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CCSI-Info mai 2019

Publié le 22 mai, 2019 dans , ,

Pour télécharger ce numéro au format PDF, cliquez ici.

Édito| Marianne Halle

Le numéro du CCSI-Info que vous tenez entre les mains est un numéro un peu spécial. Nous le consacrons à une thématique d’actualité partout en Suisse : celle des droits des femmes. Nous vous le disions en mars, le CCSI a choisi de travailler plus particulièrement sur cette thématique cette année. Les droits des femmes sont depuis de nombreuses années une problématique importante au CCSI. De fait, près de 80% des dossiers individuels suivis par le CCSI sont au nom de femmes, la plupart du temps mères de famille. Nous constatons au quotidien les difficultés qu’elles rencontrent en tant que femmes migrantes, en tant que travailleuses, en tant que mères. Nous sommes aussi témoins de la force, du courage, de la ténacité et de l’inventivité dont elles font preuve pour se forger une nouvelle vie ici à Genève, pour elles et pour leurs familles.

Le mouvement qui s’est créé en préparation des mobilisations féministes du 14 juin 2019 nous paraît être une occasion unique de partager nos réflexions, nos constats et nos revendications de manière plus large. Ce « nous » est un nous inclusif : le contenu de ce numéro a été préparé en étroite concertation avec un groupe d’usagères du CCSI. Ces femmes ont répondu à l’appel que nous avons lancé en début d’année, pour les encourager à partager – entre elles et avec le CCSI – leurs préoccupations et leurs revendications en tant que femmes migrantes. Elles ont participé aux réunions, à la rédaction des textes, à l’élaboration des slogans et des banderoles pour la manifestation, et décidé du programme de la journée du 14 juin.

Parmi les demandes formulées par plusieurs participantes à ce groupe figurait le souhait de rendre leurs réalités visibles et d’être reconnues. C’est pourquoi le CCSI a décidé de mettre à leur disposition des ressources, notamment en matière de communication. Ainsi, les pages centrales de ce numéro reproduisent le texte du tract que nous avons rédigé avec les participantes du groupe de femmes, et que nous allons distribuer le 14 juin. Vous trouverez également ci-dessous un texte que l’une des participantes à ce groupe a écrit et nous a demandé de diffuser.

Le jour du 14 juin, à l’occasion de la grande manifestation qui aura lieu dès 17h à Genève, nous serons présents à leurs côtés. Nous défilerons avec celles qui pourront se joindre à nous, et porterons symboliquement des silhouettes représentant celles qui, pour une raison ou une autre, ne pourront pas être là. Pour que ce tronçon soit visible, et pour porter haut la voix de ces femmes, nous comptons sur vous : rejoignez-nous, pour défendre les droits de toutes les femmes, d’où qu’elles viennent et quel que soit leur statut !


Nous, femmes migrantes1 avec ou sans permis de séjour à Genève, participons aux mobilisations féministes du 14 juin parce que le combat pour l’égalité nous concerne. Trop souvent victimes de discriminations multiples, nous réclamons les mêmes droits pour toutes les femmes, d’où qu’elles viennent et indépendamment de leur statut.

Nous existons

Encore aujourd’hui, le travail domestique et de « care » repose en majorité sur les épaules des femmes, même si elles travaillent à l’extérieur du foyer. Pour assumer ces tâches – garder les enfants et les personnes âgées ou dépendantes, faire le ménage, etc. – de nombreuses familles font appel à nous, femmes migrantes, souvent sans statut légal (« sans-papiers »). Invisible, notre travail permet à d’autres de faire carrière, d’avoir du temps pour soi, et… de militer !

Parce que nous sommes femmes et migrantes, nous sommes assignées à travailler dans des secteurs peu qualifiés même lorsque nous avons des diplômes, de l’expérience dans d’autres domaines ou d’autres envies professionnelles.

A Genève, nous sommes des milliers à vivre et travailler sans statut légal, en majorité des femmes, très souvent actives dans l’économie domestique. Notre travail est indispensable au fonctionnement de l’économie suisse, mais nous n’avons pas de possibilité d’immigrer légalement lorsque nous venons de pays extra-européens.

Nous voulons…

  • être reconnues : on nous demande d’être invisibles, mais nous sommes là, nous vivons et travaillons ici, et prenons en charge un travail essentiel pour la société suisse.
  • des perspectives d’immigration légale et la régularisation de notre statut de séjour : un travail = un permis.
  • pouvoir faire reconnaître nos diplômes et nos expériences professionnelles, et accéder à la formation.
  • être protégées par la loi contre les discriminations sur le marché du travail.

