CCSI-Info janvier 2023
Pour télécharger ce numéro au format PDF, cliquez ici.
Édito| Marianne Halle
On aurait souhaité une période des fêtes plus propice au repos et à la joie de retrouver ses proches. Mais c’est le cœur lourd que l’année 2022 s’est terminée, et le cœur lourd que 2023 a commencé. D’abord, avec le renvoi brutal d’une mère et d’un jeune enfant, pourtant scolarisé et intégré à Genève, en pleine année scolaire, sans même pouvoir dire au revoir à ses camarades de classe. Mais aussi, bien sûr, les deux décès coup sur coup, de jeunes demandeurs d’asile hébergés dans des foyers genevois. Le premier, Alireza, n’avait que 18 ans. Le second, dont on ne sait que peu de choses, une dizaine d’années de plus. Bien trop jeune, en tout cas.
Ces tragédies sont venues rappeler de manière crue le coût humain des politiques migratoires de la Suisse. Dans un des cas, nous savons qu’Alireza a mis fin à ses jours alors qu’il venait de recevoir une décision de renvoi vers la Grèce, pays par lequel son parcours l’avait amené à passer et où il avait subi de mauvais traitements.
Rappelons donc que toutes ces situations sont le résultat de choix, et non de la fatalité. Les autorités choisissent le type d’encadrement et d’hébergement qui est proposé aux personnes en procédure d’asile. Elles choisissent de ne pas tenir compte de l’avis des médecins, qui attestent de l’état psychologique fragile d’une certain nombre d’entre elles. Elles choisissent d’appliquer aveuglément les accords de Dublin et de renvoyer ces personnes dans le premier pays par lequel elles ont eu le malheur de passer, sans utiliser les marges de manœuvre qui existent pour prendre en compte les situations individuelles qui le demandent.
C’est parce que ce sont des choix qu’il importe d’en parler, de redire notre opposition à ces politiques inhumaines et de réaffirmer qu’il est non seulement possible mais urgent – même dans le cadre d’une politique migratoire restrictive – de faire autrement. Des rassemblements organisés par les milieux de défense du droit d’asile sont prévus les 25 janvier, 1er et 29 mars prochains, à la Place du Rhône.
Dans ce sombre climat, deux nouvelles plus réjouissantes ont apporté un peu de lumière. Sur le plan national, deux modifications récemment acceptées par le Parlement pourraient entraîner de véritables améliorations pour les personnes concernées : les jeunes migrant∙e∙s d’une part, dont l’accès à la formation professionnelle devrait bientôt être facilité, et les migrant∙e∙s victimes de violences conjugales d’autre part, qui devraient avoir moins de difficultés à conserver leur droit au séjour lorsqu’elles se séparent d’un∙e conjoint∙e violent∙e.
Alors accrochons-nous quelques instants à ces avancées, qui apparaissent comme des îlots salvateurs dans ce fleuve où nous ramons sans cesse à contre-courant. Que ces îlots nous permettent de reprendre des forces, afin de pouvoir remonter dans la barque et empoigner une nouvelle fois fermement les rames. Bonne année à toutes et tous !
Accès à l’apprentissage : enfin de bonnes nouvelles
La nouvelle est d’autant plus bienvenue qu’elle était inattendue. Le 14 décembre, le Conseil des États a approuvé une motion, adoptée par le Conseil national en juin dernier, dont l’objectif est de faciliter l’accès à la formation professionnelle pour les jeunes migrants.
Cette motion découle d’abord d’un constat amer. En effet, depuis l’acceptation de la motion Barthassat en 2010, les jeunes sans statut légal auraient dû pouvoir bénéficier d’un permis pour entreprendre une formation professionnelle duale (avec une partie en entreprise, nécessitant un permis de travail). Mais en réalité, les conditions à remplir pour bénéficier d’une telle autorisation sont tellement strictes que cette possibilité n’a été utilisée que quelques dizaines de fois depuis son introduction.
