CCSI-Info juin 2023
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Édito| Marianne Halle
De Bruxelles, les échos annoncent une nouvelle fois des restrictions à venir. Les discussions autour d’une nouvelle mouture de la politique migratoire commune sont en cours. L’Europe réfléchit, et semble dessiner les contours d’un accord dont l’objectif est de lui permettre de se barricader toujours plus, de fermer davantage les voies d’accès, et de traquer les personnes exilées par tous les moyens technologiques possibles, au mépris des droits fondamentaux.
La Suisse participe aux discussions, affirmant publiquement qu’elle continuera de se montrer “solidaire“, mais cherchant surtout à s’assurer qu’elle pourra toujours user des mécanismes de l’accord de Dublin, qui lui permettent de renvoyer à tour de bras les demandeurs et demandeuses d’asile qui parviennent jusqu’à son territoire après avoir été une première fois “fichés“ ailleurs. Tant pis si cet ailleurs n’a rien à leur offrir à part la misère d’un camp de réfugiés surpeuplé, tant pis s’ils et elles ont de la famille en Suisse, tant pis si leur état de santé physique ou mentale devrait à l’évidence rendre ce renvoi impossible.
De Berne, les échos sont tout aussi inquiétants. La semaine dernière, le Conseil des États a accepté une motion PLR qui demande qu’on exporte dans un pays tiers les personnes déboutées que l’Érythrée refuse de reprendre dans le cadre de renvois forcés. Ceux qu’on présente comme “raisonnables“ – face aux excès de l’UDC – n’hésitent donc pas à proposer de sous-traiter au plus offrant la gestion de ce stock qu’ils jugent indésirable, comme s’il s’agissait de simples marchandises, et non de vies humaines. L’UDC, quant à elle, renchérit en estimant que c’est l’ensemble des procédures d’asile qu’on devrait délocaliser le plus loin possible de nos frontières.
Sur le terrain, ces considérations théoriques paraissent absurdes. La situation est en réalité tout autre. Ce que nous voyons, ce sont les trous que compte aujourd’hui déjà notre maigre filet. Car loin d’être trop laxiste, le système actuel ne permet pas de protéger efficacement toutes les personnes qui fuient le danger. Notre politique migratoire ne prévoit par exemple aucune solution satisfaisante pour les personnes qui fuient des violences autres que celles exercées par un État. Ces dernières ne peuvent bénéficier ni des protections qu’offre le droit d’asile, ni des règles qui favorisent la migration du travail (voir ci-dessous).
Au CCSI, nous continuons de nous engager en faveur de politiques migratoires plus justes et plus humaines. En parallèle, nous travaillons au quotidien pour permettre à toutes les personnes qui s’adressent à nous de trouver un peu de répit, d’accéder à leurs droits, et de construire un meilleur avenir pour elles et leurs enfants.
Droit à l’alimentation : oui à une véritable politique publique
Le 18 juin, les genevois·e·s doivent se prononcer sur l’inscription du droit à l’alimentation dans la constitution du Canton. Pourquoi une telle démarche, lorsque l’on sait à quel point les droits constitutionnels sont difficiles à faire valoir ? En réalité, il s’agit de donner au droit à l’alimentation une visibilité et une importance plus grandes. Le fait d’inscrire ce droit dans la constitution genevoise devrait notamment favoriser la mise sur pied d’une véritable politique publique coordonnée et réfléchie, impliquant tous les acteurs dans le domaine et garantissant la pérennité des moyens engagés.
Plusieurs associations membres du CAPAS (Collectif d’associations pour l’action sociale) s’investissent dans cette campagne. Elles constatent notamment que le cumul des crises –sanitaire et économique en raison de la pandémie du Covid, mais aussi de l’inflation – pousse un nombre croissant de personnes dans la précarité. Ainsi, non seulement le nombre de personnes qui dépend de l’aide alimentaire à Genève n’a-t-il pas baissé depuis la fin des restrictions sanitaires, mais une part importante de ces personnes dépend aujourd’hui de l’aide alimentaire de manière durable. Les distributions hebdomadaires des Colis du cœur touchent près de 6500 personnes par semaine (dont 40% de mineurs), alors que les épiceries solidaires de Caritas annoncent une hausse de +33 % de la fréquentation entre 2021 et 2022.
Le CCSI soutient cette campagne car pour une part importante des personnes ou familles que nous accompagnons, l’aide alimentaire est un élément crucial dans la lutte contre la précarité. Le CCSI est l’une des associations qui délivre les bons pour les Colis ainsi que les cartes pour les épiceries solidaires, dont dépendent de très nombreux usagers·ères.
