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CCSI-Info mai 2024

Publié le 29 mai, 2024 dans ,

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Édito|

Membres du CCSI – marche du 1er mai 2024

Le 9 juin prochain, nous sommes confronté.e.s à un choix crucial pour l’avenir de notre canton. L’initiative « Une vie ici, une voix ici… Renforçons notre démocratie » sera soumise au vote, proposant l’extension des droits de vote et d’éligibilité aux étranger·es résidants en Suisse depuis huit ans au moins. Cette proposition, représente une chance pour toutes et tous, Suisses et étranger.e.s.

Actuellement, Genève se trouve dans une position singulière en Suisse. Nous devons reconnaître la réalité de notre société : près de 40% des habitant.e.s du canton n’ont pas de droit de vote. Ces individus, qui vivent et travaillent à Genève, contribuent à notre prospérité, à notre culture et à notre diversité. Nombreux sont ceux et celles qui sont né.e.s ici, qui ont grandi ici, qui se considèrent légitimement comme des Genevois.e.s à part entière.

Alors que notre identité est intrinsèquement internationale, Genève ne compte pas parmi les cantons qui accordent déjà le droit de vote aux étranger.e.s aux niveaux cantonal et communal. Il est temps pour Genève de rejoindre ce mouvement progressiste.
Le moment est venu pour Genève de franchir cette étape historique. En disant oui à cette initiative, nous affirmons notre engagement envers une démocratie inclusive et dynamique, où chacun a voix au chapitre. Agissons ensemble pour un avenir où la diversité est célébrée et où la justice sociale est une réalité pour tou.te.s les habitant.e.s de notre cher canton.

En parlant de progrès et diversité, Bâle-Ville nous rappelle l’importance de notre propre engagement envers l’égalité, la justice et la démocratie. . Début avril, une étape symbolique a été franchie avec l’élection, au sein du Conseil d’État de Bâle-Ville, de Mustafa Atici, restaurateur d’origine kurde. Son élection représente bien plus qu’un simple accomplissement individuel ; c’est une affirmation de l’engagement en faveur de l’égalité des chances pour les personnes issues de la migration.

Alors que nous célébrons cette élection, rappelons-nous que le chemin vers l’égalité est encore long. Nous devons continuer à nous engager activement pour briser les barrières et garantir que chaque enfant, où qu’il soit né, ait la possibilité de réaliser son plein potentiel. En soutenant l’initiative, nous pouvons transformer nos aspirations en réalités tangibles et construire un avenir meilleur pour tous.
Ensemble, continuons à écrire l’histoire, une page à la fois.

 

Daniela Ferreira


Le Pacte Migratoire Européen : Un pas en avant ou un recul pour les droits humains ?

Le Conseil de l’Union Européenne a formellement adopté une réforme majeure dans le domaine de l’asile et de la migration, qui soulève des questions brûlantes quant à ses implications sur les politiques migratoires suisses. Au cœur de ce débat se trouve le Pacte européen sur la migration et l’asile, un traité controversé qui divise les opinions et suscite des inquiétudes légitimes au sein de la société civile.

Qu’est-ce qui change ?
La réforme instaure une procédure de «filtrage» des migrants aux frontières de l’UE, visant à identifier et à distinguer plus rapidement ceux qui peuvent espérer obtenir l’asile de ceux destinés à être renvoyés dans leur pays d’origine.
Parmi les principales mesures du traité se trouve la création de camps d’enfermement aux frontières extérieures de l’Union européenne, où même des enfants pourront être détenus. Cette politique suscite des préoccupations quant au respect des droits fondamentaux des personnes migrantes.
Le nouveau pacte migratoire européen maintient la règle actuelle selon laquelle le premier pays d’entrée dans l’UE d’un migrant est responsable de sa demande d’asile, avec quelques aménagements. Il prévoit une accélération des procédures visant à multiplier les renvois, ainsi qu’une solidarité obligatoire entre les États membres pour la répartition non seulement des demandeurs d’asile mais également des coûts liés à leur prise en charge . Cette solidarité, bien que louable dans son intention, risque de se traduire par un régime dérogatoire moins protecteur pour les demandeurs d’asile, avec notamment un allongement possible de la durée de détention aux frontières extérieures de l’Union européenne.
Ce pacte s’imposera à tous les pays de l’UE au courant 2026, sous peine de procédures d’infraction en cas de non-respect.

Répercussions juridiques en Suisse 
La Suisse, en raison de sa participation à Schengen et Dublin, se trouve directement concernée par cette réforme. En effet, le pays sera juridiquement tenu d’appliquer les dispositions du Pacte européen, ce qui soulève des questions quant à la compatibilité de ces mesures avec les valeurs humanitaires et les engagements internationaux de la Suisse en matière de droits humains.

