CCSI-Info juillet 2019
Pour télécharger ce numéro au format PDF, cliquez ici.
Édito| Marianne Halle
L’immense marée violette qui a submergé la Suisse le 14 juin 2019 restera longtemps dans nos mémoires. Nous nous réjouissons particulièrement de la diversité des femmes qui ont participé à cette grève féministe. Elle a permis de rendre visible un éventail très large de revendications. Parmi ces dernières, celles des femmes migrantes ont occupé une place de choix. Grâce notamment au CCSI, qui s’est fortement mobilisé aux côtés des femmes sans statut légal qu’il côtoie au quotidien, les médias ont parlé de leur situation et porté leurs revendications sur la place publique. Le fait d’exposer au grand jour ces problématiques contribue à ce que la population prenne conscience des réalités vécues par les femmes migrantes, et génère de la solidarité.
Nous avons pu constater l’impact de ces relais médiatiques le 14 juin et dans les jours qui ont précédé : de nombreux encouragements et témoignages de soutien nous sont parvenus, et plusieurs personnes nous ont spontanément proposé leur aide le jour J pour porter les banderoles et silhouettes des femmes qui ne pouvaient se joindre à nous en raison de leur situation précaire.
À la fois résultat et conséquence de cette visibilité, la recherche académique s’intéresse elle aussi aux femmes migrantes, comme le montrent les études récentes dont nous vous parlons dans ce numéro. Mais la visibilisation des problématiques n’est qu’une étape – certes essentielle – dans le combat que nous menons pour améliorer la situation de ces femmes. Loin des projecteurs, notre engagement se poursuit tant au sein des consultations du CCSI que dans nos activités collectives. C’est pourquoi nous vous invitons à nous rejoindre en septembre à l’occasion de la rencontre européenne organisée par la Marche mondiale des femmes sur le thème “Femmes, migration, refuge”. D’ici là, bel été et bonne lecture à vous !
Stage au CCSI
Le CCSI est à la recherche d’un·e stagiaire (pré-stage HETS général ou spécifique, reconnaissance de diplôme, etc.). Les caractéristiques de ce stage sont les suivantes :
- stage non rémunéré (défraiement);
- temps de travail 80%;
- début au 15 octobre 2019;
- maîtrise orale de l’espagnol et/ou du portugais indispensable.
La réalité des personnes migrantes à Genève vous intéresse? Nous offrons un travail varié au sein d’une petite équipe motivée. N’hésitez pas à nous envoyer votre dossier jusqu’au 1er septembre 2019 (à l’adresse admin@ccsi.ch), nous nous réjouissons de vous rencontrer!
L’égalité passera par les femmes migrantes
“Cela fait 13 ans que je fais des ménages ; maintenant je vais enfin pouvoir exercer mon vrai métier : infirmière !“, me confiait il y a quelques mois les larmes aux yeux une femme régularisée à travers l’opération Papyrus. Un tel dénouement est toutefois loin d’être la norme. Depuis mon arrivée au CCSI en novembre, je peux compter sur les doigts des mains les fois où, en remplissant avec les familles les demandes de subside, j’ai indiqué dans le champ “Profession” des femmes autre chose que “économie domestique”.
Une monochromie qui contraste avec la variété des professions exercées par ces femmes avant leur arrivée en Suisse : ingénieure, assistante sociale, vendeuse, architecte, universitaire, esthéticienne, enseignante… Le 14 juin dernier, à l’occasion de la grève des femmes, la Commission fédérale des migrations (CFM) publiait un rapport sur “ce que la migration féminine apporte à la Suisse”. On y lit que les femmes étrangères en Suisse ont en moyenne un niveau de formation supérieur à celui des Suissesses. Dans le même temps, le rapport souligne leur énorme contribution au secteur des soins, une contribution essentielle “au point que les migrantes assurent aujourd’hui une part substantielle du travail domestique externalisé des familles en Suisse”. Lucide, la commission ne manque pas de préciser que cette orientation signifie le plus souvent pour ces femmes des emplois précaires et mal rémunérés, qui ne correspondent la plupart du temps pas à leurs qualifications.
En juin également, une autre recherche, menée par Roxane Gerber et Philippe Wanner pour le “NCCR on the move” (un pôle de recherche national consacré aux études sur la migration et la mobilité), se penchait sur le devenir professionnel en Suisse des migrantes hautement qualifiées. Se concentrant sur celles qui ont un diplôme universitaire et qui travaillaient dans leur domaine avant de venir en Suisse, les signataires de l’étude constatent qu’elles sont confrontées dans une plus large mesure que les hommes à la déqualification professionnelle (24 % contre 14 % des hommes migrants, et 11 % des Suisse·sse·s), mais aussi à la “désémancipation”, soit leur retrait ou exclusion du marché du travail, avec pour corollaire une dépendance économique envers leur partenaire. Les ressortissantes extra-européennes sont particulièrement touchées : parmi les femmes d’Amérique latine interrogées par exemple, seul un tiers d’entre elles exercent en Suisse un travail qui correspond à leurs qualifications, les autres étant soit sans emploi (alors qu’elles travaillaient avant et sont diplômées), soit surqualifiées pour le poste qu’elles occupent en Suisse.
Les chiffres sont éloquents. Et pourtant, ils ne comprennent probablement que les femmes migrantes connues des autorités. Même avec un permis, exercer sa profession en Suisse en tant que femme migrante relève du chemin de croix : difficultés à faire reconnaître diplômes et expériences, barrière linguistique, discrimination, manque de structures de garde… Pour les femmes que nous accompagnons à la consultation Enfance, éducation et santé, il ne s’agit même plus de barrières mais d’un mur : celui de l’absence de statut légal, qui exclut d’emblée l’accès à tout autre secteur d’activité que l’économie domestique, ou éventuellement les postes les plus précaires dans la restauration ou le bâtiment.