Nous travaillons

Travailler dans des secteurs peu qualifiés est trop souvent synonyme de conditions précaires. Dans l’économie domestique notamment, cela implique des bas salaires, souvent bien en-dessous du minimum légal, des horaires irréguliers, pas de versement du salaire en cas de maladie ou pendant les vacances, multiplier les employeurs pour espérer boucler le budget à la fin du mois, etc. Les bas salaires et l’absence de cotisations aux assurances sociales posent problème également lorsque nous arrivons à l’âge de la retraite ou que nous ne pouvons plus travailler en raison d’une maladie ou d’un accident.

Nous voulons…

  • un salaire suffisant pour vivre
  • des conditions de travail décentes : vacances payées, congés maladie, cotisations aux assurances sociales payées, horaires de travail définis et respectés, etc.
  • accéder aux allocations familiales et de naissance sans discrimination.

Nous élevons nos enfants

La société estime que les tâches de « care » sont la responsabilité des femmes et c’est sur nous que repose en premier lieu la charge des enfants. Pourtant, trop souvent, on ne nous considère pas comme des cheffes de famille qui doivent subvenir aux besoins de leurs enfants.

Nombre d’entre nous éduquons seules nos enfants, parce que le père est absent ou qu’il a dû rester dans un autre pays pour des raisons économiques. Assumer seules la charge financière et la garde de nos enfants représente une pression constante qui impacte notre santé et celle de nos enfants.

L’arrivée d’un enfant est trop souvent synonyme de précarisation : licenciement lié à la grossesse ; frais de santé à assumer parce que nous n’avons pas d’assurance-maladie ; difficultés à trouver une solution de garde qui nous obligent à renoncer à des heures de travail pourtant essentielles ou à aller au travail avec nos enfants, etc.

Pouvoir offrir un avenir meilleur à nos enfants est un des éléments qui nous font accepter ces conditions de vie et de travail. Nous souffrons lorsque, malgré nos efforts, ils subissent des discriminations en raison de leur nationalité, de leur statut légal ou du manque de moyens financiers.

Beaucoup d’entre nous ont dû laisser leurs enfants, ou une partie d’entre eux, dans le pays d’origine. Devoir vivre loin des siens tout en s’occupant des enfants et des proches des autres est souvent difficile à vivre et a une influence négative sur notre santé et notre moral.

Nous voulons…

  • avoir les moyens de subvenir décemment aux besoins des nôtres.
  • un meilleur accès à des solutions de garde (crèches, gardes extrascolaires) et aux diverses aides aux familles.
  • que nos enfants puissent vivre leur enfance sereinement et bénéficier des mêmes perspectives d’avenir que les autres enfants.

Violences et dépendances

En tant que femmes migrantes, d’autant plus sans autorisation de séjour, nous sommes confrontées tant dans notre sphère privée que professionnelle à des formes de harcèlement et d’abus directement liées à la précarité de notre statut ou à son absence. Cela génère des dépendances multiples et exacerbe notre vulnérabilité vis-à-vis de nos employeurs, de nos logeurs ou encore de nos conjoints.

Victimes de violences, sans statut légal, nous sommes poussées au silence par un chantage à la dénonciation et risquons un renvoi si nous portons plainte. Même lorsque nous avons un permis, notre protection reste insuffisante, notamment en cas de violences conjugales. Le risque que fait peser sur le permis le fait de recourir à l’aide sociale aggrave notre dépendance au permis et/ou aux revenus de notre conjoint, même lorsque nous subissons des violences.

Nous voulons…

  • des permis de séjour indépendants de celui du conjoint.
  • pouvoir déposer plainte lorsque nous sommes victimes, sans risquer une transmission des données aux autorités migratoires, et donc un renvoi.

Accès à la santé

Nos conditions de travail et de vie ont un impact négatif sur notre santé physique et mentale, sans compter le stress causé par l’accumulation des rôles sociaux que les femmes, particulièrement mères de familles monoparentales, doivent jouer.

Pourtant, l’accès à la santé reste compliqué pour nombre d’entre nous : barrières financières et administratives (primes exorbitantes au vu de nos revenus, subsides inaccessibles ou insuffisants) ; impossibilité de renoncer à des heures de travail même lorsque nous sommes malades ; difficultés d’accès à des soins psychologiques, qui se répercutent sur la santé mentale de nos enfants ; confrontation parfois à des attitudes peu respectueuses voire discriminantes de la part de certain·e·s professionnel·le·s de la santé.

Nous voulons un meilleur accès aux soins, tant pour la santé physique que mentale.

Discriminations

Femmes, migrantes, avec une autorisation de séjour précaire ou liée à celle de notre conjoint, ou sans statut légal, nous faisons face à un cumul de discriminations. Ces discriminations sont souvent structurelles. Mais les comportements de certains individus envers nous renforcent ce sentiment d’injustice. Parce que nous sommes allophones, on tend à nous considérer comme moins éduquées et moins compétentes. Nous somme fréquemment victimes d’attitudes racistes ou paternalistes.