Daniela Ferreira


Le combat pour le droit de demeurer : l’histoire de Monsieur O. entre bureaucratie et reconnaissance

Citoyen espagnol résidant en Suisse depuis fin 2015, Monsieur O. a été victime d’un grave accident de la route en octobre 2019. En février 2022, il se rend pour la première fois à la Consultation « Assurances sociales » du CCSI. Déjà au bénéfice d’une rente AI, il avait besoin d’aide pour obtenir les prestations complémentaires AVS/AI, ce qui était difficile sans permis de séjour valable ou au moins d’une attestation de résidence.

Lors de l’entretien du 6 mars 2023, Monsieur a montré une lettre de l’OCPM datée du 10 février 2023 dans laquelle plusieurs informations et documents étaient demandés. Ceci dans le cadre d’une procédure de renouvellement de permis initiée en février 2020 par Monsieur O. lui-même. Les justificatifs demandés devaient permettre de prouver son séjour ininterrompu en Suisse et des revenus suffisants, y compris la perception d’une éventuelle rente AI. Suite à la signature d’une procuration pour la Consultation Permis de séjour, une attestation de résidence a été reçue, et la grande majorité de ces documents et informations ont pu être péniblement réunis. En effet, depuis son accident, Monsieur O. a de très sérieux troubles de mémoire, ne se souvient que partiellement de ses lieux de vie et de ses activités. Dans ces conditions, retrouver ses documents et fournir des informations précises lui est très difficile.

Grâce aux informations et documents transmis, l’OCPM a accepté de renouveler le permis de séjour de Monsieur O., en lui reconnaissant ainsi son « droit de demeurer », et a transmis son dossier pour approbation au Secrétariat d’État aux Migrations (SEM) en octobre 2023.
Une telle reconnaissance signifie qu’une personne originaire d’un pays membre de l’Union européenne qui a travaillé comme salariée en Suisse, et qui a, par la suite, perdu sa capacité de travail et ainsi son emploi, a le droit de rester en Suisse. Toutefois, ce droit est lié à certaines conditions selon les différents cas de figure. Un de ces cas de figure est celui des personnes qui perdent leur capacité de travail suite à un accident, et pour lesquelles l’Office AI reconnaît non seulement une incapacité de travail dans leur activité professionnelle habituelle, mais également leur invalidité, ceci débouchant sur l’obtention d’une rente AI, aussi petite soit-elle.

Il faut savoir que pour obtenir une rente, il faut un degré d’invalidité d’au moins 40 %, et que ce degré ne se détermine pas uniquement selon des considérations médicales liées à l’incapacité de travail, mais se calcule en comparant le salaire réalisé par les personnes avant la survenance de leur atteinte à la santé, avec celui qu’elles pourraient obtenir dans un emploi adapté – sans toutefois prendre en considération les possibilités réelles de trouver un tel emploi. Dès lors, beaucoup de personnes ayant une incapacité de travail totale dans leur activité professionnelle habituelle ne reçoivent pas de rente car selon les calculs de l’Office AI, la perte entre leur salaire dans leur.s précédente.s activité.s et celui qu’elles pourraient théoriquement gagner grâce à un emploi adapté n’est pas suffisante pour atteindre un degré d’invalidité de 40 %. Dans le cas de Monsieur O., l’Office AI a reconnu une incapacité de travail totale dans toute activité et une invalidité de 100 %, débouchant sur l’octroi d’une rente AI.

Cependant, ce n’était pas encore suffisant pour qu’il puisse rester en Suisse car pour la reconnaissance du « droit de demeurer » dans son cas de figure (accident intervenu en dehors du cadre professionnel), il fallait aussi démontrer qu’il était en emploi au moment de son accident, et qu’il avait, auparavant, résidé en Suisse de manière permanente pendant deux ans (en cas d’accident professionnel, cette condition de résidence n’existe pas).

Le problème venait du fait que l’ex-employeur de Monsieur O., dans le Canton de Vaud, avait annoncé aux autorités migratoires non seulement son départ de l’entreprise, mais aussi de la Suisse. C’est pour cette raison que l’OCPM a demandé des pièces attestant de son séjour pour la période ultérieure à l’annonce de l’ex-employeur. Bien que l’Office cantonal ait accepté, sur la base des documents transmis, que Monsieur O. résidait en Suisse sans interruption pendant plus de deux ans avant son accident, cela n’a pas été avalisé par le SEM qui a indiqué au CCSI, dans sa lettre du 5 février 2024, qu’il envisageait de ne pas donner son approbation au renouvellement de l’autorisation de séjour de Monsieur O., car il n’avait pas été démontré que ce dernier avait séjourné en Suisse durant deux ans avant son accident, étant donné que sa présence pendant 8 mois entre 2018 et 2019 n’aurait pas été prouvée.

Dès lors, le CCSI a demandé un délai supplémentaire pour fournir de nouvelles preuves, et a repris contact avec Monsieur O. pour lui demander de chercher ces documents – ce qui l’a plongé à nouveau dans une profonde détresse. Toutefois, il a réussi à trouver certains documents utilisables qui ont été transmis au SEM en mars dernier. La décision du SEM est toujours en attente, alors que, rappelons-le, la demande de renouvellement de permis a été déposée il y a plus de quatre ans.

