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CCSI-Info mai 2020

Publié le 13 mai, 2020 dans , , ,

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Édito| Marianne Halle

La situation actuelle met en lumière de manière crue les inégalités sociales et les failles du système dans lequel nous vivons toutes et tous. Bien sûr, ces dernières existaient déjà bien avant la pandémie. Mais depuis le déclenchement de cette crise, la violence avec laquelle elle impacte les personnes les plus vulnérables a de quoi choquer.

Parmi les personnes migrantes en Suisse, certain∙e∙s occupent des emplois stables et se sortiront de cette crise sans trop de dommages. Mais les personnes migrantes restent aujourd’hui encore nettement surreprésentées dans les secteurs précaires et à bas salaires. Et comme dans toutes les crises précédentes, les personnes les moins protégées sur le marché du travail sont les premières à être perdre leur(s) emploi(s), souvent sans respect des délais de congé. Avec des bas salaires, il est plus difficile de mettre de côté de quoi faire face en cas de coup dur.

Pour les travailleuses et travailleurs sans statut légal, ces facteurs viennent s’ajouter au fait qu’ils/elles n’ont droit à aucune des aides étatiques mises en place dans le cadre de la pandémie. Voilà qui contribue à expliquer les constats que le CCSI fait depuis la mi-mars : nombre de travailleurs∙euses sans statut légal ont perdu tout ou partie de leurs heures de travail. Faute de filet social, de très nombreuses familles ont ainsi basculé dans une précarité telle que leurs besoins les plus fondamentaux ne sont plus couverts. Les images des files interminables vues lors des distributions alimentaires début mai aux Vernets en témoignent.

Au-delà des urgences d’aujourd’hui, auxquelles il est évidemment prioritaire de répondre (voir ci-dessous), le CCSI est très préoccupé quant aux conséquences à moyen et long terme de cette crise sur les personnes migrantes. La reprise risque fort de se faire attendre (notamment dans les secteurs de la restauration et de l’économie domestique), et de se traduire par une pression à la baisse sur les salaires et les conditions de travail.

Combien de personnes étrangères verront-elles leur accès à la naturalisation entravé dans les années à venir parce qu’elles n’ont pas pu éviter de recourir à l’aide sociale suite à cette crise ? Combien de personnes sans statut légal assistent-elles impuissantes à l’anéantissement de leurs chances de régularisation à l’avenir ? Faut-il rappeler que plusieurs des éléments pris en compte lors de l’examen d’une demande de régularisation par les autorités ont trait à la situation économique et financière des personnes (le fait d’être en emploi, l’indépendance financière, l’absence de dettes, le non-recours à l’aide sociale) ?

Certain∙e∙s semblent opportunément découvrir aujourd’hui le sort peu enviable que nous réservons aux membres les plus défavorisés de notre société. Or la pandémie ne doit pas nous permettre d’oublier que la situation actuelle n’est pas le résultat de la fatalité, mais bien des choix qui ont été faits en amont. Malgré l’opposition convaincue du CCSI et de ses alliés, ces choix ont même souvent obtenu le soutien démocratique d’une majorité du peuple. C’est le cas de notre politique migratoire restrictive, qui génère des sans-papiers en grand nombre tout en n’offrant que des possibilités limitées de sortie de la clandestinité ; c’est le cas aussi de notre droit du travail, qui prévoit des protections trop faibles pour les travailleurs précaires et peu de contrôles sur le marché du travail ; c’est le cas encore de nos politiques sociales, dont l’étendue ne cesse de diminuer et dont l’orientation semble être de plus en plus protectionniste. De fait parmi celles et ceux qui se disent indigné∙e∙s de voir éclater ces inégalités crasses au grand jour, il y en a beaucoup qui ont approuvé les durcissements successifs dans le domaine du droit des étrangers ou encore les tours de vis qui ont étiré progressivement les mailles du filet.

L’action du CCSI s’articule depuis toujours autour de deux pôles complémentaires – celui du soutien concret et direct sur le plan individuel, et celui, collectif, de l’engagement en faveur d’une société plus solidaire et plus juste pour toutes et tous. La crise dans laquelle nous sommes rappelle que notre travail est aujourd’hui plus que jamais nécessaire, et que ces deux objectifs ne devraient jamais aller l’un sans l’autre.