La Plateforme nationale pour les sans-papiers, dont le CCSI est membre actif, a maintes fois alerté autorités et médias sur les obstacles que rencontrent encore les jeunes concerné∙e∙s et sur la nécessité de revoir les critères pour permettre à cette motion de déployer ses effets.
C’est finalement dans le cadre des suites de l’opération Papyrus que l’affaire s’est finalement débloquée. En effet, le rapport (pourtant décevant dans son ensemble) “Pour un examen global de la problématique des sans-papiers” – produit par le SEM en 2020 dans la foulée du projet pilote genevois – faisait état d’un consensus relativement large autour d’une proposition visant à améliorer l’accès à la formation professionnelle pour les sans-papiers. Une motion en ce sens a donc été déposée au printemps dernier par la Commission des institutions politiques du Conseil national.
Grâce à l’important travail de conviction mené par les député∙e∙s allié∙e∙s, parmi lesquelles la Conseillère aux États Lisa Mazzone (actuelle présidente de la Plateforme pour les sans-papiers), la motion a finalement été acceptée à une courte majorité. Le SEM est désormais chargé de proposer un texte, qui devrait notamment réduire la durée de séjour exigée pour bénéficier d’un tel permis, et étendre la possibilité aux jeunes débouté∙e∙s de l’asile.
Gageons que l’arrivée d’Elisabeth Baume-Schneider à la tête du Département fédéral de Justice et Police favorisera une mise en œuvre généreuse et rapide de la motion, permettant enfin aux jeunes concerné∙e∙s d’exercer pleinement leur droit à l’éducation et à la formation, et d’envisager leur avenir avec plus d’optimisme.
Marianne Halle
Le Conseil d’État soutient l’initiative
Par un communiqué du 11 janvier 2023, le Conseil d’État genevois a annoncé qu’il recommandait au Grand Conseil d’adopter l’initiative en faveur des droits politiques pour les étrangers∙ères.
Espérons que ce soutien bienvenu de la majorité de gauche (certains à droite ayant pris la peine de communiquer publiquement leur désaccord quant à cette décision, à l’instar de M. Poggia) contribue à ce que le Grand Conseil traite rapidement l’initiative et en recommande lui aussi l’acceptation.
Les débats devraient avoir lieu vendredi 27 janvier après 16h, et sont ouverts au public. Le comité d’initiative, dont le CCSI fait partie, y sera – n’hésitez pas à nous rejoindre !
Amélioration légale en vue pour les migrantes victimes de violences ?
Regroupement familial et dépendance vis-à-vis du conjoint
La Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) prévoit que les conjoints et les conjointes étrangers∙ères d’un∙e ressortissant∙e suisse ou titulaire d’un permis C ont droit à l’octroi d’une autorisation de séjour, et à la prolongation de sa validité, pour autant qu’ils vivent en ménage commun. En cas de dissolution de la famille, les conjoint∙e∙s étrangers∙ères perdent leur droit au permis, sauf dans les deux cas mentionnés à l’art 50 LEI :
- Soit l’union conjugale a duré au moins trois ans et les critères d’intégration prévus par la loi sont remplis ;
- Soit la poursuite du séjour en Suisse s’impose pour des raisons personnelles majeures, notamment dans le cas où le ou la conjoint∙e est victime de violence conjugale.
À noter que le droit à l’octroi et à la prolongation de l’autorisation de séjour prévu à l’art. 50 LEI ne s’applique qu’aux personnes étrangères mariées à des ressortissants suisses ou titulaires d’un permis C. Pour les personnes mariées à des titulaires de permis B, de permis de courte durée (permis L), ou au bénéfice d’une admission provisoire (permis F), l’art. 77 de l’Ordonnance (OASA) prévoit seulement une possibilité pour l’administration (et non un droit) de prolonger l’autorisation de séjour en cas de dissolution du mariage suite à des violences.
