CCSI-Info janvier 2019
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Édito| Marianne Halle
On pense souvent (pas forcément à tort) aux petits cantons de la Suisse centrale comme étant particulièrement anti-immigration, mais c’est en fait le nord-est de la Suisse qui s’est une nouvelle fois illustré en tant que bastion d’une politique migratoire conservatrice. Après l’initiative du canton de Saint-Gall (voir le CCSI-Info de mai 2017) demandant le que l’on retire les permis des personnes qui « refusent de s’intégrer », après que le canton de Zurich a refusé d’entrer en matière sur une version locale de l’opération Papyrus au prétexte qu’il n’était « pas concerné » par la problématique des sans-papiers, le canton de Thurgovie est le dernier en date à rejoindre le rang des hardliners.
Le parlement thurgovien a approuvé début janvier le dépôt d’une initiative cantonale permettant au canton d’exiger que les parents qui ont « négligé l’intégration de leurs enfants » paient de leur poche non seulement les cours de mise à niveau en allemand pour leurs enfants dans le cadre de la scolarité obligatoire, mais aussi les frais de traduction lors d’entretiens avec les parents.
Le canton avait déjà adopté une mesure similaire il y a deux ans, avant de se voir rabrouer par le Tribunal fédéral, qui estimait que le canton contrevenait ainsi à son obligation constitutionnelle de fournir une instruction publique gratuite à toutes et tous. La Thurgovie revient désormais à la charge, en déposant une initiative demandant une modification de la constitution fédérale qui lui permettrait de procéder de la sorte. À noter que le texte a été adopté à une majorité confortable de 77 voix contre 30, les socialistes s’étant abstenus (!) lors du vote.
Au-delà de la gravité de ce que propose ce texte (remettre en question du droit à l’éducation pour punir les parents dont les enfants n’ont pas un niveau d’allemand suffisant), l’initiative thurgovienne met en lumière la prégnance inquiétante d’une conception de l’intégration obsédée par l’idée de la responsabilité individuelle. Faisant abstraction des tous les obstacles structurels, on estime ici que l’intégration relève de la responsabilité des personnes étrangères uniquement. C’est de leur faute si elles n’ont pas atteint le statut tant convoité de « personne bien intégrée », et elles méritent donc d’être réprimandées.
Ce vote vient également perpétuer un cliché très répandu dans certains cercles au sujet des personnes migrantes – que les étrangers ne veulent pas s’intégrer. Or rien ne pourrait être plus éloigné de la réalité. Au CCSI, nous rencontrons quotidiennement des dizaines de personnes migrantes de tous horizons, et aucune d’entre elles ne veut pas s’intégrer. Il y en a dont les disponibilités sont limitées par des horaires de travail ou des contraintes familiales, d’autres dont les traumatismes rendent toute forme d’apprentissage difficile. Tout au plus voit-on que certain·e·s peinent à trouver l’énergie et le temps à consacrer à leur intégration parce qu’ils/elles n’arrivent pas à se projeter dans un avenir en Suisse.
Peut-on les blâmer, alors que le parlement vient une nouvelle fois de précariser l’ensemble des statuts de séjour, et qu’on leur fait comprendre qu’on cessera de tolérer leur présence dès la minute où ils/elles ne seront plus suffisamment productifs·ves et « utiles à l’économie » ?
En 2019, l’engagement du CCSI pour une Suisse plus ouverte et plus solidaire garde tout son sens. Bonne année et bonne lecture à vous toute et tous!
Laïcité de l’État: non à une loi qui exclut et discrimine
La population genevoise est appelée à se prononcer le 10 février prochain sur la Loi sur la laïcité de l’État. Précisons-le d’emblée : le NON à cette loi que préconisent les référendaires (pour mémoire, le CCSI a soutenu les référendums, voir CCSI-Info de mai 2018) n’est pas un refus du principe de laïcité de l’État, mais celui d’une loi qui, sous couvert de laïcité, discrimine et exclut.
Pour une laïcité de l’État respectueuse de la liberté de conscience et de religion des individus
Un rappel s’impose : le principe de laïcité de l’État consiste en une obligation de neutralité qui lui impose de s’abstenir, dans les actes publics, de toute considération confessionnelle ou religieuse. Il vise en outre à préserver la liberté de religion des citoyen·ne·s et à main-tenir la paix confessionnelle. Ce principe de laïcité de l’État est désormais inscrit dans la Constitution genevoise de 2012 (art. 3).
Le principe de laïcité de l’État n’est donc pas contradictoire, mais au contraire complémentaire avec le droit fondamental des citoyen·ne·s à la liberté de pensée, de conscience et de religion, garanti tant par la Constitution fédérale (art. 15) que par la Convention européenne des droits de l’homme – CEDH (art. 9).
Une loi discriminatoire et arbitraire
Parmi les nombreuses raisons de refuser cette loi, nous n’évoquerons ici que celles qui concernent son article 3, intitulé « neutralité religieuse de l’État ». L’art. 3, al. 3 prescrit aux membres du Conseil d’État, des exécutifs communaux, aux juges, de s’abstenir dans le cadre de leurs fonctions et lorsqu’ils sont en contact avec le public, de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs. Si la loi en était restée là, personne n’aurait rien trouvé à redire. Mais l’alinéa 5 du même article impose la même règle aux fonctionnaires cantonaux, communaux et aux personnes morales de droit public. En d’autres termes : la conductrice de bus ou le commis administratif derrière un guichet du bureau des autos sont soumis à la même interdiction de « signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs » que les Conseillers·ères d’État ! Une telle mesure apparaît non seulement absurde, mais elle empiète gravement et sans aucun motif suffisant sur la liberté individuelle des fonctionnaires, en particulier leur liberté de religion garantie par la CEDH.
