e·s, etc.), pour permettre plus particulièrement aux personnes sans autorisation de séjour d’accéder à des soins adéquats en cas de graves problèmes de santé ou de maladies chroniques.
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