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CCSI-Info mai 2021

Publié le 17 mai, 2021 dans , , ,

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Édito| Rosita Fibbi

Depuis ses premières années d’activité le CCSI s’est battu pour que la notion d’intégration des immigrés comprenne aussi leur droit de participer à la vie politique locale. Son premier engagement dans ce sens a été la revendication du droit de vote et d’éligibilité des étrangers aux élections des Prud’hommes, finalement refusée en votation populaire en juin 1979. Il a fallu remettre l’ouvrage sur le métier à plusieurs reprises, en 1993, et en 2001, pour qu’en 2005 le peuple genevois accorde finalement le droit de vote communal actif (mais pas passif).

Genève adhérait ainsi au courant qui, au cours des années 2000, a commencé à voir les immigrés désormais inscrits de longue date dans le pays comme des citoyens ayant leur mot à dire dans la société dans laquelle ils travaillent et vivent. En effet, tous les cantons romands, à l’exception du Valais, ont octroyé une forme ou l’autre de droit de vote communal (actif et passif), le plus souvent lors de la révision de leur constitutions. Neuchâtel et le Jura ont même accordé le droit de vote cantonal. Avec les habituelles modulations du système fédéral, les immigrés de ce côté de la Sarine ont progressivement fait leur entrée dans l’électorat, devenant à ce titre des “interlocuteurs” des forces politiques.

À Genève, depuis 2005, les immigrés et les milieux politiques favorables à une approche inclusive de l’intégration ont continué à porter cette revendication dans le but d’atteindre le modèle le plus avancé de participation. Lors de l’élaboration de la nouvelle Constitution cantonale – finalement approuvée en 2012 – la question des droits politiques de 40% de la population du canton sans passeport rouge a été écartée avec la promesse de reprendre le dossier au niveau législatif.

En février 2019, un projet de loi a été déposé par Ensemble à gauche, le PDC, le PS et les Verts – il demandait l’éligibilité communale et le droit de vote cantonal actif et passif. Approuvé en commission, l’entrée en matière sur ce projet de loi vient d’être refusée fin mars 2021, à un vote près.

Comment poursuivre le combat sur ce terrain fait l’objet de discussions, après une analyse de l’échec et une évaluation des options. D’ores et déjà le CCSI compte contribuer à la réflexion et s’engager à nouveau – aux côtés des forces politiques locales – pour qu’aboutisse une de ses revendications traditionnelles.


Mieux vaut tard que jamais?

Dorkas Blanco se souvient comme si c’était hier du jour où elle est arrivée en Suisse. C’était le 14 mars 2001, et elle portait un tailleur en jean. À 54 ans, elle avait quitté sa Bolivie natale, laissant derrière elle famille et enfants pour venir travailler à Genève. Elle ne savait pas grand-chose du pays et n’en parlait pas la langue, mais y connaissait des amis. C’est grâce à eux qu’elle est venue, avec un contrat de travail. Mais ce premier emploi n’a duré que… quatre heures.

Travailler dur et… avoir de la chance

De la vie sans-papiers à Genève, elle a connu tous les aspects : la précarité, le travail mal payé et non-déclaré, se retrouver sans ressources quand ce travail cesse abruptement, la relation à distance avec ses enfants au pays, la peur de la police. Malgré toutes ces difficultés, comme tant d’autres, elle trouve des solutions, travaille dur, et s’en sort. Parfois avec l’aide de ses amis, parfois grâce à un employeur plus correct que les autres, qui signe le bail et avance la garantie de loyer pour son logement, parfois parce qu’un agent de police a su fermer les yeux quand il fallait (lors d’un contrôle en 2003, on lui conseille de régulariser sa situation et on la laisse partir sans suites). Sa foi, profonde, lui donne aussi la force de tenir.