Quant à l’alinéa 4 du même article, ajouté en plénière suite à un amendement du PLR (alors que la Commission l’avait refusé), il étend l’interdiction de signaler son appartenance religieuse par des signes extérieurs aux parlementaires (cantonaux et municipaux), lorsqu’ils et elles siègent en séance plénière. Ce faisant, la loi traite les élu·e·s comme des représentant·e·s de l’État, alors qu’ils et elles représentent les votant·e·s qui leur ont donné leurs suffrages ! Quelle est cette démocratie qui vient ainsi « censurer » le choix des électeurs et électrices ?
De plus, force est de constater, à la lecture des débats parlementaires, que ces dispositions ont été édictées en ayant à l’esprit une religion en particulier (l’Islam), puisque personne n’aurait jamais songé à édicter une loi pour interdire le port d’un pendentif muni d’une croix chrétienne par un·e parlementaire ou un·e fonctionnaire… Or, pour ce qui est de l’Islam, seules les femmes (et plus précisément celles qui ont fait le choix de porter le foulard) sont visées par la loi : leurs coreligionnaires masculins ne seront, eux, pas obligés de se raser le menton pour pouvoir occuper un emploi dans la fonction publique ou être élu dans un parlement…
Un mot encore à propos de l’argument qui consiste à soutenir que cette interdiction permettrait aux femmes musulmanes de « s’émanciper » : c’est à la fois malhonnête, superflu et contre-productif. Malhonnête parce que la grande majorité des femmes qui portent le foulard le font par choix personnel, et quelle que soit notre opinion à propos de ce choix, il n’est pas acceptable de restreindre, sans motif suffisant, leur liberté d’adopter la tenue qui leur convient. Superflu parce qu’il existe déjà d’autres lois (pénales) qui permettent d’intervenir dans les cas de femmes qui seraient contraintes par leur entourage de porter le foulard. Et enfin contre-productive car l’interdiction risque bien de les isoler encore davantage en leur fermant l’accès au travail dans le secteur public.
Une législation aussi clairement discriminatoire ne saurait être acceptée, et nous vous invitons donc à voter NON le 10 février prochain.
Anne-Marie Barone
Opération Papyrus: fin… et suite?
Comme cela avait été annoncé lors de son lancement le 21 février 2017, l’opération Papyrus, a pris fin officiellement le 31 décembre 2018. Pour le CCSI, c’est un moment particulier, entre satisfaction et interrogations sur l’avenir. Nous sommes bien sûr ravis pour les nombreuses personnes qui ont pu régulariser leur séjour grâce à cette opération, et très satisfaits du travail accompli – le CCSI a déposé plus de 160 dossiers dans le cadre de l’opération, assuré des centaines d’heures de consultation et de permanence pour les personnes concernées, et participé à des dizaines de séances avec les autorités pour assurer la bonne marche de l’opération sur le terrain.
Malgré le côté véritablement pionnier de ce projet et malgré son ampleur, sa mise en œuvre s’est déroulée sans accrocs. Les collaborations instituées avec toutes les administrations concernées, mais aussi le travail collectif remarquable mené par les associations actives auprès des personnes sans statut légal (réunies au sein du Collectif de soutien aux sans-papiers) seront retenus comme « bonnes pratiques » et, espérons-le, réitérés à l’avenir.
Et maintenant ? Dans un premier temps, le reliquat de dossiers déposés avant le 31 décembre 2018 devra être traité par les autorités tant cantonales que fédérales. Les suites à donner à ce projet pilote dépendront quant à elles de l’évaluation officielle, qui devrait arriver en cours d’année. Le changement à la tête du Département fédéral de justice et police intervenu en début d’année ajoute un élément d’incertitude à l’équation, la nouvelle Conseillère fédérale n’ayant pas encore pris position sur le sujet. Le CCSI continue de s’engager pour que les conclusions politiques de cette opération permettent aux personnes sans statut légal d’accéder à leurs droits.
Nouvelles brèves
- Le CCSI invite cordialement tou·te·s ses membres à participer à son Assemblée générale annuelle. Celle-ci aura lieu le 14 mars 2019, dans nos locaux. La convocation officielle ainsi que l’ordre du jour suivront prochainement par courrier. Nous nous réjouissons beaucoup de vous y retrouver !
- Nous avons besoin de vous ! Afin de renforcer l’association, le CCSI est à la recherche de nouveaux membres, ainsi que de dons. Nous avons créé un tout nouveau dépliant de présentation du CCSI, et de ses activités, destiné aux personnes susceptibles de soutenir notre travail. Nous espérons qu’il pourra vous être utile en vous fournissant un support pour promouvoir l’association au-près de vos proches sont disponibles auprès du CCSI, n’hésitez pas à nous en commander en écrivant à admin@ccsi.ch ou en nous appelant au 022 / 304 48 60.
- Une nouvelle étude, mandatée par la Commission fédérale des migrations (CFM), vient de paraître. Elle traite du sujet de la double nationalité (qui touche de nombreux·euses membres du CCSI), et des enjeux que cela soulève pour nos démocraties en cette époque de migrations transnationales. Alors que près d’un quart des Suisses (résidant sur le territoire comme à l’étranger) sont binationaux·ales, peut-on encore parler simplement des « Suisses » et des « étrangers » ? L’étude est disponible en téléchargement sur le site de la CFM.