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CCSI-Info mars 2019

Publié le 25 mars, 2019 dans , ,

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Édito| Marianne Halle

Il y quelques semaines, à Christchurch en Nouvelle-Zélande, un terroriste prônant la suprématie de la “race blanche”, a massacré des dizaines de personnes de confession musulmane dans deux mosquées.

De tels actes de violence et de haine, prémédités et préparés, ne naissent jamais du néant. Ils mûrissent dans un climat de divisions et de méfiance envers tout ce qui est perçu comme “autre”. Et cette méfiance finit par devenir de la haine d’autant plus facilement lorsqu’elle n’est basée sur aucune connaissance concrète. De fait sans ces connaissances, tous les fantasmes sont permis, et rien ne vient battre en brèche les craintes les plus irrationnelles. Le climat politique dans lequel nous baignons et les outils de communications dont nous disposons aujourd’hui favorisent la propagation d’idéologies nauséabondes. Il est presque inévitable qu’elles mènent, un jour où l’autre, à des passages à l’acte.

À notre échelle, au CCSI, nous sommes convaincus du fait qu’en faisant mieux connaître les réalités migratoires, nous pouvons contribuer à faire progresser la compréhension mutuelle et le respect entre les personnes migrantes et la société d’accueil.

La migration a beau être l’un des sujets qui occupe l’espace médiatique, les situations que nous côtoyons tous les jours restent peu connues du grand public. D’abord parce les médias traitent rarement de ces aspects, et que nombreux·euses sont celles et ceux qui ne veulent pas voir, ni être confronté·e·s à ce que ces réalités révèlent de la société dans laquelle nous vivons, par exemple en matière d’inégalités. Ensuite, ces réalités demeurent cachées parce qu’elles se déroulent dans des zones d’ombre notamment en raison des statuts migratoires précaires de ces personnes.

C’est là que le CCSI a un rôle important à jouer : utiliser les canaux dont il dispose et la crédibilité dont il bénéficie pour visibiliser ces problématiques. À travers ce bulletin, mais aussi par nos prises de position publiques, nos interventions dans les médias, ou notre participation à des événements, nous permettons à d’autres d’en comprendre mieux les enjeux.

L’opération Papyrus a été pour cela une belle opportunité de mettre en lumière et de faire reconnaître cette partie cachée de la population genevoise (voir plus bas). Cette année, nous tentons de visibiliser une autre thématique qui nous est chère, celles des femmes migrantes (voir ci-dessous). Notre objectif est de les aider à exprimer leur voix, leurs préoccupations et leurs revendications dans la perspective des mobilisations féministes qui se préparent pour le 14 juin. Bonne lecture !


Le CCSI aux côtés des femmes migrantes

La perspective de la grève des femmes du 14 juin 2019 suscite, et l’on ne peut que s’en réjouir, un intérêt médiatique plus important que d’habitude pour les questions concernant les discriminations et formes d’oppression spécifiques touchant les femmes en Suisse. Malheureusement, toutes les catégories de femmes ne font pas l’objet du même intérêt dans le débat public. Ainsi, il est toujours assez peu question – et ceci, même au sein du mouvement des femmes – des migrantes, qu’elles soient réfugiées, travailleuses sans statut légal ou épouses venues au titre du « regroupement familial », et des travailleuses de l’économie domestique, avec ou sans papiers.

Pour le CCSI, dont près de 80% des personnes suivies sont des femmes, souvent seules avec des enfants, et majoritairement employées dans le secteur de l’économie domestique, l’engagement pour la défense des droits des migrantes a désormais une histoire de plus de quinze ans. Voici, en résumé, les principales étapes de ce parcours, aux côtés des femmes migrantes.

Les travailleuses sans statut légal entrent en scène

C’est au début des années 2000 qu’a commencé l’organisation des travailleurs·euses sans statut légal à Genève, avec le soutien de certains syndicats. Dans ce contexte, des féministes d’ici et des femmes sans statut légal se sont réunies pour débattre de la place des femmes migrantes dans la société, en particulier de leur rôle dans l’économie domestique, et revendiquer leur régularisation. C’est ainsi que la traditionnelle manifestation du 8 mars 2003 a été organisée sous le mot d’ordre « Femmes d’ici, femmes d’ailleurs, même sol – mêmes droits ».

