Initiative pour une immigration modérée : un NON clair et net le 27 septembre
Le CCSI s’engage en faveur d’une société plurielle, démocratique, ouverte et solidaire. Parallèlement à l’accompagnement individuel qu’il offre aux personnes migrantes, il travaille également sur le plan collectif et politique pour favoriser l’égalité des droits pour toutes et tous, indépendamment de l’origine ou du statut migratoire.
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Initialement fixé au 17 mai 2020, le scrutin sur l’initiative de l’UDC et de l’ASIN pour une immigration modérée, dite aussi initiative de limitation, a été repoussé au 27 septembre 2020 en raison de la pandémie de COVID-19. Pendant ces quelques mois, nous avons assisté à une situation inédite, marquée notamment par un repli national, la fermeture des frontières, et l’instauration d’un régime mondial “d’assignation à résidence”.
Sans aborder ici la question de la justification ou non de la fermeture des frontières du point de vue “sanitaire”, il est essentiel de distinguer un tel arrêt momentané du droit de circuler d’un pays à l’autre, de la “solution” préconisée par l’UDC, qui se veut durable et qui relève d’une vision de la société hostile non seulement aux droits des “étrangers”, mais aussi, comme on le verra, à ceux de tous les salariés.
L’enjeu de l’initiative : attaquer l’Accord sur la libre-circulation des personnes …
Après l’acceptation en votation populaire, le 9 février 2014, de son initiative contre l’immigration de masse, l’UDC, mécontente de la loi d’application adoptée par le Parlement, revient à la charge. Cette fois-ci, son initiative de limitation s’en prend directement à l’Accord sur la libre-circulation des personnes (ALCP) passé avec l’Union européenne (UE), en vigueur depuis 2002. L’UDC, qui se veut le champion des “droits populaires”, se garde bien de rappeler que l’ALCP, qui fait partie des accords bilatéraux I, a été accepté par le peuple et les cantons en 2000 !
Cet accord, qui a permis de supprimer le statut de saisonnier, institue une liberté de circulation pour les ressortissant∙e∙s de l’UE qui apportent la preuve qu’ils-elles ont un emploi en Suisse, ou, pour les personnes non actives (retraité∙e∙s, étudiant∙e∙s), qu’elles disposent de moyens financiers suffisants pour assurer leur subsistance.
En vertu de l’ALCP, les personnes admises à travailler en Suisse ont le droit de faire venir leur conjoint, leurs enfants et beaux-enfants de moins de 21 ans, et, sous certaines conditions, leurs parents et beaux-parents. Ces conditions de regroupement familial sont nettement plus favorables que celles qui s’appliquent, en vertu de la LEI (Loi sur les étrangers et l’intégration), aux ressortissant∙e∙s hors UE (voir ci-dessous).
… et mettre fin aux mesures d’accompagnement
La résiliation de l’ALCP voulue par l’UDC entraînerait du même coup la fin des mesures d’accompagnement, entrées en vigueur en 2004, et destinées à lutter contre les cas de dumping social et salarial. Ces mesures consistent notamment en un contrôle du marché du travail par des commissions paritaires ou tripartites, la déclaration de force obligatoire des conventions collectives, et la possibilité d’introduire des contrats-types de travail avec des salaires minimaux.
L’UDC prétend vouloir défendre les salariés locaux contre la concurrence des travailleurs∙euses immigré∙e∙s et frontaliers∙ères. En réalité, son initiative vise une dérégulation du marché du travail, qui pénaliserait l’ensemble des salarié∙e∙s, Suisses et étrangers, en précarisant leurs conditions de travail. C’est pourquoi les syndicats appellent à voter NON à cette initiative. Le monde politique et les milieux de l’économie semblent avoir tiré les leçons du scrutin du 9 février 2014, et combattent eux aussi l’initiative de l’UDC. Mais les jeux ne sont pas faits, et il est essentiel, pour celles et ceux qui disposent du droit de vote, d’aller voter NON le 27 septembre.
