CCSI-Info avril 2022
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Votation du 15 mai : NON à Frontex
Le CCSI a soutenu le référendum lancé contre l’extension de participation de la Suisse à Frontex, et appelle à voter résolument NON le 15 mai prochain. Nous reproduisons ci-dessous l’argumentaire du comité unitaire genevois constitué pour l’occasion. Pour plus d’informations sur la campagne : www.stopexclusion.ch
À l’heure où l’Union européenne ouvre ses bras de façon inédite aux Ukrainiennes et Ukrainiens fuyant la guerre, il serait temps de questionner le traitement qu’elle inflige depuis plusieurs années aux personnes fuyant d’autres conflits, les régimes répressifs et la misère. Violations des droits fondamentaux, morts en mer comme sur terre, refoulements pourtant prohibés par le droit international : Frontex, l’Agence européenne des garde-frontières et garde-côtes européens est témoin voire complice de ces actes et doit en répondre. Or, l’augmentation prévue du financement et de la dotation en personnel de Frontex par la Suisse se fait sans aucune revendication quant à un contrôle démocratique du respect des droits humains par cette agence. Nous refusons de donner un blanc-seing à une agence violant impunément les droits fondamentaux de personnes qui cherchent protection. C’est pourquoi nous appelons à voter non le 15 mai 2022.
Frontex, complice des violations des droits de l’homme
Frontex est l’agence de protection des frontières de l’Union européenne. Fondée en 2005, elle a connu depuis une croissance exponentielle, avec une armée de gardes-frontières et un énorme arsenal de matériel d’intervention. Orchestrant la politique européenne de défense contre l’immigration d’une manière violente et répressive, elle est l’instrument d’une Europe qui se barricade, qui brutalise et qui rejette : nous ne voulons pas de cette Europe-là !
Les personnes en exil en témoignent depuis des années : Frontex est complice des violations des droits de l’homme. Le long de la route des Balkans, Frontex participe à des “pushbacks” illégaux. En mer Méditerranée, Frontex est présente lorsque les garde-côtes nationaux détruisent les moteurs des bateaux et abandonnent en mer les personnes en quête de refuge. Qui plus est, Frontex coopère systématiquement avec les garde-côtes libyens qui interceptent d’innombrables bateaux et les renvoient de force en Libye, où les personnes migrantes sont détenues dans des conditions de violences extrêmes. La politique de cloisonnement de l’UE a coûté la vie à plus de 44’000 personnes depuis 1993, et bien davantage encore si l’on tient compte des cas non déclarés.
Dans les pays européens et notamment la Suisse, Frontex planifie et réalise des renvois pour expulser les personnes migrantes. Ces “vols spéciaux“ sont lourdement encadrés par des policiers, les personnes migrantes sont entravées, parfois menottées et cagoulées. Le respect de la santé des personnes n’est pas garanti, y compris lorsque des femmes enceintes sont déportées. Incontestablement, Frontex se voit confier les missions répressives et militaires de la gestion des migrations vers l’Europe.
Financer une armée : c’est NON!
Le mandat de Frontex a successivement été étendu en 2007, 2011 et 2019. Son budget a littéralement explosé, passant de 6 millions en 2005 à 11 milliards d’euros prévus pour la période 2021- 2027. L’arsenal de l’infrastructure militaire ne cesse de croître : l’agence dispose de ses propres véhicules d’intervention, de bateaux et de drones et équipera à l’avenir son armée stationnaire permanente de ses propres armes. Quant à son personnel, la force opérationnelle de Frontex doit être augmentée d’ici 2027 pour devenir une armée permanente indépendante comptant 10’000 garde-frontières et garde-côtes.
Alors que Frontex était en pleine tourmente dans le cadre de plusieurs enquêtes menées par des instances externes portant à la fois sur des violations des droits humains, mais aussi sur sa gestion, poussant le Parlement européen à décréter un gel d’une partie de son budget, en Suisse, l’Assemblée fédérale acceptait d’augmenter de 24 à 61 millions de francs par an sa participation financière d’ici 2027, sans demander de garantie en matière de respect des droits fondamentaux, et ce malgré la demande de la gauche.
Le 15 mai : refusons d’augmenter le soutien financier de la Suisse à Frontex !
Un référendum a heureusement abouti contre cette décision du Parlement. Aujourd’hui, une large alliance de collectifs de base, d’organisations, de partis, de syndicats et d’organismes religieux s’engage en faveur d’un NON le 15 mai.
La Suisse devrait conditionner toute participation à un véritable monitoring externe du respect des droits humains par Frontex et à des couloirs humanitaires sûrs. Dire a posteriori, comme le fait le Conseil fédéral, qu’on peut changer les choses de l’intérieur ne peut être pris au sérieux : la Suisse participe déjà à l’architecture de la politique européenne des frontières extérieures, sans avoir élevé la voix sur les agissements de Frontex. Seul un signal fort, comme un non le 15 mai, peut ouvrir un débat actuellement absent au niveau européen.
