Actualités

CCSI-Info novembre 2020

Publié le 17 novembre, 2020 dans ,

Pour télécharger ce numéro au format PDF, cliquez ici

Édito| Marianne Halle 

La deuxième vague que tout le monde craignait est là, plus forte que la première en termes épidémiques. Elle nous remet toutes et tous en tension. Qu’avons-nous appris collectivement de nos expériences ? Parviendrons-nous à mieux soutenir celles et ceux qui en ont le plus besoin?

Cette fois-ci, plus personne ne peut prétendre de bonne foi que nous ne savions pas. Ce printemps, tout le monde a fini par voir les problématiques sur lesquelles les associations tiraient la sonnette d’alarme depuis des années : une partie de la population genevoise vit dans une précarité importante, que ce soir sur le plan du logement, de l’alimentation, de l’accès aux soins et aux prestations sociales, ou encore des protections nettement insuffisantes sur le marché du travail. Et la précarité du statut ou l’absence de statut légal renforcent toutes ces formes de vulnérabilité.

Alors aujourd’hui nous repartons au front, mais dans une période bien plus sombre – au propre comme au figuré. Le premier choc économique n’est de loin pas absorbé que le second lui grignote les talons. Dans le domaine de l’accompagnement social des populations précaires, les besoins n’ont pas connu de véritable accalmie cet été, et vont très probablement augmenter à nouveau rapidement.

Mais ce travail se fait dans un contexte différent : de fait entre mars et mai, nous avions pu concentrer nos forces sur la réponse à l’urgence, puisque tout le reste s’était arrêté. Cette fois-ci, les administrations et les associations doivent continuer de fonctionner tant bien que mal, entre les absences pour maladie et les mises en quarantaine. Alors que les équipes de terrain sont épuisées, que les fonds d’urgence dont nous avions pu bénéficier se sont taris, nous allons devoir répondre aux conséquences de cette seconde vague en sus du travail habituel. Tout cela sans savoir quand nous verrons enfin le bout de cet interminable tunnel.

Dans ce contexte, un événement est venu mettre un peu de baume au cœur des associations. Le Conseil d’État a en effet remis le Prix 2020 de la Vigne des Nations au CAPAS (Collectif d’associations pour l’action sociale, dont le CCSI est membre), pour saluer l’engagement de ses membres auprès des populations vulnérables du canton. Au-delà de la gratitude exprimée par ce geste symbolique, c’est aussi le travail collectif qui est reconnu ici. Les associations n’auraient jamais pu répondre à l’urgence sociale comme elles l’ont fait depuis le début de la crise si chacune avait travaillé dans son coin.

À l’heure où la Suisse et l’Europe semblent déterminées à renforcer les murailles de la forteresse au détriment des droits humains (voir ci-dessous), les associations de terrain sont essentielles. Car leur travail, pour reprendre les mots prononcés par Alain Bolle, résident du CAPAS, lors de la remise du prix précité, c’est de « mettre en œuvre une intelligence collective et un engagement créatif et solidaire au service de la communauté […]. Souvenons-nous ici qu’une société sans solidarité est une société qui se meurt. »


Pacte européen sur la migration et l’asile : analyse et décryptage

Présenté comme une forme de réponse à la « crise migratoire » de 2015, le Pacte sur la migration et l’asile publié le 23 septembre dernier permet de discerner clairement les priorités de l’Union européenne en matière de politique migratoire. Encore loin d’être adopté et mis en œuvre (la procédure de consultation est en cours), le pacte suscite d’ores et déjà de nombreuses inquiétudes et critiques parmi les défenseurs des droits des personnes migrantes.

La plateforme européenne pour la défense des sans-papiers PICUM pointe notamment du doigt la réduction des garde-fous en matière de procédure (pas d’accès à une assistance juridique lors du pré-examen par exemple), l’augmentation des détentions aux frontières, et l’absence de protection suffisante des droits des enfants âgés de 12 à 18 ans. En renforçant les refoulements immédiats aux frontières, le plan réduit également l’accès aux autres voies de régularisation auxquelles les personnes migrantes pourraient prétendre dans certains états membres. Pour en parler plus en détail, nous nous sommes entretenus avec Aldo Brina, chargé d’information au secteur réfugiés du CSP.

CCSI-Info: quels sont selon toi les principaux enjeux de cette réforme ?