Nous voulons l’égalité et le respect de nos droits.

1 Ce texte a été écrit par le CCSI au printemps 2019, en collaboration avec un groupe de femmes migrantes usagères de l’association. Vous pouvez en télécharger une version PDF ici.


Féminisme intersectionnel

Femmes sans-papiers = femmes sans droits

On dit toujours qu’en Europe, les droits des femmes sont établis, et qu’ils sont respectés par les autorités et par la société de ces pays. « Ils ont cent ans d’avance sur nous en termes de droits sociaux » « ils ont le meilleur système d’éducation » « ils sont un modèle à suivre », font échos les médias latino-américains. La réalité quotidienne est autre, et l’histoire se répète dans la majorité des autres continents. Même dans le premier monde, la structure patriarcale soumet transversalement les femmes de différentes classes sociales à la séparation des rôles et à la division du travail en fonction des sexes. Cette pratique sexiste contribue à l’exercice d’autres types d’oppression.

« Les prolétaires du prolétariat »

Le travail domestique et la garde d’enfants, de personnes âgées ou dépendantes retombe sur les femmes. La nécessité économique et personnelle, bien sûr, pousse les femmes européennes à travailler en-dehors de leurs foyers, déléguant ces responsabilités à une autre femme, une « femme de ménage » ou une « aide-ménagère », une « nounou ». Dans la majorité des cas, c’est nous, les femmes migrantes, qui exerçons ce travail, un travail qui ne cesse de se précariser toujours plus au détriment de celles qui le réalisent.

Pour une femme extra-européenne, la possibilité d’obtenir un permis de travail ou de séjour en exerçant un travail dans l’économie domestique est quasi nulle. Et pourtant, la majorité des femmes qui « aident » ces autres femmes, nous venons d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Après la journée de travail, qui consiste parfois en trois foyers différents avec des tâches diverses, nous rentrons chez nous pour accomplir une fois encore les mêmes tâches que celles de notre journée de travail. Les femmes européennes sont remplacées par d’autres dans leurs maisons, mais toi, chez toi, personne ne te remplace.

En plus des risques et de l’oppression des autorités, nous sommes exposées au quotidien à la déconsidération et à l’oubli de nos droits en tant que travailleuses et en tant que femmes. Exemple : le 8 mars 2019, pendant la grève féministe, les femmes européennes sont sorties manifester, mais ont laissé leurs employées les remplacer « dans leur tâches habituelles ». Nous, les femmes sans-papiers, n’avons pas droit à la grève.

De plus, les autorités et leurs lois discriminent les femmes extra-européennes en nous sou-mettant à la clandestinité et, partant, à de nombreuses formes d’oppression et de danger. Aujourd’hui en Amérique latine et en Europe, des organisations féministes, des ministres de gouvernement, des campagnes médiatiques, etc. nous poussent à dénoncer les abus, le harcèlement au travail, la violence de genre, les viols et même le harcèlement de rue. La réalité, c’est que nous ne pourrions jamais nous tourner vers la police dans de tels cas, puisque nous courrons le risque évident d’être arrêtées et renvoyées.

Dans la diversité des féminismes, nous nous retrouvons dans l’intersectionnalité, où nous constatons qu’en plus de subir les discriminations de genre récurrentes, nous sommes soumises à d’innombrables formes d’oppression en raison de notre statut de sans-papiers. En raison de notre origine, nous souffrons du racisme, on nous appelle « illégales », nous n’avons pas d’identité, nous n’existons pas. En tant que travailleuses, bien que nous soyons une force de travail et que nous soutenions toute une économie souterraine, nous avons de bas salaires, nous n’avons pas de droit aux vacances, notre accès à l’éducation est difficile, nous n’avons pas de droit à la retraite, personne ne réglemente notre journée de travail (horaire de début et de fin, jours de travail, etc.). L’usure qu’engendrent le travail domestique et les soins nous rend malades, et notre accès à la santé physique ou mentale est limité. Dans la vie privée, au sein du foyer, que ce soit comme cheffes de familles ou en couple, nos droits sont également bafoués puisque, ne pouvant pas dénoncer, nous sommes souvent obligées de nous taire et d’endurer si nous souffrons de violence physique, psychologique ou économique.