Anne-Marie Barone
L’ALCP, un puissant outil pour la défense des droits des personnes migrantes
L’admission et le séjour des personnes étrangères en Suisse sont régis par trois grands groupes de lois et de règlements : la loi sur l’asile (LAsi) pour les personnes cherchant protection sur notre territoire, la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) pour les ressortissant·e·s d’États non-membres de l’Union européenne, et l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) pour les personnes de nationalité communautaire. En plus de définir un large éventail de droits, l’ALCP se distingue de la LEI aussi pour une autre raison. En effet, l’accord se base, entre autres, sur un principe “révolutionnaire” en la matière, à savoir celui de l’égalité de traitement entre les ressortissant·e·s de l’Union européenne et les Suisse·sse·s en ce qui concerne l’accès à une activité économique, ainsi que les conditions de vie et de travail.
En raison des différences dans l’évolution des règles et des conditions d’application de l’ALCP et de la LEI, les ressortissant·e·s européen·ne·s sont même avantagé·e·s par rapport aux Suisse·sse·s en matière de regroupement familial : alors qu’un·e citoyen·ne helvétique a le droit de vivre en Suisse avec son ou sa conjoint·e et ses propres enfants de nationalité étrangère ayant moins de 18 ans, son homologue européen·ne qualifié·e de travailleur·euse a le droit d’y vivre non seulement avec son ou sa conjoint·e et ses propres enfants jusqu’à l’âge de 21 ans, mais aussi avec ses beaux-enfants âgés de moins de 21 ans, ainsi que ses enfants et beaux-enfants plus âgés s’ils sont à sa charge. Sous condition d’avoir des ressources suffisantes pour les entretenir, ce droit est élargi pour ses parents et beaux-parents. Cet avantage en faveur des ressortissant·e·s européen·e·s est aussi connu comme la “discrimination à rebours” des Suissesses et des Suisses.
En outre, au sens de la jurisprudence applicable, l’exigence d’avoir un logement adéquat, c’est-à-dire suffisamment grand, peut être assouplie pour la famille d’un·e ressortissant·e européen·ne. Mais l’application de ces droits élargis, ainsi que des conditions assouplies en matière de logement ne va pas de soi, et le CCSI doit souvent se battre pour les faire respecter.
Prenons un cas concret pour illustrer cet état de faits. En septembre 2016, la consultation Permis de séjour a reçu un couple espagnol ayant quatre enfants. Le père de famille a obtenu son permis sur la base de son emploi, et son épouse le sien pour regroupement familial. Par la suite, le regroupement familial a aussi été demandé pour les trois enfants de l’épouse nés d’une précédente relation, dont l’aînée avait plus de 18 ans, ainsi que pour la fille commune du couple.
Plusieurs mois plus tard, l’Office cantonal de la population et des migration (OCPM) a souhaité savoir pourquoi le père de famille ne figurait pas sur les actes de naissance des trois premiers enfants. Dans sa réponse à l’OCPM, le CCSI a attiré l’attention de l’office sur les droits larges au regroupement familial au sens de l’ALCP, englobant donc les beaux-enfants. Nous avons également souligné que puisque la famille logeait dans un appartement de quatre pièces, le regroupement familial devait être accordé aux enfants conformément à la jurisprudence relative à l’assouplissement des conditions de logement. Toutefois, dans un courrier officiel, l’OCPM a annoncé son intention de refuser le regroupement familial des enfants, estimant que l’appartement n’était pas approprié pour loger six personnes. Dans sa réponse, le CCSI a réitéré que ce regroupement devait être accordé au sens de la jurisprudence, selon laquelle l’exigence stricte d’un logement convenable doit être mise “en balance avec les intérêts de l’enfant en faveur duquel le regroupement familial est requis …”.
Finalement, plus d’une année après le dépôt de la requête, l’OCPM a accepté d’octroyer aux enfants des permis pour regroupement familial, “à titre exceptionnel”.
À l’heure où on s’apprête à voter sur l’ALCP, ne serait-il pas judicieux de considérer cet accord aussi comme un tremplin pour pouvoir assurer, à terme, les mêmes droits larges pour toutes les familles résidant en Suisse ? Cela devra probablement se faire par étapes, en commençant par une nouvelle démarche parlementaire visant l’abolition de la “discrimination à rebours” des citoyen·ne·s suisses. Il est vrai que ce changement n’améliorera pas la situation des familles extra-européennes – mais en cas d’annulation de l’ALCP, toutes les familles concernées seraient perdantes. C’est aussi cela qui sera en jeu le 27 septembre prochain.
Eva Kiss