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CCSI-Info octobre 2022

Publié le 13 octobre, 2022 dans , , ,

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Édito| Marianne Halle

Les voix des femmes valent décidément bien peu de choses dans ce pays. Non, je ne parle pas de la récente augmentation de l’âge de la retraite des femmes, acceptée en votation malgré la nette opposition des premières concernées. Je parle d’un autre vote, passé presque inaperçu celui-là, au Conseil des États le 29 septembre dernier. Dans les salons feutrés du palais fédéral, les sénateurs (le masculin est ici délibéré – les sénatrices ont toutes soutenu la proposition) ont discrètement décidé de ne pas soumettre les travailleurs et surtout travailleuses de l’économie domestique à la Loi sur le travail.

Quel était l’enjeu ? L’intérêt de cette proposition, outre le fait de mettre la Suisse en conformité avec la Convention 189 de l’OIT sur le travail domestique (qu’elle a ratifiée en 2014), était principalement de fixer le cadre en matière de durée du travail hebdomadaire, et de protection de la santé des travailleurs·euses. En effet, le contrat-type fédéral dans l’économie domestique contient principalement des dispositions en matière de salaire minimum à respecter, mais ne règle pas les questions régies par la loi sur le travail. Voilà pour le côté technique.

Mais ce vote a aussi un poids sur le plan symbolique. Car cette proposition émanait du parlement des femmes qui, en 2021, l’avait approuvée à 266 voix contre 0. Une belle alliance, au-delà des tradi-tionnelles lignes de partis, s’était donc nouée autour de la nécessité de mieux protéger ces travailleuses exposées à des conditions de travail particulièrement pénibles. Face à cela, les sénateurs ont clairement indiqué qu’ils ne voyaient pas l’intérêt d’étendre la protection (relativement basique, entendons-nous bien) qu’offre la Loi sur le travail à cette catégorie de travailleuses. Ce alors même que le secteur de l’économie domestique, dans lequel travaillent de nombreuses femmes migrantes (souvent sans statut légal), est connu pour offrir des conditions de travail très précaires, notamment en matière d’horaires à rallonge. Dans le même temps, ils ont envoyé une gifle symbolique à leurs collègues du sexe opposé, en refusant même de discuter de cette proposition qu’elles avaient pourtant approuvée à l’unanimité.

Mais ce sont les raisons invoquées pour refuser cette proposition qui rendent l’affaire d’autant plus choquante. La seule voix à s’être exprimée en ce sens lors du débat en plénière était celle d’Alex Kuprecht, UDC Schwytzois. Et l’argumentaire est… édifiant. En substance, il reconnaît que les abus existent bel et bien dans le secteur, mais estime que « les contrôles seront difficiles à mener, d’autant plus que certaines personnes ont plusieurs employeurs, ce qui complique encore les choses. C’est pourquoi nous trouvons qu’il ne faut pas soumettre les employées de maison à la Loi sur le travail. » De quoi s’interroger sur l’utilité d’élire des parlementaires pour légiférer… Imaginons une seconde qu’on applique la même logique à la sécurité routière, ou aux normes de protection des consommateurs !

Espérons que les femmes des partis bourgeois ne seront pas trop refroidies par cet échec, et continueront de faire preuve de solidarité à l’avenir. Car dans l’intervalle, ce sont une fois encore les femmes les plus précaires qui seront les premières à souffrir de ce manque criant de considération.


Le « coup de la russe »? Décryptage d’un article hautement problématique

Le mois dernier, le groupe de travail « Femmes migrantes & violences conjugales » (impulsé par le CCSI en 2009) s’est associé à l’ODAE romand, décadréE et Vivre Ensemble pour réagir[1] à un article paru en septembre dans le Tages Anzeiger puis sur différentes plateformes de Tamedia. Intitulé « Le “coup de la Russe”, un véritable cauchemar pour les hommes », l’article présente une disposition de la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) qui vise à protéger les femmes migrantes victimes de violences conjugales comme une « arme féminine en cas de divorce ». Pour illustrer son propos, il monte en épingle un cas particulier pour affirmer que « certaines personnes d’origine extra-européenne invoquent des violences domestiques en cas de divorce uniquement pour éviter de se faire expulser. »

Il nous semble important de rappeler que ce type de situation – si elle est avérée, puisque la parole n’est donnée qu’au mari – reste exceptionnelle et ne reflète absolument pas la situation de la majorité des victimes de violences conjugales. Le procédé consistant à utiliser un cas particulier pour discréditer toute une catégorie de victimes est malheureusement classique.

