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Mieux protéger les victimes de violences conjugales

Publié le 3 mars, 2023 dans , ,

Le CCSI a participé à la consultation en cours sur intitulée “Garantir la pratique pour raisons personnelles majeures visée à l’article 50 LEI en cas de violence domestique”. Grâce à un important travail mené par les membres du Groupe de travail femmes migrantes et violences conjugales, impulsé par le CCSI il y a plus de dix ans, un projet de modification de la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) est en cours. Ce dernier permettrait notamment de clarifier les critères selon lesquels le permis peut être prolongé lorsqu’une séparation intervient avant trois ans de mariage en raison de violences conjugales.

Vous trouverez ci-dessous la prise de position du CCSI. Si vous souhaitez en savoir plus, vous pouvez également lire l’article paru dans le CCSI-Info de janvier 2023, ou cet article paru dans la revue Reiso.


Consultation sur la modification de la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI). Garantir la pratique pour raisons personnelles majeures visées à l’article 50 LEI en cas de violence domestique.

 

Le CCSI est l’une des principales associations de soutien aux personnes migrantes à Genève. Ses trois consultations, dont une spécifiquement dédiée aux démarches liées à l’obtention et au renouvellement de permis de séjour, suivent près de 2000 dossiers chaque année. Le CCSI est régulièrement confronté à des cas de femmes migrantes dont le droit au séjour est mis en péril à la suite d’une séparation en raison de violences conjugales. Au-delà de l’accompagnement individuel offert à ces personnes, le CCSI Genève s’investit depuis de nombreuses dans différentes démarches pour tenter d’améliorer la situation tant au niveau cantonal que national.

De ce fait, le CCSI Genève a suivi de près et avec la plus grande attention les modifications législatives qui se sont succédées jusqu’à aujourd’hui, et salue le présent projet de révision de l’article 50 LEI en consultation.

En effet, la législation actuellement en vigueur et son application ne protègent pas suffisamment les victimes et favorisent trop souvent le maintien d’unions marquées par la violence. Pour pouvoir renouveler leurs autorisations de séjour initialement obtenues par regroupement familial, ces dernières doivent démontrer, preuves convaincantes à l’appui, d’avoir subi des violences systématiques et d’une « certaine intensité ». Faute de pouvoir répondre à de telles exigences, un certain nombre des victimes sont amenées à rester ou à retourner auprès d’un conjoint violent.

La modification proposée offre également la possibilité de mettre la législation suisse en conformité avec les normes internationales de protection des personnes touchées par la violence,  notamment la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (RS 0.311.35)[1], dite Convention d’Istanbul (CI).

Par ailleurs, dans son rapport publié en novembre 2022, le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) chargé de la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul, a instamment demandé à la Suisse d’apporter des améliorations au droit de séjour des personnes concernées par la violence domestique et de veiller à ce que toutes les victimes puissent bénéficier de possibilités de séjour indépendantes de leur partenaire après une séparation, afin de leur permettre d’échapper aux situations d’abus[2]. Dans ses commentaires suivant le premier rapport de référence adressé à la Suisse par le GREVIO, le gouvernement suisse fait d’ailleurs référence à l’initiative parlementaire  « Garantir la pratique pour raisons personnelles majeures visées à l’article 50 LEI en cas de violence domestique », en précisant qu’un projet de loi est en consultation et que « toutes les catégories de séjour disposeront d’un droit au séjour en Suisse lorsqu’un mariage est dissous en raison de violences domestiques »[3] en cas de son acceptation.

En outre, les dernières recommandations du 1er novembre 2022 du Comité pour l’élimination de la discrimination envers les femmes (CEDEF)[4] recommandent également à la Suisse de « modifier l’art. 50 LEI afin de garantir que toutes les femmes victimes de violences domestiques ou sexuelles puissent quitter leur conjoint violent sans perdre leur statut de résident, indépendamment de la gravité des violences subies et de la nationalité ou du statut de résident de leur conjoint ».