Coronavirus: appel des femmes sans-papiers

Nous reproduisons ci-dessous un appel lancé en avril 2020 par le Collectif de femmes sans-papiers de Genève, qui se décrit ainsi : « Nous sommes un groupe de femmes de pays du tiers-monde, résidentes sans statut légal en Suisse, travailleuses, mères et cheffes de famille. Le Collectif s’est formé à l’occasion de la Grève des femmes de juin 2019, dans l’idée de créer un réseau de soutien entre nous et de chercher à revendiquer nos droits quasi-inexistants, avec l’appui du Centre de contact Suisses-Immigrés (CCSI). »

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Face à cette crise sanitaire les conditions de vie des personnes sans permis de séjour sont chaque jour plus précaires. Pour éviter la propagation du virus COVID19, la Suisse a décrété le 13 mars le « semi-confinement », avec des mesures de prévention strictes comme la fermeture des écoles, des commerces, l’arrêt de travail immédiat des entreprises et des fonctionnaires de l’Etat, à l’exception du travail dit aujourd’hui indispensable (caissières, infirmières, ramassage des ordures, etc., soit ces emplois qui maintiennent le pays en état de marche).

Pendant ce temps, nous les femmes sans-papiers, en majorité travailleuses de l’économie domestique (ménage, garde d’enfants, soins aux personnes âgées, etc.), nous retrouvons à travailler pendant cette crise dans des foyers qui appliquent les mesures de confinement pour leur propre sécurité, pendant que nous risquons notre vie et celle de nos familles en devenant des vecteurs de contagion.

Certaines d’entre nous se retrouvent aussi sans travail, licenciées par nos employeurs de manière arbitraire et sans préavis, et sans prise en compte de la relation de travail qui existait jusqu’alors. Notre travail, indispensable pour certaines familles mais déconsidéré par la société dans son ensemble , se fait souvent sans contrat, et même quand il y en a un, nous ne pouvons pas faire valoir nos droits au travail en raison de notre condition. Pendant cette crise, les travailleurs en Suisse vont recevoir leur salaire, pouvoir faire face aux coûts de cet arrêt de travail ou bénéficier des aides sociales que fournit l’État. Nous, nous dépendons de la « bonne volonté » de nos employeurs pour toucher notre salaire, ou du moins une partie de celui-ci, ou alors rien… et il ne nous reste qu’à accepter la charité face à cette absence de justice.

Nous les femmes sans-papiers sommes cheffes de familles, souvent le seul soutien sur lequel nos familles peuvent compter. La précarisation de notre travail s’aggrave avec cette crise, notre situation économique en est affectée, il devient difficile d’assurer l’alimentation et les loisirs de nos enfants, nous risquons de nous endetter ou de tomber aux poursuites pour non-paiement des factures de services des base, des primes d’assurance maladie, de loyer, et de perdre par conséquent la possibilité d’obtenir un jour un permis de séjour. Parce que bien que nous participions activement à la société suisse et y contribuions non seulement économiquement par notre travail, mais également à travers l’aide que nous offrons aux familles et en particulier aux femmes dans leurs foyers, nous sommes invisibles pour l’État et pour les citoyens.

Mais la privation de nos droits affecte aujourd’hui non seulement nous-mêmes et nos familles, mais aussi l’ensemble de la population suisse. Nous sommes en train de devenir des sources de contagion. Les déplacements quotidiens, nécessaires pour exercer notre travail, et l’exercice même de ce dernier nous exposent à tous et mettent en évidence l’absence de protection sanitaire avec laquelle nous vivons au quotidien, parce que l’accès à la santé et aux informations de prévention sont limités.

Pendant cette crise sanitaire mondiale on nous a dit que nous devions nous attendre à la mort des personnes les plus âgées, de celles qui souffraient déjà d’autres pathologies, de celles qui sont malades, de celle qui sont le plus vulnérables. Ce qu’on ne nous a pas dit, c’est que ces personnes les plus vulnérables ce sont nous, les personnes les plus pauvres, les personnes âgées les plus pauvres, les pauvres qui souffraient déjà d’autres pathologies, les pauvres qui étaient déjà malades.

La Suisse, pays de défense des droits humains, ne peut se permettre de risquer la vie et les moyens de subsistance des plus vulnérables. Nous lançons un appel aux associations, syndicats, ONGs, institutions, collectifs citoyens, et à tous ceux qui défendent les droits humains pour qu’ils se prononcent contre l’injustice à laquelle nous, travailleuses sans papiers et nos familles, sommes soumises. Nous vous appelons à soutenir nos revendications, listées ci-dessous :

  • Révision et assouplissement des critères de régularisation pendant cette crise sanitaire mondiale.
  • Arrêt de la criminalisation des personnes sans permis de séjour.
  • Respect des droits humains et fondamentaux.
  • Respect et application des droits des enfants.
  • Obligation pour les employeurs de verser intégralement le salaire prévu avant le confinement et pendant toute la durée de la crise.
  • Arrêt de la criminalisation et dépénalisation des personnes qui se montrent solidaires et apportent leur aide aux personnes sans permis de séjour.
  • Droit au subside cantonal d’assurance maladie pour les adultes sans statut légal et accès aux soins garanti.

