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Coronavirus et sans-papiers — appel au Conseil d’Etat

Publié le 5 mai, 2020 dans ,

Le Collectif de soutien aux sans-papiers de Genève, dont le CCSI est un membre actif, a fait parvenir fin avril le courrier ci-dessous au Conseil d’Etat genevois, afin de l’alerter sur la situation particulièrement préoccupante dans laquelle se trouvent de nombreuses personnes sans statut légal en raison de la pandémie de coronavirus. Nous le reproduisons ici (pour une version en PDF, cliquez ici):

Le Collectif de soutien aux sans-papiers de Genève (ci-après Collectif) regroupe différentes organisations, associations et syndicats, ainsi que des individus, qui s’engagent en faveur des personnes sans statut légal à Genève. La situation actuelle vient rappeler de manière brutale que l’absence de statut légal est un facteur majeur de vulnérabilité et de précarité, et que seule la régularisation permet d’y remédier de manière durable. Depuis le début de la crise liée à la pandémie Covid-19, nous sommes très préoccupés par l’impact de cette dernière sur cette population. C’est pourquoi nous nous permettons de vous faire part des constats que nous faisons sur le terrain depuis la mi-mars, et de vous transmettre quelques revendications en lien avec ces constats.

Les travailleuses et travailleurs sans-papiers exercent majoritairement dans les secteurs de l’économie domestique, de la restauration et de la construction. Tous ces secteurs ont été fortement impactés par les restrictions imposées par les autorités fédérales en raison de la pandémie. Mais aussi et surtout, cette crise frappe de plein fouet les personnes qui déjà auparavant étaient dans des situations précaires. En effet ces travailleurs et travailleuses touchent souvent des salaires très bas, qui ne permettent pas aux personnes de mettre de côté la moindre économie. En outre, ils/elles n’ont pas accès aux aides officielles mises sur pied dans le cadre de la pandémie. Ainsi, en cas de perte de revenus même partielle, quelques semaines suffisent généralement à faire basculer ces personnes dans des situations dramatiques : restriction drastique des moyens de subsistance, perte de logement, problématiques d’accès aux soins. Nous assistons à une précarisation générale, et toutes nos permanences croulent sous les questions et demandes d’aide (notamment des demandes d’aide alimentaire, en très forte hausse) de la part de ce public.

Les membres du Collectif craignent que la crise liée à la pandémie n’ait des conséquences à moyen (voire long) terme sur les possibilités des personnes sans statut légal d’obtenir un titre de séjour. De fait plusieurs des éléments pris en compte lors de l’examen d’une demande de régularisation par les autorités ont trait à la situation économique et financière des personnes (le fait d’être en emploi, l’indépendance financière, l’absence de dettes, le non-recours à l’aide sociale). Or pour de nombreux∙euses sans-papiers, les conséquences économiques de cette crise se feront sentir bien au-delà de la levée des mesures sanitaires.

Les constats que nous faisons sur le terrain depuis la mi-mars sont les suivants :

  • Dans le secteur de l’économie domestique, secteur d’activité qui occupe une large majorité des travailleurs∙euses sans-papiers, un grand nombre d’entre eux/elles ont perdu tout ou partie de leur emploi d’un jour à l’autre. L’étendue de la crise est telle qu’il est vraisemblable que seule une partie de ces personnes retrouve un emploi rapidement au moment de la reprise.
  • Dans ce même secteur, que ces personnes soient sans-papiers, en procédure de régularisation ou récemment régularisées via l’opération Papyrus, elles ne peuvent pas bénéficier des mesures de chômage partiel, même si elles ont été correctement déclarées aux assurances sociales. Rappelons que le Conseiller Fédéral Guy Parmelin a considéré que « la complexité de la tâche fait que nous avons décidé de renoncer » à venir en aide aux employées de maison via un recours aux mesures de chômage partiel.
  • De nombreux employeurs dans le secteur de l’économie domestique ne connaissent pas (ou ne veulent pas reconnaître) leurs obligations en tant qu’employeur. Les rapports de travail sont suspendus temporairement ou interrompus définitivement sans que nombre d’entre eux ne souscrivent aux obligations légales en terme de délai de congé, de salaires et de déclarations aux assurances sociales.
  • La nature même du travail dans l’économie domestique rend les mesures préconisées par l’OFSP (mesures de distanciation et mise à disposition du matériel de protection) presque impossibles à respecter, mettant la sécurité sanitaire des employées, de leur famille et colocataires en danger.
  • Les travailleuses et travailleurs sans-papiers, affectés dans leur santé, présentant des symptômes ou craignant de contribuer à la contagion du fait de la nature de leur travail n’ont aucune protection (masques, gants, etc.) ni indemnités en cas d’absence au travail pour motifs de santé.
  • Quel que soit le secteur d’activité, les travailleuses et travailleurs sans-papiers déclarés aux assurances sociales ne peuvent pas bénéficier des indemnités de chômage, étant sans titre de séjour.
  • Malgré les récentes déclarations de votre Conseil au sujet des conséquences sur les permis de séjour d’un éventuel recours à l’aide sociale, que nous saluons vivement, de nombreuses personnes encore en procédure de régularisation ou récemment régularisées, craignent d’avoir recours aux prestations d’aide sociale en raison des conséquences possibles sur leur séjour à l’avenir (octroi, renouvellement, naturalisation).
  • Pour de nombreuses familles, les repas des cuisines scolaires étaient la seule garantie que les enfants aient accès à un repas chaud et équilibré par jour. Depuis la fermeture des écoles, les enfants des familles sans statut légal n’ont plus accès aux cuisines scolaires et les parents doivent désormais les nourrir à la maison. Pour bien des familles qui étaient exonérées (totalement ou en partie) du coût des repas scolaires, il s’agit d’une dépense supplémentaire à laquelle il est très difficile de faire face, a fortiori quand les revenus ont baissé.
  • Sans statut légal, l’accès au logement est compliqué. Ainsi, de nombreuses personnes sans statut légal occupent des logements exigus, souvent partagés avec d’autres personnes sans statut. Cela entraîne des situations problématiques au niveau de l’espace et des possibilités de distanciation et d’auto-isolement le cas échéant.
  • Toujours du fait de l’absence de statut légal, il est impossible d’avoir un bail à son nom, ce qui implique que la plupart des sans-papiers logent dans des appartements en sous-location non-officielle. Ils sont donc plus exposés à des risques d’expulsions immédiates en cas d’impossibilité de paiement des loyers. Des sans-papiers ayant perdu temporairement ou définitivement leur emploi et n’ayant actuellement plus aucune source de revenu ni aucun droit à des prestations sociales n’ont ainsi plus de ressources pour payer leur loyer et risquent l’expulsion de leur logement, y compris des familles avec enfants.
  • L’absence de statut et la précarisation des conditions financières et de logement favorise le développement d’une criminalité parasitaire autour de ces populations, à l’exemple des marchands de sommeil ou des fournisseurs de prêts à des taux usuriers.