Clause guillotine et exclusion de Schengen ?
Le refus en votation de l’augmentation de la participation de la Suisse à Frontex induirait une exclusion automatique de Schengen, selon les autorités fédérales. Un refus obligera d’abord les parlementaires suisses à se remettre au travail pour proposer au peuple des mesures d’accompagnement humanitaires et un contrôle démocratique de Frontex plaçant le respect des droits humains comme condition sine qua non à la participation de la Suisse.
Aujourd’hui plus que jamais, l’Europe a besoin d’être unie, de défendre des valeurs démocratiques, de respect des valeurs fondamentales que sont le droit à la vie et les libertés de chacune et chacun. Par ses actes, Frontex est une négation de ces valeurs.
Pour un véritable accueil, dans la dignité, des personnes en exil !
Au lieu d’assurer des voies de fuite sûres et nécessaires, Frontex mène une véritable guerre contre la migration. Des milliers de personnes en meurent. Surtout, cette brutalité entrave l’accès à une protection pour les personnes qui demandent l’asile. Cela aggrave fortement l’insécurité et les violences sur les chemins de l’exil, conduisant parfois, dans le cas des violences sexuelles par exemple, au constat de sévices systématiques.
La gestion des frontières de l’espace Schengen par Frontex engendre continuellement des violations des droits fondamentaux. Plutôt que dépenser des millions pour soutenir Frontex, nous exigeons de financer un accueil digne et humain de toutes les personnes migrantes en Suisse.
En l’absence de voies légales pour entrer dans l’UE, puis sur le territoire suisse, les personnes en exil sont contraint·e∙s de contourner les contrôles douaniers et se mettent en danger. Plutôt que de soutenir une armée aux frontières, nous demandons des couloirs sécurisés d’accueil pour les personnes en exil, par la mer comme par la terre !
Frontex illustre une Europe militaire, brutale et répressive. Plutôt que cette réalité dégradante de l’Europe, nous réclamons une Europe ouverte, féministe et accueillante !
Deux ans sans école
Luis, 10 ans, est assis dans mon bureau à côté de sa maman, venue nous voir pour entamer les démarches permettant son inscription à l’école. Il se tortille sur sa chaise, semble nerveux. Sa maman explique : “Il angoisse car cela fait bientôt 2 ans qu’il n’a pas été à l’école. C’est justement pour ça que je me suis décidée à venir en Suisse : pour qu’il puisse enfin étudier à nouveau.”
Déscolarisation : un phénomène nouveau pour notre public
La scolarisation, et avec elle l’espoir d’un meilleur avenir pour leurs enfants, a toujours joué un rôle crucial dans les décisions migratoires des familles. Ces derniers mois, celle-ci a toutefois pris une nouvelle dimension : pour beaucoup de familles, il ne s’agit plus de l’espoir d’une meilleure éducation, mais d’une scolarisation tout court. Depuis la pandémie, nombre d’enfants arrivant à Genève n’étaient tout simplement plus scolarisés dans leur pays d’origine, un phénomène nouveau pour nous.
Alors qu’en Suisse, la fermeture des écoles a été limitée à deux mois, avec déjà un impact important sur les enfants, notamment les plus vulnérables, dans de nombreux pays, les écoles ont été fermées pendant de longs mois, voire sans interruption depuis le début de la pandémie. Nombre d’enfants ont été tout simplement déscolarisés, faute d’”école à distance”, faute d’accès au matériel et aux connexions, et/ou à cause de la précarisation de la situation de leur famille (nécessité p.ex. d’aider les parents ayant perdu des revenus). D’autres se sont retrouvés pendant des mois cloîtrés chez eux pendant que leurs parents travaillaient, livrés à eux-mêmes face à un téléphone portable resté leur unique lien avec les apprentissages scolaires.
Un grand bond… en arrière
Les témoignages des familles arrivées ces derniers mois au CCSI nous ont fait entrevoir l’ampleur de cette réalité. Des études statistiques viennent aussi la corroborer : au Brésil par exemple, la pandémie a résulté en un gigantesque retour en arrière en matière d’accès à l’éducation. Au cours des trente dernières années, le pourcentage d’enfants en âge de scolarité obligatoire non-scolarisés était tombé dans ce pays de 19,6 % en 1990 à 3,7 % en 2019[1].
Croissance des inégalités
Avec la pandémie, ce nombre a explosé à nouveau, atteignant 13,9 % d’enfants de 6 à 17 ans n’ayant pas accès à l’éducation en novembre 2020.[2] Ces chiffres masquent, comme souvent, d’énormes inégalités: “plus la région brésilienne est riche, plus le taux de non-scolarisation est bas”, souligne l’Unicef[3]. Inégalités encore renforcées par les décisions des autorités en matière de mesures sanitaires : toujours au Brésil, les écoles publiques sont par exemple restées fermées longtemps après que les écoles privées avaient rouvert.