Bien que le discours de la société européenne souhaite s’éloigner de cette configuration machiste du passé, les structures patriarcales sont ancrées dans ses lois et sa culture. Héritière de ce système, notre société patriarcale latino-américaine nous a imposé le devoir d’élever les enfants. L’abandon des enfants par leurs pères entraîne des obligations économiques et pénales, mais n’engendre pas un jugement social de la même ampleur que celui qui retombe sur la mère – qui, bien qu’elle assume la responsabilité, est constamment jugée pour ses décisions dans ce domaine : Pourquoi tu les as pris avec toi ? Pourquoi tu les as laissés là-bas ? Comment as-tu pu tomber enceinte dans ces conditions ? Etc. Les femmes migrantes sans-papiers sont en majorité des mères. Nombre d’entre elles arrivent seules avec leur(s) enfant(s) ou les laissent à charge de la grand-mère pendant leur absence, avec l’espoir d’être un jour réunies avec eux en Europe ; certains deviennent simplement mères pendant leur séjour en Europe. Mais dans tous les cas, elles ont pour objectif de leur offrir un avenir meilleur. Le budget de ces familles dépend de ces mères travailleuses.

Ce 14 juin, à l’occasion d’une grève féministe où on espère que des milliers de femmes réclament leurs droits et rappellent au patriarcat que la société repose sur les épaules des femmes, nous les femmes sans-papiers vous invitons à réfléchir à cette problématique, et vous demandons de la sororité pour visibiliser ces réalités.

Romina*

* Texte original écrit en espagnol, traduit en français par le CCSI. Les deux versions figurent en PDF sur cette page.


14 juin 2019 : porter la voix des femmes migrantes

Depuis le début de l’année, un groupe de femmes migrantes usagères du CCSI s’est réuni à plusieurs reprises. Une première rencontre a eu lieu en février sur le thème «Être femme migrante à Genève en 2019», où chacune a pu faire part de ses expériences, parler des discriminations vécues au quotidien et s’exprimer sur les différentes manières de défendre et de faire progresser les droits des femmes. Malgré la diversité des parcours et des vécus des femmes qui ont pris part à cette rencontre, de nombreux points de convergence ont émergé, tant pour les constats que pour les revendications à formuler

Dans le prolongement de cette rencontre, certaines de ces femmes ont souhaité s’engager à nos côtés pour préparer une participation aux mobilisations du 14 juin. Nous avons donc travaillé sur un texte destiné au grand public (voir ci-dessus), créé des contacts avec les médias, et planché sur des slogans. La majorité de ces femmes étant sans statut légal, et employées dans l’économie domestique (ménage et/ou garde d’enfants, de personnes malades, âgées ou dépendantes), elles sont souvent dans des situations très précaires sur le plan du travail. Elles vivent notamment des situations de dépendance très forte vis-à-vis de leur(s) employeur(s), qui rendent une participation effective à la grève inimaginable.

C’est pourquoi groupe a décidé de visibiliser cette réalité, et de porter symboliquement la voix des femmes qui ne pourront pas être présentes à nos côtés pendant la manifestation. Ainsi, nous avons créé des silhouettes de femmes en carton, que nous avons peintes, et que nous porterons pendant le cortège, derrière la banderole du CCSI. Sur chacune des silhouettes, nous avons écrit les multiples raisons qui rendent impossible la participation de certaines femmes à la manifestation : « parce que j’ai peur de la police », dit l’une. « Parce que si je manque une heure de travail, mon patron me vire », dit l’autre. « Parce que mon employeuse est à la manifestation, et que moi je garde ses enfants », dit une troisième…

Le cortège du 14 juin promet d’être fourni et coloré. Pour que nous soyons visibles ce jour-là, nous devons être nombreux·euses et former un tronçon compact. Nous avons besoin de vous ! Venez nous aider à porter silhouettes, pancartes et banderoles, pour que la voix des femmes migrantes soit entendue, pour l’égalité et pour les droits de toutes les femmes.


14 juin 2019 – programme de la journée

  • Pic-nic solidaire : le CCSI organise, dès midi, un pic-nic au Parc de la Grange. Afin de favoriser la participation des nombreuses femmes qui travaillent comme garde d’enfants et qui fréquentent le parc, nous vous donnons rendez-vous entre la pataugeoire et les jeux pour enfants, pour partager un moment convivial avant la manifestation. Les enfants sont les bienvenus, merci d’amener quelque chose à manger si vous pouvez. Pour nous trouver, cherchez les drapeaux du CCSI! Plan et informations ici

  • Manifestation : venez rejoindre le CCSI et les femmes migrantes pour défiler ensemble! Rendez-vous à 16h au parc derrière l’arrêt de tram “Cirque”. De là, nous partirons ensemble pour la manifestation. Pour nous trouver, cherchez les drapeaux du CCSI! Plan et informations ici

  • Bastions de l’égalité : dès la fin de la manifestation, nous vous invitons à découvrir les nombreuses activités proposées dans le cadre du Festival des associations féminines et féministes qui se tient les 14 et 15 juin dans le parc des Bastions. Programme complet sur www.bastions-egalite.ch

Informations générales sur la grève des femmes : www.14juingeneve.ch