 

Remarques détaillées sur le projet de loi

1. Extension du droit à l’octroi et à la prolongation du séjour en Suisse en cas de violence domestique (art. 50, al. 1)

La réglementation des raisons personnelles majeures pour les victimes de violence conjugale selon l’art. 50 al. 2 LEI ne s’applique aujourd’hui qu’aux personnes dont le ou la conjoint·e est titulaire d’un passeport suisse ou d’un permis d’établissement (permis C), et pas aux conjoint·e·s d’étrangères et étrangers titulaires d’un autre type de permis. Certes, la possibilité d’une demande de renouvellement de permis pour raisons personnelles majeures existe pour les conjoint·e·s de ressortissant·e·s titulaires d’autorisation de séjour selon l’ordonnance (art. 77 OASA), mais son application n’est pas contraignante pour les autorités. De plus, rien n’est prévu dans la LEI et l’OASA pour les conjoint·e·s de personnes au bénéfice d’une admission provisoire (permis F) ou d’une autorisation de courte durée (permis L). De ce fait, la réglementation actuelle en fonction du type de titre de séjour conduit à une inégalité de traitement entre les victimes, ce qui a amené la Suisse, lors de la ratification de la Convention d’Istanbul (CI), à émettre une réserve à son article 59 qui prévoit l’octroi d’un permis de séjour autonome aux victimes de violences domestiques indépendamment du statut de séjour de leur conjoint.

Dans le cadre de la modification de l’art. 50 LEI proposée, la Suisse pourrait saisir l’occasion de lever cette réserve et se conformer donc davantage à la Convention d’Istanbulcomme l’a par ailleurs fait récemment l’Allemagne qui appliquera ainsi cette convention sans réserve dès février 2023[5].

Le CCSI Genève salue par conséquent la modification de l’article 50 al. 1.

 

2. Adaptation et complément des bases d’évaluation de la violence domestique en ce qui concerne les raisons personnelles majeures (art. 50, al. 2).

Il est en général très difficile de prouver la violence domestique, car il s’agit d’actes qui se produisent dans la plupart des cas dans le cadre privé. L‘exigence de fournir des preuves sérieuses afin de démontrer avoir subi des violences systématiques et d’une « certaine intensité » est trop élevée. Cette exigence, découlant de la jurisprudence du Tribunal fédéral, constitue un obstacle à une protection efficace des victimes. De plus, les dispositions actuellement en vigueur sont appliquées de manière très restrictive par les autorités et avec de grandes différences entre les cantons, ce qui conduit à l’arbitraire.

Selon la jurisprudence relative à l’art. 77 al. 6 et 6bis OASA, les moyens de preuve comprennent notamment les certificats médicaux, les rapports de police et les renseignements fournis par les services spécialisés (maisons d’accueil pour femmes, centres d’aide aux victimes, etc.), ainsi que les déclarations crédibles des proches ou des voisins. Le Tribunal fédéral a prescrit que tous les éléments susceptibles d’indiquer l’existence de violences doivent être pris en compte. Cependant, les rapports des organisations de protection contre la violence, des psychologues et des travailleuses sociales et travailleurs sociaux spécialisé·e·s dans le domaine de la violence, voire même les attestations médicales relatives aux conséquences de la violence, ne sont pas toujours acceptés par les autorités de migration et/ou leur pertinence est régulièrement mise en doute. Le fait d’avoir bénéficié d’une protection et d’un soutien dans des maisons d’accueil pour femmes et des services de protection contre la violence, ainsi que d’avoir été reconnue comme victime au sens de la Loi sur l’aide aux victimes, ne suffit pas non plus, dans de nombreux cas, à prouver que le seuil d’« intensité » requis est atteint. Cette situation peut entraîner une victimisation secondaire des personnes concernées, ce qui contrevient à l’article 18 CI.

Le fait que, au sens de la jurisprudence, les autorités ne prennent pas en considération les actes de violences qui se produisent après une séparation, est à nos yeux très problématique. En effet, ces violences sont révélatrices de la posture de domination de l’auteur et des violences systématiques préalablement subies. Par ailleurs, selon l’art. 3 de la CI, les violences domestiques comprennent tous les actes commis, indépendamment du domicile – commun ou séparé – de la victime et de l‘auteur. Par conséquent, la prise en compte des violences subies après une séparation serait non seulement très pertinente, mais signifierait aussi une application plus conforme de la CI.

Le CCSI Genève estime qu’il est décisif dans les modifications de l’art. 50, al. 2, que les exigences pour reconnaître les violences soient assouplies, que tous les actes de violences soient pris en considération, et que le degré minimal d’« intensité » de la violence soit abandonné. Ce n’est en effet qu’à cette condition que la protection des victimes sera réellement améliorée.