Les débats de ce groupe de femmes (auquel participait une représentante du CCSI) ont abouti à la rédaction et diffusion, début 2004, d’un « Appel pour le partage du travail domestique entre hommes et femmes – pour la régularisation collective des personnes sans statut légal ». Cet Appel a été signé par une cinquantaine d’associations de femmes, de migrant·e·s (dont le CCSI), par des syndicats et des partis politiques. Outre la régularisation collective des travailleurs et travailleuses sans statut légal, cet appel revendiquait aussi, notamment, l’accès aux soins médicaux, l’accès à la formation professionnelle (apprentissage) pour les enfants mineurs, l’amélioration des conditions de travail dans le secteur de l’économie domestique, ainsi que la création de conditions permettant un partage équitable des tâches éducatives, ménagères et de soins entre femmes et hommes.

Épouses étrangères victimes de violences conjugales – une vulnérabilité particulière

En 2009, le CCSI et d’autres associations de femmes et de défense des personnes migrantes créait un Groupe de travail « femmes migrantes et violences conjugales », et rendait publique une prise de position intitulée « Pour un droit de séjour indépendant de l’état-civil – Pour une véritable protection des femmes migrantes victimes de violences conjugales ». Ce groupe revendiquait une modification de la Loi sur les étrangers pour permettre aux épouses étrangères de bénéficier d’un droit au séjour indépendant de leur statut matrimonial. En attendant, le Groupe de travail demandait que les épouses étrangères victimes de violences conjugales obtiennent le droit au renouvellement de leur permis en cas de séparation/divorce.

Le travail de lobbying mené par le groupe et ses allié·e·s au niveau parlementaire a permis, en 2012, d’obtenir une petite avancée, par une légère modification de la Loi sur les étrangers. Mais malgré ce succès, 10 ans après sa création, la raison d’être de ce Groupe de travail existe hélas toujours …

Campagne pour les droits des employées de maison

En 2013, le CCSI s’est engagé activement dans la campagne nationale « Aucune employée de maison n’est illégale ». Une pétition réclamant plus de droits pour les employées de maison a recueilli près de 22’000 signatures et a été déposée à Berne en mars 2014. Cette pétition revendiquait un accès garanti et sans risque de dénonciation aux assurances sociales et aux tribunaux des prud’hommes, ainsi qu’une amélioration des conditions de travail dans l’économie domestique.

Pour un droit d’accès à la justice sans risque d’expulsion

A partir de 2014, le CCSI a participé, avec plusieurs associations de femmes, à un groupe de travail « pour une meilleure protection des personnes sans statut légal victimes de violences ». Ce groupe entendait réagir aux situations d’expulsion de personnes sans statut légal ayant déposé plainte pénale suite à une agression, dont les médias se sont parfois fait l’écho. Ce problème de l’accès à la justice sans risque d’être expulsé n’est toujours pas résolu à ce jour.

En 2019, quels constats faisons-nous ?

L’opération Papyrus, qui vient de se terminer fin décembre 2018, a permis de régulariser à ce jour près de 2000 personnes et devrait, au final, concerner près de 3500 personnes (sur un nombre de sans-papiers à Genève estimé entre 8’000 et 12’000 personnes). Près de trois quarts des personnes ainsi régularisées sont des femmes, souvent mères d’enfants mineurs, qui échappent ainsi à un facteur de vulnérabilité majeur.
Toutefois, comme nous l’avons exposé ci-dessus, de nombreuses discriminations touchent toujours les femmes migrantes. Ce constat nous a amené à décider de participer au moment de mobilisation que sera la grève des femmes du 14 juin 2019, dans le but de rendre visible l’existence et la situation des migrantes, à la fois sous l’angle de leur vulnérabilité spécifique, mais aussi en soulignant leur rôle indispensable sur le plan économique et social. En effet, les travailleuses dans l’économie domestique pallient, chez nous, le manque criant de structures de prise en charge de la petite enfance, des personnes âgées et/ou dépendantes ; de plus, elles jouent un rôle économique fondamental vis-à-vis de leurs pays d’origine, par l’envoi de fonds pour faire vivre leur famille.