L’art. 50 LEI, une protection pour les femmes victimes de violences conjugales

La disposition légale dont il est question dans l’article précité, l’art. 50, al. 1, ch. b et al. 2 LEI, permet de prolonger l’autorisation de séjour de victimes de violences conjugales étrangères lorsqu’il y a rupture de la vie commune en raison de ces violences. Elle vise à permettre aux victimes de quitter le domicile conjugal et d’être protégées, sans courir le risque de perdre leur autorisation de séjour.

Rappelons aussi le contexte général dans laquelle s’insèrent ces dispositions légales. Selon les chiffres de l’Office fédéral des statistiques, les homicides perpétrés dans la sphère domestique représentent un bon tiers de l’ensemble des homicides commis en Suisse. Les homicides ont eu une issue fatale deux fois plus souvent que ceux commis hors du domicile. Les femmes sont victimes d’homicide ou de tentative d’homicide près de quatre fois plus souvent que les hommes ; la proportion de femmes décédées est sept fois plus élevée. En Suisse toujours, entre 2009 et 2016, 599 homicides et tentatives d’homicide ont été enregistrés dans le contexte domestique, soit 75 par année, qui se sont en moyenne soldés par la mort des victimes dans 34% des cas.

Dans la pratique : une application de la loi très restrictive

Le renouvellement d’un permis obtenu par regroupement familial après dissolution de la famille ne va pas de soi. Tout d’abord, parce que la demande est examinée par plusieurs autorités. Elle doit être déposée auprès de l’Office des migrations du canton de résidence. En cas d’acceptation par le canton, le dossier est soumis au Secrétariat d’État aux migrations (SEM) pour approbation.

En outre, le renouvellement de l’autorisation de séjour prévu à l’art. 50 LEI n’est pas accordé à quiconque présenterait quelques égratignures sur le bras, comme ce que laisse entendre l’article. La loi ne définit pas le degré de gravité de la violence à partir duquel la victime a le droit de rester en Suisse. Toutefois, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les violences doivent être d’une « certaine intensité » et correspondre à des « mauvais traitements systématiques dans le but d’exercer un pouvoir et un contrôle […] ». 

Dans la pratique, les associations spécialisées constatent que ces critères – relativement vagues – sont évalués de manière très différente selon les autorités migratoires, et appliqués de manière souvent trop restrictive. Les autorités jouissent d’une large marge d’appréciation en la matière et sont insuffisamment formées et sensibilisées à la question des violences conjugales. Pour les victimes, il est souvent très difficile de prouver la violence domestique, car il s’agit dans la plupart des cas de délits commis dans l’intimité. Les exigences en matière de preuve sont souvent trop élevées et il arrive fréquemment que les violences ne soient pas admises comme « suffisamment graves » par les autorités administratives, malgré des attestations de psychologues, médecins et services spécialisés, ou même lorsque la personne a été reconnue comme victime au sens de la LAVI. De plus, toute une série d’actes de violence n’est souvent pas prise en compte, comme les violences psychiques ou les actes commis après la séparation du couple.

Une protection rarement utilisée et souvent insuffisante

Il n’existe à ce jour aucune statistique précise sur le nombre de victimes étrangères de violences conjugales dont la prolongation de l’autorisation de séjour a été refusée suite à une demande déposée auprès des autorités cantonales en vertu de l’article 50 LEI. Néanmoins, quelques données ressortent d’une étude du Bureau BASS : entre 2014 et 2017, moins de 100 demandes par année ont été déposées auprès du SEM par les cantons. Sur un total de 335 en quatre ans, 48 ont été rejetées, avec comme principal motif l’insuffisance des preuves. Ce type de protection ne concerne donc qu’un petit nombre de personnes.