En règle générale, les personnes ayant un passeport européen sont considérées comme chanceuses car leurs droits sont clairement établis par l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) et la jurisprudence relative à son application. Pourtant, et comme le démontre l’histoire de Monsieur O., ces ex-travailleurs.euses peuvent facilement se retrouver dans une situation où leur permis risque de ne pas être renouvelé et une décision de départ leur être notifiée, du fait que le « droit de demeurer » ne leur est pas reconnu. Sans l’appui d’un service qui connaît bien les conditions pour que ce droit soit accordé, les personnes concernées peuvent vite se perdre entre les exigences, parfois injustifiées, des autorités, et voir leurs droits bafoués par ces dernières.

Eva Kiss et Catherine Lack


L’âge de l’oubli : les défis des personnes étrangères vieillissantes en Suisse

Lorsque l’heure de la retraite sonne, c’est un moment de transition pour chacun, mais pour les personnes étrangères vieillissantes en Suisse, c’est souvent le début d’une lutte silencieuse contre l’oubli et l’abandon. L’Observatoire romand du droit d’asile et des étranger·èrexs (ODAE romand) met en lumière ces réalités souvent ignorées, exposant les défis auxquels sont confrontés ces aînés oubliés de la société. Cotisations insuffisantes pour toucher une rente décente, tensions sur les permis de résidence, épuisement physique lié au maintien d’emplois éreintants : tel est le lot commun de nombreuses personnes étrangères vieillissantes en Suisse. Les situations sont multiples, mais toutes racontent une histoire d’injustice et d’abandon.

Sur la plaine de Plainpalais, jusqu’au 30 avril, les Genevois·es ont eu l’opportunité de découvrir les portraits poignants de ces personnes oubliées par les politiques publiques.
Trois champs d’injustice se dessinent clairement : les contraintes draconiennes de la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI), la difficile accessibilité aux prestations sociales et les inégalités criantes vécues par nombre d’aînés immigrés. La cumulation de ces facteurs rend leur vie encore plus précaire et incertaine à mesure qu’ils/elles avancent en âge.
Dès l’âge de 55 ans, ces travailleurs et travailleuses sont souvent mis au rebut, leurs corps usés par des emplois que les autochtones refusent de faire. L’ironie est amère : après des décennies à contribuer à la prospérité de la Suisse, nombre d’entre eux se retrouvent soudainement sans emploi ni soutien financier.
Pire encore, les filets de sécurité leur sont souvent inaccessibles. Les conditions strictes pour accéder à l’assurance-invalidité laissent de nombreuses personnes dans l’oubli, incapables de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires.

Le défi est immense, mais il est temps que la société suisse reconnaisse et affronte cette réalité douloureuse. Les politiques doivent être revues, les lois assouplies, et des mesures concrètes prises pour garantir la dignité et le bien-être de ces aînés immigrés qui ont tant donné à ce pays.
Il est temps de mettre fin à l’âge de l’oubli. Ces personnes méritent mieux que l’indifférence et l’abandon. Il est temps d’agir.
Grâce à une collaboration longue et fructueuse entre le CCSI et l’ODAE romand, deux articles ont été rédigés, révélant des témoignages poignants et des données alarmantes qui sont observées dans nos consultations. Ces contributions ont été publiées dans le rapport de l’ODAE romand sorti en février
(pages 29 à 31).

Le premier article expose le destin déchirant des femmes extra-européennes qui, après des décennies de labeur dans l’économie domestique, se retrouvent piégées dans un cercle de pauvreté au seuil de la retraite. Leurs maigres rentes AVS ne suffisent pas à garantir une vie décente, et les obstacles bureaucratiques, comme le délai de carence de 10 ans pour toucher des prestations complémentaires, les maintiennent dans la misère.

Le second article révèle les calculs injustes et implacables visant à estimer le degré d’invalidité, en particulier pour les femmes migrantes. Leurs rentes AI sont minuscules en raison des lacunes dans leurs années de cotisations et des fluctuations extrêmes des taux d’emploi. Ces femmes, doublement marginalisées par leur genre et leur statut migratoire, se battent pour survivre dans un système qui les abandonne.

Dans une société où le débat sur les droits sociaux et la justice est au cœur des préoccupations, l’ODAE romand souhaite mettre en lumière les obstacles auxquels sont confrontées les personnes étrangères lorsqu’elles prennent leur retraite. Des cotisations insuffisantes pour toucher une rente de retraite décente, une tension permanente liée au permis de résidence, et un épuisement physique résultant du maintien d’une activité professionnelle souvent éreintante, autant de réalités dépeintes avec justesse dans cette exposition et ce rapport.

 

Daniela Ferreira


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