Nous reviendrons dans le prochain numéro du CCSI-Info sur l’échéance du 14 juin 2019 et sur les modalités concrètes de notre participation à cette mobilisation, pour la visibilisation et les droits des femmes migrantes.

Anne-Marie Barone

En 2012, le CCSI a synthétisé ses constats en ce qui concerne les migrantes dans un petit document. Celui-ci, intitulé « Femmes d’ailleurs, femmes d’ici : droits égaux pour toutes » relevait notamment la vulnérabilité particulière des femmes migrantes, liée à des formes de dépendance multiples. Ce document est accessible en téléchargement ou à la commande ici.


Opération Papyrus : bilan intermédiaire et phase transitoire

Suite à la clôture de l’opération Papyrus, les autorités ont fourni un bilan chiffré le 4 mars dernier : 1846 personnes ont déjà obtenu une autorisation de séjour dans le cadre de l’opération. Plus de 1700 dossiers déposés dans les délais doivent encore être traités par les autorités, ce qui devrait à terme porter le nombre de personnes régularisées à près de 3500. Pour le CCSI, c’est une excellente nouvelle : cette opération a trouvé son public, et va permettre à un nombre important de personnes de sortir de la zone de non-droit dans laquelle elles étaient enfermées.

Évaluation attendue pour cet automne

Les suites données à ce projet pilote mené par le canton de Genève dépendront de l’évaluation officielle menée de manière indépendante par un professeur de l’Université de Genève, le prof. Giovanni Ferro-Luzzi. Pour être réellement représentative de l’ensemble du projet, l’évaluation finale ne pourra pas être faite avant que la plupart des dossiers déposés n’aient été traités. C’est pourquoi les résultats ne sont pas attendus avant cet automne.

Le CCSI a suivi l’ensemble du projet de très près, et accompagné un nombre important de personnes concernées dans les procédures de régularisation. C’est ce qui nous permet d’être confiants : l’évaluation finale devrait refléter ce que nous avons constaté sur le terrain et démontrer que ce projet pilote est un succès.

Des acquis maintenus

Dans l’attente des résultats de cette étude, le canton a annoncé – d’entente avec les autorités fédérales – une période transitoire : alors que tous les dossiers déposés avant le 31 décembre 2018 ont la garantie d’être traités selon les critères de l’opération Papyrus (et ce quelle que soit la date à laquelle ils seront traités), ceux déposés après le 1er janvier 2019 seront traités selon des critères similaires mais néanmoins légèrement durcis (pour les détails, voir le site de l’État de Genève).

Le CCSI regrette ce durcissement, mais salue le maintien de plusieurs acquis fondamentaux du projet pilote, dont la possibilité de régulariser des familles avec enfants y compris en-dehors de la période de l’adolescence ainsi que des personnes sans enfants, une procédure basée sur des critères clairs et objectifs, ou encore la possibilité pour les personnes de déposer une demande de régularisation même en l’absence du soutien de leur(s) employeur(s).

Le CCSI continue donc de recevoir toutes les personnes sans statut légal qui souhaitent régulariser leur situation, et de les accompagner cas échéant pour le dépôt des demandes. En parallèle, nous nous engageons pour que les autorités pérennisent à terme une procédure de régularisation simple et rapide sur la base des critères tels qu’ils étaient appliqués pendant l’opération Papyrus, pour permettre aux personnes sans statut légal de défendre leurs droits.

Documentaire à découvrir

Le film “Opération Papyrus“, un documentaire passionnant de Béatrice Guelpa et Juan José Lozano, montre les coulisses de l’opération et permet de suivre la trajectoire de plusieurs personnes directement concernées par le processus de régularisation. Il peut désormais être visionné en ligne, sur le site de l’émission Temps présent de la RTS.

L’intérêt que cette opération suscite auprès du public est également très important pour pousser les autorités à poursuivre leur engagement en faveur de ce projet. C’est pourquoi nous vous encourageons vivement à regarder le film et à en parler autour de vous !