Plusieurs associations ont accompagné Dorkas tout au long de son parcours. Camarada et l’Université populaire notamment, qui la soutiennent dans l’apprentissage du français, ou encore F-Information, une association qui soutient les femmes (migrantes ou non). Et le CCSI, qu’elle découvre il y a plus de quinze ans, dans le cadre de rencontres organisées par les églises. C’est là qu’elle entre également pour la première fois en contact avec le Collectif de soutien aux sans-papiers, et le syndicat SIT, venu parler des conditions de travail dans l’économie domestique et des moyens de défendre leurs droits.

Engagée et solidaire

C’est notamment au gré de ces rencontres que Dorkas devient une figure régulière dans le mouvement pour les sans-papiers. Car elle s’engage, prend la parole avec beaucoup de courage pour dénoncer la situation des sans-papiers et des femmes dans l’économie domestique. Elle participe notamment active-ment à la campagne “Aucune employée de maison n’est illégale”, témoigne de sa situation devant l’ONU, ou lors d’une table ronde pendant la semaine contre le racisme. Elle sait que la lutte promet d’être longue, qu’il n’est pas toujours facile de garder la motivation, mais est persuadée que la persévérance et la solidarité en valent le coup : “Seule, on ne fait rien”, me dit-elle avec conviction.

Papyrus, un moment historique

Les années passent toutefois, et l’horizon ne s’éclaircit pas : “On part du pays en pensant qu’on va pouvoir améliorer sa situation, mais on se rend compte en arrivant ici que les portes sont fermées”. Elle voit certains amis obtenir des papiers, mais la régularisation lui semble toujours être un rêve lointain, tant les conditions sont strictes. À l’époque, une femme seule ici avait en effet peu de chances d’obtenir un permis, malgré une très longue durée de séjour

Lorsque l’opération Papyrus est lancée en 2017, elle est au Palladium, au milieu d’une foule compacte qui soudain reprend espoir. Elle sait que le moment est historique, et se souvient avoir été frappée de voir combien de personnes étaient dans la même situation qu’elle. Mais là encore, le rêve lui échappe : elle ne remplit pas les conditions de cet projet pilote – sa situation économique est trop précaire. Une cruelle ironie pour une opération qui visait justement à faire sortir les personnes concernées de l’exploitation et de la précarité.

Un permis, enfin

Malgré tout elle s’accroche. Même si elle ne répond pas aux critères, le contexte favorable de l’opération Papyrus permet d’ouvrir de nouvelles perspectives. Appuyée par le Collectif de soutien aux sans-papiers et le CCSI, elle finit tout de même par déposer une demande de permis humanitaire. Après 19 ans de séjour, elle obtient enfin son permis en 2020. Le temps a fini par lui donner raison d’avoir tenu bon et gardé espoir. Cela étant, elle reste persuadée que c’est grâce à l’appui du CCSI que sa demande a été acceptée. Pour elle, les nombreuses années passées à Genève, le fait d’avoir toujours travaillé pour s’en sortir, d’avoir appris le français, rien de cela n’aurait suffi si elle avait fait la démarche seule. Nous aimerions pouvoir lui dire qu’elle a tort, que dans un état de droit cela n’arrive pas, mais…

Aujourd’hui Dorkas reste lucide. Malgré l’immense soulagement et le sentiment de sécurité que lui procure ce permis, sa situation reste fragile à bien des égards. Comme pour tant d’autres personnes régularisées, les nouvelles charges qui accompagnent le passage à la légalité pèsent lourd – notamment les coûts liés à l’assurance maladie. Malgré son âge, Dorkas doit continuer à travailler : comme très peu de ses employeurs l’ont déclarée, elle n’a pas cotisé suffisamment à l’AVS. Le montant de sa rente ne lui permet donc pas de prendre sa retraite. L’arrivée de la pandémie a drastiquement réduit les possibilités de travail, et les revenus s’en ressentent. Par moments, elle n’en dort plus, hésite même à rendre son permis tant elle se sent submergée. Le CCSI continue de l’accompagner de son mieux pour qu’elle puisse trouver le soutien dont elle a besoin, tout en sachant qu’il ne pourra pas faire des miracles.