Aldo Brina: l’année 2015 a été vécue comme un traumatisme par les états, entre les vagues d’arrivées, les naufrages en Méditerranée, et les mobilisations de la société civile. Face à cela, le premier enjeu est politique : la « crise migratoire » a révélé des dissensions profondes au sein de l’UE, entre le « Wir schaffen das » d’Angela Merkel en Allemagne et les politiques de refoulement d’un Viktor Orbán en Hongrie. Ainsi, pour l’UE, il s’agit d’une sorte de test : vont-ils parvenir à se mettre d’accord sur un enjeu majeur qui polarise l’opinion politique européenne ainsi que les pays entre eux ? Dans le contexte déjà tendu du Brexit, ce n’est pas rien.

Un autre enjeu est évidemment l’accès au territoire européen. On parle de privilégier les « voies légales » pour accéder au territoire européen, mais c’est très hypocrite. En réalité on externalise le contrôle des frontières et on augmente les partenariats avec les pays tiers visant à bloquer l’entrée. Sachant les conditions catastrophiques qui règnent dans les camps aux frontières, Il faudrait chercher à éviter d’en créer, or ici c’est le contraire qui se passe. En concentrant toutes les procédures à la frontière, le but est de refouler le plus possible dès le début, et de décourager les gens en leur infligeant des conditions de vie difficiles.

Pour qu’une politique commune soit adoptée, l’enjeu majeur demeure l’hétérogénéité des systèmes d’asile. Aujourd’hui, en fonction du pays dans lequel la demande d’asile est examinée sur le fond, les chances d’obtenir protection varient du tout au tout.

Ces dernières années, le système mis en place par les accords de Dublin a été critiqué de toutes parts. Le pacte amène-t-il des réponses ?

On a beaucoup entendu que ce pacte, c’était « la mort de Dublin ». Or en réalité, le pacte va dans le même sens mais plus loin. Le critère du premier pays d’entrée reste central, et le pacte ne propose toujours pas de clé de répartition claire des demandeurs d’asile entre les états.

Il prévoit simplement que la « solidarité » entre pays membres puisse s’exprimer de deux manières : soit en acceptant des relocalisations (i.e. prendre des demandeurs d’asile sur son territoire et traiter leurs demandes), soit par la participation aux renvois. On souhaite visiblement conserver un système qui permette à chaque dirigeant de répondre aux attentes de son électorat.

Pour les renvois, le texte parle de « parrainage des retours », mais il est difficile de savoir comment cela se concrétisera: construction de centres de rétention, soutien à la logistique des renvois, administration ?

Reste qu’en situation de crise, on continuera de devoir passer par des négociations pour répartir la charge entre les pays membres.

Le pacte contient-il tout de même quelques améliorations pour les droits des personnes migrantes ?

Oui, quelques-unes: on reconnaît un cercle plus large de proches dans la prise en compte de la situation familiale, par exemple. Le pacte prévoit également (essentiellement pour garantir que les personnes restent dans pays auquel elles ont été assignées), qu’un permis de résidence soit accordé au maximum trois ans après leur arrivée. La création d’une agence européenne sur l’asile, chargée de faire des recommandations sur l’application du droit d’asile est aussi un point positif , tout comme la volonté de mettre en place un mécanisme de solidarité entre les états membres.

Mais fondamentalement, le système reste centré sur les renvois forcés, la répression, la violence et les barbelés. Oui on parle de relocalisations, mais il n’y a rien de contraignant sur ce plan et les signes actuels ne sont pas encourageants : on a vu que les états ont tout juste réussi à évacuer les mineurs du camp sinistré de Moria.

Dans quelle mesure la Suisse participe-t-elle aux discussions et consultations ?

En tant qu’État associé à Schengen et Dublin, la Suisse est partie prenante. Mais le processus de consultation ne fait que commencer et va prendre du temps. Dans l’immédiat, le sujet de discussion est plutôt l’adhésion au règlement européen lié à Frontex – le corps des garde-frontières et garde-côtes. Le Conseil fédéral a adopté cet été le message sur ce règlement, qui prévoit la création d’un corps permanent de 10’000 agents pour surveiller les frontières de l’UE. Fait rare, ces agents supranationaux auront le pouvoir d’intervenir sur le territoire des états membres. Et la Suisse participe pleinement à cet effort, en formant des agents mais aussi et surtout en soutenant financièrement Frontex : de six millions en 2015, les contributions versées par la Suisse passeront à 83 millions en 2027.

En Suisse, quelles sont les préoccupations majeures pour la défense du droit d’asile aujourd’hui ?