Où sont les valeurs d’un pays qui criminalise et punit la solidarité ? Nous les invisibles, les oubliées, les clandestines, les travailleuses, les sans-droits, remercions toutes les personnes qui, sachant les risques, nous soutiennent et nous aident en ces temps de crise. Parce que pendant que chaque soir à 21h, la population applaudit et remercie tous les travailleurs et travailleuses que jusqu’alors elle ne regardait même pas dans les yeux pour dire bonjour, nous nous continuons de penser à comment payer les factures, comment nous occuper de nos enfants, et comment survivre de jour en jour en pleine incertitude.

(Traduit de l’espagnol par le CCSI)


Le CCSI au temps du coronavirus

Le lundi 16 mars, l’atmosphère au CCSI était pesante lors de la séance d’équipe. Nous venions de prendre connaissance des mesures sanitaires liées à la pandémie, et avions dû nous résoudre, le cœur lourd, à fermer le CCSI au public pour une durée inconnue. Rendez-vous annulés, permanence d’accueil fermée, réunions et même Assemblée générale reportées.

Bien sûr, nous avons mis sur pied aussi rapidement que possible les éléments permettant à l’équipe de travailler à distance pendant cette période, et maintenu une permanence téléphonique chaque jour pour que nos usagers∙ères puissent continuer de nous atteindre. Nous avons également pris contact avec nos partenaires du réseau et dans les administrations pour tenter de minimiser les effets de cette fermeture sur notre public. Mais nous savions bien que l’arrêt brutal des activités économiques usuelles allait toucher de plein fouet les populations les plus vulnérables du canton. Les contacts que nous avons eus avec nos usagers∙ères depuis ce jour nous donnent raison.

Une urgence, l’aide alimentaire

Face à l’augmentation dramatique de la précarité que vit notre public (voir l’édito), nous avons rapidement dû consacrer beaucoup d’énergie et de ressources à garantir l’accès à l’aide alimentaire. Une part importante de nos usagers∙ères bénéficiaient déjà auparavant des Colis du cœur, une distribution hebdomadaire gratuite d’aliments et de biens de première nécessité (hygiène, etc.). Mais leurs besoins ont connu une très forte hausse pendant cette période, en raison des nombreuses heures de travail perdues et de l’augmentation des repas que les familles devaient désormais préparer à domicile (et donc payer), les restaurants scolaires étant fermés. Le CCSI a ainsi dû traiter de nombreuses demandes d’inscription aux Colis du cœur (qui enregistrent près de 1000 demandes supplémentaires chaque semaine depuis le début de la crise, en provenance des associations et services sociaux qui les traitent), mais aussi collaborer intensément avec les autres acteurs du réseau afin d’organiser l’information aux personnes concernées et l’accès aux distributions selon la nouvelle formule. Car les Colis du cœur ont eux aussi été contraints de suspendre momentanément les distributions, et revoir leur organisation pour respecter les normes sanitaires.

Les permanentes du CCSI viennent également en aide aux familles en faisant des demandes de soutien financier ponctuel et urgent. Ces aides permettent d’éviter des situations d’expulsion du logement, ou de spirales d’endettement qui peuvent avoir des conséquences négatives sur le long terme.

Réouverture progressive

Depuis le 11 mai, le CCSI a repris une part de ses activités usuelles. Les horaires de la permanence téléphonique ont été étendus, et nous avons recommencé à recevoir des usagers∙ères en rendez-vous individuels pour les situations les plus urgentes. Garantir le respect des prescriptions sanitaires et préserver la santé tant de l’équipe que des usagers∙ères requiert une planification méticuleuse, ainsi qu’une communication proactive et détaillée (toujours en quatre langues) avec notre public. Ces adaptations ne sont simples pour personne, et nous font prendre conscience de l’importance de ce que nous prenions auparavant pour acquis : les poignées de mains, les petites réunions de dernière minute ou encore les discussions autour de la photocopieuse… Tout ce qui rend le travail plus humain en somme !

Une bonne nouvelle tout de même : nous avons également mené avec succès des recherches de fonds qui nous permettent de renforcer temporairement l’équipe salariée. Ces généreux apports (notamment celui de la Chaîne du Bonheur) devraient nous aider à mieux répondre à la forte augmentation des besoins de nos usagers∙ères en cette période de crise.