Le CCSI aux côtés des femmes migrantes

La perspective de la grève des femmes du 14 juin 2019 suscite, et l’on ne peut que s’en réjouir, un intérêt médiatique plus important que d’habitude pour les questions concernant les discriminations et formes d’oppression spécifiques touchant les femmes en Suisse. Malheureusement, toutes les catégories de femmes ne font pas l’objet du même intérêt dans le débat public. Ainsi, il est toujours assez peu question – et ceci, même au sein du mouvement des femmes – des migrantes, qu’elles soient réfugiées, travailleuses sans statut légal ou épouses venues au titre du « regroupement familial », et des travailleuses de l’économie domestique, avec ou sans papiers.

Pour le CCSI, dont près de 80% des personnes suivies sont des femmes, souvent seules avec des enfants, et majoritairement employées dans le secteur de l’économie domestique, l’engagement pour la défense des droits des migrantes a désormais une histoire de plus de quinze ans. Voici, en résumé, les principales étapes de ce parcours, aux côtés des femmes migrantes.

Les travailleuses sans statut légal entrent en scène

C’est au début des années 2000 qu’a commencé l’organisation des travailleurs·euses sans statut légal à Genève, avec le soutien de certains syndicats. Dans ce contexte, des féministes d’ici et des femmes sans statut légal se sont réunies pour débattre de la place des femmes migrantes dans la société, en particulier de leur rôle dans l’économie domestique, et revendiquer leur régularisation. C’est ainsi que la traditionnelle manifestation du 8 mars 2003 a été organisée sous le mot d’ordre « Femmes d’ici, femmes d’ailleurs, même sol – mêmes droits ».

Les débats de ce groupe de femmes (auquel participait une représentante du CCSI) ont abouti à la rédaction et diffusion, début 2004, d’un « Appel pour le partage du travail domestique entre hommes et femmes – pour la régularisation collective des personnes sans statut légal ». Cet Appel a été signé par une cinquantaine d’associations de femmes, de migrant·e·s (dont le CCSI), par des syndicats et des partis politiques. Outre la régularisation collective des travailleurs et travailleuses sans statut légal, cet appel revendiquait aussi, notamment, l’accès aux soins médicaux, l’accès à la formation professionnelle (apprentissage) pour les enfants mineurs, l’amélioration des conditions de travail dans le secteur de l’économie domestique, ainsi que la création de conditions permettant un partage équitable des tâches éducatives, ménagères et de soins entre femmes et hommes.

Épouses étrangères victimes de violences conjugales – une vulnérabilité particulière

En 2009, le CCSI et d’autres associations de femmes et de défense des personnes migrantes créait un Groupe de travail « femmes migrantes et violences conjugales », et rendait publique une prise de position intitulée « Pour un droit de séjour indépendant de l’état-civil – Pour une véritable protection des femmes migrantes victimes de violences conjugales ». Ce groupe revendiquait une modification de la Loi sur les étrangers pour permettre aux épouses étrangères de bénéficier d’un droit au séjour indépendant de leur statut matrimonial. En attendant, le Groupe de travail demandait que les épouses étrangères victimes de violences conjugales obtiennent le droit au renouvellement de leur permis en cas de séparation/divorce.

Le travail de lobbying mené par le groupe et ses allié·e·s au niveau parlementaire a permis, en 2012, d’obtenir une petite avancée, par une légère modification de la Loi sur les étrangers. Mais malgré ce succès, 10 ans après sa création, la raison d’être de ce Groupe de travail existe hélas toujours …

Campagne pour les droits des employées de maison

En 2013, le CCSI s’est engagé activement dans la campagne nationale « Aucune employée de maison n’est illégale ». Une pétition réclamant plus de droits pour les employées de maison a recueilli près de 22’000 signatures et a été déposée à Berne en mars 2014. Cette pétition revendiquait un accès garanti et sans risque de dénonciation aux assurances sociales et aux tribunaux des prud’hommes, ainsi qu’une amélioration des conditions de travail dans l’économie domestique.

Pour un droit d’accès à la justice sans risque d’expulsion

A partir de 2014, le CCSI a participé, avec plusieurs associations de femmes, à un groupe de travail « pour une meilleure protection des personnes sans statut légal victimes de violences ». Ce groupe entendait réagir aux situations d’expulsion de personnes sans statut légal ayant déposé plainte pénale suite à une agression, dont les médias se sont parfois fait l’écho. Ce problème de l’accès à la justice sans risque d’être expulsé n’est toujours pas résolu à ce jour.

En 2019, quels constats faisons-nous ?

L’opération Papyrus, qui vient de se terminer fin décembre 2018, a permis de régulariser à ce jour près de 2000 personnes et devrait, au final, concerner près de 3500 personnes (sur un nombre de sans-papiers à Genève estimé entre 8’000 et 12’000 personnes). Près de trois quarts des personnes ainsi régularisées sont des femmes, souvent mères d’enfants mineurs, qui échappent ainsi à un facteur de vulnérabilité majeur.
Toutefois, comme nous l’avons exposé ci-dessus, de nombreuses discriminations touchent toujours les femmes migrantes. Ce constat nous a amené à décider de participer au moment de mobilisation que sera la grève des femmes du 14 juin 2019, dans le but de rendre visible l’existence et la situation des migrantes, à la fois sous l’angle de leur vulnérabilité spécifique, mais aussi en soulignant leur rôle indispensable sur le plan économique et social. En effet, les travailleuses dans l’économie domestique pallient, chez nous, le manque criant de structures de prise en charge de la petite enfance, des personnes âgées et/ou dépendantes ; de plus, elles jouent un rôle économique fondamental vis-à-vis de leurs pays d’origine, par l’envoi de fonds pour faire vivre leur famille.

Nous reviendrons dans le prochain numéro du CCSI-Info sur l’échéance du 14 juin 2019 et sur les modalités concrètes de notre participation à cette mobilisation, pour la visibilisation et les droits des femmes migrantes.

Anne-Marie Barone

En 2012, le CCSI a synthétisé ses constats en ce qui concerne les migrantes dans un petit document. Celui-ci, intitulé « Femmes d’ailleurs, femmes d’ici : droits égaux pour toutes » relevait notamment la vulnérabilité particulière des femmes migrantes, liée à des formes de dépendance multiples. Ce document est accessible en téléchargement ou à la commande ici.