Nous sommes en train de commencer à mesurer les conséquences de la restructuration entrée en vigueur en 2019. Une partie de nos efforts se concentre sur l’introduction de recours contre les décisions du SEM, mais aussi sur toutes les procédures qui ne sont pas couvertes par la protection juridique (réexamen, regroupement familial, régularisations, etc.).

Mais il y a aussi eu un problème de calibrage : la restructuration a été pensée en fonction du nombre de demandes que nous avions en 2015/16. Or actuellement le nombre de nouvelles demandes d’asile est au plus bas depuis la fin de la Guerre froide, comme le reconnaît le SEM lui-même. Et encore, les statistiques sont trompeuses, puisqu’elles comprennent des demandes dites « secondaires », dont on pourrait discuter si elles devraient compter comme nouvelles demandes d’asile. Par exemple, sur 142 demandes d’asile provenant d’Erythrée au mois de septembre dernier, il n’y avait que 18 demandes « primaires », pour des motifs d’asile propres. Les 124 autres sont des demandes « secondaires », réparties entre 13 personnes bénéficiant d’un regroupement familial et 95… naissances !

Dans ce contexte, il s’agirait de revoir les priorités. La Confédération affiche une volonté d’ouverture, mais en réalité la Suisse a accueilli 3000 personnes de moins que l’année passée. Nous pourrions en faire beaucoup plus, par exemple en accueillant les mineur∙e∙s sinistré∙e∙s de Moria. On devrait également renoncer à construire de nouveaux centres, comme celui prévu au Grand-Saconnex.

Cela étant il ne faut pas tout voir en noir. La Suisse demeure certes difficile d’accès pour les personnes qui cherchent refuge, mais une fois que les personnes parviennent sur le territoire, les taux de protection sont relativement élevés et les conditions matérielles d’accueil souvent moins mauvaises qu’ailleurs. Il faudrait éviter que le nouveau pacte européen ne vienne tirer ces conditions vers le bas.

Pour finir, tu as récemment écrit un livre : à qui avais-tu envie de parler en l’écrivant ?

En fait ce livre découle d’une démarche assez personnelle : je ressentais le besoin de transmettre quelque chose. Je n’avais pas de lecteur en tête en l’écrivant, et le livre s’adresse vraiment à tout le monde. Le niveau d’information général au sujet de l’asile s’est certes amélioré avec le temps, mais j’avais envie de montrer ce qui d’habitude reste hors champ, de montrer comment celles et ceux qui sont actifs∙ves dans ce domaine vivent la défense du droit d’asile au quotidien.

Propos recueillis par Marianne Halle


Lectures d’automne

Aldo Brina, Chroniques de l’asile, éditions Labor & Fides, mars 2020, CHF 19.-.

Voir description ci-dessus. Disponible dans toutes les bonnes librairies !

 

 

Derrière les murs – Récits de migrantes au temps du COVID-19, édité par la Marche mondiale des femmes/Suisse, octobre 2020, CHF 30.-.

Ce livre donne la parole à des femmes qui ont un jour vécu l’exil, et que l’on entend si peu.

En librairie, ou à commander à info@marchemondiale.ch

 


Hommage à Marie-Laure François

Au moment de sa disparition, nous voulons rendre hommage à Marie-Laure François, une figure décisive pour la réalisation du droit à l’éducation pour tou∙te∙s. En créant dans la seconde moitié des années 80 la Petite École pour ces enfants de saisonniers cachés aux autorités et privés de formation, le CCSI visibilise leurs besoins et demande leur scolarisation.

En prenant de ce fait conscience de la situation Marie-Laure François, secrétaire générale du département de l’instruction publique, déclare indignée : ”Des enfants qui ne vont pas à l’école à Genève, on ne peut pas admettre cela”. Elle devient ainsi pour le CCSI l’interlocutrice principale au sein de l’administration scolaire : elle appuie d’abord ”l’école clandestine des enfants clandestins”, elle pilote ensuite la Commission du DIP qui étaie l’ampleur du problème et l’urgence d’y remédier, elle mène enfin les discussions au sein de l’administration cantonale pour identifier la manière de surmonter les obstacles formels.

L’intervention de l’administration scolaire en appui aux revendications du CCSI fait finalement bouger les lignes même dans les milieux politiques : les écoles du canton de Genève s’ouvrent en 1991 aussi pour les enfants sans statut. Le CCSI est chargé aujourd’hui d’accueillir ces enfants pour qu’ils puissent bénéficier de ce droit. Marie-Laure François n’est plus, mais on récolte encore les fruits de son engagement.

Rosita Fibbi