Par ailleurs, en favorisant l’accès aux restaurants scolaires, le CCSI permet à plus d’un millier d’enfants de bénéficier de repas chauds et équilibrés tout au long de l’année scolaire. Une politique volontariste en matière de droit à l’alimentation pourrait par exemple garantir à tout enfant scolarisé à Genève l’accès à une alimentation saine grâce à des repas gratuits. Ce serait une avancée considérable par rapport au patchwork qui prévaut aujourd’hui, selon la commune de résidence. Le 18 juin, votez OUI au droit à l’alimentation !
Marianne Halle
Protection insuffisante pour les personnes qui fuient la violence
Nos consultations sont régulièrement confrontées à des situations de personnes qui, bien qu’elles fuient des situations de violences, ne peuvent pas se réclamer des formes de protection qu’offrent le droit d’asile. En effet, nous rencontrons souvent des familles (notamment des femmes seules avec enfants) qui ont été victimes de violence conjugales ou intra-familiales, et ont décidé de quitter leur pays parce qu’elles n’avaient pas d’autre choix pour assurer leur propre sécurité et/ou celle de leurs enfants.
Il en va parfois de même pour les familles qui subissent la violence des gangs, en Amérique centrale par exemple. La police locale n’est souvent d’aucun secours dans ce type de situation (par manque de ressources, ou en raison de la corruption), et un départ vers un lieu plus sûr constitue dès lors la seule solution.
Une protection lacunaire
Or ces personnes n’ont pas le droit à l’asile parce qu’elles ne sont pas persécutées par un État. Comme ces pays sont généralement considérés comme sûrs par les autorités suisses, rien ne s’oppose à un renvoi une fois la demande d’asile refusée. En outre, venant d’un pays tiers et sans occuper un emploi hautement qualifié, elles n’ont aucune chance d’obtenir un permis en Suisse. Elles sont alors contraintes à vivre pendant des années en situation irrégulière sur notre territoire, dans l’espoir de remplir un jour les critères pour demander un permis pour cas de rigueur. Rappelons-le, les conditions pour une régularisation demeurent strictes, et ce permis n’est jamais un droit.
L’exemple de la famille C
C’est le cas de Madame C, arrivée seule à Genève en 2019. Elle y a trouvé des heures de travail, et envoie régulièrement de l’argent à ses enfants, restés au pays avec son mari. La famille est propriétaire d’un petit commerce de quartier dans un pays d’Amérique centrale, et le soutien financier que Madame peut apporter en envoyant de l’argent depuis Genève permet à la famille d’assurer sa subsistance. Cependant, alors que les enfants grandissent, les gangs qui sévissent dans le quartier s’intéressent de plus en plus près à la famille.
Début 2022, ils tentent de recruter le jeune, et menacent et harcèlent la jeune fille, qui entre dans l’adolescence. Ils commencent également à réclamer une “taxe“ au père, qui est contraint de leur verser une partie des revenus de son commerce pour éviter de subir des déprédations et garder ses enfants en sécurité. Malheureusement, le gang en question finit par apprendre que la maman est en Suisse et envoie de l’argent à sa famille. Dès lors, le racket et les menaces s’intensifient drastiquement.
La fuite pour unique solution
Face à l’impossibilité de payer les sommes exigées par le gang et devant les menaces pesant sur la sécurité des enfants, le père s’adresse à la police. Malheureusement, cette dernière, sous-dotée et corrompue, ne peut pas leur offrir une protection adéquate. Désespérée, la famille prend la décision de quitter le pays en juin et de rejoindre la maman à Genève.
La famille est rapidement reçue au CCSI, qui l’accompagne pour scolariser les enfants et les affilier à une assurance-maladie. Nous les aidons également à obtenir l’exonération pour les frais de parascolaire, ainsi qu’une réduction pour les repas pris à l’école pour les deux plus petits, encore à l’école primaire. Avec les enfants ainsi gardés et encadrés, les parents peuvent rester disponibles pour trouver du travail.
Le CCSI comme point de chute
Dans ces cas comme celui de la famille C, le départ se fait souvent dans l’urgence. L’arrivée en Suisse n’ayant pas pu être préparée, il est d’autant plus crucial de pouvoir bénéficier d’un accueil adéquat et compétent. Le soutien que le CCSI peut offrir à ces familles contribue non seulement au respect des droits fondamentaux (comme le droit à l’éducation et le droit à la vie de famille), mais également à assurer que ces enfants puissent grandir dans une certaine sécurité.
Nous continuerons bien sûr d’offrir le meilleur accompagnement possible à toutes les personnes qui s’adressent à nous. Mais il serait temps que la politique migratoire s’adapte aux réalités actuelles : dérèglements climatiques, violences liées aux gangs, absence de protection pour les femmes victimes de violences conjugales, de nombreux motifs de fuite ne sont aujourd’hui pas suffisamment pris en compte. Ces situations doivent être mieux reconnues, et les personnes migrantes qui les vivent bénéficier d’une protection adéquate.
Marianne Halle
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