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Sans-papiers : un rapport très décevant

Publié le 8 février, 2021 dans ,

Juste avant Noël 2020, le Conseil fédéral a discrètement publié un rapport sur la problématique des sans-papiers en Suisse et les solutions à envisager pour cette dernière. Alors que la crise liée à la pandémie de COVID-19 a mis crûment en lumière la précarité dans laquelle vit une bonne partie de cette population, et quelque mois après que le canton de Genève a tiré un bilan positif de l’opération Papyrus, le Conseil fédéral préconise… de ne rien changer du tout à son approche de la question.

Ce rapport est en réalité la réponse du gouvernement à un postulat adopté en 2018 par le Conseil national. Le postulat lui-même découlait des débats parlementaires qui ont fait suite au lancement de l’opération Papyrus à Genève. Plutôt que de la bloquer immédiatement comme le demandait l’UDC, les député∙e∙s ont préféré laisser le projet pilote suivre son cours, tout en demandant au Conseil fédéral un rapport sur la situation globale des sans-papiers (réglementation du séjour, mais aussi accès à la santé, aux assurances sociales, à l’éducation, etc.) et des solutions ”en tenant compte des enseignements tirés de l’opération Papyrus”.

Ainsi, après deux ans de travaux sous la houlette du Secrétariat d’État aux migrations (SEM), le Conseil fédéral arrive à une conclusion que les associations de défense des personnes migrantes comme le CCSI ne peuvent que déplorer : le système, bien qu’il ne soit pas parfait, fonctionne de manière satisfaisante et il n’y pas de raison d’en changer.

Méthodologie problématique

Derrière ce constat, il y a un problème de méthodologie : pour rédiger son rapport, le SEM s’est appuyé sur un groupe d’accompagnement composé de représentant∙e∙s de diverses administrations fédérales et cantonales, mais duquel la société civile était complètement absente. En réalité, les organisations en contact direct avec la population concernée (une population dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle n’est que peu en contact avec les autorités) n’ont pu partager leur expertise et donner leur point de vue qu’à l’occasion d’une seule journée, organisée par le SEM en 2019. Cela explique beaucoup : car s’il y a bien un groupe d’acteurs pour lequel le système actuel ne fonctionne pas de manière satisfaisante, c’est bien celui des sans-papiers et des organisations qui les soutiennent. Mais comme on ne leur demande (presque) pas leur avis…

Sans les voix du terrain, il n’y avait personne pour rappeler les inégalités majeures qui subsistent entre les cantons non seulement pour l’accès à la régularisation, mais aussi dans d’autres domaines (santé, éducation, assurances sociales, justice). Le rapport passe par exemple complètement à côté des questions liées au travail ”au gris” (déclaré aux assurances sociales tout en étant sans permis de séjour).

Pas de recul

Pour ce qui est des solutions examinées et des recommandations faites par le Conseil fédéral, il est à souligner que le rapport ne préconise pas non plus de durcissements. La chose ne coule pas de source par les temps qui courent, et nous le saluons. Ainsi, pas de renforcement des sanctions, ni de restrictions envisagées pour l’accès à la santé, aux assurances sociales, ou encore à l’éducation. Le rapport réaffirme même un certain nombre de principes et de droits, ce qui contribuera probablement à freiner les tentatives de contestation dans les années à venir.

Un décalage frustrant

Les conclusions du rapport restent toutefois frustrantes, et parfois en décalage avec les constats qui figurent pourtant noir sur blanc quelques pages auparavant. Particulièrement au moment d’examiner les différentes solutions autour de la réglementation du séjour, le Conseil fédéral fait preuve d’une frilosité incompréhensible. Alors que le rapport prend acte du fait que l’opération Papyrus – qui proposait une solution novatrice pour favoriser la régularisation des sans-papiers établis de longue date en Suisse – s’est déroulée avec succès et n’a pas entraîné les effets négatifs que certains pouvaient craindre, le Conseil fédéral refuse toute mesure visant à pérenniser ces changements de pratique ou à en encourager l’extension à d’autres régions de Suisse. Comme si l’expérience genevoise n’avait pas eu lieu, il continue également de prétendre qu’une régularisation partielle (ou même une simple modification de l’OASA ou des directives) entraînerait un appel d’air. Une étude indépendante de bilan de l’opération, que personne se conteste, démontre pourtant le contraire.

De nouvelles voies à trouver

L’absence d’avancées sur la question de la régularisation est certainement en partie due à l’arrivée d’une Conseillère fédérale conservatrice à la tête du DFJP au moment critique du bouclement de l’opération. L’enthousiasme plus que modéré dont les autorités genevoises ont fait preuve pour défendre le bilan et les acquis de ce projet pilote ont également n’a pas contribué à faire bouger les lignes.

Il s’agit maintenant de chercher de nouvelles voies, notamment parlementaires, pour faire avancer ce dossier et permettre aux personnes sans statut légal de défendre leurs droits. Car si le Conseil fédéral estime que ”ce système imparfait a fait ses preuves, et permet de ménager des buts contradictoires”, il s’agit en réalité d’un triste euphémisme pour dire que la Suisse se satisfait de l’hypocrisie qui consiste à continuer d’exploiter la force de travail des personnes sans statut légal – sans toutefois leur ouvrir une voie crédible et praticable de sortie de la clandestinité.

Marianne Halle