Face à cette situation, le Collectif fait appel à l’humanisme et au pragmatisme dont le Conseil d’Etat a su faire preuve par le passé et demande au gouvernement genevois de prendre des mesures afin de venir en aide sur le plan économique à cette population particulièrement vulnérable et de protéger sa santé. Certains des points ci-dessous ont déjà été formulés par nos organisations membres, et nous en faisons état à nouveau ici pour y apporter notre soutien.

Les organisations membres du Collectif demandent ainsi au Conseil d’Etat :

Accès aux soins et autres aides des collectivités publiques

  • Garantir que l’absence de statut légal (respectivement d’assurance maladie) ne soit en aucun cas une barrière à l’accès au dépistage et au traitement liés au COVID‐19, ainsi qu’à toutes les formes d’aide matérielle que proposent les collectivités publiques (hébergement d’urgence, soutien social, aide alimentaire, etc.).

Emploi et situation économique

  • La création d’un fonds de solidarité cantonal destiné à toutes les travailleuses et travailleurs, quel que soit leur statut, ayant perdu temporairement ou définitivement leur emploi et n’ayant actuellement plus aucune source de revenu ni aucun droit à des prestations sociales.
  • Pour le secteur de l’économie domestique, l’octroi du chômage partiel (RHT) pour toutes les travailleuses et travailleurs de ce secteur, et ceci quel que soit leur statut.
  • Pour le secteur de l’économie domestique, reconnaître les tâches de soins et d’assistance aux personnes dépendantes (enfants, personnes âgées, malades ou souffrant d’un handicap) comme essentielles et mettre à disposition des employeurs et employées le matériel de protection adéquat.
  • L’accès aux indemnités chômage et à l’APG pour toutes les travailleuses et les travailleurs ayant cotisé aux assurances sociales, quel que soit le secteur d’activité et le statut de séjour.
  • La protection et l’indemnisation des travailleuses et travailleurs sans-papiers affectés dans leur santé, présentant des symptômes ou craignant de contribuer à la contagion du fait de la nature de leur travail.
  • Reprendre une campagne d’information à destination des employeurs dans la suite de la campagne d’information et de sensibilisation « Le travail au noir, ça se paie cash », dans le but de rappeler aux employeurs leurs obligations en termes de salaires, de respect des délais de résiliation et d’obligations d’affiliation aux assurances sociales, avec un accent particulier mis sur le secteur de l’économie domestique.
  • Soutenir les associations de terrain qui sont en première ligne pour venir en aide aux personnes sans statut légal et qui font face à une surcharge de travail importante en cette période.

 Statut de séjour et procédures en droit des étrangers

  • Pendant toute la durée de la pandémie, la suspension des sanctions liées au séjour illégal, ainsi que des détentions administratives et des expulsions.
  • La garantie du maintien d’une procédure de régularisation qui demeure atteignable et qui tienne compte adéquatement de la situation particulière qui découle de la crise, notamment pour l’examen de la situation économique et financière des candidat∙e∙s à la régularisation.
  • Pour toutes les demandes de permis en cours, ainsi que pour les demandes de renouvellement de permis en cours et à venir, s’en tenir à l’examen de la situation économique et professionnelle avant le début des mesures sanitaires exceptionnelles dues à la pandémie Covid-19.
  • Pour les sans-papiers victimes de violences sexuelles ou conjugales, de prêts usuriers, d’exploitation grave au travail ou d’autres abus relevant d’une infraction pénale pendant la période de crise sanitaire et économique due à la pandémie Covid-19, obtention immédiate d’une autorisation de séjour afin de garantir l’accès aux mesures de protection nécessaires.

 Nous estimons qu’il en va de l’intérêt de la collectivité de protéger toutes celles et tous ceux qui contribuent au bien commun, particulièrement les membres les plus vulnérables de notre société. Ne pas agir maintenant risque d’entraîner des conséquences négatives à long terme tant sur le plan social et économique que sanitaire. Nos organisations membres restent bien sûr à l’entière disposition de votre Conseil, et se tiennent prêtes à répondre à vos demandes d’expertise de terrain, et à vous appuyer pour la mise en œuvre des mesures que vous souhaiteriez implémenter.

En vous remerciant de l’attention que vous aurez porté à la présente, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, nos salutations les meilleures,

Collectif de soutien aux sans-papiers de Genève