Tout quitter pour recommencer à zéro dans un autre pays n’est pas une décision qui se prend à la légère. Que des familles se décident à faire ce “sacrifice”, comme nombre d’entre elles le nomment, pour que leurs enfants puissent être scolarisés illustre l’importance de l’accès à l’éducation, et à quel point les inégalités ont été renforcées par le contexte pandémique, au niveau local mais aussi entre pays.
Consultation Enfance, éducation et santé
[1] Statistiques issues du Pnad (Pesquisa Nacional por Amostra de Domicílios Contínua) de l’IBGE (Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística).
[2] https://www.unicef.org/brazil/media/14881/file/out-of-school-children-in-brazil_a-warning-about-the-impacts-of-the-covid-19-pandemic-on-education.pdf
[3] Idem
Naturalisation facilitée pour la 3e génération : les raisons d’un échec
En 2017, le peuple et les cantons ont accepté à une large majorité l’article constitutionnel ainsi que la loi d’application introduisant la procédure facilitée pour la naturalisation des petits-enfants de migrant∙e∙s. Les descendant∙e∙s de migrant∙e∙s se voyaient ainsi ouvrir une petite porte d’accès plus aisé à la naturalisation, après les échecs essuyés en 1984, 1994 et 2004 par des lois poursuivant cette finalité de manière plus généreuse.
Concrètement, la procédure facilitée veut dire que seule l’instance fédérale est habilitée à se prononcer sur le dossier de candidature alors que trois instances, communale, cantonale et fédérale se prononcent dans les procédures de naturalisation ordinaire. Le candidat doit remplir exactement toutes les conditions d’intégration requises pour la naturalisation ordinaire.
Trois ans après l’entrée en vigueur de cet article de loi, la Commission fédérale des migrations a souhaité faire un bilan de la mise en œuvre[1]. Les chiffres documentent que la loi manque largement sa cible : en effet, sur les quelques 25’000 personnes étrangères dont les grands-parents ont vécu en Suisse et qui, elles-mêmes, sont nés en Suisse, remplissant ainsi les conditions d’éligibilité, seules 1847 ont reçu un passeport suisse à fin 2020.
Quelles sont les causes d’un écart si marqué entre objectif et réalité ? Les personnes directement intéressées et les autorités interrogées dans le cadre de l’étude parviennent à des constats convergents. Les obstacles ne relèvent pas de l’intégration de candidat∙e∙s, généralement excellente, mais sont liées aux conditions d’accès à la procédure facilitée.
La première raison tient aux grandes difficultés rencontrées par nombre de candidat∙e∙s pour documenter le séjour en Suisse des grands-parents. La tâche est facile si ces derniers sont encore en vie et habitent la Suisse ; elle peut devenir redoutable s’ils sont décédés ou alors s’ils ont quitté la Suisse. Parfois même l’administration n’est pas à même de fournir la documentation nécessaire.
La deuxième raison tient à la difficulté de satisfaire la condition de cinq ans de scolarité obligatoire en Suisse exigée pour les parents des candidat∙e∙s à la naturalisation. Or, de nombreux parents de candidat∙e∙s sont arrivés en Suisse au gré d’un regroupement familial tardif accordé à leurs père ou mère saisonniers, souvent à un âge supérieur aux 10 ans : en conséquence ils ne peuvent pas justifier de cinq années de scolarité obligatoire.
Des informations lacunaires voire inexactes de la part des autorités locales viennent souvent aggraver la situation déjà compliquée. En somme, des petits-enfants de migrant∙e∙s sont parfois amenés à renoncer à cette procédure “facilitée” qui peut s’avérer plus compliquée que la procédure ordinaire.
Quelques simples améliorations pourraient permettre de surmonter ces barrières. Les auteurs de l’étude recommandent notamment de supprimer les obstacles administratifs compliquant l’accès à la procédure en simplifiant la documentation relative aux grands-parents et en prenant en compte tous les niveaux de formation pour le calcul de cinq années de scolarité des parents. Ils invitent à communiquer de manière proactive avec les potentiel∙le∙s candidat∙e∙s. Ils préconisent enfin l’éliminer la limite d’âge de 25 ans actuellement prévue pour se porter candidat∙e à une procédure facilitée : il apparait surprenant que la condition de petit-enfant de migrant∙e soit une caractéristique soit soumise à échéance, qui puisse se perdre subitement à l’âge de 25 ans.
Rosita Fibbi
[1] Wanner, Philippe et Rosita Fibbi (2022). L’accès à la naturalisation facilitée des personnes de la troisième génération. État des lieux après trois ans de mise en œuvre (2018–2020). Berne: Commission fédérale des migrations