Un cas emblématique

Le cas de Dorkas est emblématique des injustices que notre système continue d’entretenir. Oui, elle a finalement été régularisée. Mais personne ne devrait attendre 20 ans avant de pouvoir sortir de la clandestinité. Personne ne devrait être maintenu dans la précarité par des employeurs qui ne respectent pas leurs obligations. Personne ne devrait rester assignée à des emplois peu valorisés simplement parce qu’elle est femme, et migrante – a fortiori en étant qualifiée et en parlant plusieurs langues. Et personne ne devrait, après tant d’épreuves, en être réduite à perdre le sommeil par crainte de voir son permis révoqué en raison de factures d’assurance maladie trop lourdes à payer.

Le CCSI continue de se battre pour une politique migratoire moins restrictive, et pour une société plus solidaire plus juste. Pour Dorkas, et pour toutes les autres.

Marianne Halle


Opération Papyrus: un livre pour garder trace

Dès le lancement officiel de l’opération Papyrus, en février 2017, Martine Schweri et Laurence Bolomey ont eu le sentiment d’assister à quelque chose d’inédit. Lors de mon premier entretien avec elles, elles m’ont confié avoir eu l’impression de “voir l’histoire se faire en direct”. C’est ce qui les a poussées à vouloir suivre cette aventure de près, pour saisir sur le vif ce moment unique de l’histoire genevoise.

Présence discrète au fond de la salle pendant une séance d’information ; assise patiemment, en silence, à absorber pendant des heures l’atmosphère des permanences et les récits de vie qui s’y racontent ; sourire et petit signe de la main à l’entrée de la salle de la conférence de presse – tout au long de ces deux ans, elles étaient là, l’une ou l’autre, parfois les deux.

Elles ont approché leur sujet avec une curiosité sincère, et la volonté de comprendre les mécanismes et rouages qui permettent la mise sur pied d’une opération comme celle-ci. Pour cela, elles ont mené des dizaines d’entretiens avec les actrices et acteurs de cette opération, des hauts fonctionnaires aux militant∙e∙s de terrain des associations et syndicats, en passant par les politiques. Leur travail met bien en lumière à quel point le succès de ce projet reposait sur une multitude de bonnes volontés, un alignement d’étoiles favorables.

Le livre a également le mérite de mettre en regard de ce travail d’investigation des récits du point de vue des personnes directement concernées. Ce va-et-vient (les témoignages sont insérés entre les chapitres tout au long du livre) enrichit les deux volets du livre, les chapitres sur les coulisses permettant d’élargir la focale et de voir l’opération sur un plan plus macro, alors que les témoignages viennent rappeler que tous les débats théoriques sur les critères ou les risques politiques d’un projet comme celui-ci ont des conséquences réelles et concrètes sur la vie d’êtres humains pour lesquels les enjeux sont tout autres.

Vous pouvez commander “Papyrus. La combinaison gagnante” en ligne: à vos souris et parlez-en autour de vous !

Marianne Halle


Cinéma et migration : enjeux artistiques et politiques

Le Collège du travail organise une soirée de projection de courts-métrages produits dans le cadre de l’exposition “Nous, saisonniers, saisonnières… Genève, 1931-2019”, qui avait connu un succès retentissant à l’automne 2019. Vous pourrez y découvrir cinq des Lettres ouvertes de Katharine Dominicé, des témoignages d’anciens saisonniers et saisonnières, ainsi que Les traces de Pablo Briones, qui suit la trajectoire d’une femme ayant travaillé vingt ans sans statut légal à Genève comme employée domestique.

La mise en regard de ces deux expériences permettra d’alimenter une discussion avec le réalisateur et la réalisatrice à l’issue de la projection, autour de la forme et du fond de leurs courts-métrages, ainsi que de l’impact qu’ils ont eu pour leurs protagonistes.

Jeudi 27 mai, 19h-20h30

Cinélux, 8 Bd St-Georges, Genève

Entrée libre sur inscription, places limitées, port du masque et respect des distances sanitaires requis.

Réservation: contact@cinelux.ch