Une interprétation restrictive de la violence conjugale
La LEI ne définit pas la notion de violence conjugale. Le Tribunal fédéral a été amené à interpréter cette notion, et a considéré que pour pouvoir bénéficier s’une prolongation de son permis de séjour, le ou la conjoint∙e devait établir avoir subi des violences d’une certaine intensité, et que l’auteur lui avait infligé des mauvais traitements systématiques dans le but d’exercer un pouvoir et un contrôle.
De plus, les preuves de l’existence des violences sont souvent difficiles à apporter, et les autorités ne tiennent pas toujours suffisamment compte des avis et renseignements fournis par les associations et services spécialisés dans le soutien aux victimes de violences.
Pour toutes ces raisons, qui s’ajoutent au fréquent isolement social des victimes et à leur méconnaissance des possibilités d’obtenir de l’aide, de nombreuses personnes migrantes hésitent à se séparer d’un∙e conjoint∙e violent∙e par crainte de perdre leur droit au séjour en Suisse.
Une initiative parlementaire bienvenue
Grâce à un travail d’information et de sensibilisation mené depuis plusieurs années par le Groupe de travail romand Femmes migrantes et violences conjugales, dont le CCSI fait partie, des parlementaires ont formulé une proposition de modification de l’art. 50 LEI. Une procédure de consultation sur cet avant-projet a été ouverte à fin novembre 2022.
Le CCSI soutiendra ce projet dans le cadre de cette consultation, en soulignant ses principaux points positifs :
- Le projet supprime l’inégalité de traitement actuelle entre les victimes de violences, fondée sur le statut de séjour du conjoint.
- Le projet améliore les possibilités pour les victimes de prouver les violences subies, en ancrant dans la loi la prise en compte par les autorités des avis des associations ou services spécialisés, ainsi que de la reconnaissance de la qualité de victime par les centres LAVI1.
- Enfin, le projet étend à trois ans (au lieu d’un an actuellement) la durée au terme de laquelle la personne ayant obtenu une prolongation de son autorisation de séjour après une séparation due à des violences conjugales devra faire la preuve qu’elle remplit les critères d’intégration fixés par la LEI2.
Nous suivrons attentivement le sort de cette initiative parlementaire et espérons que le Parlement l’adoptera, afin d’améliorer le sort des migrant∙e∙s victimes de violences.
Anne-Marie Barone
1 LAVI = Loi sur l’aide aux victimes d’infractions
2 Soit la connaissance de la langue et la participation à la vie économique
L’étude Parchemins a suivi de 2017 à 2022 près de 500 migrant∙e∙s sans papiers vivant dans le canton de Genève. Ce projet visait à mesurer les conséquences de l’obtention d’un permis de séjour sur leurs conditions de vie et leur état de santé. L’étude s’inscrit dans le contexte de l’Opération Papyrus qui a permis la régularisation de certain∙e∙s migrant∙e∙s.
Cet après-midi propose au grand public de découvrir les implications des résultats de l’étude Parchemins pour les politiques publiques en matière de migration. Elle sera aussi l’occasion d’écouter les points de vue des migrant∙e∙s ayant participé à l’étude ainsi que celui des professionnel∙le∙s de terrain et de santé. Une opportunité unique de participer à ces échanges qui s’inscrivent dans le cœur de notre actualité citoyenne.
Sortir de la clandestinité
Quel impact sur les conditions de vie et la santé des migrant∙e∙s?
Mercredi 15 février 2023
Uni Dufour, U300
14h30-16h30: Présentations scientifiques
Résultats de l’étude Parchemins & témoignages de migrant∙e∙s.
17h-19h: Table-ronde grand public
Échange entre représentant∙e∙s politiques, migrant∙e∙s, scientifiques, professionnel∙le∙s de terrain et de santé.
L’événement sera suivi d’un apéritif.