Dans ce contexte, la réalité que nous constatons est bien différente que celle relatée dans l’article du Tages Anzeiger : plutôt qu’« utiliser » l’art. 50 LEI « uniquement pour éviter de se faire expulser », de nombreuses victimes étrangères n’osent pas dénoncer ce qu’elles subissent, et encore moins quitter leur conjoint, par peur de perdre leur permis de séjour et d’être expulsées.

Mieux protéger plutôt que discréditer les victimes de violence

Aussi, il semble impératif d’œuvrer à ce que la protection des femmes migrantes victimes de violences conjugales soit renforcée. En décembre 2021, le Comité sur l’élimination de la discrimination raciale (CERD) s’est déclaré préoccupé par le fait que l’art. 50 LEI ne s’applique « qu’à partir d’un seuil suffisamment grave ou lorsqu’il existe un caractère systématique de la violence subie, ce qui décourage les victimes étrangères de violence conjugale de porter plainte, par peur de perdre leur permis de séjour, et les laisse sans protection réelle et efficace, contrairement aux victimes de nationalité suisse ». Le CERD a donc recommandé à la Suisse de « veiller à ce que les victimes de violences conjugales puissent demeurer sur le territoire de l’État partie, en vertu de l’article 50 de la [LEI], sans avoir à surmonter des obstacles de procédure excessifs qui, en pratique, les laisseraient sans protection réelle et effective ».

Raphael Rey et Megane Lederrey, ODAE romand

Eva Kiss et Mariana Duarte, GT Femmes migrantes et violences conjugales

[1] L’article ci-dessus est adapté et raccourci de la réaction originale. Une version complète (notamment pour les références) est disponible sur le site du CCSI.


Renforcer notre démocratie : une victoire d’étape

Nous vous en avons parlé tout au long du printemps, cette fois c’est officiel : l’initiative « Une vie ici, une voix ici » pour étendre les droits politiques aux personnes étrangères dans le canton de Genève a abouti ! Le comité d’initiative, dont le CCSI fait partie, s’était fixé l’objectif de récolter 10 000 paraphes, bien au-delà des 8157 signatures formellement exigées. Cet objectif a été largement atteint : les 10 375 signatures déposées le 2 août ont été vérifiées, et le Conseil d’État a formellement annoncé l’aboutissement de notre initiative le 28 septembre.

À l’annonce de ce résultat, le comité a remercié les électrices et électeurs dans le Canton de Genève qui ont appuyé par leur signature cette proposition d’avancée démocratique. Le CCSI tient particulièrement à remercier ses membres, qui ont répondu présent·e·s en renvoyant de nombreuses signatures par courrier, mais aussi en s’engageant sur le terrain pour récolter des paraphes dans la rue, sur les marchés, devant les bureaux de vote les dimanches de votation ou encore lors de concerts et autres pièces de théâtre. C’est grâce à cet important engagement militant que cette démarche citoyenne et démocratique a abouti.

Dans son communiqué de presse, le comité a également rappelé que le texte de l’initiative avait déjà fait l’objet d’un examen parlementaire. En effet, c’est sur le même texte que le Grand Conseil avait refusé de justesse (à une voix près) d’entrer en matière, alors qu’il avait recueilli un préavis positif majoritaire en commission des droits politiques. Le comité demande donc au Conseil d’État et au Grand Conseil de traiter cette initiative rapidement : il n’y a aucune raison de retarder l’envoi de ce texte en plénière du Grand Conseil et ensuite à l’arbitrage des urnes, pour donner la parole au plus vite au corps électoral et ouvrir la porte sans retard à une réforme indispensable. Le renforcement de notre démocratie politique constitue un gage de réponse solidaire nécessaire pour affronter une conjonction de graves crises économique, sociale et écologique.

Marianne Halle

Faites signer la pétition !

Tout en préparant la campagne de votation avec les autres partisan·ne·s de l’initiative, nous vous rappelons que vous pouvez toujours signer et faire signer la pétition. Centrée sur les mêmes revendications que l’initiative, cette dernière est plus particulièrement destinée aux personnes étrangères qui n’ont pas encore le droit de vote, mais souhaitent marquer leur appui à cette initiative.

Les feuilles de signature peuvent être téléchargées ici et renvoyées d’ici la fin de l’année au CCSI (25 Route des Acacias, 1227 Les Acacias/Genève).

Chaque signature compte, d’avance merci à toutes et tous !