Commentaires et propositions de modification de l’art. 50, al. 2

De nombreuses migrantes victimes de violence domestique vivent dans un grand isolement social. De ce fait, elles parlent souvent à peine la langue du lieu de résidence et ne connaissent pas leurs droits, ni les possibilités et les offres de soutien et de protection. Beaucoup d’entre elles restent donc dans des situations de violence parfois pendant des années.

Le CCSI Genève salue donc le fait que le projet de modification de la loi mentionne les différents indices des violences subies qui doivent être pris en compte par les autorités compétentes et que celles-ci soient précédées du terme « notamment », indiquant une énumération non exhaustive.  À titre d’exemple et comme l’a rappelé le Tribunal fédéral dans sa jurisprudence, il est important que les déclarations crédibles de proches ou de voisins soient également prises en compte en tant qu’indices des violences subies[6]. En outre, il est essentiel que les rapports des services spécialisés conservent leur importance et qu’ils soient pris en compte à leur juste valeur.

Par conséquent, le CCSI Genève propose que l’art. 50, al. 2, let. a soit reformulé comme suit :

Les raisons personnelles majeures visées à l’al. 1 let. b, sont notamment données lorsque :
a. le conjoint est victime de violence domestique commise par un actuel ou ancien conjoint ou partenaire, attestée notamment par un des éléments suivants :

[a 1…] 2. la confirmation de la nécessité d’une prise en charge, d’un suivi ambulatoire ou d’une protection par un service spécialisé dans la violence domestique financé par des fonds publics ou parapublics.

 

3. Adaptation des prescriptions d’intégration (art. 58a) pendant trois ans après l’obtention d’une autorisation pour raisons personnelles majeures (art. 50, al. 2bis)

En général, les victimes sont isolées socialement par l’auteur des violences domestiques qui peut ainsi les contrôler et les maintenir dans une situation de dépendance. Ceci rend difficile leur intégration sociale, linguistique, professionnelle et économique. L’adaptation de l’al. 2bis vise à tenir compte de cette réalité. Il n’est pas réaliste de penser que celles qui ont été longtemps et délibérément isolées et tenues à l’écart de l’apprentissage de la langue et des possibilités de travail puissent se remettre des conséquences de la violence et rattraper les déficits d’intégration en l’espace d’un an (durée de toute autorisation de séjour). Le délai prolongé pour remplir les critères d’intégration permettrait aux victimes de violence de s’intégrer plus progressivement, mais également plus durablement dans la société.

Le CCSI Genève salue par conséquent la modification de l’article 50 al. 2bis. Il apprécierait toutefois que le texte de loi formule encore plus clairement que le délai de trois ans ne commence à courir qu’à la première échéance de l’autorisation de séjour obtenue en application de l’article 50 LEI.

 

4. Inclusion du concubinage

Le CCSI Genève salue le fait que les concubin·e·s venu·e·s en Suisse pour vivre auprès de leur partenaire soient désormais inclus·es dans la réglementation prévue à l’art. 50, al. 2, par le biais de l’art. 50, al. 4.

Le CCSI Genève suggère, afin de garantir l’égalité de traitement, que toutes les personnes, indépendamment de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle, soient explicitement incluses dans le régime des couples en concubinage.

[1] Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) [Etat : 14.10.2022]

[2] Voir le point 265 à la page 78 du rapport d’évaluation de référence adressé à la Suisse par le GREVIO.

[3] Voir commentaire de la Suisse sur le rapport d’évaluation du Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) du 2 novembre 2022

[4] Voir points 41 et 42 des recommandations de la CEDEF sous : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CEDAW/C/CHE/CO/6&Lang=en

[5] https://www.bmfsfj.de/bmfsfj/aktuelles/alle-meldungen/bundesregierung-zieht-vorbehalte-gegen-istanbul-konvention-zurueck-202866

[6] Cf. arrêt du TAF F-5454-2017, voir aussi les arrêts suivants : ATF 2C_361/2018, ATF 2C_649/2015, ATF 2C_964/2015, ATF 2C_1055/2015, ATF 2C_648/2017, ATF 2C_777/2016, ATF 2C_922/2019.