Les obstacles sont nombreux. Mais le premier d’entre tous est la volonté politique. Ce n’est pas un hasard malencontreux si les femmes migrantes ne trouvent le plus souvent à s’employer que dans le secteur des soins. C’est un choix, celui d’une société encore incapable de concevoir la réalisation de l’égalité hommes-femmes sans reporter le poids de l’émancipation sur d’autres. Et celui d’une société qui n’ouvre ses portes que lorsqu’elle voit un intérêt direct à se servir des personnes migrantes pour combler les tâches qu’elle peine à assumer. La lutte pour l’égalité et celle pour une politique migratoire plus ouverte ne peuvent pas aller l’une sans l’autre. Et elles ne seront réalisées que le jour où les femmes que nous rencontrons au CCSI seront, ici en Suisse, ingénieures, assistantes sociales, vendeuses, architectes, universitaires, esthéticiennes ou encore enseignantes.
Camille Grandjean-Jornod
Favoriser l’autonomie des femmes régularisées
De nombreuses femmes qui ont pu régulariser leur statut de séjour souhaitent à terme quitter le secteur de l’économie domestique. La transition peut toutefois prendre du temps. En raison des obstacles structurels auxquels elles sont confrontées (voir ci-dessus), le secteur reste la principale porte d’entrée sur le marché du travail encore quelques temps après l’obtention du permis.
L’emploi et l’indépendance financière font partie des critères à remplir pour pouvoir renouveler le permis. Ainsi, maintenir un nombre d’heures de travail suffisant pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, pouvoir remplacer les heures perdues auprès des employeurs qui les ont licenciées quand elles ont obtenu le permis (certains employeurs ne veulent que des employées de maison dociles et sans droits – l’exploitation d’autrui est à ce prix), ou encore trouver un autre emploi pour faire face aux nouvelles obligations financières qui accompagnent la régularisation sont des enjeux cruciaux pour les personnes récemment régularisées (ou encore en cours de procédure).
C’est pourquoi nombre d’entre elles ont poussé la porte de structures comme Ménage-Emploi. Ce projet, mis sur pied par les autorités cantonales dans le cadre des mesures d’accompagnement à l’opération Papyrus, met en contact des employé·e·s de maison avec des employeurs potentiels. Le service rencontre les candidat·e·s, vérifie leurs références et les informe sur leurs droits. Les employeurs potentiels indiquent leurs besoins, et reçoivent généralement entre trois et cinq dossiers de candidature correspondant à ces derniers. Pour eux, le service (gratuit !) est aussi la garantie d’avoir un·e employé·e de maison dans le respect des règles, tant pour le salaire que pour la déclaration aux assurances sociales. Plus d’une centaine de contrats ont déjà été signés, à la plus grande satisfaction de toutes les parties.
Si vous ou vos proches avez besoin d’une employée de maison (ménage, avec ou sans garde d’enfants ou de personnes âgées), nous ne pouvons que vous encourager à faire appel à Ménage-Emploi. Plusieurs usagers·ères du CCSI, dont nous suivons le dossier de régularisation, y ont eu recours et sont à la recherche d’heures de travail. En passant par Ménage-Emploi, vous favorisez leur autonomie financière et leur intégration. N’hésitez pas à en parler autour de vous !
Rencontre européenne “Femmes, migration, refuge”
La mobilisation à l’occasion de la grève des femmes du 14 juin 2019 restera dans l’histoire non seulement par son ampleur, mais aussi parce qu’elle s’étendait jusqu’à inclure des femmes qui étaient restées largement invisibles lors de la première grève de 1991. C’est le cas notamment des femmes migrantes, des travailleuses de l’économie domestique et des femmes au statut précaire qui, avec le soutien de certains syndicats et d’associations comme le CCSI, sont apparues au grand jour, avec leurs revendications propres et leur exigence de faire reconnaître leur existence et leur dignité.
Pour que ces revendications aboutissent, la mobilisation doit se poursuivre. C’est pourquoi le CCSI s’associe à la Marche mondiale des femmes pour organiser une rencontre européenne sur le thème “Femmes, migrations, refuge”. Le but de cette rencontre est d’une part de donner la parole aux premières concernées, c’est-à-dire les femmes exilées, les femmes sans-papiers, les femmes “venues d’ailleurs” pour toutes sortes de raisons (politiques, économiques, ou autres) ; et d’autre part, de renforcer un réseau européen de solidarité avec les migrantes et de résistance aux politiques xénophobes et de fermeture des frontières qui se répandent en Europe. Cette rencontre devrait ainsi permettre des échanges d’expériences, des débats, et également aboutir à l’adoption d’une plateforme commune de revendications.
Vous trouverez ici le programme de cette rencontre, qui comportera trois table-rondes en plénière, ainsi que plusieurs ateliers sur des thèmes touchant aux divers obstacles rencontrés par les femmes migrantes dans leur parcours et dans les pays “d’accueil”. Des représentantes du CCSI feront partie des intervenantes à la table-ronde sur le travail des migrantes sans statut légal et les luttes pour leur régularisation, ainsi que dans deux des ateliers.
Où? Maison des associations, 15 rue des Savoises, 1205 Genève
Quand? 27 au 29 septembre 2019
Quoi? Des table-rondes, des discussions en plénière, des ateliers thématiques et des moments festifs! Téléchargez le programme détaillé ici.
Un service de garderie est disponible pendant toute la rencontre. Inscription obligatoire jusqu’au 23 août 2019, les places sont limitées ! Formulaire d’inscription à télécharger ici. Si vous disposez d’une place dans votre logement pour héberger une ou des participantes à la rencontre, merci de vous annoncer par le biais de ce formulaire.